Ma petite anthologie succincte et capricieuse
de la poésie
Jean
Genet
Le
Condamné à mort
Sur
mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que
ma main plus légère et grave qu'une veuve
Effleure
sous mon col, sans que ton coeur s'émeuve Laisse tes dents poser
leur sourire de loup.
Ô
viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d'Espagne
Arrive
dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive,
ouvre ma porte, apporte-moi ta main
Mène-moi
loin d'ici battre notre campagne.
Le
ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir
Ni
les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
Accueillir la rosée
où le matin va boire
Le
clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Ô
viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite
dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi
la chair, tue, escalade, mords
Mais
viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous
n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous
n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On
peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un
assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.
Amour,
viens sur ma bouche ! Amour, ouvre tes portes ! Traverse les
couloirs, descends, marche léger
Vole
dans l'escalier plus souple qu'un berger
Plus
soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.
Ô
traverse les murs, s'il le faut marche au bord
Des
toits, des océans, couvre-toi de lumière
Use
de la menace, use de la prière
Mais
viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
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