vendredi 28 août 2020

Hervé Bazin - Vipère au poing - ch.XXII

 
Hervé Bazin
Vipère au poing
ch. XXII
lu par Pierre Vaneck

XXII
  Des économies féroces suivirent cette coûteuse cérémonie. Mme Rezeau devenait d'ailleurs de plus en plus avare. Selon un procédé fort en honneur dans les vieilles familles bourgeoises, mon père lui allouait des crédits définis, répartis à l'avance sur les différents chapitres du budget. Tant pour sa garde-robe, tant pour la nôtre, tant pour la cuisine. Folcoche trichait, lésinait maintenant sur tout. Elle se constituait une cagnotte, l'investissait en petits placements personnels, boursicotait à la petite semaine, donnant des leçons à son seigneur et maître, qui gérait " si mal " sa fortune. De fait, il faut avouer que si papa ne s'était pas cramponné aux valeurs à revenu fixe, aux emprunts d'État, la dot de notre mère — trois cent mille francs-or — aurait pu s'adorner d'un zéro supplémentaire. Il n'avait su que la maintenir à sa valeur nominale. Les Pluvignec, en cette matière, pouvaient se gausser des Rezeau : ils ne s'en privaient pas. 
  Le protonotaire se vit donc opposer un refus très net, lorsqu'il proposa de nous emmener en vacances en Tunisie. Cette détente était souhaitée par notre père, mais, bien que l'oncle promît de nous défrayer de tout sur place, la somme nécessaire au triple voyage ne put être réunie. (Folcoche ne voulait d'ailleurs pas en entendre parler.) Pour le même motif, nous dûmes décliner un certain nombre d'invitations dispendieuses. Les expéditions généalogiques furent stoppées. Le Stock de boîtes et autres accessoires entomologiques ne put être renouvelé. 
  Pour ma part, je ne désirais pas tellement quitter La Belle Angerie. Du moins, pour l'instant. Non, certes, que j'y fusse plus heureux qu'auparavant et moins fracassé par Folcoche ! Mais les environs du manoir devenaient intéressants. Malgré toutes les interdictions, nous nous avancions de plus en plus loin. La mégère, qui escomptait " la grande affaire ", lâchait les rênes, quitte à bloquer le mors d'un seul coup, au moment opportun. 
  A mon tour, je me servais du Gillette paternel. Les chemins creux, où trottent les filles qui vont, la faucille sur l'épaule, couper de la luzerne pour les lapins, les chemins creux s'offraient à mes galoches. Cropette, que ses treize ans et demi ne démangeaient pas encore, pédalait sagement dans les allées sur le vélo que lui avait valu certaine trahison oubliée. Mais Frédie et moi, les narines ouvertes, nous guettions les enfants de Marie, les gardeuses de vaches, la petite Bertine et, surtout, Madeleine de La Vergeraie. Nos prérogatives de fils du patron nous la rendaient accueillante. 
  Aussi intimidés qu'elle, mais pas de la même manière, nous lui portions ses paniers, nous lui ramenions ses bêtes. Elle n'était point dupe de ce brusque intérêt, et dans ses yeux s'allumait un mélange de raillerie, de crainte et de vanité. Cette fille était beaucoup plus avancée que nous. Je dois vous le dire, il y avait trois mois seulement qu'en tombant par hasard sur une couple de chiens en train de bien faire j'avais reconsidéré la question et mis au point certains détails férocement tus par la pudibonderie familiale. J'avais été privé de ces petits camarades de collège qui sont, généralement, les initiateurs (pas toujours désintéressés) de leurs cadets. Je n'osais interroger mes frères, aussi tardifs que moi sur ce chapitre et victimes de cette éducation qui considérait comme " répugnante " toute confidence sexuelle, toute phrase trop précise, au point que je n'entendrai jamais dire d'une cousine : " Elle est enceinte ", mais seulement : " Elle attend un bébé. " Les parties, dites sacrées par les Grecs, les chrétiens les ont rebaptisées honteuses. C'est tout dire. Je vais peut-être vous faire sourire, mais mon ignorance était telle que je me suis longtemps représenté le sexe féminin, non pas dans le sens vertical, mais dans le sens horizontal, comme la bouche. 
  A quelque chose malheur est bon, et cette candeur me mit à l'abri du vice solitaire, ce fléau contre lequel nous n'avions jamais été mis en garde. Ma première réaction, après l'initiation, du reste partielle, aux choses de l'amour, leur fut nettement défavorable. Je n'éprouvais aucun dégoût d'ordre mystique, aucune appréhension de péché. Le péché ? La bonne blague ! Un mot, un prétexte à punitions, une entorse au règlement de l'Église, aussi arbitraire que le règlement de Folcoche. Non, je trouvais que la nature aurait pu, aurait dû doter les mammifères d'un système de reproduction analogue à celui des fleurs. Les monoïques, de préférence. Voilà qui est propre, poétique, accessible à tous les regards. Si propre, si poétique que les fleurs, ces organes génitaux, servent à la décoration des salons et des chapelles. Certes, il ne me déplaisait pas que Folcoche appartînt à cette catégorie d'êtres toujours un peu malades, suintants et, pour tout dire, humiliés que sont les femelles et plus particulièrement les femmes. Mais, à cela près, et si, vraiment, pour des raisons techniques, il était impossible au Seigneur de nous donner un Style et des étamines, il aurait pu généraliser la discrétion des oiseaux. 
  Puis mon attitude changea. Je restai pur... Je restai pur très longtemps. Par orgueil. Par souci — comment dirais-je ? — par souci d'authenticité. Mais les réveils matinaux, dont Victor Hugo a si bien parlé en vers, le poitrail de Madeleine, ces fuseaux des jambes d'enfants de Marie endimanchées montant vers on ne sait quoi sous la robe, cette démangeaison du bout des doigts qui demandent à palper comme des antennes et semblent vouloir ajouter quelque chose au sens tactile, cette sorte de faim — et c'en est une — qui part aussi du ventre et qui ne s'appelle pas encore le désir, toute une éruption de sentiments et de boutons, les premiers fournissant le pus des seconds, tout cela finit par avoir raison de moi. 
  Aspics du soir, je vous entends siffler. Au nom de quoi faut-il vous taire ? Il n'y a pas de complaisance envers la vérité. Il y a la vérité. L'hésitation de mes périphrases, en ce moment, n'est-ce pas une dernière séquelle de cette formation chrétienne qui donne à l'instinct: le sobriquet louche de " tentation " ? Frédie, malgré ses dix-huit mois d'aînesse — ça compte, à cet âge ! — et malgré d'analogues tourments, n'était ni plus avancé ni plus riche d'audace. Bien au contraire. Une sorte d'accablement lui tombait sur les épaules, avec la puberté. 
  — Nous avions bien besoin de cette complication-là ! maugréait-il. 
  Je me rendis compte assez vite qu'il ne pouvait rien tenter sans moi. Comme sa taille et ses moustaches naissantes me faisaient du tort, je pris le parti de chasser pour mon propre compte, seul. Le cartel des gosses expirait. D'autres joutes nous attendaient. Mais je n'avais pas l'intention de m'éterniser dans cet échange de sourires et de mots à double sens, que les adolescents prodiguent aux adolescentes. Cette nouvelle vipère qui me grouillait dans le corps, il fallait aussi l'étrangler. Et tant pis pour Madeleine ! est-ce que Folcoche, pour assouvir je ne sais quel sadisme, a pris des gants avec nous ? Madeleine est rougeaude, elle prend de plus en plus la tournure des filles craonnaises, que les potées et le lard froid engraissent trop tôt. Dans trois ans, elle aura la démarche des oies grasses. Mais, pour l'instant, c'est encore un piron (oison, en patois) assez tendre pour ce que j'en veux faire. Pucelle ou non, je m'en fous. Elle trouvera toujours un mari pour la valeur de son dos, qui ne rechigne pas aux binages, et de ses mains, qui traient remarquablement vite. Mais il faut l'approcher, la " travailler ". Ce n'est pas si facile. Les paysans se couchent tôt et ne traînent pas dehors, une fois la nuit tombée. En semaine, Folcoche veille, et je ne peux m'échapper que pour de brèves rencontres au pacage. Reste le dimanche, toujours scrupuleusement chômé, sauf en période de moissons, lorsque le curé, en chaire, a donné l'autorisation annuelle. 
  Madeleine, revenant des vêpres où elle chante (faux, bien sûr), prend régulièrement le raccourci du petit bois. Ce que j'ai résolu, je le réalise généralement très vite. Je n'aime pas m'attendre ni attendre les autres. Toutefois, en amour, si ce nom peut être donné à cette première répétition particulière, en amour, il faut être deux. Madeleine résiste. Elle occupe, désespère, enthousiasme toutes mes vacances. Maintenant, lorsque je monte au taxaudier, c'est surtout pour m'interroger sur les résultats de ma cour auprès de la jeune vachère, dont les cheveux ont la couleur et l'odeur du foin frais. Je ne suis pas trop satisfait de moi. Et alors, garçon, où es-tu ? Sont-elles si pures, ces mains qui palpent les pis ? Se défendent-elles si bien ? As-tu peur d'être surpris par Folcoche, cette autre femme, qui s'est, au moins trois fois, renversée sur le dos ? Eh ! tu m'embêtes, avec ta Folcoche. Laisse-la ranger ses timbres en compulsant Yver et Tellier. Voilà trente fois que tu trottes en vain au pacage. Les colchiques de l'automne vont fleurir, les vacances vont se terminer, tu vas devenir moins libre... 
  Il faut réussir avant la rentrée de B VII. Ce besoin naturel, car tu le penses tel, est-il donc si gênant de le faire à deux ? Tu voulais rester pur, idiot. Est-ce qu'on retient ses glaires, lorsqu'on a envie de cracher ? L'hygiène publique a inventé les crachoirs comme Dieu a inventé les femmes. La pureté n'exige pas la rétention, mais l'exutoire. Je m'encourage, je me dope, je m'engueule. Je repars au trot, à la première occasion, vers la prairie des trois ormes, où se tient le plus souvent Madeleine, tricotant des chaussettes de laine pour son frère, le gars Georges. Un parapluie fiché en terre la protège de la pluie ou du soleil, selon les cas. Ses nattes sont toujours ramenées par-devant et coulent entre ses seins. Les yeux oscillent très vite quand je m'approche : ils sont jaunes. Aujourd'hui, je suis plus généreux, et je dirai qu'ils sont dorés. Je viens de m'asseoir à côté d'elle sans lui dire bonjour. 
  — Faites attention, monsieur Jean. Mon frère n'est pas loin, à nuit. Il bine les betteraves. 
  Il faut enfin que je l'embrasse. Mon bras passe pardessus son épaule. Ma main, sournoisement, redescend vers l'aisselle, s'insinue. Quand le bout de mes doigts arrive au bord du sein, Madeleine les bloque, sans mot dire, en serrant le coude contre les côtes. J'en suis pour mes frais. Vais-je lui tenir des propos fleuris ? Quelle idée ! Ne gâchons pas nos perles. Brusquement je me décide et, empoignant une natte, je tire la tête en arrière, sans ménagements. " Ouille ! " fait-elle, avant que ma bouche ne gobe la sienne. Voilà donc qui est fait. Je m'accorde un bon point et retient l'envie de m'essuyer les lèvres. Madeleine remarque : 
  — Vous avez de l'amitié pour moi, monsieur Jean ? 
  Amitié, en patois craonnais, c'est le vocable discret de l'amour. Non, je n'ai pas la moindre amitié pour cette fille. Je m'étire, je m'écarte un peu, enfin je la questionne. 
  — Tu n'es pas fâchée, Mado ? 
  — Un p'tit, répond-elle laconiquement. 
  Mais, ce disant, elle sourit, et, comme elle sourit, je remets ça. Cette fois, pourtant, sans vergogne, je saisis et je pétris le sein gauche, que je trouve un peu mou. Elle ne me prend pas le poignet. Elle ne pense plus au gars Georges dont en entend cependant claquer le fouet. Je la lâche, par prudence, et je galope vers La Belle Angerie. Je jubile. Frédie, qui, depuis mon abandon, vagabonde seul, s'aperçoit de mon excitation et m'interroge : 
  — Alors ? 
  J'ai grande envie de le sidérer en lui disant que j'ai réussi. Mais je suis encore plus vaniteux que vous ne le pensez et je ne veux lui servir chaud que du réel, d'ici peu, avec le droit de s'embusquer à proximité pour contrôler mon triomphe, s'il le désire. Disons seulement, aujourd'hui, avec nonchalance : 
  — Mon vieux, la nèfle est mûre. 
  — Non, plaisante Frédie; généralement, on dit la poire. Les nèfles, on les mange quand elles sont pourries. 
  — Je sais ce que je dis. 
  Ma réponse n'a pu parvenir jusqu'au tympan de Folcoche, qui survient à cet instant précis. Elle braille, pour changer : 
  — Alors, toujours vos messes basses ! 
  Je te néglige, ma mère, depuis quelque temps. Excuse-moi. Ce n'est pas mauvaise volonté de ma haine. Mais je suis vraiment très occupé. Pourtant je désire que tu ne t'y trompes pas. Ce que j'en fais, c'est sans doute pour satisfaire un instinct que l'âge développe et que nulle tendresse ne saurait canaliser vers les marais du sentiment. Mais c'est aussi contre toi. Ne dis pas que cela n'a aucun rapport. Tu n'es qu'une femme, et toutes les femmes paieront plus ou moins pour toi. J'exagère ? Écoute... L'homme qui souille une femme souille toujours un peu sa mère. On ne crache pas seulement avec la bouche. 
  Et voilà ce jour du Seigneur, ce dimanche qui m'est dû. Elle me foutra une paix royale, la mégère ! Ibrahim-Pacha, bien inspiré par Allah, vient de lui envoyer d'Égypte une précieuse série. Il faut qu'elle la classe et qu'elle la colle. J'ai posté Frédie à la rotte du jardin, tant pour contrôler que pour monter la garde. S'il y a péril, il doit siffler le Dies irae, dies illa. Pour ma part, je m'embusque sous le cèdre argenté, où j'ai, dernièrement, déniché une couvée d'éperviers. La sortie des vêpres est sonnée depuis un quart d'heure. Madeleine ne saurait tarder. Madeleine arrive ! Endimanchée, je la trouve moins appétissante qu'en sarrau gris. Son chapeau de paille s'adorne d'un ruban de velours cerise, qui jure avec sa robe mauve, achetée sans doute dans ce magasin de Segré qui s'est fait une spécialité des couleurs sucette. Elle se doute bien que je dois l'attendre quelque part sous le taillis et marche doucement, comme une qui n'est pas pressée et qui cherche à se faire désirer un peu, point trop, car les gars et, à plus forte raison, les messieurs, aiment bien qu'on les aguiche, mais pas qu'on les agace. 
  — Hep ! Mado ! 
  L'interpellée s'arrête, regarde autour d'elle, m'aperçoit sous le cèdre, dont les dernières branches retombantes forment une sorte de dais, hésite un peu, puis, serrant sa robe sur ses cuisses, se coule avec précaution jusqu'à moi. Comme d'habitude, elle est silencieuse. Que trouverait-elle à dire ? Sous ses nattes, il n'y a pas foule. J'ai préparé l'endroit, déblayé le terrain, équitablement réparti les aiguilles. Elle n'a qu'à s'asseoir. Et à sourire. Prélude. Ce qui m'a déjà été donné ne peut raisonnablement m'être refusé. Je touche donc mes redevances. Une demi-heure se passe en préparatifs. Un sifflement prolongé se fait entendre. Je dresse l'oreille, mais ce n'est pas le Dies irae. C'est le père Simon qui rappelle ses vaches. Tout de même, ne lanternons pas. Je n'ai guère plus d'une heure devant moi. Du sein gauche, ma main descend le long de la hanche, passe sous la robe, arrive à la jarretelle. 
    — C'est donc ça que vous voulez, à c'te heure ! 
  Nouveaux préludes. Au-dessous de la ceinture. Nouvelle demi-heure. Un pigeon fait du charme au-dessus de nous, dans l'arbre même où nichait l'épervier. Tu as de la chance, pigeon, que j'aie déniché l'oiseau de proie ! Mais celle-ci qui se débat un peu sous ma serre, je te jure qu'elle ne m'échappera pas. Fin des préludes.
A suivre... 

Un poème / un jour - 18 - Louis Aragon - La Rose et le Réséda


Ma petite anthologie succincte et capricieuse 
de la poésie
Louis Aragon
La Rose et le Réséda
dit par Marc Ogeret

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

jeudi 27 août 2020

Un jour/un poème - 17 Marcel Thiry - Toi qui pâlis au nom de Vancouver

Ma petite anthologie succincte et capricieuse
de la poésie
 Marcel Thiry
Toi qui pâlis au nom de Vancouver

Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n'as pourtant fait qu'un banal voyage;
Tu n'as pas vu la Croix du Sud, le vert
Des perroquets ni le soleil sauvage.

Tu t'embarquas à bord de maint steamers,
Nul sous-marin ne t'a voulu naufrage;
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais qu'il suffise à ton retour chagrin
D'avoir été ce soldat pérégrin
Sur les trottoirs des villes inconnues,

Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway,
D'avoir aimé les grâces Greenaway
D'une Allemande aux mains savamment nues.

hervé Bazin - Vipère au poing - ch XXI

Hervé Bazin
Vipère au poing
chapitre XXI
Lu par Pierre Vaneck




XXI
  Deux mois ont passé. Mon escapade n'est pas oubliée. Folcoche y fait souvent d'obligeantes allusions. La guerre civile couve, sournoise. Peut-être pense-t-on à me mettre au collège. La mégère, d'après Frédie, aurait même proposé une maison de redressement, mais, comme nous sommes en période de vacances, la question ne se pose pas. On verra ça, fin septembre, si les fonds sont en hausse, ce qui ne semble pas probable. L'abbé Traquet est en congé. Nous sommes donc seuls sous la coupe directe de Folcoche. J'ai conservé mon costume de velours noir : ma mère s'est très vite aperçue que les culottes courtes humiliaient mes presque quinze ans. 
  Pour papa, c'est la saison idéale : des myriades de mouches bourdonnent sur les laiches et les cardamines des prés bas. Cependant, sa grande préoccupation du moment n'est pas d'ordre entomologique. On va célébrer les noces d'argent académiques du vénérable et octogénaire René Rezeau. Bien que ce dernier ne soit, somme toute, que le plus brillant des collatéraux (et il sait bien le dire, monsieur mon père, chef de la branche aînée), la Belle Angerie, capitale bicentenaire de la famille Rezeau, doit être le cadre de cette flatteuse cérémonie. Papa se débat, intrigue, écrit force lettres sur le papier à en-tête du manoir, réfute les objections de ceux qui trouvent le Craonnais trop difficile à joindre, organise un service d'autocars en déroutant pour quarante-huit heures la navette Angers-Segré, cherche du personnel, établit des listes, raie quelques noms, en rajoute quelques autres... 
  Tout cela, avant même l'accord du principal intéressé. Mais cet accord nous parvient enfin. Papa exulte, bondit à Segré, donne l'ordre d'imprimer les invitations. Folcoche est moins enthousiaste. 
  — Ça coûtera combien, cette histoire-là ? 
  Le chef de la branche aînée chasse d'un revers de la main ces préoccupations mesquines : il vient de liquider quelques titres au Comptoir d'Escompte. Tant d'honneur exige de courageux sacrifices. Alors, résignée, Mme Rezeau sonne le branle-bas. Les devoirs de vacances attendront. Sarcloirs, raclettes et râteaux nous sont distribués. Que les allées soient impeccables ! Si la peinture est trop dispendieuse, qu'à cela ne tienne ! Une couche de chaux redonnera une virginité provisoire aux poteaux blancs, qui sont l'accessoire indispensable de toute clôture distinguée. La paille de fer mord le parquet du salon, dont les lattes s'effritent dangereusement. Pour une fois, il faut que cela brille. Un nuage de mites (lépidoptères) émigre des tentures, des Gobelins et des tapis, que Fine et les deux Bertine battent à coups redoublés. Barbelivien manie les cisailles dans les massifs. On emprunte au curé Létendard les géraniums du Sacré-Cœur. Jeannie Simon prépare le pâté de prunes qu'affectionne le grand-oncle et une douzaine de fromages en jonc. Madeleine, de La Vergeraie (qui est devenue, décidément, appétissante), vient d'annoncer que sa mère tuera un mouton. Les Argier, de La Bretonnière, sacrifieront leur volaille. 
  — Toutes mes redevances de l'année vont y passer ! gémit Folcoche. 
  Et le grand jour arrive. Le ban et l'arrière-ban de la famille Rezeau ont été convoqués, ainsi que les autorités constituées, civiles et religieuses, de la région. Le grand homme, le héros de la fête, arrive le premier, frileusement recroquevillé sous un plaid au fond de son antique Dion-Bouton. Nous sommes tous alignés sur le perron pour le recevoir. Il descend péniblement de voiture, car sa prostate le fait déjà cruellement souffrir. Sa femme, tante Alice, toute en cheveux blancs, et sa fille Alice II, toute en cheveux noirs, soutiennent ses derniers pas. On installe le vieillard, on le couvre, on le cale dans un fauteuil Dagobert, juste au beau milieu du salon, sous l'écusson de nos armes (vous savez : " de gueules au lion d'or passant "), qui sert de motif central aux peintures de la grande poutre. Sa Grandeur, qui est également frileuse, malgré la saison, et qui est également percluse, vient bientôt le rejoindre, ainsi que notre oncle, le protonotaire apostolique, tout spécialement venu de Tunisie par avion. Magnifiquement lui-même dans ce décor de soutanes, dont la moire épuise toutes les nuances du violet, le défenseur de la Foi considère, d'une prunelle affaiblie, son innombrable famille qui ne cesse maintenant d'affluer, qui vient respectueusement déferler, vague par vague, aux pieds de son fauteuil. Nous reconnaissons le baron et la baronne de Selle d'Auzelle, la comtesse Bartolomi (qui dissimule ses fanons sous une guimpe de perles fines) et sa descendance à cheveux corses, M. et Mme Kervazec, qui présentent les vœux du cardinal, le comte de Soledot, maire du lieu et conseiller général, Mme Torure et ses enfants sans le sou, M. Ladourd, que l'on n'a pas pu ne pas inviter, malgré l'origine de sa fortune (honnête, mais obtenue dans les peaux de lapins), le curé Létendard et son ordonnance, je veux dire : son vicaire, des fils, des filles, des petits-enfants Rezeau, de toutes branches, rouges de plaisir, rouges et innombrables comme les calvilles sous les pommiers de septembre. Tout ce monde se range, se tasse derrière " lui ", redresse collectivement la tête, pose pour la postérité. Alors est admis le petit peuple, les bonnes gens de la commune, les paysans embarrassés d'eux-mêmes et tout rassasiés de leur humilité, Jeannie, Simon, les quatre Barbelivien, les Argier, les Huault, la vieille Fine arborant sur le sein droit la médaille tricolore des vieux serviteurs, les bonnes sœurs de l'école libre et celles de l'hôpital, les enfants de Marie, ceintes de leur écharpe plus ou moins méritée, les membres du Conseil de fabrique, une délégation de la société de tir et de l'harmonie Saint-Aventurin, cinquante fermiers et fermières anonymes... 
  La plupart sont porteurs de bouquets craonnais, de ces bouquets serrés, fleur à fleur, ces mosaïques qui sont des chefs-d'œuvre de la patience paysanne. Mais beaucoup ont amené, pattes ficelées et battant des ailes comme pour applaudir à leur mort prochaine, qui un canard, qui un poulet. (J'allais ajouter qui un lapin, par souci d'exactitude, mais je m'aperçois que cela ferait drôle.) Le tout s'amoncelle dans un coin du salon : les autels et les œuvres en profiteront (non sans que Folcoche ait prélevé une dîme secrète pour se rembourser de ses redevances). En retard, comme il se doit, survient le député conservateur de Maine-etLoire, marquis Geoffroy de Lindigné, qui traverse la foule chaude de ses électeurs. On n'attendait plus que lui. Magnésium. Une fois, deux fois, trois fois. 
  — Merci, messieurs-dames, dit le photographe. Le marquis tire quelques feuillets de sa poche, lance le bras droit en l'air. On fait : " Pschuuuttt. " Le marquis parle ou, plutôt, il entonne... Ce discours dure une heure. Je vous en fais grâce. Mais le speech du maire, l'homélie de l'évêque, le compliment des enfants des écoles, le laïus du chef de la branche aînée, à nous, on ne nous en fit pas grâce. Enfin, après trois heures de postillonnades, la foule des petites gens est autorisée à s'aller rafraîchir de cidre bouché et restaurer de rillots, dans la cour, le long des planches posées sur tréteaux et recouvertes de vingt draps de toile de lin qui leur inspireront la plus salutaire considération envers la dynastie. 
  Les personnes notables, en comité restreint, sont dirigées sur la salle à manger, qui, malgré ses soixante mètres carrés, ne pourrait contenir tout le monde. Le reste de la famille banquettera dans le hall, les couloirs, la salle d'études. La Belle Angerie n'est plus qu'un grand restaurant où s'affairent les filles de ferme embauchées pour la journée et qui font, parmi ce beau monde, un emploi anormal de gros rires et de particules interrogatives " ti ". 
  A six heures du soir, les invités commencent à refluer. Un grand nombre de cousins et cousines, cependant, coucheront au manoir en attendant le train du matin pour Paris. Le protonotaire s'installe pour quinze jours. La baronne pour huit. Le parc est encore plein de cris, d'appels, de galopades. Une vraie kermesse. Le soleil décline en direction du clocher de Soledot, où il semble avoir l'intention de s'embrocher. Les nuages prennent progressivement la teinte des boutons de la robe du protonotaire. Mon père, ivre d'orgueil, la cravate desserrée, erre de groupe en groupe. Les moucherons, dans le pré, de croupe en croupe. M. Rezeau m'aperçoit soudain, solitaire et me dirigeant vers le taxaudier. Il me rejoint, me prend par le bras, m'entraîne, essaie de me communiquer son enthousiasme. — Comprends-tu, mon petit, comprends-tu aujourd'hui ce qu'est une famille comme la famille Rezeau ? 
  Bien sûr, je le comprends, et c'est même pourquoi je suis sans chaleur. Dans le bois, une cousine anonyme, une cousine qui a sans doute une mère attentive et non une Folcoche en robe de lamé, Edith Torure, peut-être, ou une de ces petites Bartolomi à tresses d'ébène... une cousine, quoi ! chante d'une voix aigrelette une vieille romance pour jeune fille bien. 
  — C'est charmant ! dit papa, en se caressant la pomme d'Adam, qu'il a aussi proéminente que le nez. 
  Oui, c'est charmant, c'est désuet, c'est respectable. Mais tant d'argent dépensé pour la gloire, alors que nous manquons de nécessaire, est-ce vraiment charmant ? Mais ces paysans, traités en serfs en plein vingtième siècle, n'est-ce pas aussi désuet? Mais cette hypocrisie qui jette la cape sur nos dissensions, notre sécheresse de cœur et d'esprit, nos mites et nos mythes, est-ce encore respectable ? 
  Le monde s'agite, il ne lit plus guère La Croix, il se fout des index et imprimatur, il réclame la justice et non la pitié, son dû et non vos aumônes; il peuple les trains de banlieue qui dépeuplent ces campagnes asservies, il ne connaît plus l'orthographe des noms historiques, il pense mal parce qu'il ne pense plus vôtre, et pourtant il pense, il vit, infiniment plus vaste que ce coin de terre isolé par ses haies, il vit, et nous n'en savons rien, nous qui n'avons même pas la T. S. F. pour l'écouter parler, il vit, et nous allons mourir. 
  Mais ma haine à moi devine notre raison d'être et, surtout, de ne plus être, elle devine combien cette fête est un défi jeté au siècle et combien elle est fragile, la romance de cette petite cousine qui n'enfantera plus de nouveaux bourgeois craonnais, nés d'une idylle bien dotée. Ma haine, qui ne leur pardonnera pas d'être un des leurs et de l'être à jamais, ma haine sait que cette fête est la dernière du genre, avant que ne s'effrite et ne s'effondre cette gloire de canton. Elle sait aussi que je serais un des plus détestables artisans de l'irrémédiable décadence, préparée par la dévaluation des préjugés et des titres. Et je souffre un peu, j'en souffre, parce que, malgré moi, je ne les déteste pas tous. C'est pourquoi, très doucement, je consens à répondre à mon père, qui ne comprendra pas : 
  — Oui, c'est charmant. On dirait le chant du cygne.
A suivre... 

mercredi 26 août 2020

Un jour / un poème - 16 - Charles Trenet - La folle complainte

   
Ma petite anthologie succincte et capricieuse
de la poésie

Charles Trenet
La Folle complainte

Les jours de repassage,
Dans la maison qui dort,
La bonne n'est pas sage
Mais on la garde encore.
On l'a trouvée hier soir,
Derrière la porte de bois,
Avec une passoire, se donnant de la joie.
La barbe de grand-père
A tout remis en ordre
Mais la bonne en colère a bien failli le mordre.
Il pleut sur les ardoises,
Il pleut sur la basse-cour,
Il pleut sur les framboises,
Il pleut sur mon amour.

Je me cache sous la table.
Le chat me griffe un peu.
Ce tigre est indomptable
Et joue avec le feu.
Les pantoufles de grand-mère
Sont mortes avant la nuit.
Dormons dans ma chaumière.
Dormez, dormons sans bruit.
Berceau berçant des violes,
Un ange s'est caché
Dans le placard aux fioles
Où l'on me tient couché.
Remède pour le rhume,
Remède pour le cœur,
Remède pour la brume,
Remède pour le malheur.

La revanche des orages
A fait de la maison
Un tendre paysage
Pour les petits garçons
Qui brûlent d'impatience
Deux jours avant Noël
Et, sans aucune méfiance,
Acceptent tout, pêle-mêle :
La vie, la mort, les squares
Et les trains électriques,
Les larmes dans les gares,
Guignol et les coups de triques,
Les becs d'acétylène
Aux enfants assistés
Et le sourire d'Hélène
Par un beau soir d'été.

Donnez-moi quatre planches
Pour me faire un cercueil.
Il est tombé de la branche,
Le gentil écureuil.
Je n'ai pas aimé ma mère.
Je n'ai pas aimé mon sort.
Je n'ai pas aimé la guerre.
Je n'ai pas aimé la mort.
Je n'ai jamais su dire
Pourquoi j'étais distrait.
Je n'ai pas su sourire
A tel ou tel attrait.
J'étais seul sur les routes
Sans dire ni oui ni non.
Mon âme s'est dissoute.
Poussière était mon nom.

Hervé Bazin - Vipère au poing - Ch XX

 
Hervé Bazin
Vipère au poing
chapitre XX
Lu par Pierre Vaneck


XX


 Je fais le point. 
  Pour la première fois, je fais le point. Il est bon, ai-je lu quelque part, de se replier quelquefois sur soi-même et, capitaine armé du sextant, de préciser sa position, parmi les courants, les vents, les idées et les voix de ce monde. Revenu de Paris au milieu d'une indifférence générale bien simulée, je me trouve isolé parmi mes frères... pour quelques jours seulement, pense ma mère, qui a dû se donner bien du mal pour les terroriser à ce point. Pour la vie, peut-être. Car j'ai lancé mon petit bateau beaucoup plus loin qu'eux. A mes yeux, ce ne sont plus que de petits mousses. 
   Folcoche me laisse une paix relative. Elle a compris la nécessité de changer encore une fois de politique. Je suis l'énergumène contre qui rien ne prévaut, surtout pas les coups. Le seul siège qui me convienne est sans doute la quarantaine du silence. Elle sait bien, la mégère, que ma combativité s'offusquera très vite de cet injurieux armistice et que j'irai bientôt m'offrir à son tir. Son parti est pris. Je dois par tous les moyens être éliminé de la communauté. Par tous les moyens sérieux. Laissons ce gredin s'endormir dans une sécurité trompeuse, laissons-le faire quelque énorme sottise. 
  Je fais le point. C'est-à-dire, je m'affirme. Ce premier examen, qui n'a rien d'un examen de conscience, car je me trouve très bien tel que je suis et je n'ai le ferme propos que d'être chaque jour un peu plus moi-même, ce premier examen a lieu pendant une récréation de midi, sur l'extrême branche de mon taxaudier, qui devient véritablement mon isoloir, mon donjon, et où mes frères ne me suivent jamais, car l'escalade n'est pas de tout repos. (C'est sans doute pourquoi Folcoche ne m'a jamais interdit d'y monter.) 
  Je fais le point. Je ne sais pourquoi, mais, perché tout là-haut, je me sens tout autre. Dominant les toits bleus de La Belle Angerie et uniquement dominé par le vent d'ouest ou les ramiers qui tournent longuement autour de leurs nids, je me détache de ma vie. Les mille agacements, les mille vétilles dont nous souffrons beaucoup plus que d'une grande blessure, les voilà qui tombent, les voilà qui tapissent les sous-bois très au-dessous de moi, comme les aiguilles brunes de sapin. Que suis-je ici ? Et pourquoi suis-je ici ? Quel rythme d'heures inutiles me balance au même titre et au même souffle que cette branche qui me supporte comme un fruit étranger et qui bientôt me laissera tomber ? Tomber vers cet avenir, maintenant proche, où je pourrai me planter tout seul dans la terre de mon choix, les fumiers de mon choix, les idées de mon choix, les ventres de mon choix. Sur le point de choisir ma façon de pourrir, puisque, pourrir, c'est germer, donc vivre... Sur le point de choisir ma pourriture vivante, que ce soit l'amour ou que ce soit la haine, comme je suis bien lavé de vent ! Comme je suis infiniment pur ! 
  Je fais le point. Tu n'es pas ce que tu veux, mais tu seras ce que tu voudras. Tu es né Rezeau dans un siècle où naître Rezeau, c'est rendre dix longueurs à ceux qui s'alignent avec toi. Tu es né Rezeau, mais tu ne le resteras pas. Tu n'accepteras pas le handicap que tu sens sans pouvoir encore définir exactement en quoi il consiste. Tu es né Rezeau, mais, par chance, on ne t'a pas appris l'amour de ce que tu es. Tu as trouvé à ton foyer la contre-mère dont les deux seins sont acides. La présure de la tendresse, qui fait cailler le lait dans l'estomac des enfants du bonheur, tu ne la connais pas. Toute la vie, tu vomiras cette enfance, tu la vomiras à la face de Dieu qui a osé tenter sur toi cette expérience. Que ce soit la haine ou que ce soit l'amour, disais-tu ? Non ! Que ce soit la haine ! La haine est un levier plus puissant que l'amour. Certes, tu pourras l'oublier. Certes, tu voudras essayer de toutes les douceurs, de toutes ces choses fades et sucrées que resucent, entre langue et luette, les petites cousines sentimentales. Tu te gaveras des berlingots de l'amour. Et tu les recracheras. Tu les recracheras avec le reste ! 
  Je fais le point. Je ne suis pas modeste. C'est toujours cela que les Rezeau conserveront en moi. Je suis une force de la nature. Je suis le choix de la révolte. Je suis celui qui vit de tout ce qui les empêche de vivre. Je suis la négation de leurs oui plaintifs distribués à toutes les idées reçues, je suis leur contradiction, le saboteur de leur patiente renommée, un chasseur de chouettes, un charmeur de serpents, un futur abonné de L'Humanité. 
  — Les enfants ! C'est l'heure. Je suis votre scandale, la vengeance du siècle jeté dans votre intimité. 
  — Les enfants ! 
  Tais-toi, Folcoche. J'arriverai volontairement en retard et tu ne diras rien, parce que tu as peur, parce que je veux que tu aies peur. Je suis plus fort que toi. Tu déclines et je monte. Je monte comme un épouvantail, dont l'ombre s'allonge immensément sur les champs au moment où le soleil se couche. Je suis la justice immanente de ton crime, unique dans l'histoire des mères. Je suis ton vivant châtiment, qui te promets, qui te fera une vieillesse unique dans l'histoire de la piété filiale. 
  — Les enfants ! 
  Tais-toi, Folcoche ! Je ne suis pas ton enfant. Très satisfait de ce premier morceau de bravoure (intérieure), je dégringole de branche en branche, je laisse un morceau de ma veste à la pointe d'un sicot et, sans courir, regagne la salle d'études, où mes frères se penchent déjà sur leurs devoirs. Mais Folcoche ne m'a pas attendu. Notons ce relâchement d'une implacable courtoisie. Et rengainons nos armes, inutilement fourbies. Le doux Shelley m'attend, honneur de cette langue anglaise, que nous ne parlons plus au souper, depuis que Mme Rezeau s'est aperçue que nous savions désormais la manier mieux qu'elle.
A suivre... 

mardi 25 août 2020

Un jour/un poème - 14 - Guillaume Apollinaire - Les Baladins

 
Petite anthologie succincte et capricieuse
de la poésie

"Défense de déposer de la musique le long de mes vers’’ (Victor Hugo)
C’est vrai que parfois la musique m’empêche de lire les vers que j’aime, comme pour ce poème d’Apollinaire

Saltimbanques

Dans la plaine les baladins
S'éloignent au long des jardins
Devant l'huis des auberges grises
Par les villages sans églises

Et les enfants s'en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L'ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage

Hervé Bazin - Vipère au poing - ch. XIX

 
Hervé Bazin
Vipère au poing
chapitre XIX
Lu par Pierre Vaneck

XIX
  Mon père ne se fit pas attendre. Le lendemain, il était à Paris. En rentrant du musée Grévin, je fus tout surpris de le trouver assis dans une bergère et devisant avec sa belle-mère. 
  — Ah ! te voilà, toi ! fit-il d'un ton rogue. 
  — Jacques, je vous en prie, intervint aussitôt ma grand-mère. 
  Mon père n'avait pas d'intentions belliqueuses. Il sauvait la face, simplement. 
  — Tu nous as fait beaucoup de peine, ajouta-t-il, plus doucement. Si vraiment, tu estimais injuste la sanction que ta mère a prise, il fallait m'en référer. Je n'ai jamais repoussé mes enfants... 
  — Mais, coupa Mme Pluvignec, cette sanction, vous l'aviez ratifiée ! 
  Papa se mit à triturer sa moustache avec impatience. Mon escapade, évidemment, ne le troublait guère. Mais que j'eusse fait appel de son autorité par-devant une juridiction supérieure, qui n'était point valable à ses yeux, voilà ce qu'il ne me pardonnerait pas de longtemps ! Dès que grand-mère eut le dos tourné, il se hâta de me le faire savoir. 
  — Tu peux être content de toi, mon pauvre ami. Ton père a l'air fin devant ces Pluvignec, à qui tu as confié le soin de contrôler ses abus de pouvoir ! 
  Je ne répondis pas tout de suite. J'étais en train de penser que si mon fils m'avait joué un tour pareil je l'eusse tout bonnement roué de coups et traîné par les cheveux jusqu'à la maison. Folcoche, elle, connaissait la manière. Celui-ci, qui ne savait rien vouloir que ce que voulaient les autres, de quel droit parlait-il toujours de son autorité ? L'autorité, ça se prend, ça ne se réclame pas comme des billes perdues. Certes, j'avais bien un peu pitié de lui. Mais il me revint à l'esprit que depuis plusieurs années nous étions martyrisés avec sa permission, avec sa bénédiction, avec sa très distinguée complaisance. Et, dans ce boudoir où je ne craignais rien, je trouvai l'audace de lui dire, à cet homme qui était mon père, à ce père qui n'était pas un homme : 
  — Excusez-moi d'être franc, papa. Mais vous vous montrez bien jaloux d'une autorité que vous n'exercez guère. 
  Sous l'injure, M. Rezeau se leva d'un bond, vira comme tournesol du bleu au rouge, s'étrangla : 
  — Je t'interdis... je t'interdis... Tu n'es qu'un... 
  Ma grand-mère rentrait tout à fait à propos. 
  — C'est bien ce que je craignais, dit-elle sèchement. Jacques, vous vous emportez comme un sous-lieutenant. Puisqu'il en est ainsi, nous garderons cet enfant jusqu'à ce que votre colère se soit usée. Et, se tournant vers moi : 
  — Après déjeuner, Josette vous emmènera à la tour Eiffel. 
  Je visitai la tour en compagnie de ce que la littérature appelle la camériste. Dans l'ascenseur, dont les vitres sont (je devrais dire : étaient, car on les a remplacées depuis) rayées, signées, par les diamants de tous les fiancés ou pseudo-fiancés du monde, je profitai de l'affluence pour me serrer contre Josette et lui explorer traîtreusement le voisinage des aisselles. Je dis bien le voisinage, car je n'osai prendre carrément l'objet en main. La petite bonne ne daigna pas s'en apercevoir, tout d'abord, mais finit par me saisir le poignet en souriant. Et ce geste, et ce sourire de femme qui se défend me remplirent d'une grande considération envers moi-même. Cependant, je n'insistai pas : tant pis pour elle ! Et son sourire n'insista pas non plus : tant pis pour moi ! 
  Le soir, je trouvai mon père rasséréné. Il avait employé l'après-midi à la plus grande gloire des sirphides. 
  — A tout hasard, j'avais emporté quelques boîtes, et notamment mes précieux cotypes. Ces messieurs du Muséum ont été plus qu'intéressés. Je vais mettre une clause dans mon testament, afin qu'à ma mort ma collection revienne à la Section entomologique. Je n'espérais pas pour mes travaux la notoriété dont ils commencent à jouir. Sais-tu qu'on pourrait bien demander pour moi, au titre de l'instruction publique... 
   Geste tendre du côté de sa boutonnière. Puis un doigt sur la bouche. Enfin, par un de ces coq-à-l'âne dont il a le secret, papa donne une suite paisible à notre conversation du matin. 
  — A propos de ce que je disais à midi, je voudrais que tu comprennes une chose. Quand tu as le sentiment... mettons... d'une injustice et que tu estimes que je n'ai pas fait tout le nécessaire pour l'empêcher... dis-toi bien que j'ai en réalité obéi à des considérations... à des considérations supérieures... Enfin, à des considérations qui méprisent l'immédiat pour sauver l'essentiel. 
  Il tousse, M. Rezeau, pour se dégager de ces considérations plus embarrassantes que les fils du gruyère chaud. Il tousse et devient presque sincère. 
  — Vois-tu, si tu sacrifiais à l'esprit de famille Le dixième de ce que je lui ai consenti moi-même, de ce que tu crois bien abusivement être de la faiblesse, La Belle Angerie redeviendrait habitable. J'espère que tu ne doutes pas de l'affection que j'ai pour mes enfants ? 
  Mouvement. Ce qu'on appelle, en style de théâtre, " un mouvement ", spontané pour une part et appuyé d'autre part, fortement appuyé même, par tout ce que mon éducation et mon naturel ont toujours eu de cabotin, un mouvement, dis-je, me jette dans les bras de M. Rezeau, qui m'y reçoit solennellement. Et grand-mère jaillit de la coulisse pour contempler le tableau : 
  — Ah ! dit-elle, je vous verrai partir plus tranquillement, maintenant. 
  Ce départ, que souhaitait de tout son cœur cette grande dame, plus habituée à dorloter des chiens que des enfants, eut lieu le surlendemain après quelques autres visites de monuments historiques, que j'énumère dans l'ordre d'importance que leur attribuait mon père : Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, le Muséum, la Section entomologique du Muséum, le Louvre, l'Arc de Triomphe. Point. Plus rien de la capitale ne m'était inconnu. Plus rien de ce qui est valable. Restaient bien quelques musées et surtout quelques églises secondaires, mais nous n'avions pas le temps d'arpenter leurs dalles. Restait aussi le Panthéon, mais, depuis que la gauche y fait enterrer ses grands hommes, on ne peut plus décemment le considérer comme un monument national. Quant aux Invalides, indiscutablement, " c'a de la gueule ", mais ce n'est que le tombeau du général qui a persécuté Pie VII (ce pape, c'est moi qui commente, bien entendu, ce pape qui avait si curieusement le nom de ce qu'il éprouvait sous la soutane en face du terrible conquérant). 
  Cette fois, la gare Montparnasse me vit arriver en voiture. Pas dans un vulgaire taxi. Mais dans la confortable Isotta-Fraschini du sénateur, membre, entre autres, de la Commission nationale pour le développement de l'Industrie française. Urbain, le chauffeur-valet de chambre, officiait en blanc, au volant. 
  — Je ne croyais pas les Pluvignec si riches ! confiai-je à mon père. 
  — Peuh ! répondit-il. Tes grands-parents croquent allègrement l'énorme fortune que leur a laissée ton arrière-grand-père le banquier, qui, lui-même, l'avait ramassée dans toutes les poubelles du Second Empire. Passons, cela vaut mieux. Si encore les Pluvignec s'en servaient pour aider leurs enfants, il leur serait beaucoup pardonné. Mais va te faire fiche ! Nous les intéressons peu. 
  Cette sortie signifiait que le sénateur avait refusé une aide financière à mon père. Il l'avoua : 
  — Ce n'est pourtant pas le jour de me plaindre. Ton grand-père m'a signé un chèque de cinq mille francs. Une aumône ! J'en suis pour ma courte honte. 
  Papa prit des billets de troisième classe. Sur les lignes régionales du Craonnais, nous montions en seconde, mais ici nous n'avions pas à craindre la rencontre de relations mondaines, que cette économie eût étonnées. Dépouillant sa gabardine, il s'en servit pour envelopper ses boîtes de diptères, qui furent casées avec le plus grand soin dans le filet. Puis il chaussa ses lunettes, car il devenait presbyte, et se plongea dans les Essais de Géographie linguistique de Dauzat, tome II, récemment paru. 
  J'interrompis presque aussitôt cette lecture studieuse. 
  — Papa, grand-père a-t-il vraiment une position importante au Sénat ? . 
  M.Rezeau me regarda par-dessus ses lunettes, haussa les épaules et bougonna : 
  — Laisse-moi lire. 
  Mais il continua, ravi d'éreinter son beau-père : 
  — Le sénateur attend depuis vingt ans qu'on fasse appel à son dévouement pour un poste de sous-secrétaire d'État. Mais nul ne veut de lui. Il n'a que ce qu'il mérite ! C'est un homme sans couleur. Les Pluvignec, tu sais bien...
   Geste tranchant de la paume droite. 
  — ... n'ont pas de conviction. 
  Comme il disait ces mots, un quidam entra dans notre compartiment et s'assit. Cet homme, lui, avait des convictions, mais désastreuses, car il déploya L'Humanité largement. Papa hocha la tête, pour mon édification, plusieurs fois, comme les nègres de la crèche lorsqu'on leur donne dix sous. Seigneur ! Pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils lisent. M. Rezeau, lui, savait ce qu'il lisait, grâce à deux siècles d'ancêtres fidèles à l'Index. Il se replongea dans les Essais de Géographie linguistique. Et le train démarra, tandis que je faisais des efforts désespérés pour savoir si le numéro du wagon, AH 1 459 457, était un nombre premier. L'irruption du contrôleur ramena mon père dans le domaine des choses pratiques. Le communiste tendit une carte de circulation. Tout le compartiment afficha le discret sourire de réprobation qui est de mise en ce cas-là. M. Rezeau tendit deux billets de cochon de payant. Une pensionnaire, qui arborait la croix- de-ma-mère entre ses maigres salières, fouilla fébrilement son sac, en retourna toutes les pochettes, extirpa un chapelet, sa brosse à dents, la moitié d'un peigne, un numéro de Lisette et finit par retrouver le bout de carton à l'intérieur de son mouchoir marqué M. M. et dans lequel elle avait saigné du nez. 
  — L'enfant a moins de trois ans, fit remarquer sa voisine, dame à chignon compliqué, reprenant précipitamment sur ses genoux un garçonnet dont elle venait de dire " qu'il était fort pour ses cinq ans ". Tiré de son assoupissement sur le chemin de tête en fausse dentelle, l'occupant du coin face, côté couloir, place louée, fournit au représentant de la compagnie une de ces bandes de papier surchargées de crayon gras, que l'administration réserve aux itinéraires anormaux. Le contrôleur l'examina, le retourna, émit l'hypothèse d'une possibilité d'erreur quant au choix de ce train interdit aux bénéficiaires de congés annuels, mais daigna n'en point faire état et manœuvra sa poinçonneuse, qui, du reste, habituée à mordre en plein carton, mâchonna lamentablement le papier. 
  — Quelles chinoiseries ! protesta faiblement l'homme du coin, dès qu'eut disparu la casquette à bande rouge, les dernières lois sociales, on dirait que ça les gêne. 
  — Vous pouvez le dire ! appuya le lecteur de L'Humanité. 
  M. Rezeau, soudain, descendit dans l'arène : 
  — Plaignez-vous, messieurs ! Moi, je paie... Enfin, je n'ai que trente pour cent de réduction à cause de mes trois enfants. 
  — Voilà toujours un petit avantage que vous devez aux revendications ouvrières, insinua le communiste, qui, du premier coup d'oeil, avait identifié la classe sociale de l'ennemi. 
  Mais celui-ci était lancé. 
  —Oh ! répondit-il, je lui abandonnerais volontiers ses trente pour cent, à l'État, s'il voulait bien me rendre l'or que je lui ai prêté, au lieu de me donner du papier. 
  —Les économies deviennent une erreur, je vous l'accorde. 
  Des économies ? Un Rezeau ! Mais pour qui prenait-on mon père ? Dans son esprit, il consentit seulement à remplacer le mot " ancêtres ", vexant pour ceux qui n'en ont pas, par celui de " générations ". 
  — Quand plusieurs générations, dit-il, ont édifié patiemment une fortune et qu'on la voit s'effondrer en quelques années d'une démagogie financière qui s'en prend systématiquement aux porteurs de rentes, il n'y a pas de quoi être fier de son pays ! 
  Le communiste chargea : 
  — Les porteurs de rente, ma foi ! mon bon monsieur, encore bien beau qu'on leur en donne, du papier ! Moi qui vous parle, j'ai peut-être un permis de circulation, parce que je suis cheminot, oui, sous-chef de gare, mais je n'ai pas de rentes et je ne m'en porte pas plus mal. Je travaille. Si tous les bourgeois en faisaient autant, au lieu de rester improductifs, donc parasites, nous n'en serions pas où nous sommes. 
  Alors, moustaches flamboyantes, M. Rezeau s'écria : 
  — Ne calomniez pas les bourgeois, monsieur ! Ils sont la prudence, la raison, la tradition de la France. 
  — Mettons : du franc. Ce sera plus juste. 
  Mon père saisit cette flèche du Parthe au vol, avant qu'elle ne s'enfonçât profondément dans son sein, et la rendit à l'archer : 
  — Il est vrai que, nous, nous ne connaissons pas le cours du rouble. S
  ur cet échange d'aménités, les adversaires se tinrent cois. Le paysage défilait sur l'écran de la vitre, et je contemplais en bâillant ce documentaire interminable (moi qui n'avais jamais été au cinéma). La pensionnaire me dédia un sourire parce que j'étais le fils d'un représentant de l'ordre. 
  A partir de Sablé, le train, qui devenait omnibus, se remplit de coiffes blanches et de paniers, d'où émergeaient des têtes de canard. A Grez-en-Bouère, le sous-chef de gare descendit, saluant d'un mauvais sourire. Deux amis, deux camarades, pour parler sa langue, l'attendaient sur le quai, et sans doute dut-il leur raconter la scène, car nous parvint cette phrase : 
  — ... Lui ai rivé son clou. 
  Agacé, M. Rezeau trouva que le soleil le gênait et, saisissant le rideau bleu, tira cette paupière sur l'œil de Moscou. Approuvé par les nouveaux occupants du compartiment, il saisit d'un air dégoûté L'Humanité oublié par le militant et le jeta sous la banquette. 
  Le train repartit vers le Craonnais, terre des choux, des chouans, des chouettes et des choucas, qui crient autour des clochers : " Je-croa, je-croa ! " A Château-Gontier, le train se vida : la paysannerie bifurquait sur Craon, pour la foire. Nous étions seuls, quand parut enfin Segré, cette sous-préfecture arbitrairement rejetée en Maine-et-Loire par les Conventionnels et dont les mines de fer à haute teneur ne seront jamais exploitées à fond, tant que les mineurs seront perméables aux idées subversives d'un sous-chef de gare. 
  En descendant, mon père fit rapidement, honteusement :   
— Pour ta mère, j'ai pris une décision de grâce à l'occasion de ta fête. 
  Je m'arrêtai tout net. 
  — Non, papa. Vous avez cassé une punition injuste. 
  Embarrassé par ses diptères, voyant que déjà je m'éloignais de lui, M. Rezeau eut peur. 
  — C'est bon, dit-il, ce que je t'en disais, c'était pour arranger les choses. Tu ne seras jamais raisonnable. 
A suivre... 


lundi 24 août 2020

Un poème/un jour - 13 - Charles Cros - Sidonie

Ma petite anthologie succincte et capricieuse
de la poésie

Sidonie a plus d'un amant 
Charles Cros

  Publié dans ‘’Le Coffret de santal’’, en 1879, ce poème semble avoir été écrit pour elle...

Sidonie a plus d'un amant
C'est une chose bien connue
Qu'elle avoue elle fièrement
Sidonie a plus d'un amant

Parce que pour elle être nue
Est son plus charmant vêtement
C'est une chose bien connue
Sidonie a plus d'un amant

Elle en prend à ses cheveux blonds
Comme à sa toile l'araignée
Prend les mouches et les frelons
Elle en prend à ses cheveux blonds

Vers sa prunelle ensoleillée
Ils volent pauvres papillons
Comme à sa toile l'araignée
Elle en prend à ses cheveux blonds

Elle les mène par le nez
Comme fait dit-on le crotale
Des oiseaux qu'il a fascinés
Elle les mène par le nez

Quand dans une moue elle étale
Sa langue à l'allure étonnée
Comme fait dit-on le crotale
Elle les mène par le nez

Elle en attrape avec les dents
Quand le rire entrouvre sa bouche
Et dévore les imprudents
Elle en attrape avec les dents

Sa bouche quand elle se couche
Reste rose et ses dents dedans
Quand le rire entrouvre sa bouche
Elle en attrape avec les dents

Sidonie a plus d'un amant
Qu'on le lui reproche ou l'en loue
Elle s'en moque également
Sidonie a plus d'un amant

Aussi jusqu'à ce qu'on la cloue
Au sapin de l'enterrement
Qu'on le lui reproche ou l'en loue
Sidonie aura plus d'un amant