mardi 31 décembre 2019

Les aventures d'Alix - Le siège d'Alésia - 1er épisode

Les aventures d’Alix
Le siège d’Alésia 1er épisode

Quand un roi perd la France - 1ère partie - ch 11 - Le royaume se fissure

XI 
LE ROYAUME SE FISSURE 


  Ces chemins du Berry ont toujours été réputés pour mauvais. Mais je vois que la guerre ne les a point améliorés… Holà ! Brunet, La Rue ! Faites ralentir le train, par la grâce de Dieu. Je sais bien que chacun est en hâte d’arriver à Bourges. Mais ce n’est point raison pour me moudre comme poivre dans cette caisse. Arrêtez, arrêtez tout à fait ! Et faites arrêter en tête. Bon… Non, ce n’est point la faute de mes chevaux. C’est la faute de vous tous, qui poussez vos montures comme si vous aviez de l’étoupe allumée sur vos selles… À présent qu’on reparte, et qu’on observe, je vous prie, de me mener à une allure de cardinal. Sinon, je vous obligerai à combler les ornières devant moi. C’est qu’ils me rompraient les os, ces méchants diables, pour se coucher une heure plus tôt ! 
  Enfin, la pluie a cessé… Tenez, Archambaud, encore un hameau brûlé. Les Anglais sont venus s’ébattre jusque dans les faubourgs de Bourges qu’ils ont incendiés, et même ils ont envoyé un parti qui s’est montré sous les murs de Nevers. Voyez-vous, je n’en veux point aux archers gallois, aux coutiliers irlandais et autre ribaudaille que le prince de Galles emploie à cette besogne. Ce sont gens de misère à qui l’on fait miroiter fortune. Ils sont pauvres, ignorants, et on les mène à la dure. La guerre, pour eux, c’est piller, se goberger, et détruire. Ils voient les gens des villages s’enfuir à leur approche, des enfants plein les bras, en hurlant : « Les Anglais, les Anglais, sauve Dieu ! » La chose est plaisante, pour les vilains, que d’apeurer d’autres vilains ! Ils se sentent bien forts. Ils mangent de la volaille et du porc gras tous les jours ; ils percent toutes les barriques pour étancher leur soif, et ce qu’ils n’ont pu boire ou manger, ils le saccagent avant de partir. Raflés les chevaux pour leur remonte, ils égorgent tout ce qui meugle ou bêle le long des chemins et dans les étables. Et puis, gueules saoules et mains noires, ils jettent en riant des torches sur les meules, les granges et tout ce qui peut brûler. Ah ! c’est bonne joie, n’est-ce pas, pour cette armée de bidaux et goujats, d’obéir à de tels ordres ! Ils sont comme des enfants malfaisants qu’on invite à méfaire. Et même je n’en veux point aux chevaliers anglais. Après tout, ils sont hors de chez eux ; on les a requis pour la guerre. Et le Prince Noir leur donne l’exemple du pillage, se faisant apporter les plus beaux objets d’or, d’ivoire et d’argent, les plus belles étoffes, pour en emplir ses chariots ou bien gratifier ses capitaines. Dépouiller des innocents pour combler ses amis, voilà la grandeur de cet homme-là. Mais ceux à qui je souhaite qu’ils périssent de mâle mort et rôtissent en géhenne éternelle… oui, oui, tout bon chrétien que je suis… ce sont ces chevaliers gascons, aquitains, poitevins, et même certains de nos petits sires du Périgord, qui préfèrent suivre le duc anglais que leur roi français et qui, par goût de la rapine ou par méchant orgueil, ou par jalousie de voisinage, ou parce qu’ils ont en travers du cœur un mauvais procès, s’emploient à ravager leur propre pays. 
  Non, ceux-là, je prie bien fort Dieu de ne les point pardonner. Ils n’ont à leur décharge que la sottise du roi Jean qui ne leur a guère prouvé qu’il était homme à les défendre, levant toujours ses bannières trop tard et les envoyant roidement du côté où les ennemis ne sont plus. Ah ! c’est un bien grand scandale que Dieu a permis, en laissant naître un prince si décevant ! Pourquoi donc avait-il consenti au traité de Valognes, dont je vous entretenais hier, et échangé avec son gendre de Navarre un nouveau gros baiser de Judas ? Parce qu’il redoutait l’armée du prince Édouard d’Angleterre qui faisait voile vers Bordeaux. Alors, la droite raison eût voulu, s’étant libéré les mains du côté de la Normandie, qu’il courût sus à l’Aquitaine. Il n’y a pas besoin d’être cardinal pour y penser. Mais que non. Notre piteux roi musarde, donnant de grands ordres pour de petites choses. Il laisse le prince de Galles débarquer sur la Gironde et faire entrée de triomphe à Bordeaux. 
  Il sait, par rapports d’espies et de voyageurs, que le prince rassemble ses troupes, et les grossit de tous ses Gascons et Poitevins dont je vous disais tout à l’heure en quelle estime je les ai. Tout lui indique donc qu’une rude expédition s’apprête. Un autre eût fondu comme l’aigle pour défendre son royaume et ses sujets. Mais ce parangon de chevalerie, lui, ne bouge pas. Il avait, il faut en convenir, des ennuis de finances, en cette fin de septembre de l’an passé, un peu plus qu’à son ordinaire. Et justement comme le prince Édouard équipait ses troupes, le roi Jean, pour sa part, annonçait qu’il avait à surseoir de six mois au paiement de ses dettes et aux gages de ses officiers. 
  Souvent, c’est quand un roi est à cours de monnaie qu’il lance ses gens à la guerre. « Soyez vainqueurs et vous serez riches ! Faites-vous du butin, gagnez des rançons… » Le roi Jean préféra se laisser appauvrir davantage en permettant à l’Anglais de ruiner à loisir le midi du royaume. Ah ! la chevauchée fut bonne et facile, pour le prince d’Angleterre ! Il ne lui fallut qu’un mois pour conduire son armée des rives de la Garonne jusqu’à Narbonne et à sa mer, se plaisant à faire trembler Toulouse, brûlant Carcassonne, ravageant Béziers. Il laissait derrière lui un long sillon de terreur, et s’en acquit, à peu de frais, une grande renommée. 
  Son art de guerre est simple, que notre Périgord a éprouvé cette année ; il attaque ce qui n’est point défendu. Il envoie une avant-garde éclairer la route assez loin, et reconnaître les villages ou châteaux qui seraient solidement tenus. Ceux-là, il les contourne. Sur les autres, il lance un gros corps de chevaliers et d’hommes d’armes qui fondent sur les bourgs dans un fracas de fin du monde, dispersent les habitants, écrasent contre les murs ceux qui n’ont pas fui assez vite, embrochent ou assomment tout ce qui s’offre à leurs lances et à leurs masses ; puis se partagent en épi vers les hameaux, manoirs ou monastères avoisinants. 
  Viennent derrière les archers, qui raflent la subsistance nécessaire à la troupe et vident les maisons avant d’y bouter le feu ; puis les coutiliers et les goujats qui entassent le butin dans les chariots et achèvent la besogne d’incendie. Tout ce monde, buvant jusqu’à plus soif, avance de trois à cinq lieues par jour ; mais la peur que répand cette armée la précède de loin. 
  Le but du Prince Noir ? Je vous l’ai dit : affaiblir le roi de France. On doit accorder que l’objet fut atteint. Les grands bénéficiaires, ce sont les Bordelais et les gens du vignoble, et l’on conçoit qu’ils se soient coiffés de leur duc anglais. Ces dernières années, ils n’ont connu qu’un chapelet de malheurs : la dévastation de la guerre, les vignes malmenées par les combats, les routes du commerce fort incertaines, la mévente, sur quoi était venue s’ajouter la grande peste qui avait obligé de raser tout un quartier de Bordeaux pour assainir la ville. Et voici que les calamités de la guerre à présent s’abattent sur d’autres ; eh bien, ils s’en gaussent. À chacun, n’est-ce pas, son tour de peine ! 
  Aussitôt débarqué, le prince de Galles a fait battre monnaie et circuler de belles pièces d’or, frappées au lis et au lion… au léopard comme veulent dire les Anglais… bien plus épaisses et lourdes que celles de France marquées à l’agneau. « Le lion a mangé l’agneau », disent les gens en manière de joyeuseté. Les vignes donnent bien. La province est gardée. Le mouvement du port est riche et nombreux, et en quelques mois il en est parti vingt mille tonneaux de vin, presque tout vers l’Angleterre. Si bien que depuis l’hiver passé, les bourgeois de Bordeaux montrent des faces réjouies et des ventres aussi ronds que leurs futailles. Leurs femmes se pressent chez les drapiers, les orfèvres et les joailliers. La ville vit dans les fêtes, et chaque retour du prince, en cette armure noire qu’il affectionne et qui lui vaut son surnom, est salué par des réjouissances. Toutes les bourgeoises en ont la tête tournée. Les soldats, riches de leurs pillages, dépensent sans compter. Les capitaines de Galles et de Cornouailles tiennent le haut du pavé ; et il s’est fait beaucoup de cocus à Bordeaux, ces temps-ci, car la fortune n’encourage pas la vertu. 
  On dirait de la France, depuis un an, qu’elle a deux capitales, ce qui est la pire chose qui puisse advenir à un royaume. À Bordeaux, l’opulence et la puissance ; à Paris, la pénurie et la faiblesse. Que voulez-vous ? Les monnaies parisiennes ont été altérées quatre-vingts fois depuis le début du règne. Oui, Archambaud, quatre-vingts fois ! La livre tournois n’a plus que le dixième de la valeur qu’elle avait à l’avènement du roi. Comment veut-on conduire un État avec de pareilles finances ? Quand on laisse s’enfler sans mesure le prix de toutes denrées, et quand on amincit en même temps la monnaie, il faut bien s’attendre à de grands troubles et de grands revers. Les revers, la France les connaît, et les troubles, elle y entre. 
  Qu’a donc fait notre roi si futé, l’autre hiver, pour conjurer des périls que chacun apercevait ? Ne pouvant plus guère obtenir d’aides de la Langue d’oc, après la chevauchée anglaise, il a convoqué les États généraux de la Langue d’oïl. La réunion n’a point tourné à sa satisfaction. Pour accepter l’ordonnance d’une levée exceptionnelle de huit deniers à la livre sur toute vente, ce qui est lourde imposition pour tous métiers et négoces, ainsi qu’une particulière gabelle mise sur le sel, les députés se firent tirer l’oreille et émirent de grosses exigences. Ils voulaient que la recette fût perçue par receveurs spéciaux choisis par eux ; que l’argent de ces impôts n’aille ni au roi, ni aux officiers de son service ; que, s’il y avait une autre guerre, nulle levée d’aides nouvelles ne se fit qu’ils n’en aient délibéré… que sais-je encore ? 
  Les gens du Tiers étaient fort véhéments. Ils avançaient l’exemple des communes de Flandre où les bourgeois se gouvernent eux-mêmes, ou bien du Parlement d’Angleterre qui a barre sur le roi beaucoup plus que les États en France. « Faisons comme les Anglais, cela leur réussit. « C’est un travers des Français, lorsqu’ils sont dans la difficulté politique, de chercher des modèles étrangers plutôt que d’appliquer avec scrupule et exactitude les lois qui leur sont propres… Ne nous étonnons point que la nouvelle réunion des États, que le Dauphin a dû avancer, tourne de la mauvaise façon que je vous contais l’autre jour. Le prévôt Marcel s’est exercé la gorge déjà l’année dernière… 
  Ce n’était pas à vous ? Ah non, c’était à dom Calvo, en effet… Je ne l’ai pas fait remonter avec moi depuis ; il est malade en litière… Et le Navarrais, me direz-vous, pendant ce temps ? Le Navarrais s’attachait à persuader le roi Édouard qu’il ne l’avait pas joué en acceptant de traiter avec Jean II à Valognes, qu’il était toujours à son endroit dans les mêmes sentiments, qu’il n’avait feint de s’accorder au roi de France que pour mieux servir leurs desseins communs, et que le temps ne tarderait pas qu’il le lui ferait voir. Autrement dit, qu’il attendait la première occasion de trahir. 
  Cependant, il travaillait à affermir son amitié avec le Dauphin, par tous moyens de cajolerie, de flatteries et de plaisir, et même par le moyen des femmes, car je sais des demoiselles, dont la Gracieuse que j’ai déjà dû vous nommer, et aussi une Biette Cassinel, qui sont fort dévouées au roi de Navarre et dont on dit qu’elles ont mis de l’entrain dans les petites fêtes des deux beaux-frères. À la faveur de quoi, s’étant fait son maître en péché, le Navarrais commença de sourdement encourager le Dauphin contre son père. Il lui représentait que le roi Jean ne l’aimait guère, lui, son aîné fils. Et c’était chose vraie. Qu’il était piètre roi. Et c’était vrai encore. Qu’après tout, ce serait œuvre pie que d’aider Dieu, sans aller jusqu’à abréger ses jours, au moins à le déchasser du trône. 
  « Vous feriez, mon frère, un meilleur roi que lui. N’attendez point qu’il vous laisse un royaume tout effondré. » 
  Un jeune homme est aisément pris à cette chanson-là. 
  « À nous deux, je vous l’assure, nous pouvons accomplir cela. Mais il faut nous gagner des appuis en Europe. » 
  Et d’imaginer qu’ils aillent trouver l’empereur Charles IV, l’oncle du Dauphin, pour requérir son soutien et lui demander des troupes. Rien de moins. Qui eut cette belle idée d’appeler l’étranger pour régler les affaires du royaume et d’offrir à l’Empereur, qui déjà donne tant de fil à retordre à la papauté, d’arbitrer le sort de la France ? Peut-être l’évêque Le Coq, ce mauvais prélat, que Navarre avait ramené dans l’entourage du Dauphin. Toujours est-il que l’affaire était bien montée, et poussée fort avant… 
  Quoi ? Pourquoi s’arrête-t-on quand je ne l’ai pas commandé ? Ah ! des fardiers encombrent la route. C’est que nous entrons dans les faubourgs. Faites dégager. Je n’aime point ces arrêts imprévus. On ne sait jamais… Quand il s’en produit, que l’escorte se resserre autour de ma litière. Il y a des routiers pleins d’audace que le sacrilège n’effraie point, et pour qui un cardinal serait de bonne prise… 
  Donc, le voyage des deux Charles, celui de France et celui de Navarre, était résolu dans le secret ; et l’on sait même à présent qui devait être de l’équipée qui les conduirait à Metz : le comte de Namur, le comte Jean d’Harcourt, le très gros, à qui il allait arriver malheur, comme je vous dirai ; et aussi un Boulogne, Godefroy, et Gaucher de Lor, et puis bien sûr les sires de Graville, de Clères et d’Aunay, Maubué de Mainemares, Colin Doublel et l’inévitable Friquet de Fricamps, c’est-à-dire les conjurés de la Truie-qui-file. Et aussi, la chose est d’intérêt car je pense bien que c’étaient eux qui baillaient finance à l’expédition, Jean et Guillaume Marcel, deux neveux du prévôt, qui étaient dans l’amitié du roi de Navarre et qu’il conviait à ses réjouissances. Comploter avec un roi, cela éblouit toujours les jeunes bourgeois riches ! 
  Le départ était prévu pour la Saint-Ambroise. Trente Navarrais devaient attendre le Dauphin à la barrière de Saint-Cloud, au soir tombant, pour le conduire à Mantes chez son cousin ; et de là ce beau monde gagnerait l’Empire. Et puis, et puis… tout ne peut être contraire toujours à un homme qui a le mauvais sort, et même le plus sot des rois ne parvient pas à tout manquer… La veille, jour de la Saint-Nicolas, notre Jean II a vent de l’affaire. Il mande son fils, le cuisine assez bien, et le Dauphin, lui faisant l’aveu du projet, prend le sentiment du même coup qu’il s’est fourvoyé, non seulement pour lui-même, mais pour l’intérêt du royaume. Là, le roi Jean, je dois le dire, se conduisit plus habilement qu’à son accoutumée. Il ne retient contre son fils que d’avoir voulu quitter le royaume sans son autorisation, lui montre gré de sa franchise en lui accordant tout aussitôt pardon et rémission de cette faute, et, découvrant que son héritier avait de la décision personnelle, déclare vouloir l’associer plus étroitement aux charges du trône en le faisant duc de Normandie. 
  C’était bien sûr l’envoyer dans un piège, que de lui remettre ce duché tout peuplé de partisans des Évreux-Navarre ! Mais c’était bien joué. Monseigneur le Dauphin n’avait plus qu’à prévenir le Mauvais qu’il rendait la liberté à tous ceux qui étaient dans la confidence de leur dessein. Vous pensez bien que cette affaire n’avait pas fait recroître l’amour du père pour le fils, même si le dépit était dissimulé sous ce fier cadeau. Mais surtout la haine du roi pour son gendre commençait à être bien recuite et dure comme pâte remise six fois au feu. Tuer son connétable, fomenter des troubles, débarquer des troupes, prendre langue avec l’ennemi anglais… et il ne savait pas encore à quel point !… enfin détourner son fils, c’en était trop ; le roi Jean attendait l’heure propice à faire payer tout ce débit au Navarrais. 
  Pour nous, qui observions ces choses d’Avignon, l’inquiétude grandissait, et nous voyions approcher des circonstances extrêmes. Des provinces détachées, d’autres ravagées, une monnaie fuyante, un trésor vide, une dette croissante, des députés grondeurs et véhéments, de grands vassaux entêtés dans leurs factions, un roi qui n’est plus servi que par ses conseillers immédiats, et enfin, brochant sur le tout, un héritier du trône prêt à requérir l’aide étrangère contre sa propre dynastie… 
  J’ai dit au pape : « Très Saint-Père, la France se fissure. » Je n’avais point tort. Je me suis seulement trompé sur le temps. Je donnais deux ans pour que se produisît l’écroulement. Il n’en a même pas fallu un. Et nous n’avons pas encore vu le pire. Que voulez-vous ? Quand il n’y a point de fermeté à la tête, comment pourrait-on attendre qu’il y en ait dans les membres ? 
  À présent, il nous faut tenter de recoller les morceaux, vaille que vaille, et pour cela nous voilà en nécessité de recourir aux bons offices de l’Allemagne, et de donner du coup plus d’autorité à cet Empereur dont nous aurions plutôt souhaité museler l’arrogance. Avouez qu’il y a de quoi pester ! 
  Allez maintenant, Archambaud, reprendre votre monture et vous placer en tête du cortège. Je veux que pour entrer dans Bourges, même si l’heure est tardive, on puisse voir flotter votre pennon du Périgord à côté de celui du Saint-Siège. Et faites écarter les rideaux de ma litière, pour les bénédictions.

Demain ‘’Quand un roi perd la France’’ 2 ème partie ‘’Le banquet de Rouen’’ ch. 1 ‘’Dispenses et bénéfices’’

Les trois mousquetaires - 12 - La gloire des camarades

Les trois mousquetaires
épisode 12
La gloire des camarades

lundi 30 décembre 2019

Poésies érotiques "Le mot et la chose"

Du vertige libertin qui envahit la poésie française au XVIe siècle jusqu'aux blasons amoureux des surréalistes, de l'érotisme le plus feutré à la pornographie la plus exacerbée, on trouvera ici, quelques poèmes, un petit aperçu de la volupté sous toutes ses facettes. Un florilège du chavirement, explorant le territoire amoureux dans sa dimension toujours renouvelée.
De Ronsard à Rimbaud, de Verlaine à Genet, de Louise Labé à Joyce Mansour, de Sade à Bataille, de Jouve à Calaferte, de Pierre Louÿs à Franck Venaille, de Michel Leiris à Bernard Noël, ils disent ici l'incroyable besoin d'impudeur qui parfois les saisit. Ils disent les jeux de la langue et du sexe, avec toutes leurs saveurs, du sucré au salé, de l'implicite à l'explicite, entraînent le lecteur à célébrer Éros en tous ses fastes, lumineux, sombres ou hilarants. Commençons par un des plus célèbres, plus poésie galante que véritablement érotique : "Le mot et la chose" de l'abbé de Lattaignant. Lu par Daniel Mesguich.
On doit également à l'abbé de Lattaignant "J'ai du bon tabac" que l'on peut lire au second degré... Ah ces abbés libertins du 18ème siècle... 

Quand un roi perd la France - 1ère partie - ch 10 - La mauvaise année

LA MAUVAISE ANNÉE 


  Vous dites bien, vous dites bien, Archambaud, et je ressens comme vous. Voilà dix jours seulement que nous sommes partis de Périgueux, et c’est comme si nous courions depuis un mois. Le voyage allonge le temps. Ce soir nous coucherons à Châteauroux. Je ne vous cache point que je ne serai pas fâché, demain, d’arriver à Bourges, si Dieu le veut, et de m’y reposer, trois grands jours pour le moins, et peut-être quatre. Je commence à être un peu las de ces abbayes où l’on nous sert maigre chère et où l’on bassine à peine mon lit, pour bien me donner à entendre qu’on est ruiné par le passage de la guerre. Qu’ils ne croient pas, ces petits abbés, que c’est en me faisant jeûner et dormir au vent coulis qu’ils gagneront d’être exemptés de finances !… 
  Et puis les hommes d’escorte ont besoin de repos, eux aussi, et de réparer les harnois, et de sécher leurs habits. Car cette pluie n’arrange rien. À écouter mes bacheliers éternuer autour de ma litière, je gage que plus d’un va occuper son séjour de Bourges à se soigner à la cannelle, à la girofle et au vin chaud. Pour moi, je ne pourrai guère muser. Dépouiller le courrier d’Avignon, dicter mes missives en retour… 
  Peut-être vous surprenez-vous, Archambaud, des paroles d’impatience qu’il m’arrive de laisser échapper au sujet du Saint-Père. Oui, j’ai le sang vif, et montre un peu trop mes dépits. C’est qu’il m’en donne gros à mâcher. Mais croyez que je ne me prive guère de lui remontrer à lui-même ses sottises. Et c’est plus d’une fois qu’il m’est arrivé de lui dire : 
  « Veuille la grâce de Dieu, Très Saint-Père, vous éclairer sur la bourde que vous venez de commettre. » 
  Ah ! si les cardinaux français ne s’étaient pas soudain butés sur l’idée qu’un homme né comme nous le sommes ne convenait point… l’humilité, il fallait être né dans l’humilité… et que d’autre part les cardinaux italiens, le Capocci et les autres, avaient été moins obstinés sur le retour du Saint-Siège à Rome… Rome, Rome ! Ils ne voient que leurs États d’Italie ; le Capitole leur cache Dieu. Ce qui m’enrage le plus, chez notre Innocent, c’est sa politique à l’endroit de l’Empereur. Avec Pierre Roger, je veux dire Clément VI, nous nous sommes arcboutés six ans pour que l’Empereur ne fût point couronné. Qu’il fût élu, fort bien. Qu’il gouvernât, nous y consentions. Mais il fallait conserver son sacre en réserve tant qu’il n’aurait pas souscrit aux engagements que nous voulions qu’il prît. Je savais trop bien que cet Empereur-là, au lendemain de l’onction, nous causerait déboires. Là-dessus, notre Aubert coiffe la tiare et commence à chantonner : « Concilions, concilions. » Et au printemps de l’année passée, il parvient à ses fins. « L’Empereur Charles IV sera couronné ; je l’ordonne ! », finit-il par me dire. 
  Le pape Innocent est de ces souverains qui ne se découvrent d’énergie que pour battre en retraite. Nous avons foison de ces gens-là. Il imaginait avoir remporté grande victoire parce que l’Empereur s’était engagé à n’entrer dans Rome que le matin du sacre pour en ressortir le soir même, et qu’il ne coucherait pas dans la ville. Vétille ! Le cardinal Bertrand de Colombiers… « Vous voyez, je désigne un Français ; vous devez être satisfait… » fut expédié pour aller poser sur le front du Bohémien la couronne de Charlemagne. Six mois après, en retour de cette bonté, Charles IV nous gratifiait de la Bulle d’Or, par quoi la papauté n’a plus désormais ni voix ni regard dans l’élection impériale. Désormais, l’Empire se désigne entre sept électeurs allemands qui vont confédérer leurs États… c’est-à-dire qui vont faire règle perpétuelle de leur belle anarchie. Cependant, rien n’est décidé pour l’Italie et nul ne sait vraiment par qui et comment le pouvoir s’y va exercer. Le plus grave, en cette bulle, et qu’Innocent n’a pas vu, c’est qu’elle sépare le temporel du spirituel et qu’elle consacre l’indépendance des nations vis-à-vis de la papauté. 
  C’est la fin, c’est l’effacement du principe de la monarchie universelle exercée par le successeur de saint Pierre, au nom du Seigneur Tout-Puissant. On renvoie Dieu au ciel, et l’on fait ce qu’on veut sur la terre. On nomme cela « l’esprit moderne », et l’on s’en vante. Moi, j’appelle cela, pardonnez-moi mon neveu, avoir de la merde sur les yeux. Il n’y a pas d’esprit ancien et d’esprit moderne. Il y a l’esprit tout court, et de l’autre côté la sottise. Qu’a fait notre pape ? A-t-il tonné, fulminé, excommunié ? Il a envoyé à l’Empereur une missive fort douce et amicale pleine de ses bénédictions… Oh ! non, oh ! non ; ce n’est pas moi qui l’ai préparée. Mais c’est moi qui vais devoir, à la diète de Metz, entendre solennellement publier cette bulle qui renie le pouvoir suprême du Saint-Siège et ne peut apporter à l’Europe que troubles, désordres et misères. La belle couleuvre que je dois avaler, et de bonne grâce en plus ; car à présent que l’Allemagne s’est retirée de nous, il nous faut plus que jamais tenter de sauver la France, autrement il ne restera plus rien à Dieu. 
  Ah ! l’avenir pourra maudire cette année 1355 ! Nous n’avons pas fini d’en récolter les fruits épineux. Et le Navarrais, pendant ce temps ? Eh bien ! il était en Navarre, tout charmé d’apprendre qu’aux brouilles et embrouilles qu’il nous avait faites s’ajoutaient celles qui nous venaient des affaires impériales. D’abord, il attendait le retour de son Friquet de Fricamps, parti pour l’Angleterre avec le duc de Lancastre, et qui s’en revenait avec un chambellan de celui-ci, porteur des avis du roi Édouard sur le projet de traité ébauché en Avignon. Et le chambellan s’en retournait à Londres, accompagné cette fois de Colin Doublel, un écuyer de Charles le Mauvais, un autre des meurtriers de Monsieur d’Espagne, qui allait présenter les observations de son maître. 
  Charles de Navarre est tout le contraire du roi Jean. Il s’entend mieux qu’un notaire à disputer de chaque article, chaque point, chaque virgule d’un accord. Et rappeler ci, et prévoir ça. Et s’appuyer sur telle coutume qui fait foi, et toujours cherchant à raboter un petit peu ses obligations, et à augmenter celles de l’autre partie… Et puis, en tardant à cuire son pain avec l’Anglais, il se donnait loisir de surveiller celui qu’il avait au four du côté de la France. 
  C’eût été l’heure pour le roi Jean de se montrer coulant. Mais cet homme-là, pour agir, choisit toujours le contretemps. Faisant le rodomont, le voilà qui s’équipe en guerre pour courir sus à un absent, et, se ruant à Caen, ordonne de saisir tous les châteaux normands de son gendre, fors Évreux. Belle campagne qui, à défaut d’ennemis, fut surtout une campagne de gueuletons et mit fort en déplaisir les Normands qui voyaient les archers royaux piller leurs saloirs et garde-manger. Cependant, le Navarrais levait tranquillement des troupes en sa Navarre, tandis que son beau-frère, le comte de Foix, Phœbus… un autre jour, je vous parlerai de celui-là ; ce n’est pas un mince seigneur… s’en allait ravager un peu le comté d’Armagnac pour causer nuisance au roi de France. 
  Ayant attendu l’été, afin de prendre la mer au moindre risque, notre jeune Charles débarque à Cherbourg, un beau jour d’août, avec deux mille hommes. Et Jean II est tout ébaubi d’apprendre, dans le même temps, que le prince de Galles, qui avait été fait en avril prince d’Aquitaine et lieutenant du roi d’Angleterre en Guyenne, ayant monté cinq mille hommes de guerre sur ses nefs, s’en venait à pleines voiles vers Bordeaux. Encore avait-il dû attendre des vents propices. Ah ! l’on peut dire que son renseignement est bien fait, au roi Jean ! Nous, d’Avignon, nous voyions s’apprêter ce beau mouvement croisé, sur la mer, afin de prendre la France en tenailles. Et l’on annonçait même l’imminente arrivée du roi Édouard lui-même, lequel eût déjà dû être à Jersey, si la tempête ne l’avait contraint de rebrousser sur Portsmouth. 
  On peut dire que ce fut le vent, et rien d’autre, qui sauva la France, l’an dernier. Ne pouvant lutter sur trois fronts, le roi Jean choisit de n’en tenir aucun. De nouveau, il se porte à Caen, mais cette fois pour traiter. Il avait avec lui ses deux cousins de Bourbon, Pierre et Jacques, ainsi que Robert de Lorris, rentré en grâce, comme je vous ai dit. Mais Charles de Navarre ne vint pas. Il envoya messires de Lor et de Couillarville, deux seigneurs à lui, pour négocier. Le roi Jean n’eut donc qu’à s’en repartir, laissant les deux Bourbon qu’il instruisit seulement d’avoir à se hâter de trouver un accommodement. 
   L’accord fut conclu à Valognes, le 10 septembre. Charles de Navarre y retrouvait tout ce qui lui avait été reconnu par le traité de Mantes, et un peu plus. Et deux semaines après, au Louvre, nouvelle réconciliation solennelle du beau-père et du gendre, en présence, bien sûr, des reines veuves, Madame Jeanne et Madame Blanche… 
  « Sire mon cousin, voici notre neveu et frère que nous vous prions pour l’amour de nous… » 
  Et l’on s’ouvre les bras, et l’on se baise aux joues avec l’envie de se mordre, et l’on se jure pardon et loyale amitié… 
  Ah ! j’oublie une chose qui n’est point de mince importance. Pour faire escorte d’honneur au roi de Navarre, Jean II avait dépêché à sa rencontre son fils, le Dauphin Charles, qu’il avait précédemment nommé son lieutenant général en Normandie. Du Vaudreuil sur l’Eure, où d’abord ils séjournèrent quatre jours, jusques à Paris, les deux beaux-frères firent donc route ensemble. C’était la première fois qu’ils se voyaient si longtemps d’affilée, chevauchant, devisant, musant, dînant et dormant côte à côte. Monseigneur le Dauphin est tout le contraire du Navarrais, aussi long que l’autre est bref, aussi lent que l’autre est vif, aussi retenu de paroles que l’autre est bavard. Avec cela, six ans de moins, et point de précocité, en rien. De plus le Dauphin est affligé d’une maladie qui semble bien proprement une infirmité ; sa main droite enfle et devient toute violacée aussitôt qu’il veut soulever un poids un peu lourd ou serrer fermement un objet. Il ne peut point porter l’épée. Son père et sa mère l’ont engendré très tôt, et juste comme ils relevaient l’un et l’autre de maladie ; le fruit s’en est ressenti. 
  Mais il ne faut pas conclure de tout cela, comme le font hâtivement certains, à commencer par le roi Jean lui-même, que le Dauphin est un sot et qu’il fera un mauvais roi. J’ai bien soigneusement étudié son ciel… 21 janvier 1338… Le Soleil est encore dans le Capricorne, juste avant qu’il n’entre dans le Verseau… Les natifs du Capricorne ont le triomphe tardif, mais ils l’ont, s’ils possèdent les lumières d’esprit. Les plantes d’hiver sont lentes à se développer… Je suis prêt à gager sur ce prince-là plus que sur bien d’autres qui offrent meilleure apparence. S’il traverse les gros dangers qui le menacent dans les présentes années… il vient déjà d’en surmonter ; mais le pire est devant lui… il saura s’imposer dans le gouvernement. Mais il faut reconnaître que son extérieur ne prévient guère en sa faveur… 
  Ah ! voici le vent à présent qui pousse l’ondée par rafales. Défaites les pendants de soie qui retiennent les rideaux, je vous prie, Archambaud. Mieux vaut continuer de bavarder dans l’ombre que d’être aspergés. Et puis nous entendrons moins ce floc floc des chevaux qui finit par nous assourdir. Et dites à Brunet, ce soir, qu’il fasse housser ma litière avec les toiles cirées par-dessus les toiles teintes. C’est un peu plus lourd pour les chevaux, je sais. On en changera plus souvent… 
  Oui, je vous disais que j’imagine fort bien comment Monseigneur de Navarre durant le voyage du Vaudreuil à Paris… le Vaudreuil se trouve dans une des plus belles situations de Normandie ; le roi Jean a voulu en faire l’une de ses résidences ; il paraît que l’œuvre qu’il y a commandée est merveille ; je ne l’ai point vue, mais je sais qu’il en a coûté gros au Trésor ; il y a des images peintes à l’or sur les murs… j’imagine comment Monseigneur Charles de Navarre, avec toute sa faconde et son aisance à protester l’amitié, dut s’employer à séduire Charles de France. La jeunesse prend aisément des modèles. Et, pour le Dauphin, cet aîné de six ans, si aimable compagnon, qui avait déjà tant voyagé, tant vu, tant fait, et qui lui racontait maints secrets et le divertissait en brocardant les gens de la cour… 
  « Votre père, notre Sire, a dû me peindre à vous tout autrement que je ne suis… Soyons alliés, soyons amis, soyons vraiment les frères que nous sommes. » 
  Le Dauphin, tout aise de se voir si apprécié d’un parent plus avancé que lui dans la vie, déjà régnant et si plaisant, fut aisément conquis. Ce rapprochement ne fut pas sans effet sur la suite, et contribua pour gros aux méchefs et affrontements qui survinrent. 
  Mais j’entends l’escorte qui se resserre pour défiler. Écartez un peu ce rideau… Oui, j’aperçois les faubourgs. Nous entrons dans Châteauroux. Nous n’aurons pas grand monde pour nous accueillir. Il faut être bien grand chrétien, ou bien grand curieux, pour se faire tremper par cette sauce à seule fin de voir passer la litière d’un cardinal.

Demain ‘’Quand un roi perd la France’’ 1ère partie – ch 10 ‘’Le royaume se fissure’’

Les trois mousquetaires - 11 - La valeur d'un homme


Les trois mousquetaires
épisode 11
La valeur d’un homme

dimanche 29 décembre 2019

Le livre de la semaine - 2 - Mary Renault - Le Feu du ciel

On quitte la Rome antique de Gordien pour la Macédoine, la Grèce d’Alexandre le Grand. 
La trilogie de Mary Renault, le Feu du ciel, l’Enfant Perse, les Jeux funéraires, même si elle est contestée par les historiens qui lui reprochent ses approximations, ses partis pris, est un formidable roman historique. Elle raconte la destinée incroyable d’un homme qui a conquis le plus vaste empire de l’antiquité avant de mourir à 33 ans. Ses conquêtes il les a réalisées grâce à son charme, son charisme, l’ascendant qu’il avait sur ses proches, ses amis, ses généraux, ses soldats. Grâce à sa volonté, son ambition, sa générosité envers ceux qui le servaient, son intransigeance, son impitoyable sévérité envers ceux qui lui manquaient.
On retrouve dans ces 3 livres tout ce qui a marqué sa vie. Philippe de Macédoine, le roi borgne, son père, Olympias sa mère trop aimante et dominatrice, Aristote et Démosthène, Bucéphale, son cheval légendaire qui le conduira jusqu’aux confins de l’Inde sur les bords de l’Indus et de l’Hydaspe, ses amants Héphaïstion et Bagoas (entre autres…), sa femme et ses maîtresses Roxane, Barsine…, ses généraux Perdicas et les diadoques, sa proclamation en tant que pharaon et la création d’Alexandrie, le nœud gordien qui lui ouvre les portes de l’Asie, sa poursuite de Darius et sa victoire finale à la légendaire bataille de Gargamèles. Jusqu’à sa mort à Babylone à l’âge de 33 ans.
Le premier tome "Le Feu du ciel" s'achève à la mort de Philippe de Macédoine. Alexandre a 20 ans et se retrouve seul face au puissant ennemi perse...

Quand un roi perd la France - 1ère partie - ch. 9 - Le mauvais en Avignon

IX
LE MAUVAIS EN AVIGNON

  Pour bien vous dire le vrai, mon neveu, je préfère ces églises de jadis, comme celle du Dorat où nous venons de passer, aux églises qu’on nous fait depuis cent cinquante ou deux cents ans, qui sont des prouesses de pierre, mais où l’ombre est si dense, les ornements si profus et souvent si effrayants, que l’on s’y sent le cœur serré d’angoisse, autant que si l’on était perdu dans la nuit au milieu de la forêt. 
  Ce n’est pas bien vu, je le sais, que d’avoir mon goût ; mais c’est le mien et je m’y tiens. Peut-être me vient-il de ce que j’ai grandi dans notre vieux château de Périgueux, planté sur un monument de l’antique Rome, tout près de notre Saint-Front, tout près de notre Saint-Étienne, et que j’aime à retrouver les formes qui me les rappellent, ces beaux piliers simples et réguliers et ces hauts cintres bien arrondis sous lesquels la lumière se répand aisément. Les anciens moines s’entendaient à bâtir de ces sanctuaires dont la pierre semble doucement dorée tant le soleil y pénètre à foison, et où les chants, sous les hautes voûtes qui figurent le toit céleste, s’enflent et s’envolent magnifiquement comme voix d’anges au paradis. 
  Par grâce divine, les Anglais, s’ils ont pillé le Dorat, n’ont point assez détruit ce chef-d’œuvre entre les chefs-d’œuvre pour qu’on ait à le reconstruire. Sinon je gage que nos architectes du nord se seraient plu à monter quelque lourd vaisseau de leur façon, appuyé sur des pattes de pierre comme un animal fantastique, et où lorsqu’on y pénètre on croirait tout juste que la maison de Dieu est l’antichambre de l’enfer. Et ils auraient remplacé l’ange de cuivre doré, au sommet de la flèche, qui a donné son nom à la paroisse… eh oui, lou dorat… par un diable fourchu et bien grimaçant… L’enfer… 
  Mon bienfaiteur, Jean XXII, mon premier pape, n’y croyait pas, ou plutôt il professait qu’il était vide. C’était aller un peu loin. Si les gens n’avaient plus à redouter l’enfer, comment pourrait-on en tirer aumônes et pénitences, pour rachat de leurs péchés ? Sans l’enfer, l’Église pourrait fermer boutique. C’était lubie de grand vieillard. Il nous fallut obtenir qu’il se rétractât sur son lit de mort. J’étais là… 
  Oh ! mais le temps fraîchit vraiment. On sent bien que dans deux jours nous entrons en décembre. Un froid mouillé, le pire. Brunet ! Aymar Brunet, vois donc, mon ami, s’il n’y a point dans le char aux vivres un pot de braises à placer dans ma litière. Les fourrures n’y suffisent plus, et si nous continuons de la sorte, c’est un cardinal tout grelottant qui va sortir à Saint-Benoît-du-Sault. 
  Là aussi, m’a-t-on dit, l’Anglais a fait ravage… Et s’il n’y a point de braises à suffisance dans le chariot du queux, car il m’en faut plus que pour tenir tiède un ragoût, qu’on aille en quérir au premier hameau que nous traverserons… 
  Non, je n’ai point besoin de maître Vigier. Laissez-le cheminer son train. Dès qu’on appelle mon médecin à ma litière, toute l’escorte imagine que je suis à l’agonie. Je me porte à merveille. J’ai besoin de braises, voilà tout… 
  Alors vous voulez savoir, Archambaud, ce qui s’ensuivit du traité de Mantes, dont je vous ai fait récit hier… Vous êtes bon écouteur, mon neveu, et c’est plaisir que de vous instruire de ce que l’on sait. Je vous soupçonne même de prendre quelques notes d’écrit quand nous parvenons à l’étape ; n’est-ce pas vrai ?… 
  Bon, j’ai bien jugé. Ce sont les seigneurs du nord qui se donnent de la grandeur à être plus ignorants que des ânes, comme si lire et écrire étaient emploi de petit clerc, ou de pauvre. Il leur faut un serviteur pour connaître le moindre billet qu’on leur adresse. Nous, dans le midi du royaume, qui avons toujours été frottés de romanité, nous ne méprisons pas l’instruction. Ce qui nous donne l’avantage dans bien des affaires. Ainsi vous notez. C’est bonne chose. Car, pour ma part, je ne pourrai guère laisser témoignage de ce que j’ai vu et de ce que j’ai fait. Toutes mes lettres et écritures sont ou seront versées aux registres de la papauté pour n’en sortir jamais, comme il est de règle. Mais vous serez là, Archambaud, qui pourrez, au moins sur les affaires de France, dire ce que vous savez, et rendre justice à ma mémoire si certains, comme je ne doute pas que le ferait le Capocci… Dieu veuille seulement me garder sur terre un jour de plus que lui… entreprenaient d’y attenter. 
  Donc, très vite après le traité de Mantes où il s’était montré si inexplicablement généreux à l’endroit de son gendre, le roi Jean accusa ses négociateurs, Robert Le Coq, Robert de Lorris et même l’oncle de sa femme, le cardinal de Boulogne, de s’être laissé acheter par Charles de Navarre. Soit dit entre nous, je crois qu’il n’était pas hors de la vérité. Robert Le Coq est un jeune évêque brûlé d’ambition, qui excelle à l’intrigue, qui s’en délecte, et qui a très vite aperçu l’intérêt qu’il pouvait avoir à se rapprocher du Navarrais, au parti duquel d’ailleurs, depuis sa brouille avec le roi, il s’est ouvertement rallié. 
  Robert de Lorris, le chambellan, est certainement dévoué à son maître ; mais il est d’une famille de banque où l’on ne résiste jamais à rafler quelques poignées d’or au passage. Je l’ai connu, ce Lorris, quand il est venu en Avignon, voici dix ans à peu près, négocier l’emprunt de trois cent mille florins que le roi Philippe VI fit au pape d’alors. Je me suis, pour ma part, contenté honnêtement de mille florins pour l’avoir abouché avec les banquiers de Clément VI, les Raimondi d’Avignon et les Mattei de Florence ; mais lui, il s’est plus largement servi. 
  Quant à Boulogne, tout parent qu’il est au roi… J’entends bien qu’il est constant que nous soyons, nous, cardinaux, justement récompensés de nos interventions au profit des princes. Nous ne pourrions autrement suffire à nos charges. Je n’ai jamais fait secret, et même j’en tire honneur, d’avoir reçu vingt-deux mille florins de ma sœur de Durazzo pour le soin que j’ai pris, il y a vingt ans… déjà vingt ans !… de ses affaires ducales qui étaient bien compromises. Et l’an dernier, pour la dispense nécessaire au mariage de Louis de Sicile avec Constance d’Avignon, j’ai été remercié par cinq mille florins. Mais jamais je n’ai rien accepté que de ceux qui remettaient leur cause à mon talent ou à mon influence. La déshonnêteté commence quand on se fait payer par l’adversaire. Et je pense bien que Boulogne n’a pas résisté à cette tentation. Depuis lors, l’amitié est fort refroidie entre lui et Jean II. 
  Lorris, après un peu d’éloignement, est rentré en grâce, comme il en va toujours avec les Lorris. Il s’est jeté aux pieds du roi, le dernier Vendredi saint, a juré de sa parfaite loyauté, et rejeté toutes duplicités ou complaisances sur le dos de Le Coq, lequel est demeuré dans la brouille et banni de la cour. C’est chose avantageuse que de désavouer les négociateurs. On peut en prendre argument pour ne pas exécuter le traité. Ce que le roi ne se priva point de faire. Quand on lui représentait qu’il eût pu mieux contrôler ses députés, et céder moins qu’il ne l’avait fait, il répondait, irrité : « Traiter, débattre, argumenter ne sont point affaires de chevalier. » Il a toujours affecté de tenir en mépris la négociation et la diplomatique, ce qui lui permet de renier ses obligations. En fait, il n’avait tant promis que parce qu’il escomptait bien ne rien tenir. Mais, dans le même temps, il environnait son gendre de mille courtoisies feintes, le voulant sans cesse auprès de lui à la cour, et non seulement lui, mais son cadet, Philippe, et même le puîné, Louis, qu’il insistait fort à faire revenir de Navarre. Il se disait le protecteur des trois frères et engageait le Dauphin à leur prodiguer amitié. 
  Le Mauvais ne se soumettait pas sans arrogance à tant d’excessives prévenances, tant d’incroyable sollicitude, allant jusqu’à dire au roi, en pleine table : « Avouez que je vous ai rendu bon service en vous débarrassant de Charles d’Espagne, qui voulait tout régenter au royaume. Vous ne le dites point, mais je vous ai soulagé. » Vous imaginez combien le roi Jean goûtait de telles gentillesses. 
  Et puis un jour de l’été qu’il y avait fête au palais, et que Charles de Navarre s’y rendait en compagnie de ses frères, il vit venir à lui, se hâtant, le cardinal de Boulogne qui lui dit : 
  « Rebroussez chemin et rentrez en votre hôtel, si vous tenez à la vie. Le roi a résolu de vous faire occire tout à l’heure, les trois que vous êtes, pendant la fête. » 
  La chose n’était point imaginaire, ni déduite de vagues rumeurs. Le roi Jean en avait décidé ainsi, le matin même, dans son Conseil étroit auquel Boulogne assistait… 
  « J’ai attendu pour ce faire que les trois frères fussent assemblés, car je veux qu’on les occise tous les trois afin qu’il ne reste plus rejetons mâles de cette mauvaise race. » 
  Pour ma part, je ne blâme point Boulogne d’avoir averti les Navarre, même si cela devait accréditer qu’il leur était vendu. Car un prêtre de la sainte Église… et qui plus est un membre de la curie pontificale, un frère du pape dans le Seigneur… ne peut entendre de sang-froid qu’on va perpétrer un triple meurtre, et accepter qu’il s’accomplisse sans rien avoir tenté. C’était s’y laisser associer, en quelque sorte, par le silence. Qu’avait donc le roi Jean besoin de parler devant Boulogne ? Il n’avait qu’à aposter ses sergents… Mais non, il s’est cru habile. Ah ! ce roi-là quand il veut faire le finaud ! Il n’a jamais su voir trois coups d’échecs en avant. Sans doute pensait-il que lorsque le pape lui ferait remontrance d’avoir ensanglanté son palais, il aurait beau jeu de répondre : « Mais votre cardinal était là, qui ne m’a point désapprouvé. » Boulogne n’est pas perdreau de la dernière couvée, qu’on amène à donner dans de si gros panneaux. 
  Charles de Navarre, ainsi averti, se retira donc très hâtivement vers son hôtel où il fit apprêter son escorte. Le roi Jean, ne voyant point paraître les trois frères à sa fête, les envoya quérir, fort impérativement. Mais son messager ne reçut pour réponse que le pet des chevaux, car juste à ce moment les Navarre tournaient bride vers la Normandie. Le roi Jean entra alors dans un vif courroux où il cacha son dépit en faisant l’offensé. 
  « Voyez ce mauvais fils, ce félon qui se refuse à l’amitié de son roi et qui de lui-même s’exile de ma cour ! Il doit avoir à celer de bien méchants desseins. » 
  Et de cela il prit prétexte pour proclamer qu’il suspendait l’effet du traité de Mantes, qu’il n’avait jamais commencé d’exécuter. Ce qu’apprenant, Charles renvoya son frère Louis en Navarre et dépêcha son frère Philippe en Cotentin afin d’y lever des troupes, lui-même ne restant guère à Évreux. Car dans le même temps notre Saint-Père, le pape Innocent, avait décidé d’une conférence en Avignon… la troisième, la quatrième, ou plutôt la même toujours recommencée… entre les envoyés des rois de France et d’Angleterre pour négocier, non plus d’une trêve reconduite, mais d’une paix vraie et définitive. Innocent voulait cette fois, disait-il, mener à succès l’œuvre de son prédécesseur et il se flattait de réussir là où Clément VI avait échoué. La présomption, Archambaud, se loge même au cœur des pontifes… 
  Le cardinal de Boulogne avait présidé les négociations antérieures ; Innocent le reconduisit en cet office. Boulogne avait toujours été suspect, comme je l’étais également, au roi Édouard d’Angleterre qui l’estimait trop proche des intérêts de la France. Or, depuis le traité de Mantes et la fuite de Charles le Mauvais, il était suspect aussi au roi Jean. À cause de cela peut-être, Boulogne mena la rencontre mieux qu’on ne l’attendait ; il n’avait personne à ménager. Il s’entendit assez bien avec les évêques de Londres et de Norwich et surtout avec le duc de Lancastre, qui est un bon homme de guerre et un seigneur véritable. Et moi-même, en retrait, je mis la main à l’œuvre. Le petit Navarrais dut avoir vent… 
  Ah ! voici la braise ! Brunet, glisse le pot sous mes robes. Il est bien clos au moins, que je ne m’aille pas brûler ! Oui, cela va bien… 
  Donc Charles de Navarre dut avoir vent que l’on progressait vers la paix, ce qui certes n’eût pas arrangé ses affaires, car un beau jour de novembre… il y a tout juste deux ans… le voilà qui surgit en Avignon, où nul ne l’attendait. C’est en cette occasion que je le vis pour la première fois. Vingt-quatre ans, mais n’en paraissant pas plus de dix-huit à cause de sa petite taille, car il est bref, vraiment très bref, le plus petit des rois d’Europe ; mais si bien pris dans sa personne, si droit, si leste, si vif que l’on ne songe pas à s’aviser de ce défaut. Avec cela un charmant visage que ne dépare point un nez un peu fort, de beaux yeux de renard, aux coins déjà plissés en étoile par la malice. Son dehors est si affable, ses façons si polies et légères à la fois, sa parole si aisée, coulante et imprévue, il est si prompt au compliment, il passe si prestement de la gravité à la badinerie et de l’amusaille au grand sérieux, enfin il paraît si disposé à montrer de l’amitié aux gens que l’on comprend que les femmes lui résistent si peu, et que les hommes se laissent si bien embobeliner par lui. Non, vraiment, je n’ai jamais ouï plus vaillant parleur que ce petit roi-là ! On oublie, à l’entendre, la mauvaiseté qui se cache sous tant de bonne grâce, et qu’il est déjà bien endurci dans le stratagème, le mensonge et le crime. Il a un primesaut qui le fait pardonner de ses noirceurs secrètes. 
  Son affaire, quand il parut en Avignon, n’était pas des meilleures. Il était en insoumission au regard du roi de France qui s’employait à saisir ses châteaux, et il avait fort blessé le roi d’Angleterre en signant le traité de Mantes sans même l’en avertir. 
  « Voilà un homme qui m’appelle à son aide, et me propose bonne entrée en Normandie. Je fais mouvoir pour lui mes troupes de Bretagne ; j’en apprête d’autres à débarquer ; et quand il s’est rendu assez fort, par mon appui, pour intimider son adversaire, il traite avec lui sans m’en prévenir… À présent, qu’il s’adresse à qui bon lui plaira ; qu’il s’adresse au pape… » 
  Eh bien, c’était justement au pape que Charles de Navarre venait s’adresser. Et après une semaine, il avait retourné tout le monde en sa faveur. En présence du Saint-Père, et devant plusieurs cardinaux dont j’étais, il jure qu’il ne veut rien tant qu’être réconcilié avec le roi de France, y mettant tout le cœur qu’il faut pour que chacun le croie. Auprès des délégués de Jean II, le chancelier Pierre de La Forêt et le duc de Bourbon, il va même plus loin, leur laissant entendre que, pour prix de la bonne amitié qu’il veut restaurer, il pourrait aller lever des troupes en Navarre afin d’attaquer les Anglais en Bretagne ou sur leurs propres côtes. 
  Mais dans les jours suivants, ayant fait mine de sortir de la ville avec son escorte, il y revient de nuit, plusieurs fois et à la dérobée, pour conférer avec le duc de Lancastre et les émissaires anglais. Il abritait ses secrètes rencontres tantôt chez Pierre Bertrand, le cardinal d’Arras, tantôt chez Guy de Boulogne lui-même. J’en ai d’ailleurs fait reproche plus tard à Boulogne, qui tirait un peu trop sa paille aux deux mangeoires. 
  « Je voulais savoir ce qu’ils manigançaient, m’a-t-il répondu. En prêtant ma maison, je pouvais les faire écouter par mes espies. » 
  Ses espies devaient être fort sourds, car il n’a rien su du tout, ou feint de ne rien savoir. S’il n’était pas dans la connivence, alors c’est que le roi de Navarre lui a tiré le mouchoir de dessous le nez. Moi, j’ai su. Et vous plaît-il de connaître, mon neveu, comment Navarre s’y prit pour se gagner Lancastre ? Eh bien ! il lui proposa tout fièrement de reconnaître le roi Édouard d’Angleterre pour roi de France. Rien moins que cela. Ils allèrent même si avant en besogne qu’ils projetèrent un traité de bonne alliance. 
  Premier point : Navarre, donc, eût reconnu en Édouard le roi de France. Second point : ils convenaient de conduire ensemble la guerre contre le roi Jean. Troisième point : Édouard reconnaissait à Charles de Navarre le duché de Normandie, la Champagne, la Brie, Chartres, et aussi la lieutenance du Languedoc, en plus, bien sûr, de son royaume de Navarre et du comté d’Évreux. Autant dire qu’ils se partageaient la France. Je vous passe le reste. 
  Comment ai-je eu connaissance de ce projet ? Ah ! je puis vous dire qu’il fut noté de la propre main de l’évêque de Londres qui accompagnait messire de Lancastre. Mais ne me demandez point qui m’en a instruit un peu plus tard. Souvenez-vous que je suis chanoine de la cathédrale d’York et que, si mal en cour que je sois outre-manche, j’y ai conservé quelques intelligences. Point n’est besoin de vous assurer que si l’on avait eu d’abord quelques chances de progresser vers une paix entre la France et l’Angleterre, elles furent toutes minées par le passage du sémillant petit roi. Comment les ambassadeurs auraient-ils voulu plus avant s’accorder quand chacune des deux parties se croyait encouragée à la guerre par les promesses de Monseigneur de Navarre ? À Bourbon, il disait : « Je parle à Lancastre, mais je lui mens pour vous servir. » Puis il venait chuchoter à Lancastre : « Certes, j’ai vu Bourbon, pour le tromper. Je suis votre homme. » Et l’admirable, c’est que les deux le croyaient. Si bien que lorsque vraiment il s’éloigna d’Avignon pour gagner les Pyrénées, des deux côtés on était convaincu, tout en prenant bien soin de n’en rien dire, de voir partir un ami. 
  La conférence entra dans l’aigreur ; on ne se concédait plus rien. Et la ville entra dans la torpeur. Pendant trois semaines on n’avait rien fait que de s’occuper de Charles le Mauvais. Le pape lui-même surprit en redevenant morose et geignard ; le méchant charmeur un moment l’avait distrait… 
  Ah ! me voilà réchauffé. À vous, mon neveu ; tirez le pot de braise devers vous, et vous dégourdissez un peu.

Demain ‘’Quand un roi perd la France’’ 1ère partie – ch 10 - ‘’La mauvaise année’’

Les trois mousquetaires - 10 - Pris au piège

Les trois mousquetaires
épisode 10
Pris au piège

samedi 28 décembre 2019

Quand un roi perd la France - 1ère partie - ch. 8 - Le traité de Mantes


VIII 
LE TRAITÉ DE MANTES 


  Où sommes-nous ? Avons-nous passé Mortemart ?… Pas encore ! Eh bien, j’ai dormi un petit, ce me semble… Oh ! comme le ciel s’assombrit, et comme les jours raccourcissent ! Je rêvais, voyez-vous, mon neveu, je rêvais d’un prunier en fleur, un gros prunier tout blanc, tout rond, tout empli d’oiseaux, comme si chaque fleur chantait. Et le ciel était bleu, pareil au tapis de la Vierge. Une vision angélique, un vrai coin du paradis. L’étrange chose que les rêves ! 
  Avez-vous remarqué que, dans les Évangiles, il n’y a point de rêves relatés, à part celui de Joseph au début de saint Matthieu ? C’est le seul. Alors que, dans l’Ancien Testament, les patriarches ont sans cesse des songes, dans le Nouveau, on ne rêve point. Je me suis souvent demandé pourquoi, sans pouvoir répondre… 
  Cela ne vous avait pas frappé ? C’est que vous n’êtes pas grand lecteur des saintes Écritures, Archambaud… Je vois là un bon sujet, pour nos savants docteurs de Paris ou d’Oxford, de disputer entre eux et de nous fournir de gros traités et discours, en un latin si épais que personne n’y entendrait plus goutte… 
  En tout cas, le Saint-Esprit m’a bien inspiré de faire l’écart par La Péruse. Vous avez vu ces bons frères bénédictins qui voulaient prendre avantage de la chevauchée anglaise pour ne point payer les commandes du prieur ? Je leur ferai remplacer la croix d’émail et les trois calices de vermeil qu’ils se sont hâtés d’offrir aux Anglais, pour être saufs du pillage ; et ils solderont leurs annuités. Ils cherchaient tout benoîtement à se faire confondre avec les gens de l’autre rive de la Vienne, où les routiers du prince de Galles ont vraiment tout ravagé, pillé, grillé, comme nous l’avons bien vu ce matin, à Chirac ou à Saint-Mauricedes-Lions. Et surtout à l’abbaye de Lesterps où les chanoines réguliers se sont montrés vaillants. « Notre abbaye est fortifiée ; nous la défendrons. » Et ils se sont battus ces chanoines, en hommes bons et braves, que l’on ne contraint pas. Plusieurs ont péri dans l’affaire qui se sont conduits plus noblement que ne l’ont fait à Poitiers maints chevaliers de ma connaissance. Si tous les gens de France avaient autant de cœur… 
  Encore ont-ils trouvé moyen, ces honnêtes chanoines, dans leur couvent tout calciné, de nous offrir dîner si plantureux et si bien apprêté qu’il m’a porté au sommeil. Et avez-vous noté cet air de sainte gaieté qu’ils arboraient sur leur visage ? 
  « Nos frères ont été tués ? Ils sont en paix ; Dieu les a accueillis dans sa mansuétude… Il nous a laissés sur la terre ? C’est pour que nous puissions y faire bonne œuvre… Notre couvent est à demi détruit ? Voilà l’occasion de le refaire plus beau… » 
  Les bons religieux sont gais, mon neveu, sachez-le. Je me méfie des trop sévères jeûneurs, à mine longue, avec des yeux brûlants et rapprochés, comme s’ils avaient trop longtemps louché du côté de l’enfer. Ceux à qui Dieu fait le plus haut honneur qui soit en les appelant à son service ont une manière d’obligation de s’en montrer joyeux ; c’est un exemple et une politesse qu’ils doivent aux autres mortels. De même que les rois, puisque Dieu les a élevés au-dessus de tous les autres hommes, ont devoir de montrer toujours empire sur eux-mêmes. Messire Philippe le Bel qui était un parangon de vraie majesté condamnait sans qu’on lui vît de colère ; et il portait le deuil sans larmes. 
  Dans l’occasion du meurtre de Monsieur d’Espagne, que je vous contais hier, le roi Jean fit bien apparaître, et de la plus pitoyable façon, qu’il était incapable d’imposer retenue à ses passions. La pitié n’est pas ce qu’un roi doit inspirer ; mieux vaut qu’on le croie fermé à la douleur. Pendant quatre jours, le nôtre fut dans l’empêchement de prononcer un seul mot et de dire même s’il voulait manger ou boire. Il errait dans les chambres, l’œil tout rouge et noyé, ne reconnaissant personne, et s’arrêtant soudain pour sangloter. Il était vain de lui parler d’aucune affaire. L’ennemi eût-il envahi son palais qu’il se fût laissé prendre par la main. Il n’avait pas montré le quart de chagrin lorsqu’était morte la mère de ses enfants, Madame de Luxembourg, ce que le Dauphin Charles ne manqua point de relever. Ce fut même la première fois où on le vit marquer du mépris pour son père, allant jusqu’à lui dire qu’il n’était pas décent de s’abandonner ainsi. Mais le roi n’entendait rien. Il ne sortit de son abattement que pour hurler. Hurler qu’on lui sellât céans son destrier, hurler qu’on rassemblât l’ost ; hurler qu’il courait à Évreux faire justice, et que chacun aurait à trembler… Ses familiers eurent grand-peine à le ramener à la raison et à lui représenter que pour rassembler l’ost, même sans l’arrière-ban, il ne fallait pas moins d’un mois ; que s’il voulait attaquer Évreux, il mettrait la Normandie en dissension ; que, d’autre part, les trêves avec le roi d’Angleterre venaient à expiration, et que s’il prenait à ce dernier l’envie de profiter du désordre, le royaume pourrait se trouver en péril. On lui remontra aussi que, peut-être, s’il avait respecté le contrat de mariage de sa fille et tenu son engagement de remettre Angoulême à Charles de Navarre, au lieu d’en faire don à son cher connétable… 
  Jean II ouvrait le bras et clamait : « Que suis-je donc, si je ne puis rien ? Je vois bien qu’aucun de vous ne m’aime, et que j’ai perdu mon soutien. » Mais enfin, il resta en son hôtel, jurant Dieu que jamais il ne connaîtrait joie jusqu’à ce qu’il fût vengé. 
  Cependant, Charles le Mauvais ne demeurait pas inactif. Il écrivait au pape, il écrivait à l’Empereur, il écrivait à tous les princes chrétiens, leur expliquant qu’il n’avait pas voulu la mort de Charles d’Espagne, mais seulement s’en saisir pour les nuisances et outrages qu’il avait soufferts de lui ; qu’on avait outrepassé ses ordres, mais qu’il prenait tout à son compte et couvrait ses parents, amis et serviteurs qui n’avaient été mus, dans le tumulte de Laigle, que par un trop grand zèle pour son bien. 
  Il se donnait ainsi, ayant monté le guet-apens comme un truand de grand chemin, les gants du chevalier. Et surtout, il écrivait au duc de Lancastre, qui se trouvait à Malines, et au roi d’Angleterre lui-même. Nous eûmes connaissance de la teneur de ces lettres quand les choses s’embrouillèrent. Le Mauvais n’y allait pas par détours. 
  « Si vous mandez à vos capitaines de Bretagne qu’ils soient prêts, sitôt que j’enverrai vers eux, à entrer en Normandie, je leur baillerai bonne et sûre entrée. Veuillez savoir, très cher cousin, que tous les nobles de Normandie sont avec moi à mort et à vie. » 
  Par le meurtre de Monsieur d’Espagne, notre homme s’était mis en rébellion ; à présent il progressait en trahison. Mais en même temps, il lançait sur le roi Jean les dames de Melun. Vous ne savez pas qui l’on nomme ainsi ?… 
  Ah ! voilà qu’il pleut. Il fallait s’y attendre ; cette pluie menaçait depuis le départ. C’est maintenant que vous allez bénir ma litière, Archambaud, plutôt que d’avoir l’eau vous coulant dans le col, sous votre cotte hardie, et la boue vous crottant jusqu’aux reins… 
  Les dames de Melun ? Ce sont les deux reines douairières, et puis Jeanne de Valois, la petite épouse de Charles, qui attend d’être nubile. Elles vivent toutes les trois au château de Melun, qu’on appelle pour cela le château des Trois Reines, ou encore la Cour des Veuves. Il y a d’abord Madame Jeanne d’Évreux, la veuve du roi Charles IV et la tante de notre Mauvais. Oui, oui, elle vit toujours ; elle n’est même point si vieille qu’on croit. À peine doit-elle avoir passé la cinquantaine ; elle a quatre ou cinq ans de moins que moi. Il y a vingt-huit ans qu’elle est veuve, vingt-huit ans qu’elle est vêtue de blanc. Elle a partagé le trône seulement trois ans. Mais elle conserve de l’influence au royaume. C’est qu’elle est la doyenne, la dernière reine de la première race capétienne. Si, sur les trois couches qu’elle fit… trois filles, et dont une seule, la posthume, reste vivante… elle avait eu un garçon, elle eût été reine mère et régente. La dynastie a pris fin dans son sein. Quand elle dit : « Monseigneur d’Évreux, mon père… mon oncle Philippe le Bel… mon beau-frère Philippe le Long… » Chacun se tait. Elle est la survivante d’une monarchie indiscutée, et d’un temps où la France était autrement puissante et glorieuse qu’aujourd’hui. Elle est comme une caution pour la nouvelle race. Alors, il y a des choses qu’on ne fait point, parce que Madame d’Évreux les désapprouverait. En plus, on dit autour d’elle : « C’est une sainte. » 
  Avouons qu’il suffit de peu de chose, quand on est reine, pour être regardée comme une sainte par une petite cour désœuvrée où la louange tient lieu d’occupation. Madame Jeanne d’Évreux se lève avant le jour ; elle allume elle-même sa chandelle pour ne pas déranger ses femmes. Puis elle se met à lire son livre d’heures, le plus petit du monde à ce qu’on assure, un présent de son époux qui l’avait commandé à un maître imagier, Jean Pucelle. Elle prie beaucoup et fait moult aumône. Elle a passé vingt-huit ans à répéter qu’elle n’avait point d’avenir, parce qu’elle n’avait pu enfanter un fils. Les veuves vivent d’idées fixes. Elle aurait pu peser davantage dans le royaume si elle avait eu de l’intelligence à proportion de sa vertu. 
  Ensuite, il y a Madame Blanche, la sœur de Charles de Navarre, la seconde femme de Philippe VI, qui n’a été reine que six mois, à peine le temps de s’habituer à porter couronne. Elle a la réputation d’être la plus belle femme du royaume. Je l’ai vue, naguère, et je ratifie volontiers ce jugement. Elle a vingt-quatre ans, à présent, et depuis six ans déjà elle se demande à quoi lui servent la blancheur de sa peau, ses yeux d’émail et son corps parfait. La nature l’eût dotée d’une moins splendide apparence, elle serait reine à présent, puisqu’elle était destinée au roi Jean ! Le père ne la prit pour lui que parce qu’il fut poignardé par sa beauté. Après qu’elle eut, en une demi-année, fait passer son époux de la couche au tombeau, elle fut demandée en mariage par le roi de Castille, don Pedro, que ses sujets ont surnommé le Cruel. Elle fit répondre, un peu vite peut-être : « Une reine de France ne se remarie point. » On l’a fort louée de cette grandeur. Mais elle se demande à présent si ce n’est pas un bien lourd sacrifice qu’elle a consenti à sa magnificence passée. Le domaine de Melun est son douaire. Elle y fait de grands embellissements, mais elle peut bien changer à Noël et à Pâques les tapis et tentures qui composent sa chambre ; c’est toujours seule qu’elle y dort. 
  Enfin, il y a l’autre Jeanne, la fille du roi Jean, dont le mariage n’a eu pour effet que de précipiter les orages. Charles de Navarre l’a confiée à sa tante et à sa sœur, jusqu’à ce qu’elle ait l’âge de la consommation du lien. Celle-là est une petite calamité, comme peut l’être une gamine de douze ans, qui se souvient d’avoir été veuve à six ans, et qui se sait déjà reine sans occuper encore la place. Elle n’a rien d’autre à faire que d’attendre de grandir, et elle attend mal, rechignant à tout ce qu’on lui commande, exigeant tout ce qu’on lui refuse, poussant à bout ses dames suivantes et leur promettant mille tortures le jour qu’elle sera pubère. Il faut que Madame d’Évreux, qui ne plaisante point sur la conduite, lui allonge souvent une gifle. 
  Nos trois dames entretiennent à Melun et à Meaux… Meaux est le douaire de Madame d’Évreux… une illusion de cour. Elles ont chancelier, trésorier, maître de l’hôtel. De bien hauts titres pour des fonctions fort réduites. On a surprise de trouver là nombre de gens qu’on croyait morts, tant ils sont oubliés, sauf d’eux-mêmes. Vieux serviteurs rescapés des règnes précédents, vieux confesseurs de rois défunts, secrétaires gardiens de secrets éventés, hommes qui parurent puissants un moment parce qu’ils approchaient au plus près le pouvoir, ils piétinent dans leurs souvenirs en se donnant importance d’avoir pris part à des événements qui n’en ont plus. Quand l’un d’eux commence : « Le jour où le roi m’a dit… » Il faut deviner de quel roi il s’agit, entre les six qui ont occupé le trône depuis l’orée du siècle. Et ce que le roi a dit, c’est ordinairement quelque confidence grave et mémorable, telle que : « Il fait beau temps, aujourd’hui, Gros-Pierre… » 
  Aussi, quand survient une affaire comme celle du roi de Navarre, c’est presque une aubaine pour la Cour des Veuves, soudain réveillée de ses songes. Chacun de s’émouvoir, de bruire, de s’agiter… Ajoutons que, pour les trois reines, Monseigneur de Navarre est, entre tous les vivants, le premier dans leurs pensées. Il est le neveu bien-aimé, le frère chéri, l’époux adoré. On aurait beau leur dire qu’en Navarre on l’appelle le Mauvais ! Il fait tout, au demeurant, pour leur paraître aimable, les comblant de présents, venant souvent les visiter… du moins tant qu’il n’était pas emmuré… les égayant de ses récits, les entretenant de ses démêlés, les passionnant pour ses entreprises, charmeur comme il peut l’être, jouant le respectueux avec sa tante, l’affectueux auprès de sa sœur, et l’amoureux devant sa fillette d’épouse, tout cela par bon calcul, pour les tenir comme pièces dans son jeu. 
  Après l’assassinat du connétable, et dès que le roi Jean parut un peu calmé, elles s’en vinrent ensemble à Paris, à la demande de Monseigneur de Navarre. La petite Jeanne de Valois, se jetant aux pieds du roi, lui récita d’un bon air la leçon qu’on lui avait enseignée : 
  « Sire mon père, il ne se peut que mon époux ait commis aucune traîtrise contre vous. S’il a mal agi, c’est que des traîtres l’ont abusé. Je vous conjure pour l’amour de moi de lui pardonner. » 
  Madame d’Évreux, toute pénétrée de tristesse et de l’autorité que son âge lui confère, dit : 
  « Sire mon cousin, comme la plus ancienne qui porta la couronne en ce royaume, j’ose vous conseiller et vous prier de vous accommoder à mon neveu. S’il s’est acquis des torts envers vous, c’est que certains qui vous servent en eurent envers lui et qu’il a pu croire que vous l’abandonniez à ses ennemis. Mais lui-même ne nourrit à votre endroit, je vous l’assure, que des pensées de bonne et loyale affection. Ce serait vous nuire à tous deux que de poursuivre cette discorde… » 
  Madame Blanche ne dit rien du tout. Elle regarda le roi Jean. Elle sait qu’il ne peut pas oublier qu’elle devait être sa femme. Devant elle, cet homme haut et lourd, si tranchant en son ordinaire, devient tout hésitant. Ses yeux la fuient, sa parole s’embarrasse. Et toujours en sa présence, il décide le contraire de ce qu’il croit vouloir. 
  Aussitôt après cette entrevue, il désigna le cardinal de Boulogne, l’évêque de Laon, Robert Le Coq, et Robert de Lorris, son chambellan, pour négocier avec son gendre et lui faire bonne paix. Il prescrivit que les choses fussent menées rondement. Elles le furent en vérité puisque, une semaine avant la fin de février, les négociateurs des deux parties signèrent accord, à Mantes. Jamais, de ma mémoire, on ne vit traité si aisément obtenu et hâtivement conclu. Le roi Jean fit bien montre, en l’occasion, de ses bizarreries de caractère et de son peu de suite aux affaires. Le mois précédent, il ne songeait qu’à saisir et occire Monseigneur de Navarre ; à présent, il consentait à tout ce que celui-ci souhaitait. Venait-on lui dire que son gendre réclamait le Clos de Cotentin, avec Valognes, Coutances et Carentan ? Il répondait : « Donnez-lui, donnez-lui ! » La vicomté de Pont-Audemer et celle d’Orbec ? « Donnez, puisqu’on veut que je m’accorde à lui. » 
  Ainsi Charles le Mauvais reçut-il également le gros comté de Beaumont, avec les châtellenies de Breteuil et de Conches, tout cela qui avait constitué autrefois la pairie du comte Robert d’Artois. Belle revanche, post mortem, pour Marguerite de Bourgogne ; son petit-fils reprenait les biens de l’homme qui l’avait perdue. Comte de Beaumont ! Il exultait, le jeune Navarre. Lui-même, par ce traité, ne cédait presque rien ; il rendait Pontoise, et puis il confirmait solennellement qu’il renonçait à la Champagne, ce qui était chose établie depuis plus de vingt-cinq ans. De l’assassinat de Charles d’Espagne, on ne parlerait plus. Ni châtiment, même des comparses, ni réparation. Tous les complices de la Truie-qui-file, et qui dès lors n’hésitèrent plus à se nommer, reçurent des lettres de quittance et rémission. 
  Ah ! ce traité de Mantes ne fut pas pour grandir l’image du roi Jean. « On lui tue son connétable ; il donne la moitié de la Normandie. Si on lui tue son frère ou son fils, il donnera la France. » 
  Voilà ce que les gens disaient. Le petit roi de Navarre, lui, ne s’était pas montré malhabile. Avec Beaumont, en plus de Mantes et d’Évreux, il pouvait isoler Paris de la Bretagne ; avec le Cotentin, il tenait des voies directes vers l’Angleterre. Aussi, quand il vint à Paris pour prendre son pardon, c’était lui qui avait l’air de l’accorder. 
  Oui ; que dis-tu, Brunet ?… Oh ! cette pluie ! Mon rideau est tout trempé… Nous arrivons à Bellac ? Fort bien. Ici au moins nous sommes assurés d’un gîte confortable, et l’on y serait sans excuse de ne pas nous faire grande réception. La chevauchée anglaise a épargné Bellac, d’ordre du prince de Galles, parce que c’est le douaire de la comtesse de Pembroke, qui est une Châtillon-Lusignan. Les hommes de guerre vous ont de ces gentillesses… 
  Je vous achève, mon neveu, l’histoire du traité de Mantes. Le roi de Navarre parut donc à Paris comme s’il avait gagné bataille, et le roi Jean, à l’effet de le recevoir, tint séance du Parlement, les deux reines veuves assises à ses côtés. Un avocat du roi vint s’agenouiller devant le trône… oh ! tout cela avait grand air… 
  « Mon très redouté Seigneur, Mesdames les reines Jeanne et Blanche ont entendu que Monsieur de Navarre est en votre malgrâce et vous supplient de lui pardonner… » 
  Sur ce, le nouveau connétable, Gautier de Brienne, duc d’Athènes… oui, un cousin de Raoul, l’autre branche des Brienne ; cette fois, on n’avait pas choisi un jeunot… s’en alla prendre Navarre par la main… 
  « Le roi vous pardonne, pour l’amitié des reines, de bon cœur et de bonne volonté. » 
  À quoi, le cardinal de Boulogne eut charge d’ajouter bien haut : 
  « Qu’aucun du lignage du roi ne s’aventure désormais à recommencer car, fût-il fils du roi, il en sera fait justice. » 
  Belle justice, en vérité, dont chacun riait sous cape. Et devant toute la cour, le beau-père et le gendre s’embrassèrent. Je vous conterai la suite demain.

Demain ‘’Quand un roi perd la France’’ - 1ère partie- ch 9 ‘’Le Mauvais en Avignon’’