jeudi 20 octobre 2022

Edwige Feuillère - Phèdre - acte I, scène 3

Si le Narrateur avait vécu dans les années 50 il aurait très probablement été voir et entendre la Berma de ces années-là, la grande dame du théâtre et, progrès oblige, du cinéma français Edwige Feuillère.

Son allure impériale, sa voix et sa diction si particulières l’avaient prédisposée aux rôles de grande mondaine dominée parfois par l’âge, la maladie ou le destin, Chéri, la Dame aux camélias, l’Aigle à deux têtes, mais faite pour régner sans partage de sa toute hautaine coquetterie. Abandonnant ces emplois consacrés, elle a su habiter l’âme et le corps exténué de Phèdre et faire chanter Racine. Elle a su abandonner ses fameuses brisures de voix modulant simplement son registre grave avec une lenteur hallucinée.

Il est vrai qu’au XXIème siècle on ne joue plus ainsi, mais quel plaisir de l’entendre déclamer :

« C’est Vénus toute entière à sa proie attachée ».

Voici la scène 3 de l’acte I ; la scène de l’aveu avec Marian Seldes dans le rôle d’Oenone. 



ŒNONE
Madame, au nom des pleurs que pour vous j’ai versés,
Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
Délivrez mon esprit de ce funeste doute.

PHÈDRE
Tu le veux ? lève-toi.

ŒNONE
Parlez : je vous écoute.

PHÈDRE
Ciel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?

ŒNONE
Par de vaines frayeurs cessez de m’offenser.

PHÈDRE
Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !
Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !

ŒNONE
Oublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.

PHÈDRE
Ariane, ma sœur ! de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !

ŒNONE
Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?

PHÈDRE
Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.

ŒNONE
Aimez-vous ?

PHÈDRE
De l’amour j’ai toutes les fureurs.

ŒNONE
Pour qui ?

PHÈDRE
Tu vas ouïr le comble des horreurs…
J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime…

ŒNONE
Qui ?

PHÈDRE
Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…

ŒNONE
Hippolyte ? Grands dieux !

PHÈDRE
C’est toi qui l’as nommé !

ŒNONE
Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !
Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux !

PHÈDRE
Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
Athènes me montra mon superbe ennemi :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;
Je pressai son exil ; et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein et des bras paternels.
Je respirais, ŒNONE ; et, depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence :
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.
J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;
J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ;
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats :
Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas.
Pourvu que, de ma mort respectant les approches,
Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.



dimanche 9 octobre 2022

Les énigmes de l’Histoire de France 6 Anne d’Autriche et Jules Mazarin

 

Les énigmes de l’Histoire de France

6

Anne d’Autriche et Jules Mazarin

Une liaison intime de l’esprit



samedi 1 octobre 2022

C'est quoi ça? Antanaclase


On dit souvent que la télé rend bêtes ceux qui la regarde. Ce n’est pas toujours vrai…

Il y a quelques jours sur une chaine du câble j’ai entendu un commentaire de Clément Viktorovitch, professeur de rhétorique à Sciences-po, sur une intervention de J.P. Raffarin, le défonceur de portes ouvertes bien connu, en parlant d’antanaclase (?????).

Vous pensez bien que je me suis précipité sur mon ami le Robert …

Et voilà le résultat… Je simplifie :

L'antanaclase (substantif féminin), du grec anti (contre) et anaklasis (répercussion) est une figure de style qui consiste en une répétition d'un mot ou d'une expression en lui donnant une autre signification également reçue mais toujours de sens propre. C'est une figure de la polysémie qui vise un effet humoristique, proche du jeu de mots. Elle est très proche de la paronomase et surtout de la syllepse de sens.

Il existe l'antanaclase elliptique (proche du zeugma) qui est une tournure de phrase dans laquelle un mot est utilisé une seule fois (elliptique) mais avec deux sens différents. L'annomination est une variante de l'antanaclase.

L'antanaclase opère une transformation morpho-syntaxique de type homophonique ou polysémique de répétition à l'identique. C'est un jeu de mots sur deux homophones qui ne sont pas synonymes. Elle porte sur le sens propre des mots, contrairement à une autre figure similaire, la syllepse, qui porte elle sur les sens propres et figurés (exemple : feu et amour). À l'origine « antanaclase » désignait la répétition d'un mot, mais dans des sens opposés. L'acception s'est ensuite élargie pour englober la notion de polysémie des mots formant la figure.

Bon, ça va, ou vous voulez que je répète ??? 

Entre nous le fait de connaître ou d'avoir compris ce que ce mot signifie n'implique pas qu'on l'utilise ne serait-ce qu'une fois dans sa vie...


Marcel Proust Les Plaisirs et les Jours VI La fin de la jalousie

 

Marcel Proust

Six extraits de

Les Plaisirs et les Jours

VI

La fin de la jalousie



lu par Guillaume Gallienne