samedi 2 mars 2019

Les rois maudits - La loi des mâles - Prologue




PROLOGUE
En l’espace de trois siècles et quart, de l’élection de Hugues Capet à la mort de Philippe le Bel, onze rois seulement avaient gouverné la France, tous laissant un fils pour leur succéder au trône. Prodigieuse dynastie que celle des Capétiens ! Le destin, jusque-là, semblait l’avoir marquée pour la durée. Sur les onze règnes, on n’en comptait que deux qui eussent couvert moins de quinze ans. Cette extraordinaire continuité du pouvoir avait grandement contribué, et quelle qu’ait été la médiocrité de certains rois, à la formation de l’unité nationale. Au lien féodal, lien purement personnel de vassal à suzerain, de plus faible à plus fort, se substituait progressivement cet autre lien, cet autre contrat qui unit les membres d’une vaste communauté humaine longtemps soumise aux mêmes vicissitudes et sous une même loi. Si l’idée de nation n’était pas encore évidente, son principe, sa représentation existaient déjà dans la personne royale, source permanente d’autorité. Qui pensait « le roi » pensait aussi « la France ». Reprenant les objectifs et les méthodes de Louis VI et de Philippe Auguste, ses plus remarquables devanciers, Philippe le Bel, pendant près de trente ans, s’était appliqué à charpenter, à maçonner cette unité naissante ; mais le ciment était encore frais. Or, à peine le Roi de fer disparu, son fils Louis X le suivait au tombeau. Le peuple ne pouvait manquer, dans ces deux décès survenus coup sur coup, de voir le signe de la fatalité. Le douzième roi avait régné dix-huit mois, six jours et dix heures, juste le temps suffisant à ce piètre monarque pour compromettre en grande partie l’œuvre de son père. Durant son passage au trône, Louis X s’était surtout signalé en faisant assassiner sa première femme, Marguerite de Bourgogne, en envoyant à la pendaison le principal ministre de Philippe le Bel, Enguerrand de Marigny, et en réussissant à enliser une armée entière dans la boue des Flandres. Tandis qu’une famine décimait le peuple, deux provinces s’étaient révoltées, sous l’inspiration des barons. La haute noblesse reprenait le pas sur le pouvoir royal ; la réaction était toute-puissante et le Trésor à sec. Louis X avait reçu la couronne alors que le monde était sans pape ; il partait avant qu’on soit parvenu à s’accorder sur le choix d’un pontife. Et maintenant la France était sans roi. Car, de son premier mariage, Louis ne laissait qu’une fille de cinq ans, Jeanne de Navarre, fortement soupçonnée de bâtardise. Quant au fruit de son second mariage, il ne constituait, pour l’heure, qu’une fragile espérance ; la reine Clémence était enceinte, mais n’accoucherait que dans cinq mois. Enfin, l’on disait ouvertement que le Hutin avait été empoisonné. Que serait, dans de telles conditions, le treizième règne ? Rien n’était prévu pour l’organisation de la régence. À Paris, le comte de Valois cherchait à se faire reconnaître régent. À Dijon, le duc de Bourgogne, frère de la reine étranglée et chef d’une puissante ligue baronniale, n’allait pas manquer de se poser en défenseur des droits de sa nièce, Jeanne de Navarre. À Lyon, le comte de Poitiers, premier frère du Hutin, se trouvait aux prises avec les intrigues des cardinaux et s’efforçait en vain d’obtenir une décision du conclave. Les Flamands n’attendaient que l’occasion de reprendre les armes, et les seigneurs d’Artois continuaient leur guerre civile. En fallait-il autant pour rappeler à la mémoire populaire l’anathème lancé par le grand-maître des Templiers, deux ans auparavant, du haut de son bûcher ? Dans une époque prompte aux croyances, le peuple de France pouvait aisément se demander, en cette première semaine de juin 1316, si la race capétienne n’était pas désormais maudite.
Demain 1ère partie ‘’Philippe Portes-Closes’’ Ch.1 ‘’La reine blanche’’

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