mercredi 6 mars 2019

Les rois maudits - La loi des mâles - ch 4 - Séchons nos larmes





IV
SÉCHONS NOS LARMES

   Ce matin-là, la population lyonnaise fut privée de légumes. Les charrois des maraîchers avaient été retenus hors des murs, et les ménagères clabaudaient devant les marchés vides. Le pont qui franchissait la Saône était barré par la troupe. Si l’on ne pouvait pas entrer dans Lyon, on ne pouvait non plus en sortir. Marchands italiens, voyageurs, moines ambulants, renforcés par les badauds et les désœuvrés, s’aggloméraient autour des portes et réclamaient des explications. La garde, invariablement, répondait à toute demande « Ordre du comte de Poitiers ! » avec cet air distant, important, que prennent les agents de l’autorité lorsqu’ils ont à appliquer une mesure dont ils ignorent eux-mêmes la raison.
   — Mais j’ai ma fille malade à Fourvière…
  — Ma grange de Saint-Just a brûlé hier à la vesprée…
   — Le bailli de Villefranche va me faire saisir si je ne lui porte point mes tailles ce jourd’hui ! criaient les gens.
   — Ordre du comte de Poitiers !
   Et quand la presse devenait un peu forte, les sergents royaux commençaient à lever leurs masses. En ville circulaient d’étranges rumeurs. Les uns assuraient qu’il allait y avoir la guerre. Mais avec qui ? Nul ne pouvait le dire. D’autres affirmaient qu’une émeute sanglante s’était produite pendant la nuit, près du couvent des Augustins, entre les hommes du roi et les gens des cardinaux italiens. On avait entendu passer des chevaux. On citait même le nombre des morts. Mais du côté des Augustins, tout était calme.
   L’archevêque, Pierre de Savoie, était très inquiet, se demandant quel coup de foudre s’apprêtait, pour le contraindre probablement d’abandonner, au profit de l’archevêque de Sens, le primatiat des Gaules, seule prérogative qu’il ait pu conserver lors du rattachement de Lyon à la couronne en 1312 . Il avait envoyé l’un de ses chanoines aux nouvelles, mais le chanoine s’était heurté, chez le comte de Poitiers, à un écuyer très courtois et muet. Et l’archevêque s’attendait à recevoir un ultimatum. Chez les cardinaux, logés dans les divers établissements religieux, l’angoisse n’était pas moindre et tournait même à l’affolement. Ils gardaient en mémoire l’affaire de Carpentras. Mais, cette fois, comment fuir ?
   Des émissaires couraient des Augustins aux Cordeliers et des Jacobins aux Chartreux. Le cardinal Caëtani avait dépêché son homme à tout faire, l’abbé Pierre, chez Napoléon Orsini, chez Alberti de Prato, chez Flisco, le seul Espagnol, afin de dire à ces prélats :
   — Voyez ! Vous vous êtes laissé séduire par le comte de Poitiers. Il nous avait juré de ne point nous molester, et que nous n’aurions même pas à entrer en clôture pour voter, que nous serions tout à fait libres. Et maintenait il nous enferme dans Lyon.
   Duèze lui-même reçut la visite de deux de ses collègues provençaux, le cardinal de Mandagout et Bérenger Frédol l’aîné. Mais Duèze feignit de sortir de ses travaux savants et de n’être au courant de rien. Pendant ce temps, dans une cellule proche de son appartement, Guccio Baglioni dormait comme une pierre, hors d’état de songer seulement qu’il pouvait être à l’origine d’une pareille panique.
   Depuis une heure, le consul Varay et trois de ses collèges, venus pour exiger des explications au nom du « syndical » de la ville, piétinaient dans l’antichambre du comte de Poitiers. Celui-ci siégeait à huis clos avec les membres de son entourage et les grands officiers qui faisaient partie de sa mission. Enfin les tentures s’écartèrent et le comte de Poitiers parut, suivi de ses conseillers. Tous avaient la mine grave.
   — Ah messire Varay, vous vous trouvez bien, et vous tous, messires consuls, dit le comte de Poitiers. Nous allons pouvoir vous remettre céans le message que nous nous apprêtions à vous faire tenir. Messire Miles, veuillez lire.
   Miles de Noyers, qui avait été conseiller au Parlement et maréchal de l’ost sous Philippe le Bel, déploya un parchemin et lut :
   « À tous les baillis, sénéchaux et conseils des bonnes villes. Nous vous faisons savoir la grande déploration que nous avons de la mort de notre frère bien-aimé le roi notre Sire Louis Dixième, que Dieu vient d’enlever à l’affection de ses sujets. Mais la nature humaine est faite ainsi que nul ne peut dépasser le terme qui lui est assigné. Aussi avons-nous décidé de sécher nos larmes, de prier avec vous le Christ pour son âme, et de nous montrer empressé au gouvernement du royaume de France et du royaume de Navarre afin que leurs droits ne dépérissent pas et que les sujets de ces deux royaumes vivent heureux sous le bouclier de la justice et de la paix. Le régent des deux royaumes, par la grâce de Dieu. »
PHILIPPE.
   Le premier émoi passé, messire Varay vint aussitôt baiser la main du comte de Poitiers, et les autres consuls l’imitèrent sans hésitation. Le roi était mort. La nouvelle en soi était assez stupéfiante pour que nul ne songeât, au moins pour quelques minutes, à se poser de questions. En l’absence d’un héritier majeur, il semblait parfaitement normal que le plus âgé des frères du souverain assurât le pouvoir. Les consuls ne doutèrent pas un instant que la décision n’eût été prise à Paris par la Chambre des Pairs.
   — Veuillez faire crier ce message par la ville, ordonna Philippe de Poitiers, après quoi les portes seront aussitôt ouvertes. 
Puis il ajouta:
   — Messire Varay, vous êtes puissant au négoce des draps, je vous saurais gré de me fournir de vingt manteaux noirs, à déposer dans mon antichambre, pour en couvrir les gens qui viendront me présenter leur douloir. 
  Et il congédia les consuls. Les deux premiers actes de sa prise de pouvoir se trouvaient accomplis. Il s’était fait proclamer régent par son entourage, qui devenait du même coup son Conseil de gouvernement. Il allait être reconnu par la ville de Lyon où il résidait. Il avait hâte maintenant d’étendre cette reconnaissance à l’ensemble du royaume et de placer Paris devant un état de fait.
   Le succès résidait dans la vitesse. Déjà les copistes reproduisaient à multiples exemplaires la proclamation, et les chevaucheurs sellaient leurs chevaux pour aller la répandre dans toutes les provinces. 
  Aussitôt les portes de Lyon rouvertes, ces chevaucheurs s’élancèrent, se croisant avec trois courriers retenus depuis le matin en deçà de la Saône. L’un des courriers acheminait une lettre du comte de Valois, par laquelle ce dernier se posait en régent désigné et demandait à Philippe une ratification de bonne forme afin que la désignation devînt effective.
   « Je suis assuré que vous voudrez aider à ma tâche, pour le bien du royaume, et me donnerez au plus tôt votre agrément, en bon et bien-aimé neveu comme vous l’êtes ».
   Le second message venait du duc de Bourgogne, qui réclamait aussi la régence au nom de sa nièce, la petite Jeanne de Navarre. Enfin le comte d’Évreux avertissait Philippe de Poitiers que les pairs n’avaient pas été réunis selon les us et coutumes et que la hâte de Charles de Valois à se saisir du gouvernement ne s’appuyait sur aucun texte ni aucune assemblée régulière. Le comte de Poitiers, au reçu de ces nouvelles, se remit à siéger avec son entourage.
    Dans ce Conseil ne figuraient pratiquement que des hommes hostiles à la politique suivie depuis dix-huit mois par le Hutin et le comte de Valois. Philippe de Poitiers, connaissant leur mérite et leurs capacités, avait choisi de se les adjoindre dans les difficiles négociations qu’il devait mener avec l’Église. Tel était le connétable, Gaucher de Châtillon, qui ne pardonnait pas la ridicule campagne de l’ost boueux qu’il avait dû conduire en Flandre l’été précédent. Tel était Miles de Noyers, proche parent de Gaucher. Tel encore Raoul de Presles, légiste de Philippe le Bel, que Valois avait fait arrêter en même temps qu’Enguerrand de Marigny et qui devait sa libération et son retour en grâce au comte de Poitiers. Aucun d’eux ne considérait d’un bon œil les ambitions de Valois ni ne souhaitait non plus que le duc de Bourgogne se mêlât des affaires de la couronne. Ils admiraient la rapidité avec laquelle le jeune prince avait agi et ils plaçaient en lui leurs espoirs.
   Poitiers écrivit à Eudes de Bourgogne et à Charles de Valois, sans mentionner leurs lettres et comme s’il ne les avait pas reçues, afin de les informer qu’il se considérait régent par droit naturel et qu’il réunirait l’assemblée des pairs, afin de sanctionner cette situation, aussitôt qu’il lui serait possible. En même temps, il désignait des commissaires pour aller dans les principaux centres du royaume prendre possession du commandement en son nom. Ainsi partirent, dans la journée, plusieurs de ses chevaliers, comme Regnault de Lor, Thomas de Marfontaine et Guillaume Courteheuse. Il garda auprès de lui Anseau de Joinville, le fils du vieux sénéchal, et Henry de Sully.
   Tandis que le glas sonnait à tous les clochers, Philippe de Poitiers conféra seul à seul avec Gaucher de Châtillon. Par droit, le connétable de France siégeait à toutes les assemblées du gouvernement, Chambre des Pairs, Grand Conseil, Conseil étroit. Philippe demanda donc à Gaucher de se rendre à Paris pour le représenter et s’opposer jusqu’à sa propre arrivée aux entreprises de Charles de Valois, le connétable d’autre part, s’assurerait d’avoir bien en main les troupes à solde de la capitale, et particulièrement le corps des arbalétriers. Car le nouveau régent, à la surprise d’abord, puis à l’approbation de ses conseillers, avait résolu de demeurer provisoirement à Lyon.
   — Nous ne devons pas nous détourner des tâches en cours, déclara-t-il. Le plus important pour le royaume est d’avoir un pape, et nous serons d’autant plus forts quand nous l’aurons fait.
   Et il pressa la signature du contrat de fiançailles entre sa fille et le dauphiniet. L’affaire, à première vue, n’avait aucun rapport avec l’élection pontificale. Mais pour Philippe l’alliance avec le dauphin de Viennois qui régnait sur tous les territoires au sud de Lyon, était une pièce de son jeu. Les cardinaux, s’il leur prenait désir de lui échapper, ne pourraient pas se réfugier de ce côté-là, il leur coupait la route d’Italie. En outre, ces fiançailles consolidaient sa position de régent, le dauphin se rangeait dans son camp. Le contrat, en raison du deuil, fut signé sans fêtes, dans les jours qui suivirent.
   Parallèlement, Philippe de Poitiers s’aboucha avec le plus puissant baron de la région, le comte de Forez, beau-frère d’ailleurs du dauphin, et qui, par ses possessions, commandait la rive droite du Rhône. Jean de Forez avait fait les campagnes de Flandre, représenté plusieurs fois Philippe le Bel à la cour papale, et très utilement travaillé pour le rattachement de Lyon à la France. Le comte de Poitiers, du moment qu’il reprenait la politique paternelle, savait pouvoir compter sur lui.
   Le 16 juin, le comte de Forez accomplit un geste hautement spectaculaire. Il prêta hommage solennel à Philippe, comme au seigneur de tous les seigneurs de France, le reconnaissant ainsi détenteur de l’autorité royale. Le lendemain, le comte Bermond de la Voulte, dont le fief de Pierregourde se trouvait dans la sénéchaussée de Lyon, plaça ses mains dans les mains du comte de Poitiers et lui fit serment dans les mêmes conditions. Au comte de Forez, Poitiers demanda de tenir prêts, discrètement, sept cents hommes d’armes. Les cardinaux, désormais, ne bougeraient plus de la ville. Mais de là à obtenir une élection, il y avait encore loin.
   Les tractations piétinaient. Les Italiens, sentant que le régent était pressé de regagner Paris, raidissaient leurs positions. « Il se lassera le premier », disaient-ils. Peu leur importait l’état d’anarchie tragique où sombraient les affaires de l’Église. Philippe de Poitiers eut plusieurs entrevues avec le cardinal Duèze qui lui semblait l’esprit le plus vif du conclave, le plus imaginatif, et, décidément, le plus souhaitable administrateur de la chrétienté dans le difficile moment où l’on se trouvait.
   — L’hérésie refleurit un peu partout, disait le cardinal de sa voix fêlée. Et comment en serait-il autrement, avec l’exemple que nous donnons ? Le démon profite de nos discordes pour semer son ivraie. Mais c’est dans le diocèse de Toulouse surtout qu’elle pousse dru. Vieille terre de rébellion et de mauvais rêves. Il conviendrait que le prochain pape cassât ce trop gros diocèse, malaisé à gouverner, en cinq évêchés, chacun remis en main ferme.
   — Ceci, répondait le comte de Poitiers, amènerait à créer nombre de bénéfices dont notre Trésor aurait à percevoir les annates.
   — Mais bien sûr, Monseigneur.
   Les annates étaient une taxe royale portant sur les bénéfices ecclésiastiques nouveaux et qui consistait en la perception des revenus de la première année. Or l’absence de pape empêchait de procéder à ces créations de bénéfices. Et le Trésor s’en ressentait d’autant plus durement que le clergé en général, profitant de ce qu’il n’avait pas de chef, inventait toutes sortes de prétextes à ne pas acquitter les arrérages d’impôts.
   En fait, lorsque Philippe de Poitiers et Jacques Duèze envisageaient l’avenir, l’un comme régent, l’autre comme éventuel pontife, leurs premiers soucis concernaient les finances. À la mort de Philippe le Bel, la trésorerie française était gênée, mais non obérée ; en dix-huit mois, par l’expédition de Flandre, la sédition d’Artois, les privilèges consentis aux ligues baronniales, Louis X et Valois avaient réussi à endetter le royaume pour plusieurs années. Le trésor pontifical, après deux ans de conclave errant, ne montrait pas un meilleur état, et si les cardinaux se vendaient si cher aux princes de ce monde, c’est qu’ils n’avaient plus, pour nombre d’entre eux, d’autres moyens de subsistance que le négoce de leur voix.
   — Les amendes, Monseigneur, les amendes, conseilla Duèze au jeune régent. Frappez d’amendes ceux qui auront méfait, et plus ils seront riches, plus fortement vous les frappez. Si celui qui manque à la loi possède vingt livres, exigez qu’il en verse une. Mais s’il en possède mille, prenez-lui-en cinq cents, et s’il est riche de cent mille, ôtez-lui tout. Vous y trouverez trois avantages : d’abord le rapport sera plus gros, ensuite le malfaiteur, privé de sa puissance, n’en pourra plus faire abus, enfin les pauvres, qui sont le grand nombre, seront de votre côté et auront confiance en votre justice.
   Philippe de Poitiers sourit.
   — Ce que vous préconisez là fort sagement, Monseigneur, peut convenir à la justice royale qui agit par bras temporel, répondit-il. Mais pour restaurer les finances de l’Église, je ne vois guère…
   — Les amendes, les amendes, répéta Duèze. Mettons impôt sur les péchés, ce sera source intarissable. L’homme est pécheur par nature, mais plus disposé à faire pénitence de cœur qu’à faire pénitence de bourse. Il éprouvera plus vivement le regret de ses fautes et hésitera davantage à retomber dans ses errements si une taxe accompagne nos absolutions. Qui tient à s’amender doit acquitter amende.
« Est-ce plaisanterie ? » pensa Poitiers qui n’était pas complètement accoutumé à l’inventive syllogistique du cardinal.
   — Et quels péchés voudriez-vous taxer, Monseigneur ? demanda-t-il.
   — D’abord ceux qui se commettent dans le cierge. Commençons par nous réformer nous-mêmes avant d’entreprendre de réformer autrui. Notre sainte Mère est trop tolérante aux manquements et abus. Ainsi l’on sait que clergie ou prêtrise ne peuvent être conférées à des hommes estropiés ou difformes. Or, je voyais l’autre jour un certain prêtre Pierre, qui est auprès du cardinal Caëtani, et qui a deux pouces à la main gauche.
« Petite perfidie envers notre vieil ennemi », se dit Poitiers.
   — En vérité, poursuivit Duèze, les boiteux, manchots, eunuques qui cachent leur disgrâce sous un froc et touchent bénéfices d’Église, sont légion. Allons-nous les chasser de notre sein, ce qui, sans effacer leur faute, n’aurait pour résultat que de les réduire à misère et désespoir, et sans doute les pousserait à rejoindre les hérétiques de Toulouse ou autres confréries de spirituels ? Permettons-leur plutôt de se racheter ; or, qui dit rachat dit paiement.
   Le vieux prélat était parfaitement sérieux. Son imagination, au cours de ses dernières nuits de veille, avait échafaudé tout un système fort précis, sur lequel il préparait un mémoire et qu’il soumettrait, disait-il modestement, au prochain pape. Il s’agissait de l’institution d’une Sainte Pénitencerie, sorte de chancellerie du péché qui délivrerait les bulles d’absolution moyennant des taxes d’enregistrement perçues au profit du Saint-Siège. Les prêtres estropiés pourraient obtenir quittance à raison de quelques livres par doigt manquant, le double pour un œil perdu, autant pour l’absence d’une ou deux génitoires. Celui qui se serait amputé lui-même de sa virilité devrait payer un prix plus fort.
   Des malfaçons ou accidents physiques, Duèze passait aux irrégularités morales. Les bâtards qui avaient caché leur situation de naissance en recevant les ordres, les clercs qui avaient pris la tonsure bien qu’étant mariés, ceux qui se mariaient secrètement après l’ordination, ceux qui vivaient non mariés en ménage de femme, ceux qui étaient bigames, ou incestueux, ou sodomites, tous étaient imposés proportionnellement à leur faute.  
  Les nonnes qui auraient paillardé avec plusieurs hommes au-dedans comme au-dehors de leur couvent seraient soumises à une réhabilitation particulièrement coûteuse .
   — Si l’institution de cette Pénitencerie, déclara Duèze, ne fait pas rentrer deux cent mille livres la première année, je veux bien…
   Il allait dire « je veux bien être brûlé » mais s’arrêta à temps. Poitiers pensait « Au moins, s’il est élu, je n’aurai pas de souci pour les finances papales. »
   Mais, malgré toutes les manœuvres de Duèze et malgré l’appui que Poitiers leur donnait, le conclave continuait à marquer le pas. Or, les nouvelles de Paris étaient mauvaises. Gaucher de Châtillon, faisant front avec le comte d’Évreux et Mahaut d’Artois, s’efforçait de limiter les ambitions de Charles de Valois. Celui-ci néanmoins habitait au palais de la Cité, où il gardait la reine Clémence sous sa tutelle, il administrait les affaires à sa guise, et expédiait dans les provinces des instructions contraires à celles que Poitiers envoyait de Lyon. D’autre part, le duc de Bourgogne, soutenu par les vassaux de son immense duché, était arrivé à Paris le 16 juin, onze jours après la mort de Louis X, pour y faire reconnaître ses droits. La France avait donc trois régents. Cette situation ne pouvait durer longtemps, et Gaucher engageait instamment Philippe à regagner Paris.
   Le 27 juin, après un conseil restreint auquel assistèrent les comtes de Forez et de la Voulte, le jeune prince décida de se mettre en route, et commanda de rassembler le train de bagages de son escorte. En même temps, s’avisant qu’aucun service solennel n’avait encore été célébré pour le repos de l’âme de son frère, il ordonna que de grandes messes fussent dites le lendemain, avant son départ, en chaque paroisse de la ville. Tous les gens de haut et de bas clergé étaient tenus d’y assister, pour s’associer aux prières du régent. Les cardinaux, surtout les cardinaux italiens, exultaient ; Philippe de Poitiers quittait Lyon sans les avoir fléchis.
   — Il déguise sa fuite sous les pompes du deuil, disait Caëtani, mais il s’en va quand même, ce maudit ! Avant un mois, je vous l’affirme, nous serons de retour à Rome.

Demain ‘’La loi des mâles’’ ch. 5 ‘’Les portes du conclave’’.

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