vendredi 2 février 2018

Jean Genat - Le condamné à mort V et fin




T’enveloppent si fin, tes gestes de dentelle!
Une épaule appuyée au palmier rougissant
Tu fumes. La fumée en ta gorge descend
Tandis que les bagnards, en danse solennelle,

Graves, silencieux, à tour de rôle, enfant,
Vont prendre sur ta bouche une goutte embaumée,
Une goutte, pas deux, de la ronde fumée
Que leur coule ta langue. O frangin triomphant,

Divinité terrible, invisible et méchante,
Tu restes impassible, aigu, de clair métal,
Attentif à toi seul, distributeur fatal
Enlevé sur le fil de ton hamac qui chante.

Ton âme délicate est par de là les monts
Accompagnant encor la fuite ensorcelée
D’un évadé du bagne, au fond d’une vallée
Mort, sans penser à toi, d’une balle aux poumons.

X
Élève-toi dans l’air de la lune ô ma gosse.
Viens couler dans ma bouche un peu du sperme lourd
Qui roule de ta gorge à tes dents, mon Amour,
Pour féconder enfin nos adorables noces.

Colle ton corps ravi contre le mien qui meurt
D’enculer la plus tendre et douce des fripouilles.
En soupesant charmé tes rondes, blondes couilles,
Mon vit de marbre noir t’enfile jusqu’au cœur.

Oh vise-le dressé dans son couchant qui brûle
Et va me consumer! J’en ai pour peu de temps,
Si vous l’osez, venez, sortez de vos étangs,
Vos marais, votre boue où vous faites des bulles

Ames de mes tués! Tuez-moi! Brûlez-moi!
Michel-Ange exténué, j’ai taillé dans la vie
Mais la beauté Seigneur, toujours je l’ai servie,
Mon ventre, mes genoux, mes mains roses d’émoi.

Les coqs du poulailler, l’alouette gauloise,
Les boîtes du laitier, une cloche dans l’air,
Un pas sur le gravier, mon carreau blanc et clair,
C’est le luisant joyeux sur la prison d’ardoise.

Messieurs je n’ai pas peur! Si ma tête roulait
Dans le son du panier avec ta tête blanche,
La mienne par bonheur sur ta gracile hanche
Ou pour plus de beauté, sur ton cou mon poulet….

Attention! Roi tragique à la bouche entr’ouverte
J’accède à tes jardins de sable, désolés,
Où tu bandes, figé, seul, et deux doigts levés,
D’un voile de lin bleu ta tête recouverte.

Par un délire idiot je vois ton double pur!
Amour! Chanson! Ma reine! Est-ce un spectre mâle
Entrevu lors des jeux dans ta prunelle pâle
Qui m’examine ainsi sur le plâtre du mur?

Ne sois pas rigoureux, laisse chanter mâtine
A ton cœur bohémien; m’accorde un seul baiser…
Mon Dieu je vais claquer sans te pouvoir presser
Dans ma vie une fois sur mon cœur et ma pine!

XI
Pardonnez-moi mon Dieu parce que j’ai péché!
Les larmes de ma voix, ma fièvre, ma souffrance,
Le mal de m’envoler du beau pays de France,
N’est-ce assez monseigneur pour aller me coucher
Trébuchant d’espérance.

Dans vos bras embaumés, dans vos châteaux de neige!
Seigneur des lieux obscurs, je sais encore prier.
C’est moi mon père, un jour, qui me suis écrié:
Gloire au plus haut du ciel, au dieu qui me protège
Hermès au tendre pied!

Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,
Les chants des Séraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,
Les angelots de laine en chaudes houppelandes,
Et j’espère des nuits sans lunes ni soleils
Sur d’immobiles landes.

Ce n’est pas ce matin que l’on me guillotine.
Je peux dormir tranquille. A l’étage au dessus
Mon mignon paresseux, ma perle, mon jésus,
S’éveille. Il va cogner de sa dure bottine
A mon crane tondu.




Il paraît qu’à côté vit un épileptique.
La prison dort debout au noir d’un chant des morts.
Si des marins sur l’eau voient s’avancer les ports
Mes dormeurs vont s’enfuir vers une autre Amérique.

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