lundi 5 février 2018

Incipit 43 - Maurice Duon - Les rois maudits


Le roi de fer
Chapitre 1
La reine sans amour

Un tronc entier, couché sur un lit de braises incandescentes, flambait dans la cheminée. Les vitraux verdâtres, cloisonnés de plomb, filtraient un jour de mars avare en lumière.
Assise dans un haut siège de chêne au dossier surmonté des trois lions d’Angleterre, la reine Isabelle, le menton sur la paume, contemplait vaguement les lueurs du foyer.
Elle avait vingt-deux ans. Ses cheveux d’or, tordus en longues tresses relevées, formaient comme deux anses d’amphore.
Elle écoutait une de ses dames françaises lui lire un poème du duc Guillaume d’Aquitaine.
 ‘’D’amour ne dois plus dire bien
Car je n’en ai ni peu ni rien,
Car plus n’en ai qui me convient…’’

La voix chantante de la dame de parage se perdait dans cette salle trop grande pour que des femmes y puissent vivre heureuses.
''Il m’a toujours été ainsi.
De ce que j’aime n’ai pas joui,
Ne le ferai ni ne le fis…''

La reine sans amour soupira.
— Que voilà donc touchantes paroles, dit-elle, et qu’on croirait tout juste faites pour moi. Ah ! Le temps n’est plus où les grands seigneurs comme ce duc Guillaume étaient aussi exercés à la poésie qu’à la guerre. Quand m’avez-vous dit qu’il vivait ? Deux cents années ? On jugerait de ce lai qu’il est écrit d’hier. Et pour elle-même elle répéta :

 ''D’amour ne dois plus dire bien
Car je n’en ai ni peu ni rien…''

Elle demeura un moment songeuse.
— Poursuivrai-je, Madame ? demanda la lectrice, le doigt posé sur la page enluminée.
— Non, ma mie, répondit la reine. Je me suis assez fait pleurer l’âme pour aujourd’hui. Elle se redressa et, changeant de ton :
— Mon cousin Monseigneur d’Artois m’a fait annoncer sa venue. Veillez à ce qu’on le conduise ici aussitôt qu’il se présentera.
— Il arrive de France ? Alors vous allez être contente, Madame.
— Je souhaite l’être… si les nouvelles qu’il me porte sont bonnes.

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