vendredi 9 février 2018

Incipit 44 - Edgar Allan Poe - Les aventures d'Arthur Gordon Pym


Mon nom est Arthur Gordon Pym. Mon père était un

respectable commerçant dans les fournitures de la

marine, à Nantucket, où je suis né. Mon aïeul maternel

était attorney, avec une belle clientèle. Il avait de la

chance en toutes choses, et il fit plusieurs spéculations

très-heureuses sur les fonds de l’Edgarton New Bank,

lors de sa création. Par ces moyens et par d’autres, il

réussit à se faire une fortune assez passable. Il avait

plus d’affection pour moi, je crois, que pour toute autre

personne au monde, et j’avais lieu d’espérer la plus grosse

part de cette fortune à sa mort. Il m’envoya, à l’âge de

six ans, à l’école du vieux M. Ricketts, brave gentleman

qui n’avait qu’un bras, et de manières assez

excentriques ; — il est bien connu de presque toutes les

personnes qui ont visité New Bedford. Je restai à son

école jusqu’à l’âge de seize ans, et je la quittai alors pour

l’académie de M. E. Ronald, sur la montagne. Là je me liai

intimement avec le fils de M. Barnard, capitaine de

navire, qui voyageait ordinairement pour la maison Lloyd

et Vredenburg ; — M. Barnard est bien connu aussi à

New-Bedford, et il a, j’en suis sûr, plusieurs parents à

Edgarton. Son fils s’appelait Auguste, et il était plus âgé

que moi de deux ans à peu près. Il avait fait un voyage

avec son père sur le baleinier le John Donaldson, et il me

parlait sans cesse de ses aventures dans l’océan Pacifique

du Sud. J’allais fréquemment avec lui dans sa famille, j’y

passais la journée et quelquefois toute la nuit. Nous

couchions dans le même lit, et il était bien sûr de me

tenir éveillé presque jusqu’au jour en me racontant une

foule d’histoires sur les naturels de l’île de Tinian, et

autres lieux qu’il avait visités dans ses voyages. Je finis

par prendre un intérêt particulier à tout ce qu’il me

disait, et peu à peu je conçus le plus violent désir d’aller

sur mer. Je possédais un canot à voiles qui s’appelait

l’Ariel, et qui valait bien soixante-quinze dollars environ.

Il avait un pont coupé, avec un coqueron, et il était gréé

en sloop ; — j’ai oublié son tonnage, mais il aurait pu tenir

dix personnes sans trop de peine. C’était avec ce bateau

que nous avions l’habitude de faire les plus folles

équipées du monde ; et maintenant, quand j’y pense, c’est

pour moi le plus parfait des miracles que je sois encore

vivant.

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