samedi 3 février 2018

Incipit 42 - Oscar Wilde - Le portrait de Dorian Gray

Oscar Wilde – Le portrait de Dorian Grey
Le riche parfum des roses embaumait l'atelier et quand la légère brise d'été remuait les arbres du jardin, il venait, par la porte ouverte, une lourde odeur de lilas ou l'arôme plus délicat des aubépines rougissantes.
Du coin de sofa où il était allongé sur des coussins de cuir persan, et tout en fumant, selon son habitude, d'innombrables cigarettes, Lord Henry Wotton apercevait la rayonnante floraison d'un cytise, dont les grappes de miel et les flexibles rameaux semblaient écrasés sous le poids flamboyant de leur propre beauté.
Par instants, des vols d'oiseaux projetaient leurs ombres fantastiques sur les hauts rideaux de tussor tiré devant la fenêtre aux larges baies, et produisaient momentanément une sorte d'effet japonais. Et Lord Henry songeait à ces peintres de Tokio, aux visages de jade pâle, dont tout l'effort tendait, dans un art fatalement immobile, à donner la sensation de la vitesse du mouvement.
Dans un bourdonnement maussade, des abeilles s'évertuaient à fendre les hautes herbes mûres, et s'obstinaient dans une ronde monotone, autour des urnes dorées et poudreuses d'un chèvrefeuille solitaire ; et leur murmure alourdissait encore une accablante paix. Les bruits confus de Londres arrivaient, pareils aux notes bourdonnantes d'un orgue éloigné.
Au milieu de la pièce se dressait, sur un haut chevalet, le portrait en pied d'un jeune homme d'une extraordinaire beauté ; et, face au portrait, à légère distance, l'artiste lui-même était assis, ce Basil Hallward, dont la disparition soudaine, il y a quelques années, émut si fort la société et donna lieu à tant d'étranges suppositions.

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