mercredi 26 septembre 2018

Caroline O - III - Le wagont-lit

Elle entendît à peine les trois coups frappés à la porte. Il n'avait pas perdu de temps. Elle avait dit une demi-heure. L'exactitude n'était pas la politesse que des rois. Elle ouvrit la porte. Maximilien se précipita plus qu'il n'entra dans le compartiment. Il lui prit les mains et les porta avec force à ses lèvres. Il avait le visage enflammé, le souffle court et sifflant. Elle retira ses mains des siennes. Elle en posa une sur le front du jeune homme. Il était brûlant.
''Calmez-vous mon petit Maximilien. Ne vous mettez pas dans ces états. Vous n'êtes pas ici pour vous faire du mal.''
''Je sais, madame, mais c'est de votre faute! Vous me foudroyez!''
''Foudroyé? Comme vous y allez.'' Elle eut un petit rire de gorge en relevant légèrement la tête en arrière. '' Regardez dans le bar s'il y a quelque chose de convenable à boire''
Il se dirigea vers le petit panneau en marqueterie qui dissimulait une glacière.
''Champagne? Eau minérale?''
''Servez nous deux coupes, mon ami.''
Il sortit le champagne et une petite bouteille d'eau minérale. Il remplit deux coupes et un verre d'eau. Il les apporta sur la petite table basse auprès de laquelle elle s'était assise. Il sortit de la poche de son gilet une petite boite à pilules en or. Il en avala deux avec une gorgée d'eau.. Elle le regarda avec un œil interrogateur.
'' Ces pilules calment ma tension et régulent mon rythme respiratoire. Je crains d'avoir à les prendre pendant un bon moment encore'' Il avait dit cela avec un petit sourire triste.
''Oubliez cela, Max. Et buvons à notre rencontre.''
Il approcha un fauteuil, s'assit et fit tinter sa coupe de cristal contre la sienne.
Ils restèrent quelques secondes silencieux. Il la regardait avec passion.
''Vous ne pouvez imaginer ce que je ressens. Vous me rendez fou!'' Et il osa : ''Ah! Caroline...''
Elle lui abandonna sa main. Il l'embrassa dans la paume et ses lèvres remontèrent vers l'intérieur du poignet puis jusqu'à la saignée du coude. Il posa sa main droite sur sa taille. Et là, elle se dit que toutes les femmes devraient remercier Poiret d'avoir supprimé les gaines. Elle avait connu les deux... C'était incomparable...
Maximilien avait également d'air de s'accoutumer à l'absence de gaine. Mais elle sentit qu'elle devait réfréner ses ardeurs sinon il allait la prendre, là, sur la moquette de ce wagon-lit. Si c'était encore de son âge, ce n'était plus du sien. Elle le repoussa doucement, mais fermement, de ses deux mains;
''Tout doux mon ami. Je suis flattée de la vivacité de votre intérêt à mon égard, mais je ne suis pas votre infirmière de campagne.'' dit-elle en riant. Elle réussit à se dégager et à se lever. Elle sourit encore devant son air dépité.
''Ne prenez pas cet air de chien battu. Installez-vous confortablement sur ce divan. Laissez-moi quelques minutes pour me préparer et nous reprendrons notre conversation là où nous l'avons laissée.'' Elle déposa un léger baiser sur sa joue et se retira dans la partie chambre de son compartiment en fermant la porte derrière elle. Arrivée dans le cabinet de toilettes elle enleva son turban de velours noir libérant l'imposante masse de ses cheveux noirs, sa fierté même si quelques fils argentés commençaient à s'y mêler. Elle fit glisser à terre le cafetan gris qu'elle portait. Puis sa combinaison. Elle se regarda, sans complaisance, dans la glace. Bien sur les seins étaient un peu plus lourds, les hanches un peu plus rondes. Mais la taille restait bien marquée, les fesses fermes et les cuisses fuselées. Elle fût satisfaite de l'examen. A 47 ans elle tenait encore la route, ce qui était rare chez les femmes à cette époque-là. Elle devait tout cela à son heure quotidienne d'exercices à la barre. Elle s'y astreignait depuis plus de 30 ans et c'était devenu comme une drogue. Mais jamais un homme ne l'avait vue transpirer à la barre.
Après une légère toilette elle mit un déshabillé de nuit rouge vif faisant ressortir la matité de son teint et le noir de ses cheveux. Une goutte de ‘Je reviens’’ de Worth derrière l'oreille et à l'intérieur des poignets. Elle était prête. Cela l'amusait assez finalement. C'était comme un flirt. Elle ouvrit la porte de communication avec le salon, sûre de son effet. Maximilien dormait sur le divan. Sa première impulsion fut de le réveiller et de le mettre à la porte manu militari. Elle savait faire. Certains hommes devaient s'en souvenir encore. Et puis elle le regarda. Il dormait. La bouche ouverte comme pour mieux aspirer l'air pour ses malheureux poumons. Les joues creusées comme un stigmate de sa maladie. Il avait enlevé ses souliers vernis, déboutonné son gilet et ouvert son col de chemise. Toute colère tombée elle s'assit dans un fauteuil. Ce gamin lui avait fait ce qu'aucun homme ne lui avait fait auparavant. Et elle ne lui en voulait pas. C'était la première fois que cela lui arrivait. Les hommes s'endormaient toujours après (trop rapidement même parfois), mais avant jamais! Elle voulait tourner une page de sa vie avec ce départ vers le sud. Eh bien c'était gagné. Ce gamin venait d'en tourner une autre. Elle se dit qu'à 47 ans elle n'était plus souveraine et qu'elle avait bien fait de partir. Et lui il dormait abandonné, sans défense, vulnérable mais en totale confiance. ''Peut être n'aurait-il dû prendre qu'une seule pilule?'' Elle ressentit comme une forme de tendresse.
''Pas de ça, cocotte.'' Elle se reprit très vite. C'était probablement mieux ainsi. Après 5 minutes de réflexion sa décision était prise. Elle jeta un coup d'œil sur son réveil de voyage Cartier. Minuit quinze.
Elle enfila une robe de chambre et sortit dans le couloir et appela le contrôleur du wagon.
''Quand arrivons-nous à Lyon?''
''A 4h18''
''Avez-vous la télégraphie sans fil à bord du train?''
''Bien sûr, Madame.''
''Bien. Vous allez télégraphier au Boscolo Grand Hôtel de Lyon de me réserver une chambre et d'envoyer une voiture me chercher à la gare. Je prendrai une valise avec moi. Vous direz à la femme de chambre de refaire l'autre et de la mettre dans le compartiment bagages avec mes deux malles. Vous veillerez bien à ce qu'une fois à Nice, le tout soit envoyé à l'Excelsior Hôtel Regina sur la colline de Cimiez. J'y ai un appartement réservé. Je les préviendrai de mon retard.''
Après un moment de silence :
'' Tous ces va et vient se feront par la porte qui donne sur la partie chambre du compartiment. Il y a dans le salon un jeune homme endormi. Vous ne le réveillerez qu'une fois que le train aura quitté Lyon. Vous lui direz.... Et puis non... vous ne lui direz rien du tout.''
'' Tout sera fait comme vous le souhaitez, Madame.''
Elle rejoignit sa chambre et ferma la porte de communication avec le salon. Elle ne voulait plus le voir!. Elle s'en voulait un peu. Mais, bof, ça passerait. Ce n'est pas cette nuit qu'elle allait se laisser aller à des sentiments.
Une demi-heure après le contrôleur lui confirmait sa réservation au Boscolo.
A Lyon une voiture l'attendait. Sur le chemin de l'hôtel, ils furent arrêtés par un passage à niveau. Un train défila devant eux dans un panache de fumée.
''C'est votre train, Madame, le Paris-Lyon-Méditerranée. Ils seront à Marseille à 9h47.''
Le chauffeur entendit un léger bruit derrière lui. Il prit ça pour une petite toux.

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