mardi 13 décembre 2016

Mon chum du Canada

 
Elle est arrivée un matin de septembre 1995. Une enveloppe kraft grand format. Epaisse. Postée au Canada. Cela ne pouvait venir que d'André. Mais je ne reconnaissais pas son écriture si particulière. J'ouvre la lettre. Une chemise cartonnée avec une carte de visite agrafée. ''De la part d'André''. Signé Catherine, sa femme. J'ouvre la chemise et le sol se met à trembler sous mes pieds. Des lettres, des cartes postales, des photos. Les miennes. Des années de correspondance, épisodique mais régulière. Je revois mes lettres que lui écrivais parfois en vers et auxquelles il répondait par des lettres illustrées de ses aquarelles.
Et une lettre cachetée sur la quelle je reconnais son écriture. ''Pour Renaud''. Je l'ouvre, mal à l'aise. Je m'assied et je serre très fort la lettre pour ne pas trembler.
Elle commence ainsi:
'' Quand tu liras cette lettre j'aurai rejoint les grandes prairies...
et finit ainsi:
''Merci. D'où que je sois je t'embrasse avec tendresse...''

André est mort et il m'écrit de là où il est une lettre de trois pages pour me parler de nous.
Au fil de la lecture, 12 ans d'images défilent. De notre rencontre en Janvier 1982 dans une cave enfumée de la rue des Blancs Manteaux à Paris, à la dernière fois où je l'ai vu en janvier 1994, dans sa grande maison enfouie sous la neige au bord du Saint Laurent gelé. Je le savais malade. D'une ''leucémie''. Je respectais sa volonté de ne pas en dire plus. Sa vie affective était compliquée. Il avait le goût, un amour profond des femmes et en même temps une forte attirance pour les hommes au contact desquels il ressentait une vraie complicité. Ce qui aurait pu être vécu comme une bisexualité épanouie était devenu conflit interne. Lorsque je le rencontrais en janvier 82, il venait d'arriver à Paris en mission pour le compte d'une organisation internationale canadienne chargée de l'aide aux pays en voie de développement. Il avait laissé au Québec maîtresses et amant. Et encore cet amant n'était-il qu'épisodique puisqu'il travaillait à l'autre bout du Canada. Il attendait de ses 6 mois à Paris une parenthèse ''romantique'' dans sa vie personnelle.
 
Ce fût un soir au PZ, alors que je poussais ma chansonnette, que je remarquais, à 2 mètres de moi, accoudé au bar, ce type, brun et sec comme un pruneau d'Agen, avec une grosse moustache noire qui, quand il souriait, laissait apparaître des dents très blanches et une lèvre inférieure gourmande. Une femme qui rit est, paraît-il, à moitié séduite. Un homme aussi! J'attaquais donc une version gentiment décalée du ''Déshabillez-moi'' de J. Gréco. Bingo! Il sourît. Des lèvres et des yeux. Dès la chanson finie, je m'approchais de lui et lui proposais une bière. Sa réponse me ravit. C'était un véritable accent québécois pur jus d'érable. Irrésistible. Dix minutes plus tard je reprenais le micro pour lui sortir un Félix Leclerc de derrière les fagots. Bozo. Mais malgré mon forcing et le déploiement de mon charme ce n'est que le troisième jour qu'il accepta de venir boire un dernier verre à la maison. Suivirent cinq mois de bonheur. On se partageait entre mon studio de la rue St Martin et son appartement de fonction rue du Petit Musc. Ce n'était pas à proprement parler de l'amour, mais plutôt un grand bien être à se trouver ensemble. Sans obligation aucune. Son job l'amenait à avoir certaines obligations, le mien me faisait voyager pas mal. Et c'était bien ainsi.
Il était intelligent, gentil, drôle, pianiste et aquarelliste. Des nord-américains il avait l'aplomb et l'absolu manque de complexes, mais aussi l'émerveillement devant les traces de l'histoire dans les rues de Paris. C'étaient de longues balades dans les quartiers de Paris où je lui ressortais ce que j'avais appris la veille. Je lui récitais Verlaine sur les quais de la Seine et Apollinaire sur le Pont Mirabeau. Après une fin tardive au PZ on allait parfois manger une soupe à l'oignon ou une bavette aux échalotes dans une petite brasserie des Halles, on prenait le premier croissant chaud dans un de ces bistros où à 5 heures du matin Paris s'éveille. Et au mois de mai on se retrouvait parfois accoudés sur la Passerelle des Arts à regarder le soleil se lever juste entre les tours de Notre-Dame. Il passait son bras sous le mien et appuyait son épaule contre la mienne...

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