jeudi 24 janvier 2019

Les poisons de la couronne - 3ème partie - ch 9 - Le moine est mort




IX
LE MOINE EST MORT
  Or le même événement naturel qui, pour l’heure, à la cour de France, comblait de joie la reine et la comtesse de Poitiers, allait répandre drame et désastre dans un petit manoir, à dix lieues de Paris. Marie de Cressay, depuis quelques semaines, avait le visage ravagé d’angoisse et de chagrin. Elle répondait à peine aux questions qu’on lui posait. Ses yeux bleu sombre s’étaient agrandis d’un cerne mauve ; une petite veine se dessinait sur sa tempe transparente. Il y avait de l’égarement dans son attitude. 
  - Ne va-t-elle pas nous faire un mal de langueur, comme l’autre année ? disait son frère Pierre. 
  - Mais non, elle ne maigrit pas, répondait dame Eliabel. Une impatience d’amour, voilà ce qui la tient ; et ce Guccio lui trotte par la tête. Il est grand temps de la marier. 
  Mais le cousin de Saint-Venant, pressenti par les Cressay, avait répondu que les affaires de la ligue d’Artois l’occupaient trop, dans le moment, pour qu’il pût songer au mariage. 
  - Il a dû s’enquérir de l’état de nos biens, disait Pierre de Cressay. Vous verrez, ma mère, vous verrez ; nous regretterons peut-être d’avoir écarté Guccio. 
  Le jeune Lombard continuait d’être reçu de temps à autre au manoir où l’on feignait de le traiter en ami, comme par le passé. La créance de trois cents livres courait toujours, ainsi que ses intérêts. D’autre part, la disette n’était pas terminée, et les Cressay n’avaient pas été sans s’apercevoir que le comptoir de Neauphle ne se trouvait pourvu de vivres que les jours, précisément, où Marie s’y rendait. Jean de Cressay, par un souci de dignité, demandait parfois à Guccio le compte de leurs dettes ; mais, une fois la note en main, il négligeait d’en acquitter la moindre partie. Et dame Eliabel laissait sa fille aller à Neauphle, une fois la semaine, mais la faisait maintenant accompagner de la servante et lui mesurait soigneusement le temps. Les entrevues des époux clandestins étaient donc rares. Mais la jeune servante se montrait sensible à la générosité de Guccio et, de plus, Ricardo, le premier commis, ne lui était pas indifférent ; elle rêvait d’une position bourgeoise et s’attardait volontiers parmi les coffres et les registres, écoutant l’agréable tintement de l’argent dans les balances, tandis que le premier étage de la banque abritait des amours pressées. 
  Ces minutes, dérobées à la surveillance de la famille Cressay et aux interdits du monde, avaient d’abord été comme des îlots de lumière pour cet étrange ménage qui ne comptait pas encore dix heures de vie commune. Guccio et Marie vivaient sur le souvenir de ces instants-là pendant une semaine entière ; l’émerveillement de leur nuit de noces ne s’était pas démenti. Aux dernières rencontres, toutefois, Guccio avait noté un changement dans l’attitude de sa jeune femme. Lui aussi, comme dame Eliabel, avait remarqué chez Marie l’anxiété du regard, la tristesse, et l’ombre neuve qui lui mangeait les joues. Il attribuait ces signes aux difficultés et aux menaces qui pesaient sur leur situation, fausse s’il en fût. Le bonheur dispensé à la petite mesure, et toujours enveloppé des haillons du mensonge, devient vite une torture. « Mais c’est elle-même qui s’oppose à ce que nous déchirions le silence ! se disait-il. Elle prétend que sa famille ne voudra jamais reconnaître notre union et me fera poursuivre. Et mon oncle est de même avis. Alors, que faire ? » 
  - De quoi vous inquiétez-vous, ma bien-aimée ? lui demanda-t-il le troisième jour de juin. Voici plusieurs fois que nous nous voyons et que vous paraissez moins heureuse. Que craignez-vous ? Vous savez bien que je suis là pour vous défendre de tout.  
  Devant la fenêtre s’épanouissait un cerisier en fleurs, tout bruissant d’oiseaux et de guêpes. Marie se retourna, les yeux humides. 
  - De ce qu’il m’advient, mon doux aimé, répondit-elle, vous-même ne pouvez point me défendre. 
  - Que vous arrive-t-il donc ? ŕ Rien que ce qui doit, par Dieu, me venir de vous, dit Marie en baissant la tête. 
  Il voulut s’assurer d’avoir bien compris. 
  _ Un enfant ? murmura-t-il. 
  - Je craignais de vous l’avouer. J’ai peur que vous m’en aimiez moins. 
  Il resta quelques secondes sans pouvoir prononcer un mot, parce qu’aucun ne lui venait aux lèvres. Puis, il lui prit le visage dans ses mains et la força de le regarder. Comme presque tous les êtres destinés aux folies de la passion, Marie avait un œil légèrement plus petit que l’autre ; cette différence, qui ne nuisait en rien à sa beauté, s’accentuait dans l’état de trouble où elle se trouvait et rendait son expression plus émouvante. 
  - Marie, n’en êtes-vous pas heureuse ? dit Guccio. 
  - Oh ! Certes je le serai, si vous l’êtes aussi. 
  - Mais Marie, c’est merveille ! s’écria-t-il. Voici qui nous comble, et nos épousailles vont devoir éclater au plein jour. Votre famille sera bien forcée de s’incliner, cette fois. Un enfant ! Un enfant ! 
  Et il la regardait de la tête aux pieds, tout ébloui. Il se sentait homme, il se sentait fort. Pour un peu, il se fût penché à la fenêtre et il eût crié la nouvelle à tout le bourg. Ce jeune homme, dans l’instant qu’une chose lui survenait, la voyait toujours sous la meilleure apparence. Il n’apercevait que le lendemain les ennuis qui pouvaient résulter de ses actes. Du rez-de-chaussée monta la voix de la servante, qui leur rappelait l’heure. 
  - Que vais-je faire ? Que vais-je faire ? dit Marie. Jamais je n’oserai l’annoncer à ma mère. 
  - Eh bien, c’est moi qui viendrai le lui dire. 
  - Attendez, attendez encore une semaine. 
  Il la précéda dans l’étroit escalier de bois, lui présentant les mains pour l’aider à descendre, marche par marche, comme si elle était devenue éminemment fragile et qu’il dût la soutenir à chacun de ses pas. 
  - Mais je ne suis point encore gênée, dit-elle. 
  Il sentit ce que sa propre attitude avait de comique et eut un grand rire heureux. Puis il la prit dans ses bras et ils échangèrent un si long baiser qu’elle en perdit le souffle. 
  - Il me faut partir, il me faut partir, dît-elle. 
  Mais la joie de Guccio était contagieuse, et Marie s’en alla rassurée. Elle avait repris confiance, simplement parce que Guccio partageait son secret. 
  - Vous verrez, vous verrez la belle vie que nous allons avoir ! lui dit-il en la reconduisant à la porte du jardin. 
  C’est un grand acte de sagesse à la fois et de pitié de la part du Créateur, que de nous avoir interdit la connaissance de l’avenir, alors qu’il nous a octroyé les délices du souvenir et les prestiges de l’espérance. À beaucoup de gens la découverte de ce qui les attend ôterait sans doute leur persévérance à vivre. Qu’auraient fait ces deux époux, ces deux amants, s’ils avaient su ce matin-là qu’ils ne se reverraient plus de leur existence entière ? Marie chanta tout au long du chemin de retour, entre les prés semés de boutons d’or et les arbres fleuris. Elle voulut s’arrêter au bord de la Mauldre pour y cueillir des iris. 
  - C’est pour orner notre chapelle, dit-elle. 
  - Madame, hâtez-vous, lui répondit la servante, vous aurez des remontrances. 
  Marie rentra au manoir, monta droit dans sa chambre et, arrivée là, sentit le sol lui fuir sous les pieds. Dame Eliabel se tenait au milieu de la pièce et mesurait un surcot décousu au niveau de la taille. Marie vit toute sa garde-robe, peu fournie et dont elle avait élargi chaque pièce de la même manière, étalée sur le lit. 
  _ D’où viens-tu pour être si tardive ? demanda dame Eliabel froidement. 
  Marie ne dit pas un mot, et laissa choir les iris qu’elle avait encore à la main. 
  - Je n’ai pas besoin que tu parles pour le savoir, reprit dame Eliabel. Déshabille-toi.  
  - Ma mère !… fit Marie d’une voix étranglée. 
  - Dévêts-toi, je te le commande. 
  - Jamais, répliqua Marie. 
  Une gifle sonore répondit à son refus. 
  - Et maintenant, vas-tu te soumettre ? Vas-tu avouer ton péché ? 
  - Je n’ai point péché ! répondit Marie avec violence. 
  - Et ce nouvel embonpoint ? Où l’as-tu pris ? cria dame Eliabel en montrant les vêtements. 
  Sa colère croissait d’avoir en face d’elle, non plus une enfant docile à la volonté maternelle, mais soudainement une femme qui lui tenait tête. 
  - Eh bien, oui, je vais être mère ; eh bien, oui, c’est Guccio ! disait Marie, et je n’ai pas à en rougir, car je n’ai point péché. Guccio est mon époux. 
  Dame Eliabel n’accorda aucune foi au récit du mariage de minuit. L’eût-elle admis pour véridique que cela, d’ailleurs, n’eût rien changé. Marie avait agi contre la volonté familiale, contre l’autorité paternelle exercée, au nom du père mort, par la mère et le fils aîné. Une fille n’avait pas le droit de disposer de soi. Et puis, ce moine italien pouvait aussi bien être un faux moine. Non, décidément, dame Eliabel ne croyait pas à la mauvaise fable de ce prétendu mariage. 
  - À ma mort, vous entendez, ma mère, à ma mort je ne confesserai rien d’autre ! répétait Marie. 
  La tempête dura une grande heure ; enfin dame Eliabel enferma sa fille à double tour. 
  - Au couvent ! C’est au couvent des filles repenties que tu vas aller, lui lança-t-elle à travers la porte. 
  Et Marie s’écroula en sanglots parmi ses robes éparses. Dame Eliabel dut attendre jusqu’au soir, pour mettre ses fils au courant, qu’ils fussent rentrés des champs. Le conseil de famille fut bref. La colère saisit les deux garçons, et Pierre, le cadet, se sentant presque fautif d’avoir jusque-là soutenu Guccio, se montra le plus exalté et le plus porté aux solutions de vengeance. On avait déshonoré leur sœur, on les avait abominablement trahis sous leur propre toit ! Un Lombard ! Un usurier ! Ils allaient le clouer par le ventre à la porte de son comptoir. Ils s’armèrent de leurs épieux de chasse, ressanglèrent leurs chevaux et coururent à Neauphle. Or, ce soir-là, Guccio, trop agité pour trouver le sommeil, marchait à travers le jardin. La nuit était constellée d’étoiles, imprégnée de parfums ; le printemps d’Ile-de-France à son apogée chargeait l’air d’une fraîche saveur de sève et de rosée. 
  Dans le silence de la campagne, Guccio entendait avec plaisir ses semelles crisser… un pas fort, un pas faible… sur les graviers, et sa poitrine n’était pas assez large pour contenir sa joie. « Et dire qu’il y a six mois, pensait-il, je gisais sur ce mauvais lit d’hôtel-Dieu… Comme vivre est bon ! » Il rêvait. Alors que son destin était déjà joué, il rêvait à son bonheur futur. Il voyait déjà croître autour de lui une progéniture nombreuse, née d’un merveilleux amour, et qui mêlerait dans ses veines le libre sang siennois au noble sang de France. Il allait être le grand Baglioni, chef d’une puissante dynastie. Il songeait à franciser son nom, à devenir Balion de Neauphle ; le roi lui conférerait bien une seigneurie, et le fils que portait Marie, car il n’était pas douteux que ce fût un garçon, serait un jour armé chevalier. 
  Il ne sortit de ses songes qu’en entendant une galopade crépiter sur les pavés de Neauphle, et puis s’arrêter devant le comptoir ; le heurtoir de la porte résonna avec violence. 
  - Où est-il ce coquin, ce pendard, ce Juif ? cria une voix que Guccio reconnut aussitôt pour celle de Pierre de Cressay. 
  Et comme on n’ouvrait pas assez vite, des manches d’épieux se mirent à cogner sur le battant de chêne. Guccio porta la main à sa ceinture. Il n’avait pas sa dague sur lui. Le pas de Ricardo, pesant, descendait l’escalier. 
  _ Voilà, voilà ! J’arrive ! disait le premier commis d’une voix d’homme mécontent d’être tiré de son sommeil. 
  Puis il y eut un bruit de verrous tirés, de barres qu’on glissait et, aussitôt après, les éclats d’une discussion furieuse dont Guccio ne saisit que des bribes. 
  - Où est ton maître ? Nous voulons le voir sur-le-champ !
   Guccio ne percevait pas les réponses de Ricardo, mais la voix des frères Cressay reprenait, plus forte : 
  - Il a déshonoré notre sœur, ce chien, cet usurier ! Nous ne partirons point que nous n’ayons sa peau ! 
  La discussion se termina par un grand cri. Ricardo venait certainement d’être frappé. 
  - Fais-nous de la lumière, ordonnait Jean de Cressay. 
  Et Guccio saisit encore la voix de Pierre qui lançait à travers la maison : 
  - Guccio ! Où te caches-tu ? Tu n’as donc de courage que devant les filles ? Ose donc apparaître, lâche puant ! 
  Des volets s’étaient entrouverts aux fenêtres de la place. Les villageois écoutaient, chuchotaient, ricanaient, mais nul d’entre eux ne se montra. Un scandale est toujours divertissant ; et le tour joué à leurs petits seigneurs, à ces deux garçons qui les traitaient de si haut et les requéraient sans cesse pour des corvées, leur procurait un certain plaisir. À choisir, ils préféraient le Lombard, sans aller toutefois jusqu’à risquer la bastonnade pour lui.          
  Guccio ne manquait pas de bravoure ; mais il lui restait un grain de cervelle. Il eût tiré peu de profit, n’ayant pas même un stylet au côté, d’affronter deux furieux en armes. Tandis que les frères Cressay fouillaient la maison, et passaient leur colère sur les meubles, Guccio courut à l’écurie. La nuit lui porta encore la voix de Ricardo qui gémissait : 
  - Mes livres ! Mes livres ! 
  Guccio pensa : « Tant pis ; ils ne parviendront pas à faire sauter les coffres. » La lune donnait assez de clarté pour lui permettre de passer en hâte une bride à son cheval ; il le sella à l’aveuglette, empoigna la crinière pour s’aider à monter, et s’échappa par la porte du jardin. 
  Ce fut ainsi qu’il quitta sa banque. Les frères Cressay, entendant son galop, se précipitèrent aux fenêtres de la maison. 
  - Il fuit, le couard, il fuit ! Il prend le chemin de Paris. Holà ! Manants, sus à lui ; qu’on lui coupe la route ! 
  Personne, évidemment, ne bougea. Les deux frères alors surgirent du comptoir et se lancèrent à la poursuite de Guccio. Mais la monture du jeune Lombard, un coursier de belle race, sortait fraîche de sa stalle. Les chevaux des Cressay étaient de pauvres bidets de campagne, qui avaient déjà fait leur journée. Vers Rennemoulins, l’un d’eux se mit à boiter si bas qu’il fallut l’abandonner ; et les deux frères durent monter sur le même cheval qui, de surcroît, étant cornard, produisait avec les naseaux un bruit de râpe à bois. Si bien que Guccio eut le temps de gagner une large avance. 
  Il arriva rue des Lombards à l’aurore, et sortit son oncle du lit. 
   - Le moine ? Où est le moine ? lui demanda-t-il. 
  - Quel moine, mon garçon, que t’arrive-t-il ? Tu veux entrer dans les ordres, maintenant ? 
  - Mais non, oncle Spinello, ne vous moquez point. Il me faut retrouver le moine qui a prononcé mon mariage. On me poursuit et je suis en péril de la vie !  
  Il conta d’une traite son histoire ; il lui était indispensable d’obtenir le témoignage du moine. Spinello Tolomei l’écoutait, un œil ouvert, l’autre fermé. Il bâilla à deux reprises, ce qui irrita Guccio. 
  - Ne t’agite pas tant. Le moine est mort, dit enfin Tolomei. 
  - Mort ?… fit Guccio. 
  - Eh oui ! La sottise de te marier t’aura au moins évité la sottise de mourir ; car si tu étais allé, comme Monseigneur Robert le voulait, porter son message aux alliés d’Artois, tu n’aurais sans doute plus à t’inquiéter pour les petits-neveux que tu me donnes sans que je t’y aie encouragé. Fra Vicenzo a été occis du côté de Saint-Pol par les gens de Thierry d’Hirson. Il avait sur lui cent livres à moi. Ah ! Monseigneur Robert me coûte cher ! 
  Tolomei sonna son valet pour qu’il lui apportât un bassin d’eau tiède et ses vêtements. 
  - Mais comment vais-je faire, oncle Spinello ? Comment prouver que je suis vraiment l’époux de Marie ? 
  - Ce n’est pas là le plus important, dit Tolomei. Quand bien même ton nom et celui de ta donzelle seraient proprement écrits sur un registre, cela ne changerait rien. Tu n’en aurais pas moins épousé une fille noble sans le consentement des siens. Les gaillards qui te poursuivent peuvent bien te tirer le sang du corps, ils n’ont rien à risquer. Ils sont nobles, et ces gens-là peuvent massacrer impunément. Ils auront au plus à payer l’amende due pour la vie d’un Lombard, et qui n’est pas très élevée. Il est possible même qu’on les complimente. 
  - Eh bien ! Je me suis mis dans de beaux linceuls. 
  - Tu peux le dire, fit Tolomei en plongeant son visage dans l’eau. 
  Il s’ébroua une minute, se sécha avec une toile. 
  - Allons, ce n’est pas encore aujourd’hui que j’aurai le temps de me faire raser. Ah ! J’ai été aussi sot que toi… 
  Il était visiblement soucieux. 
  - Ce qu’il faut d’abord, c’est te mettre à couvert, reprit-il. Tu ne peux te cacher chez aucun Lombard. Si tes poursuivants ont ameuté un village, ils vont aussi bien requérir le prévôt de Paris, et ne te trouvant pas ici, envoyer le guet fouiller chez tous les nôtres. Je vais avoir bon visage, devant les autres compagnies… Laisse-moi penser… Ah si ! Il y a ton ami Boccace, le voyageur des Bardi. 
  - Mais mon oncle, il est Lombard autant que nous, et en outre, il est hors de France pour le moment. 
  - Oui, mais il plaît à une dame qui est bourgeoise de Paris et dont il a eu un enfant sans mariage. Elle est gentille personne, je le sais ; et elle, au moins, elle comprendra ton affaire. Tu vas aller lui demander gîte… Et puis, moi, je me charge de recevoir tes mignons beaux-frères quand ils se présenteront… à moins qu’ils ne se chargent de moi et que ce soir tu n’aies plus d’oncle. 
  - Oh ! non, vous, vous ne craignez rien. Ils sont violents, mais nobles. Ils auront le respect de votre âge. 
  - La belle armure que d’avoir les jambes faibles ! 
  - Peut-être même qu’ils se seront lassés en route et qu’ils ne viendront pas. 
  Tolomei émergea de la robe qu’il venait de passer par-dessus sa chemise de jour. 
  - Cela m’étonnerait fort, répondit-il. En tout cas, ils vont déposer plainte et nous faire procès… Il me faut alerter quelque personne haut placée qui arrête l’affaire avant qu’elle fasse trop grand scandale… Je puis m’adresser à Monseigneur de Valois ; mais il promet, promet, et ne tient jamais. Monseigneur Robert ? Autant prendre les hérauts de ville et leur faire annoncer la nouvelle par trompettes. 
  - La reine Clémence… dit Guccio. Elle m’aimait fort pendant le voyage… 
  - Je t’ai déjà répondu l’autre fois. La reine va s’adresser au roi, qui s’adressera au chancelier… qui va mettre tout le Parlement sur les dents. La belle cause que nous allons soutenir. 
  - Et pourquoi pas Bouville ? 
  - Ah ! Voilà une bonne idée, s’écria Tolomei, la première que tu aies eue depuis des mois. Oui, Bouville ne brille pas par l’esprit, mais il a gardé du crédit d’avoir été le chambellan du roi Philippe. Il n’est pas compromis dans les intrigues et fait figure d’honnête homme… 
  - Et puis, il m’aime fort, dit Guccio. 
  - Oui, nous savons ! Décidément, tout le monde t’aime. Ah ! qu’un peu moins d’amour nous servirait bien ! Allez, va te cacher chez cette dame de ton ami Boccace et… de grâce ! qu’elle n’aille pas se mettre à t’aimer, elle aussi ! Moi, je vais courir à Vincennes pour parler à Bouville. Tu vois ; Bouville est probablement le seul homme qui ne me doive rien, et c’est justement à lui qu’il me faut demander quelque chose.
Demain 3ème partie le deuil était à Vincennes



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