mercredi 3 mai 2017

Souvenirs d'Afrique - 3



Travailler dans un supermarché est bon poste d'observation. Surtout dans une micro société d'à peine quelques centaines d'expatriés. C'est une sorte de salon où on se rencontre et où on cause. On apprend très vite à reconnaître les ''têtes'', à savoir qui est qui. ''Elle, c'est la femme de l'ambassadeur de France. Très classe et très simple. Tu verras la réception du 14 juillet à la Résidence; ça vaut le coup. Son mari est incontournable ici. Rien d'important ne se fait sans lui. La blonde superbe là c'est la femme de X...le numéro deux d'Elf Gabon. Elle a 25 ans de moins que lui. C'est une ogresse. Elle adore la chair fraîche. Mais faut assumer paraît-il! Lui, c'est le concessionnaire de Renault Gabon. Gaffe! C'est un pédé. Mais je te rassure (clin d' oeil graveleux) t'es un peu vieux pour lui. Le joli petit lot là c'est la fille du directeur de l'Union Gabonaise de Banque; 18 ans et très chaude! Je te la présenterai dimanche à la pointe Denis.'' ''??'' C'est la plage de Libreville''




 et ainsi de suite Pierre continuait les présentations; Le patron du ''Komo'' la boîte de nuit incontournable le samedi soir. Le grand noir c'est le directeur des douanes. TRES important. Faut le soigner. On passe une partie de nos journées à l'aéroport à réceptionner les vivres frais ou sur le port à décharger des containeurs de cam. Pour lui y a jamais de rupture de stock d'huile, de beurre ou de lait...Lui c'est le forestier. Il vient tous les 15 jours avec son avion faire le ravitaillement. Et puis il y a tous les autres dont on fait connaissance au jour le jour :'' Dites moi Renaud, Il n'y a plus de couches bébé anti fuites! Paatrron, Y a pus de suc'e en poud'e? Renaud! Quand vous passerez votre commande de disque vous pouvez me commander le dernier ''Il était une fois'' ; Monsieur Renaud, on vient de prendre madame à la caisse. Elle avait dix boîtes de lait concentré sucré dans son boubou!!...

Un supermarché c'est aussi un bon poste d'exposition. On y est vite repéré, d'autant plus qu'on savait que vous deviez arriver et qu'on adore les nouvelles têtes. ''Ainsi c'est vous qui allez vous occuper du ''bazar''. Hahahaha!!'' ''Bonjour je suis une amie de Jean Pierre et M.J. Ils ont adorables non? Il faut que vous veniez diner avec eux un soir.''
''Bonjour Monsieur! Je suis madame C...Je suis la femme du délégué général de la Scoa pour l'Afrique Equatoriale.''
Dans la hiérarchie de ma société y a pas mieux. Elle est grande, brune, un impeccable chignon noir avec quelques cheveux gris qu’elle doit conserver volontairement! Elle a raison. Cela accentue un peu son côté ''maîtresse sévère''. On devine qu'elle a l'habitude de donner des ordres et qu'elle doit savoir se faire obéir. J'espère que cela ne dépasse pas le cadre de sa maisonnée et de sa domesticité.
''Je crois que vous rencontrez mon mari en fin d'après midi. Très bien! Mais cela n'est pas mon objet. Je me fais un devoir et un plaisir de recevoir les nouveaux arrivants de notre société. Je serais ravie de vous avoir à diner, disons...samedi prochain? Je fais une petite soirée bridge autour d'un buffet dans les jardins de la concession. Entre nous! Cinq tables simplement. Mais il y aura tous ceux que vous devez connaître à Libreville. Vous jouez au bridge bien entendu?''
Elle avait dû lire mon dossier et penser qu'un beau nom bien ronflant devait impliquer une bonne éducation (ce qui était le cas) incluant une bonne pratique du bridge (ce qui n'était pas le cas).
''J'ai un peu joué au bridge quand j'étais étudiant! Mais mon niveau reste très moyen.''
''Ne soyez pas modeste. Vous serez mon partenaire. Vous verrez nous nous en sortirons très bien.''
Des gouttes de transpiration glacées par la climatisation glissent sur mon dos. Je savais que cette soirée n'aurait que peu de rapport avec l'arrière salle enfumée du café où je tapais le carton avec mes copains de fac à Nice. J'étais loin du compte.
'' Bon c'est dit; il faut que j'y aille. J'espère que votre installation se passe bien. S'il vous manque quoique ce soit...Au revoir à samedi.''
''Mes hommages madame''. Je réserve le baise main pour la soirée. Je décide de forcer sur l'éducation pour essayer de compenser le bridge.


Et Pierre: ''Ca y est? Tu t'es fait alpaguer par la mère C...On est tous passés par là; mais nous on n'a pas dit qu'on jouait au bridge. C'est juste un moment à passer mais tu boufferas bien. Et elle te foutra la paix après. Et rassure toi son mari est très agréable. Bon passons à autre chose. Demain matin tu vas au port surveiller le déchargement de 2 containeurs. Le dédouanement est fait, il faut juste surveiller le transbordement sur les camions.''
C'était ma première action professionnelle. Je m'en souviens encore.

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