mardi 18 août 2015

L'homme de ma vie - 4



Dimanche 27 avril
Sous l’équateur, aube et crépuscule sont courts. Le matin on passe, en à peine plus d’une demi-heure, de la nuit noire au grand jour ; et le soir la nuit tombe avec la même rapidité. Le soleil se levait derrière Kinshasa, sur le fleuve et la forêt. L’horizon était en feu. On aurait dit un matin de création du monde. A 6h30 j’arrivais à notre lieu de rendez-vous habituel dans les faubourgs de Brazza. Il était déjà là. Il m’attendait, seul, debout sous un flamboyant. Je me suis approché de lui et je l’ai pris dans mes bras. Il était vêtu d’un jean, d’une chemisette et d’une paire de tennis. Il tenait à la main un petit sac en plastique.
‘’Tu as quoi dans ce sac ?’’
‘’Deux paquets de cigarettes, mon slip de bain et une serviette.’’
Je me suis reculé un peu et je l’ai regardé. J’étais bouleversé. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi démuni. D’aussi ‘’nu’’. Ni d’aussi déterminé. Je me suis soudain rendu compte que s’il montait dans ma voiture dans une minute, il n’aurait plus rien à lui que ses fringues et son petit sac. Et un avenir incertain. Je l’ai regardé dans les yeux :
‘’Tu es sûr de vouloir le faire ?’’
‘’Oui ! Toi aussi ?’’
‘’…Monte dans la voiture.’’
Il a ouvert la porte arrière et s’est recroquevillé sur la banquette. Sa vie avait basculé. La mienne, dans une bien moindre mesure, aussi. Nous nous connaissions depuis à peine plus d’un mois.
Arrivés à l’endroit convenu, Christian, son cousin et la pirogue nous attendaient. Ils n’étaient pas seuls. Il y avait un européen, style routard baba-cool. Je regarde Detlef.
’’ C’est Yves, je t’ai parlé de lui. Il va venir avec nous. Il veut ramasser un peu de cannabis.’’
Il n’a pas l’air trop fier de lui, mais je suis désarmé par son sourire et ce n’est ni l’heure ni le lieu pour notre première engueulade. (Je m’habituerai peu à peu à ses ‘’surprises’’, à ses voltefaces, ses contre-pieds, ses improvisations…Ce côté imprévu, imprévisible faisait partie de son charme). Je me tournai du côté de Christian. Pas de réaction. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.
‘’ Renaud, je te présente mon cousin, Thomas d’Aquin et un copain à lui !’’
Malgré la tension je n’ai pas pu réprimer un petit sourire. (Ah les hasards des naissances et du calendrier ! A Port Gentil j’avais déjà un Jean de Dieu qui travaillait avec moi). Leurs yeux brillants et injectés de sang étaient probablement le résultat d’un manque de sommeil et de l’usage conjoint du cannabis et la bière locale, la Primus. Et d’une équipée discrète à trois nous nous retrouvions à cinq dont certains n’avaient pas le même souci de discrétion que moi. Mais à cheval donné… et on ne pouvait plus faire marche arrière !
Il était près de 8h et le soleil était déjà haut. Je voulais partir au plus vite ! Je ne voulais pas risquer que l’on voit Detlef. Le plein était fait. Nous nous sommes installés dans la pirogue.
‘’Toi patron, ici, ton ami en face de toi et l’autre devant assis au milieu’’.
La pirogue stabilisée s’est mise à remonter doucement le courant.
‘’On arrivera quand sur les îles ?’’
‘’Vers 11h environ. Dans une heure on va arriver dans un village pour les feuilles. On reste pas longtemps et on repart.’’
‘’D’accord !’’ Le moyen de dire autre chose !
Une heure après nous arrivons en effet dans un village de quelques cases pas très loin du fleuve ! Quatre, cinq pirogues sont tirées sur le sable d’une petite plage. Mon passeur ne semble pas être un inconnu ici. Notre présence, Detlef, son ami et moi, suscite plus de curiosité. Une palabre en lingala s’engage. Detlef parle assez bien le swahili, étudié à l’université de Liepzig (mystère des règles de numerus clausus dans l’Europe de l’est de l’époque) mais ne comprend rien à ce dialecte. Thomas d’Aquin me prend le bras et m’attire un peu de côté.
’’Tu peux me donner un peu d’argent. C’est pour les feuilles. Tu déduiras ce soir.’’
Je lui glisse quelques billets, qu’il donne aussitôt à un grand gaillard. Et tout le monde s’en va dans les champs pour la cueillette. Je préfère rester près de la pirogue qui me semble la chose la plus importante dans cet environnement un peu ‘’fumeux’’. J’ai soif. Dans mon grand ’’professionnalisme’’ je n’ai rien apporté ! Je demande à boire mais je refuse poliment l’eau de la calebasse et je me contente d’une petite bouteille d’une boisson gazeuse chaude et sucrée.
Le temps passe. La petite troupe ne revient que plus d’une heure après ! Il est presque 11h. J’essaye de hâter le mouvement. On remonte dans la pirogue. Thomas d’A. tire sur le démarreur. Rien ! Une fois, deux fois, trois fois. Rien. Une sueur glacée me tombe sur les épaules. La quinzaine de paisibles cultivateurs de cannabis réunis sur la plage se transforme aussitôt en mécaniciens et garagistes. Ca parle, ça crie, chacun donne son avis. Des outils sortent de partout. On visse, on dévisse, on souffle dans des pièces, on nettoie à l’essence, on huile, on va chercher une pièce sur un vieux solex abandonné ici on ne sait comment. Je suis effondré. Detlef lui-même commence à s’inquiéter. Yves lui, tire sur son joint. Je le jetterais bien aux crocodiles dans le fleuve. A midi bien sonné, on remet la pirogue à l’eau et St Thomas d’Aquin fait un miracle. Le moteur se met à crachoter. Je hurle :
‘’Touchez plus à rien !!’’
La pirogue se remet à remonter doucement le fleuve. Je n’ai plus qu’une angoisse. Une nouvelle panne et ne jamais rejoindre ces îles ou même y arriver trop tard après le départ des pique-niqueurs du dimanche ! Detlef est aussi tendu et silencieux que moi ! J’aimerais me rapprocher de lui et le prendre dans mes bras, le rassurer…
Finalement nous arrivons à ces putains d’îles. Nous nous approchons d’une grande plage de sable blanc où sont ancrés quelques bateaux ! Des vrais, des hors bords, avec des gros moteurs…Ca et là cinq six groupes de personnes sous leurs parasols.
Je demande aux autres de rester près de la pirogue et je m’avance sur la plage, Detlef à côté de moi. Les gens nous regardent. C’est quoi ces trois blancs et ces deux africains sur cette méchante pirogue ? Nous nous approchons du groupe le plus proche de nous et je me lance ! Je me présente et je raconte ma petite histoire. Mon ami…est allemand…réfugié…a quitté l’ambassade…pas de papier…veut rejoindre l’ambassade de Rfa à Kinshasa. Pouvez-vous nous aider ? J’ai la bouche sèche et je ne suis pas sûr d’avoir été un bon avocat. C’est la surprise et le doute que je vois sur les visages de ces gens.
‘’ Il est en fuite ? Il a des problèmes avec la police ? C’est une histoire de drogue ?’’
C’est alors Detlef qui va s’expliquer. Un couple d’anglais ne parle pas français. Detlef va continuer dans leur langue. Dix minutes de questions réponses. Et l’anglais nous dit :
‘’C’est bon, j’ai compris. Nous connaissons bien l’attaché culturel à l’ambassade de Rfa (ah je savais que c’était la bonne personne à contacter…). Laissez-nous votre ami, on va s’en occuper.’’ Je devine que sa décision ne fait pas l’unanimité chez ses amis ! Et s’adressant à Detlef : ‘’Ayez confiance. Ce soir vous coucherez à l’ambassade.’’
Et à moi :
‘’ Où peut-on vous donner des nouvelles ?’’
Je donne mon nom et celui du magasin où je travaille.
‘’Je pense qu’ils vous préviendront par le biais de l’ambassade de Rfa à Brazza.’’
J’échange un regard avec Detlef. Son visage est figé. Je me demande s’ils se rendent compte que mes genoux tremblent. Un belge me dit :
‘’ Vous devriez partir maintenant. Il faut arriver à Brazza avant la nuit.’’
Je les ai tous remerciés un à un. Puis j’ai serré la main de Detlef en lui donnant une petite tape qui ressemblait à une caresse sur l’épaule à la base du cou.
'' Fais attention à toi. Donne vite de tes nouvelles''
'' Ne crais rien. J'ai confiance. Tout va aller bien.''
Je ne l'ai même pas embrassé.
Je suis remonté dans la pirogue. Je me suis retourné pour échanger un geste de la main avec lui. Puis une fois encore une minute après. Il était assis sur le sable et discutait avec les anglais.

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