Le
ciel bas et lourd pesait sur Brazzaville. L'air avait une couleur.
Une couleur de nuit en plein jour, violet sombre presque
noir. On voyait à peine Kinshasa de l'autre coté du Congo à près
d'un kilomètre de là. Le fleuve charriait, renversé, le reflet
noir des nuages. De temps en temps un flash blanc les éclairait de
l'intérieur comme en ombre chinoise. Ils prenaient alors une
profondeur inquiétante comme si ils avaient recouvert la terre
entière. Un léger grondement annonçait l'approche d' un beau ''son
et lumière'' équatorial.
C'était
un samedi après midi de mars 1975. Je traînais dans les allées du
supermarché de Brazza. J'y occupais la responsabilité de chef de
rayon ''Bazar''. Quel programme!
Ca
va péter, me dit Christian.
Christian
était un congolais d'une trentaine d'années, mon second, qui était
destiné, à terme, à occuper mon poste dans le cadre de la
''congolisation'' des cadres.
Et
ça a brusquement pété. Une lumière blanche, métallique et dans
le même moment un fracas brutal, sec, propre, net, sans bavure. J'ai
sursauté, je me suis retourné. Un deuxième éclair de feu celui-là
et silencieux pour tout autre que moi m'a frappé. Je venais de
tomber nez à nez, les yeux dans les yeux, sur lui. A un mètre de
moi. Et l'orage a éclaté!
Il
semblait aussi pétrifié que moi. Et ce fut soudain comme une
évidence, tout fut dit dans ce regard, en un instant. Tout ce que je
croyais enfoui au fond de moi, tout ce que je ne voulais pas montrer,
tout ce que je voulais taire avait volé en éclats. En un millième
de seconde il avait tout vu, tout compris. Et il savait que je le
savais. Et je savais qu'il savait que je le savais. J'essayais un
sourire douloureux, muscles tétanisés. Les jambes molles, je fis un
pas à gauche pour le laisser passer, il fit un pas à droite. Je fis
un pas à droite, il fit le même à gauche. Il sourit.
''Excusez-moi, allez-y.'' Il avait un léger accent. Ce fut comme si
le monde recommençait à tourner. Les gens se remirent à marcher.
Il me dépassa pour poursuivre ses achats, son panier à la main. Dix
secondes après, je me retournais. Je le vis se retourner aussi, un
sourire dans l’œil et sous sa petite moustache. Je restais là les
bras ballants. Christian ne s'était aperçu de rien. Ça n'avait pas
duré 10 secondes. La pluie tombait à torrent et faisait un vacarme
infernal sur le toit du supermarché. Mais on savait que cela ne
durerait pas très longtemps.
Je
voulais essayer de le suivre dans le magasin. C'est ce que j'aurais
fait quelques années plus tard. Mais là...Je préférais
m'approcher des caisses. Il allait bien finir par passer par là.
Quinze minutes après il était là. Je me reculais un peu derrière
une gondole. Je ne voulais pas qu'il me remarque le regardant. Il
devait mesurer 1,75 mètre environ. Plus fin que réellement mince.
Des cheveux châtains foncés avec des pattes fournies sur les
oreilles, des yeux, que je saurai être verts un peu plus tard,
frangés de longs cils sous d'épais sourcils, une moustache qui ne
couvrait pas la lèvre supérieure. Quand il avait souri j'avais
remarqué que son sourire remontait haut sur des dents très blanches
et assez grandes. Il avait un nez très fin, curieusement terminé
par une petite boule. Le tout dans un visage ovale ombré d'une barbe
de 2 ou 3 jours. Bref, il était magnifique puisqu'il m'avait ébloui.
Il était vêtu d'un vilain pantalon de toile et d'une chemisette
passe partout.
Une
fois ses achats payés il se dirigea vers la sortie. Il se retourna
pour me chercher du regard. Je fis un pas en avant. Il me vit, sourit
et partit en courant sous la pluie, la tête rentrée dans les
épaules vers une voiture qui l'attendait. Et tout d'un coup je me
suis senti seul comme un con.
Je
savais qu'il venait de se passer quelque chose et je ne savais pas
quoi faire. Pour la première fois j'étais touché au cœur et au
ventre. Je connaissais mes goûts, mes affinités, mes inclinations.
Mais je n'avais réglé mes problèmes ni avec le mot, ni avec la
chose. La chose? J'avais eu quelques expériences en France. La
dernière remontait à deux mois lors de mes derniers congés passés
à Paris. Mais rien de bien satisfaisant!! Quant au mot? C'était
l'innommable. Il l'était dans mon monde protégé et privilégié de
Paris, il l'était encore plus dans ce microcosme de 300 à 400
expatriés où tout se savait, tout se disait; Mais là, il venait de
se passer quelque chose de différent. Je n'étais déjà plus
indemne. Je dormis mal cette nuit. Je me retournais dans mon lit. Je
réfléchissais, incapable d'aligner deux pensées cohérentes. Je me
levais le lendemain, épuisé et pas plus avancé.
A suivre...
What an enchanting story! Can't wait to hear more!
RépondreSupprimerthank you for your impatience ... Friday
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