Dimanche
27 avril
Sous
l’équateur, aube et crépuscule sont courts. Le matin on passe, en
à peine plus d’une demi-heure, de la nuit noire au grand jour ; et
le soir la nuit tombe avec la même rapidité. Le soleil se levait
derrière Kinshasa, sur le fleuve et la forêt. L’horizon était en
feu. On aurait dit un matin de création du monde. A 6h30 j’arrivais
à notre lieu de rendez-vous habituel dans les faubourgs de Brazza.
Il était déjà là. Il m’attendait, seul, debout sous un
flamboyant. Je me suis approché de lui et je l’ai pris dans mes
bras. Il était vêtu d’un jean, d’une chemisette et d’une
paire de tennis. Il tenait à la main un petit sac en plastique.
‘’Tu
as quoi dans ce sac ?’’
‘’Deux
paquets de cigarettes, mon slip de bain et une serviette.’’
Je
me suis reculé un peu et je l’ai regardé. J’étais bouleversé.
Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi démuni. D’aussi
‘’nu’’. Ni d’aussi déterminé. Je me suis soudain rendu
compte que s’il montait dans ma voiture dans une minute, il
n’aurait plus rien à lui que ses fringues et son petit sac. Et un
avenir incertain. Je l’ai regardé dans les yeux :
‘’Tu
es sûr de vouloir le faire ?’’
‘’Oui
! Toi aussi ?’’
‘’…Monte
dans la voiture.’’
Il
a ouvert la porte arrière et s’est recroquevillé sur la
banquette. Sa vie avait basculé. La mienne, dans une bien moindre
mesure, aussi. Nous nous connaissions depuis à peine plus d’un
mois.
Arrivés
à l’endroit convenu, Christian, son cousin et la pirogue nous
attendaient. Ils n’étaient pas seuls. Il y avait un européen,
style routard baba-cool. Je regarde Detlef.
’’ C’est
Yves, je t’ai parlé de lui. Il va venir avec nous. Il veut
ramasser un peu de cannabis.’’
Il
n’a pas l’air trop fier de lui, mais je suis désarmé par son
sourire et ce n’est ni l’heure ni le lieu pour notre première
engueulade. (Je m’habituerai peu à peu à ses ‘’surprises’’,
à ses voltefaces, ses contre-pieds, ses improvisations…Ce côté
imprévu, imprévisible faisait partie de son charme). Je me tournai
du côté de Christian. Pas de réaction. Tout allait donc pour le
mieux dans le meilleur des mondes.
‘’ Renaud,
je te présente mon cousin, Thomas d’Aquin et un copain à lui !’’
Malgré
la tension je n’ai pas pu réprimer un petit sourire. (Ah les
hasards des naissances et du calendrier ! A Port Gentil j’avais
déjà un Jean de Dieu qui travaillait avec moi). Leurs yeux
brillants et injectés de sang étaient probablement le résultat
d’un manque de sommeil et de l’usage conjoint du cannabis et la
bière locale, la Primus. Et d’une équipée discrète à trois
nous nous retrouvions à cinq dont certains n’avaient pas le même
souci de discrétion que moi. Mais à cheval donné… et on ne
pouvait plus faire marche arrière !
Il
était près de 8h et le soleil était déjà haut. Je voulais partir
au plus vite ! Je ne voulais pas risquer que l’on voit Detlef. Le
plein était fait. Nous nous sommes installés dans la pirogue.
‘’Toi
patron, ici, ton ami en face de toi et l’autre devant assis au
milieu’’.
La
pirogue stabilisée s’est mise à remonter doucement le courant.
‘’On
arrivera quand sur les îles ?’’
‘’Vers
11h environ. Dans une heure on va arriver dans un village pour les
feuilles. On reste pas longtemps et on repart.’’
‘’D’accord
!’’ Le moyen de dire autre chose !
Une
heure après nous arrivons en effet dans un village de quelques cases
pas très loin du fleuve ! Quatre, cinq pirogues sont tirées sur le
sable d’une petite plage. Mon passeur ne semble pas être un
inconnu ici. Notre présence, Detlef, son ami et moi, suscite plus de
curiosité. Une palabre en lingala s’engage. Detlef parle assez
bien le swahili, étudié à l’université de Liepzig (mystère des
règles de numerus clausus dans l’Europe de l’est de l’époque)
mais ne comprend rien à ce dialecte. Thomas d’Aquin me prend le
bras et m’attire un peu de côté.
’’Tu
peux me donner un peu d’argent. C’est pour les feuilles. Tu
déduiras ce soir.’’
Je
lui glisse quelques billets, qu’il donne aussitôt à un grand
gaillard. Et tout le monde s’en va dans les champs pour la
cueillette. Je préfère rester près de la pirogue qui me
semble la chose la plus importante dans cet environnement un peu
‘’fumeux’’. J’ai soif. Dans mon grand ’’professionnalisme’’
je n’ai rien apporté ! Je demande à boire mais je refuse poliment
l’eau de la calebasse et je me contente d’une petite bouteille
d’une boisson gazeuse chaude et sucrée.
Le
temps passe. La petite troupe ne revient que plus d’une heure après
! Il est presque 11h. J’essaye de hâter le mouvement. On remonte
dans la pirogue. Thomas d’A. tire sur le démarreur. Rien ! Une
fois, deux fois, trois fois. Rien. Une sueur glacée me tombe sur les
épaules. La quinzaine de paisibles cultivateurs de cannabis réunis
sur la plage se transforme aussitôt en mécaniciens et garagistes.
Ca parle, ça crie, chacun donne son avis. Des outils sortent de
partout. On visse, on dévisse, on souffle dans des pièces, on
nettoie à l’essence, on huile, on va chercher une pièce sur un
vieux solex abandonné ici on ne sait comment. Je suis effondré.
Detlef lui-même commence à s’inquiéter. Yves lui, tire sur son
joint. Je le jetterais bien aux crocodiles dans le fleuve. A midi
bien sonné, on remet la pirogue à l’eau et St Thomas d’Aquin
fait un miracle. Le moteur se met à crachoter. Je hurle :
‘’Touchez
plus à rien !!’’
La
pirogue se remet à remonter doucement le fleuve. Je n’ai plus
qu’une angoisse. Une nouvelle panne et ne jamais rejoindre ces îles
ou même y arriver trop tard après le départ des pique-niqueurs du
dimanche ! Detlef est aussi tendu et silencieux que moi ! J’aimerais
me rapprocher de lui et le prendre dans mes bras, le rassurer…
Finalement
nous arrivons à ces putains d’îles. Nous nous approchons d’une
grande plage de sable blanc où sont ancrés quelques bateaux ! Des
vrais, des hors bords, avec des gros moteurs…Ca et là cinq six
groupes de personnes sous leurs parasols.
Je
demande aux autres de rester près de la pirogue et je m’avance sur
la plage, Detlef à côté de moi. Les gens nous regardent. C’est
quoi ces trois blancs et ces deux africains sur cette méchante
pirogue ? Nous nous approchons du groupe le plus proche de nous et je
me lance ! Je me présente et je raconte ma petite histoire. Mon
ami…est allemand…réfugié…a quitté l’ambassade…pas de
papier…veut rejoindre l’ambassade de Rfa à Kinshasa. Pouvez-vous
nous aider ? J’ai la bouche sèche et je ne suis pas sûr d’avoir
été un bon avocat. C’est la surprise et le doute que je vois sur
les visages de ces gens.
‘’ Il
est en fuite ? Il a des problèmes avec la police ? C’est une
histoire de drogue ?’’
C’est
alors Detlef qui va s’expliquer. Un couple d’anglais ne parle pas
français. Detlef va continuer dans leur langue. Dix minutes de
questions réponses. Et l’anglais nous dit :
‘’C’est
bon, j’ai compris. Nous connaissons bien l’attaché culturel à
l’ambassade de Rfa (ah je savais que c’était la bonne personne à
contacter…). Laissez-nous votre ami, on va s’en occuper.’’ Je
devine que sa décision ne fait pas l’unanimité chez ses amis ! Et
s’adressant à Detlef : ‘’Ayez confiance. Ce soir vous
coucherez à l’ambassade.’’
Et
à moi :
‘’ Où
peut-on vous donner des nouvelles ?’’
Je
donne mon nom et celui du magasin où je travaille.
‘’Je
pense qu’ils vous préviendront par le biais de l’ambassade de
Rfa à Brazza.’’
J’échange
un regard avec Detlef. Son visage est figé. Je me demande s’ils se
rendent compte que mes genoux tremblent. Un belge me dit :
‘’ Vous
devriez partir maintenant. Il faut arriver à Brazza avant la nuit.’’
Je
les ai tous remerciés un à un. Puis j’ai serré la main de Detlef
en lui donnant une petite tape qui ressemblait à une caresse sur
l’épaule à la base du cou.
''
Fais attention à toi. Donne vite de tes nouvelles''
''
Ne crais rien. J'ai confiance. Tout va aller bien.''
Je
ne l'ai même pas embrassé.
Je
suis remonté dans la pirogue. Je me suis retourné pour échanger un
geste de la main avec lui. Puis une fois encore une minute après. Il
était assis sur le sable et discutait avec les anglais.
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