samedi 9 février 2019

Incipit 67 - Les filles du Calvaire - Pierre Combescot


Juive de Tunisie, petite-fille d'Emma qui alimenta jadis la chronique de La Goulette, Rachel Aboulafia, devenue Madame Maud, trône derrière le comptoir du bistrot des trapézistes, aux Filles-du-Calvaire. Rousse plantureuse, elle règne sur le petit monde interlope où se côtoient artistes du Cirque d'Hiver voisin, souteneurs, prostitués des deux sexes, rabbins et danseuses nues, bouchers et mercières, professeurs de danse russes et flics de la mondaine. Dans cette peinture du Paris clandestin et grouillant des hors-la-loi et des paumés, Pierre Combescot ressuscite le grand roman populaire du XIX e siècle, non sans le moderniser radicalement grâce à un déploiement fastueux de virtuosité baroque. Épopée picaresque, dont la parabole secrète s'inspire du mythe de Parsifal, mais qui se lit d'abord comme une suite d'aventures merveilleuses, de trouvailles cocasses, d'images insolites
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Au vrai, la chose ne fut jamais formellement établie. Après tant d’années, qui aurait l’idée de feuilleter de vieux calendriers pour le plaisir de vérifier une date oubliée ? En outre, si d’aventure celle-ci se révélait inexacte, cette découverte aurait pour conséquence immédiate de détruire l’étonnant ouvrage du hasard, lequel, si l’on y songe, souligne encore mieux l’évidence de ce jour comme le seul propice au dénouement d’une affaire dont peu, certes, se souviennent, mais qui, à l’époque, avait bouleversé le quartier et, bien au-delà, fait sentir ses effets jusqu’aux Enfants-Rouges et dans la synagogue de la rue Pavée, tant la figure de Madame Maud avait su acquérir en quelques décennies cette sorte de popularité, défiant les frontières artificielles des avenues et des boulevards dans un Paris où, généralement, chacun s’entend à ne voir pas plus loin que le coin de sa rue. En fait, il y eut plusieurs « affaires » qui, si embrouillées fussent-elles, finirent cependant par n’en former qu’une seule dans l’esprit populaire, puisque toutes les pistes menaient à une même personne. Ce fut également, si l’on s’en souvient, ce jour où la presse, de droite comme de gauche, unanime quant aux éloges, annonça le décès brutal de l’académicien Thierry Le Cailar-Dubreuil, l’auteur célèbre de La Vie inquiète de Judas Iscariote. Toutefois, doit-on l’avouer, ni la renommée de l’écrivain, ni même son passé de collabo, depuis longtemps oublié, n’agitèrent les rédactions, mais plutôt sa mort, hautement suspecte, dans un claque de la rue Rochechouart, au numéro 76, immeuble où jadis avait été arrêté Henri Désiré Landru.

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