dimanche 7 octobre 2018

Une (més)aventure de Sherlock Holmes 3 Suite et fin

L'affaire résolue, Holmes n'était pas sorti de ses affres. Le poison de la passion continuait de lui brûler l’âme, le cœur et les reins. Il n’avait pas supporté de voir Gabrielle Valladon emmenée à la prison d’Inverness entre deux gendarmes. Cependant l’affaire était d’importance, car Mycroft Holmes, ‘’missus dominicus’’ du Premier Ministre Robert Gascoyne-Cecil, était venu pour en suivre les développements. Bien sûr il rencontra son frère. Que se sont-ils dit ? Nul ne le sait, mais l’explication fut orageuse. Au bout de deux heures, Mycroft sortit violemment de la pièce apparemment fort mécontent. Holmes lui semblait épuisé, la mine plus défaite que jamais. De quel argument avait-il usé, quel moyen de pression possédait-il, quel chantage avait-il utilisé ? Je l’ignore. Mais le fait est qu’au bout de ces deux heures, Gabrielle Valladon était libre avec pour seule obligation de quitter le territoire dans les 48 heures et de n’y plus jamais remettre les pieds. Holmes tint à lui annoncer lui-même la nouvelle. L’entretien ne dura qu’un quart d’heure, mais il en sortit bouleversé. Si cela n’avait pas été Holmes, j’aurais juré qu’il avait pleuré. Le soir même Gabrielle Valladon quittait le Drumossie Hôtel. Du balcon de sa chambre Holmes regardait la calèche s’éloigner en remontant la grande allée du parc de l’hôtel. Son visage tendu vers l’avant, ses mains serraient la balustrade à s’en blanchir les jointures. Soudain, comme un point lumineux l’ombrelle blanche de Gabrielle s’ouvrit et se ferma à intervalles calculés. Mon passé militaire m’avait initié au morse. Je pus comprendre le message. Il tenait en trois mots :’’ Serez-vous là ?’’.
N’ayant plus rien à faire à Inverness, nous rentrâmes à Londres. Holmes faisait semblant de reprendre le cours normal de ses activités. Mais je n’étais pas dupe. Quelque chose s’était brisé en lui.
Une semaine plus tard il reçut une lettre. Il la lut, impassible, et la jeta dans le feu de la cheminée. Se levant de son fauteuil, il me dit :
‘’Watson, je pars’’.
‘’Comment ça vous partez. Et pour où ?
‘’Je ne sais pas encore. Probablement en Europe.’’
‘’Et pour combien de temps ? Donnerez-vous de vos nouvelles ?’’
‘’Je pars pour 6 mois, 8 mois, un an. On verra. Vous n’aurez pas de mes nouvelles directement, mais lisez les pages ‘’culture’’ du Times vous verrez l’annonce des concerts que donnera un nouveau violoniste de talent’’.
Et Holmes disparut pendant huit mois. Je suivis en effet le parcours de ce nouveau violoniste, de grand talent à en croire les critiques. Paris, Madrid, Rome, Naples, Athènes, Istanbul, Moscou, Prague, Vienne… Et tout s’arrêta à Baden-Baden. Le violoniste disparut aussi vite qu’il était apparu, et Holmes rentra à Londres au bout de huit mois. Pas en meilleur état que lors de son départ. Peu à peu je lui arrachai des bribes de confidences. Il était bien parti avec Gabrielle Valladon. Leur périple avait été émaillé de disputes et de réconciliations de plus en plus violentes jusqu’à Baden-Baden. Là, elle l’avait ‘’plaqué’’, il utilisait le mot en français, en quelques secondes pour un prince austro-hongrois ou moldo-valaque il ne savait plus. Il en avait bien entendu beaucoup souffert, mais il m’assura qu’il entrait dorénavant en convalescence. Ce fut le cas, et quelques-unes de ses plus célèbres enquêtes datent de cette époque-là.
Trois ans après cet épisode malheureux, il y a donc à peu près deux ans, nous reçûmes la visite d’un important personnage, le Maharadjah de Jalipour. Personnage très en vue de la société londonienne. Il voulait qu’Holmes retrouve les bijoux qui lui avaient été volés dans le coffre de son hôtel particulier de Bayswater. De nombreux joyaux d’exceptionnelle qualité, dont le fabuleux rubis gros comme une poire, ‘’La larme sanglante de Jalipour’’ surnommé ainsi à cause de la succession de drames qui jalonnaient son histoire. L’affaire semblait assez simple, le trésor ayant disparu en même temps que la maîtresse du maharadjah, une certaine comtesse Irène de Kesselback. Le maharadjah souhaitait bien sûr que l’on retrouve sa cassette, mais aussi que l’on punisse la voleuse et qu’on la brûle dans un sari de coton non écru. Le tout pour des honoraires dont je tairai le montant, mais qui étaient à la mesure de la fortune du volé. Holmes accepta les honoraires mais fit valoir qu’en Angleterre depuis longtemps on ne brûlait plus personne sur la place publique.
Il ne lui fallut que deux jours pour découvrir sous le nom d’Irène de Kesselback, Gabrielle Valladon et trois pour la retrouver à la ‘’Shakespeare Inn’’ de Stradford upon Avon. Le malheur voulut qu’il passât la nuit avec elle dans la chambre ‘’Lady Macbeth’’ qu’elle occupait. Et que le sortilège opérât encore. Au petit matin elle avait obtenu un nouveau visa de sortie, un dédommagement du montant des honoraires d’Holmes et en petit cadeau un diamant de la taille d’une cerise. Holmes, une fois de plus se chargea d’étouffer l’affaire auprès des autorités et du maharadjah.
Comme dans certaines maladies, la rechute fut plus grave que la première attaque de la maladie. Mais cette fois ci je pris les choses en mains. Je cachai sa boite de seringues et son maudit flacon de solution à 7% et le soignai avec des méthodes plus traditionnelles. Sa robuste constitution, le travail, mes soins amicaux et la bienveillante attention de Mme Hudson, le remirent peu à peu sur pieds. Jusqu’à ce jour où il m’annonçait le retour de Gabrielle Valladon.
‘’Comment l’avez-vous appris ?’’
Et il me raconta cette nouvelle histoire d’une voix lasse :
‘’Il y a cinq jours, le journal annonçait l’arrestation à Brighton alors qu’elle allait s’embarquer sur un voilier à destination de la France d’une certaine Madeline Smith, alias Irène de Kesselback, une aventurière interdite de séjour en Angleterre. Je télégraphiai au constable de Brighton, que je connais par ailleurs, pour avoir un supplément d’informations. Ce n’était qu’une simple arrestation à la suite d’une enquête pour une banale affaire de grivèlerie. L’importance de la prise n’apparut qu’après l’arrestation. En votre absence et sans votre aide, mon cher Watson, je fus repris par mes vieux démons et je sombrai à nouveau dans l’état que vous constatez aujourd’hui. Et le pire est arrivé à midi. Un télégramme de Brighton m’a annoncé l’évasion rocambolesque ce matin de Gabrielle, après qu’elle eût séduit et soudoyé son gardien. On a perdu sa trace à la gare de Brighton. Elle arrive Watson. Que voulez-vous qu’elle fasse d’autre ? Elle est aux abois. Elle n’a plus que moi pour la sauver encore une fois. Ne m’abandonnez pas mon ami. Elle est en route. Elle a pris le train pour Londres à 15h37. Le trajet est de 2H10. Cela nous fait donc 17H47. Dix minutes pour trouver un cab. 17H57. A cette heure-ci il faut compter 20 minutes de trajet entre la gare et Baker Street. Cela nous amène à 18H17. Quelle heure est-il Watson ?’’
Je regardai la pendule, vérifiai avec ma montre. ‘’18H15’’ dis-je.
Quelques secondes plus tard nous entendîmes une voiture s’arrêter devant la maison. Nous nous précipitâmes à la fenêtre juste à temps pour voir une femme vêtue de noir le visage caché par une voilette sortir du cab et monter les deux marches du perron. Le grelot de la sonnette retentît dans la maison. Holmes arrangea au mieux sa robe de chambre, mit ses pieds nus dans ses chaussons, passa sa main dans ses cheveux, s’assit, raide, dans son fauteuil. ‘’Quoiqu’il arrive Watson, ne me quittez pas.’’ Et nous attendîmes. Une minute, deux minutes. Rien. Holmes me regarda d’un œil interrogatif. Puis il se le va brusquement, ouvrit la porte et cria :’’ Mme Hudson… Hudson !’’. Mme Hudson arriva en trottinant comme à son habitude. ‘’Oui, M. Holmes.’’
‘’Eh bien Mme Hudson, qu’est-ce que vous attendez ? Faites entrer.’’
‘’Qui donc M. Holmes ?’’
‘’Mais la personne qui vient de sonner’’.
‘’C’est une visite pour moi. C’est une vieille amie de passage à Londres qui est venue me voir.’’
Sur ce, elle tourna les talons et repartit en trottinant. Homes referma la porte. C’était comme si il avait reçu une gifle. En un instant son aspect physique changea. Les muscles de son corps et de son visage reprirent leur forme habituelle. Il se dirigea vers sa chambre, se retourna vers moi et me dit d’un ton sec :’’ Et Watson, pas un mot de tout cela ! A qui que ce soit’’.
Un mois plus tard un entrefilet dans le Times annonçait le départ de Southampton pour Rio de Janeiro du S/S Amazonia avec à son bord don Luis Peña, le roi du café brésilien et de sa nouvelle épouse française née Gabrielle de Plessis-Brissac. Holmes jeta le journal à terre.
‘’A personne Watson, à personne ! Effacez tout ça de votre mémoire et de vos carnets’’ !

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