vendredi 5 octobre 2018

A la manière de...Une (més)aventure de Sherlock Holmes -1

Je rentrais d’un petit déplacement de cinq jours dans le Pays de Galles, à Penarth dans le comté de Glamorgan, auprès d’une de mes cousines, Elizabeth, qui mariait sa fille Anne, accessoirement ma filleule. Anne est une belle fille qui va gaillardement sur ses 35 ans ! Probablement vierge et incontestablement rousse, elle a épousé Mortimer, un policeman d’environ 50 ans veuf et père de trois enfants, dont deux vivaient encore chez lui. Ce mariage avait fait la joie de tout le monde. De Mortimer d’abord qui avait trouvé une compagne de robuste constitution qui lui tiendrait sa maison, ferait la cuisine, repasserait ses chemises et s’occuperait, autant que de besoin, de ses enfants. D’Anne ensuite qui allait connaître enfin les joies et les plaisirs, du moins l’espérait-elle, de l’hymen, de la vie conjugale et des enfants sans les douleurs de l’enfantement. La joie d’Elizabeth enfin de voir sa fille casée. Car Anne, malgré son grand cœur et ses bons sentiments, avait quand même une allure un peu chevaline et des gestes brusques propres à refroidir tout autre qu’un policeman qui en avait vu d’autres ! Le mariage avait été arrosé de bonnes pintes de bière galloise, pour les proches d’un magnifique welsh whisky ‘’Penderyn’’ et bien sûr de cette pluie fine qui rend la campagne si verte et les terres si grasses. Ce petit crachin m’avait accompagné tout le long du voyage de retour jusqu’à Victoria Station et il tombait encore quand le cab me déposa devant le 221b Baker Street. Avant de sonner à la porte je jetai machinalement un coup d’œil aux fenêtres du premier étage, juste le temps d’entr’ apercevoir derrière le rideau légèrement écarté la silhouette de mon ami. Il fit immédiatement un pas en arrière laissant retomber le fin voilage. Madame Hudson vint m’ouvrir au bout de quelques secondes.
‘’ Ah, Docteur Watson ! Quel plaisir de vous revoir. J’attendais votre retour avec impatience.’’
‘’Que se passe-t-il donc ?’’ demandai-je avec un petit sourire.
‘’C’est lui, là-haut. Je ne m’y ferai jamais. Quand il est dans cet état, il me fait peur. Il n’est pas sorti de chez lui depuis votre départ. Sa porte est fermée à clé. Il refuse toute nourriture. Même les petits scones que je lui prépare et qu’il aime tant avec son thé. Le thé est la seule chose qu’il accepte. Je dépose le plateau devant sa porte. Il le remet dehors quand la théière est vide. Et quand il en veut encore, de la cuisine je l’entends hurler :’’ Mme Hudson ! Du thé !’’ C’est peut-être un grand homme, mais il me rendra folle’’
Je lui tapotai doucement l’épaule pour la calmer.
‘’Par contre, il fume ! Cinq jours sans aérer… ça doit être irrespirable. Je sens l’odeur de tabac quand je me baisse pour glisser son courrier sous la porte ! Et puis ce morceau de violon qu’il joue tous les soirs à la tombée de la nuit. Vous savez celui qui est si beau et si triste…’’
‘’La méditation de Thaïs ?’’
‘’Oui, c’est ça ! A chaque fois ça me fait pleurer. Comme il doit être malheureux.’’
‘’Calmez-vous Mme Hudson. Je suis là, tout va s’arranger. Allez donc nous préparer un thé avec quelques scones s’il vous en reste.’’
Et Mme Hudson s’éloigna visiblement soulagée de retourner à des tâches qui entraient mieux dans ses responsabilités.
Je montai l’escalier et laissai mon bagage sur le palier. Mais avant de toucher à la poignée de la porte j’entendis une voix étouffée mais calme dire : ‘’Watson, entrez, c’est ouvert.’’
L’atmosphère était en effet irrespirable. Le fauteuil à oreillettes dans lequel était assis mon ami, face à la fenêtre et dos à la porte, disparaissait presque dans un nuage de fumée. Le tabac que fumait Holmes d’habitude avait une odeur plutôt agréable. Mais là il vous agressait la gorge, le nez et les yeux. Je me débarrassai rapidement de mon manteau et m’approchai de la grande fenêtre.
‘’Holmes, vous ne pouvez pas rester comme ça. Vous allez mourir étouffé. Laissez-moi ouvrir la fenêtre.’’
Puis je me retournai vers mon ami. Il était assis, légèrement affaissé. Ses bras reposaient sur les accoudoirs, de sa main droite il tenait sa pipe fumante. Son visage était gris, encore plus émacié qu’à l’accoutumée, ses yeux étaient injectés de sang et son regard fixe, aux pupilles dilatées, était fixé sur moi sans me voir ! Sa mise était négligée, une robe de chambre mal fermée sur un pyjama débraillé. La manche gauche de la robe de chambre était remontée jusqu’au coude. A droite du fauteuil sur un petit guéridon victorien en bois, un verre, quelques morceaux de coton et une longue boite en fer blanc que je ne connaissais que trop bien. Je jetai rapidement un coup d’œil sur le haut de la bibliothèque où il mettait son flacon de solution à 7%. Il n’y était pas. Un regard circulaire me le fit découvrir sur le tapis à côté des pieds, nus, de mon ami. Cette nudité me procura un choc que je ne saurais décrire. Elle me parût de la plus haute indécence et me révéla l’abime de déchéance dans lequel il semblait être tombé. Je me penchai sur lui et mes mains sur ses épaules, je me mis à le secouer.
‘’Holmes, mon cher ami, que se passe-t-il ? Réveillez-vous, secouez-vous. Par Saint Georges dites-moi quelque chose’’.
Un cliquetis de verres entrechoqués me fit lever la tête. Madame Hudson se tenait dans l’encadrement de la porte, un plateau entre ses mains et tremblant comme une feuille.
‘’ Eh bien, Madame Hudson, vous n’allez pas vous évanouir ! Ce n’est pas le moment. Posez le plateau sur la table ! Finalement nous aurons plus besoin de café que de thé. Soyez assez gentille de nous en préparer un. Mais pas la lavasse habituelle. Un vrai, à l’italienne, un espresso. Prenez ce qu’il faut dans ma réserve personnelle. (Ma carrière militaire m’avait permis de voyager dans de nombreux pays, chacun ayant une manière particulière de préparer le café. Et le breuvage que l’on buvait dans le Royaume-Uni était celui qui de loin méritait le moins le nom de café.)
Madame Hudson mit une main sur sa bouche pour étouffer un sanglot et repartit en trottinant vers sa cuisine.
C’est alors que je sentis une main se poser sur mon avant-bras. Je baissai les yeux vers Holmes. Son regard reflétait un profond désespoir. Et il répéta tout doucement :
‘’Watson, Elle est revenue !...’’
‘’Watson, Elle est revenue !’’
‘’Mais qui donc Holmes ?’’
‘’Gabrielle Valladon !’’
Et là c’est moi qui ai eu besoin de m’asseoir. Ainsi donc pour la troisième fois elle réapparaissait dans la vie de Sherlock Holmes.
A suivre... demain...

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