mercredi 19 avril 2017

Un amour de Swann - 50






Certains soirs elle redevenait tout d’un coup avec lui d’une gentillesse dont elle l’avertissait durement qu’il devait profiter tout de suite, sous peine de ne pas la voir se renouveler avant des années ; il fallait rentrer immédiatement chez elle « faire catleya » et ce désir qu’elle prétendait avoir de lui était si soudain, si inexplicable, si impérieux, les caresses qu’elle lui prodiguait ensuite si démonstratives et si insolites, que cette tendresse brutale et sans vraisemblance faisait autant de chagrin à Swann qu’un mensonge et qu’une méchanceté. Un soir qu’il était ainsi, sur l’ordre qu’elle lui en avait donné, rentré avec elle, et qu’elle entremêlait ses baisers de paroles passionnées qui contrastaient avec sa sécheresse ordinaire, il crut tout d’un coup entendre du bruit ; il se leva, chercha partout, ne trouva personne, mais n’eut pas le courage de reprendre sa place auprès d’elle qui alors, au comble de la rage, brisa un vase et dit à Swann : « On ne peut jamais rien faire avec toi ! » Et il resta incertain si elle n’avait pas caché quelqu’un dont elle avait voulu faire souffrir la jalousie ou allumer les sens.
Quelquefois il allait dans des maisons de rendez-vous, espérant apprendre quelque chose d’elle, sans oser la nommer cependant. « J’ai une petite qui va vous plaire », disait l’entremetteuse. Et il restait une heure à causer tristement avec quelque pauvre fille étonnée qu’il ne fît rien de plus. Une toute jeune et ravissante lui dit un jour : « Ce que je voudrais, c’est trouver un ami, alors il pourrait être sûr, je n’irais plus jamais avec personne. » — « Vraiment, crois-tu que ce soit possible qu’une femme soit touchée qu’on l’aime, ne vous trompe jamais ? » lui demanda Swann anxieusement. — « Pour sûr ! ça dépend des caractères ! » Swann ne pouvait s’empêcher de dire à ces filles les mêmes choses qui auraient plu à la princesse des Laumes. À celle qui cherchait un ami, il dit en souriant : « C’est gentil, tu as mis des yeux bleus de la couleur de ta ceinture. » — « Vous aussi, vous avez des manchettes bleues. » — « Comme nous avons une belle conversation, pour un endroit de ce genre ! Je ne t’ennuie pas ? tu as peut-être à faire ? » — « Non, j’ai tout mon temps. Si vous m’auriez ennuyée, je vous l’aurais dit. Au contraire j’aime bien vous entendre causer. » — « Je suis très flatté. N’est-ce pas que nous causons gentiment ? » dit-il à l’entremetteuse qui venait d’entrer. — « Mais oui, c’est justement ce que je me disais. Comme ils sont sages ! Voilà ! on vient maintenant pour causer chez moi. Le Prince le disait, l’autre jour, c’est bien mieux ici que chez sa femme. Il paraît que maintenant dans le monde elles ont toutes un genre, c’est un vrai scandale ! Je vous quitte, je suis discrète. » Et elle laissa Swann avec la fille qui avait les yeux bleus. Mais bientôt il se leva et lui dit adieu, elle lui était indifférente, elle ne connaissait pas Odette.

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