samedi 8 octobre 2016

Rossignol de mes amours - Suzy Solidor


Qui était-elle? Qui était cette femme? La plus portraiturée au monde. La femme aux 220 visages. L'égérie des années folles? La Garçonne? La maîtresse de la scandaleuse Yvonne Brémond d'Ars? La patronne du cabaret le plus couru de l'entre deux guerres? L'interprète houleuse des chansons de marins. L'icône, la chanteuse scandaleuse, des amours saphiques comme on disait à l'époque? La fulgurante passion d'un aviateur beau comme un dieu? L'amie de tout ce qui comptait alors dans le milieu des arts à Paris? Une femme sans tabou et prodigieusement libre.
Descendante d'un ''corsaire breton par la cuisse gauche'', elle finit ''Amirale'' au bord de la Méditerranée. De la tour Solidor, près de Saint Malo au Vieux Bourg de Cagnes sur Mer, ce furent plus de 80 années d'une quête éperdue de reconnaissance, menée tambour battant, entre défi et provocation.
Elle était née de père inconnu. Sa mère était la femme de chambre de Robert Henri Surcouf, avocat, député de Saint Malo, descendant du corsaire, armateur … et amateur d'amours ancillaires. Pour régulariser sa situation sa mère épousa en 1907 un brave monsieur Rocher qui reconnut la petite Suzanne. Ils s'installèrent dans le quartier de Saint Servan, à l'ombre de la tour... Solidor.
Et elle a pas les deux pieds dans le même sabot la Suzanne. A 17 ans, munie de son permis de conduire, elle arrive à Paris. Et c'est pas Bécassine qui débarque Gare Montparnasse. On la retrouve très vite chauffeur des états-majors et on la voit conduire des ambulances sur les fronts de l'Oise et de l'Aisne. A la fin de la guerre elle décide de rester à Paris. Déjà, elle ne passe pas inaperçue. Elle souhaite devenir mannequin chez Lanvin. 
Elle n'en aura pas le temps. Avec ses hanches d'éphèbe, ses épaules de nageuse olympique, son visage beau mais un peu masculin, ses cheveux très blonds et qu'elle porte déjà courts, sa voix rauque et profonde, elle a compris qu'il lui fallait jouer la carte de l'ambiguïté.
Très vite , en 1920, elle va littéralement se faire kidnapper, enlever par Yvonne de Brémond d'Ars. C'est l'ANTIQUAIRE du faubourg Saint Honoré, grande famille, grosse fortune, pouvant donc assumer une vie ''scandaleuse''. Garçonne avant la lettre, elle porte costume, cravate, œillet à la boutonnière, cigare aux lèvres. Elle va s'enflammer pour cette jeune beauté sculpturale à l'état brut. Elle va l'initier au métier d'antiquaire, la présenter au Tout-Paris, la transformer physiquement.
Pendant 10 ans  Suzanne et son amante vont défrayer la chronique entre Paris et Deauville. Elle apparaît en couverture des magazines de mode les plus en vue. Elle apprend le chic l'élégance avec Paquin, Poiret, Patou et Chanel. Elle pose pour des photographes et des peintres. Elle ne se fait pas payer! Juste un portrait d'elle. Fine mouche elle va ainsi se constituer une collection de plus de 200 portraits d'elle par les plus grands peintres de son époque. Et c'est paraît-il Van Dongen qui lui aurait conseillé de chanter. Bon conseil, d'autant plus que sa liaison avec l'antiquaire touche à sa fin.
En 1931 elle prend le nom de Suzy Solidor et elle ouvre au 12 rue Sainte Anne un cabaret ''chic et cher'' la Vie parisienne’’ qu'elle tapisse de ses portraits . C'est un des premiers cabarets lesbiens, mais hétéro-friendly, de la capitale. [Cet endroit deviendra dans les années 70 le Piano Club, tenu par la légendaire Isolde, pour ceux qui s'en souviennent]. Parrainé par Jean Cocteau il va devenir un lieu incontournable des nuits parisiennes. Devenue chanteuse, elle est passée avec succès à l'Européen et à l'Alhambra, celle qu'on appelle ''la fille aux cheveux de lin'' envoûte ses spectateurs avec sa voix chaude et sensuelle dans un répertoire mêlant chansons de marins... et chansons où elle ne cache pas ses préférences sexuelles.
Elle est l'icône des lesbiennes. On ne parle plus de saphisme, mais de solidorité, de solidorisme!! C'est un vrai harem qu'elle traine derrière elle. Ce qui ne l'empêchera pas, en 35, de vivre une grande passion avec Jean Mermoz. Fallait les voir ces deux là! La descendante de Surcouf et l'Archange de l'Aéropostale. On aurait dit deux statues d'Arno Breker. Ils attiraient tous les regards, attisaient toutes les envies, exacerbaient tous les désirs.
 
Elle fait également du cinéma. Elle tourne dans la Garçonne (mauvais film, mais bon scandale) où elle console, avec Arletty et Edith Piaf, Marie Bell de l'inconstance d'un amant.
Le succès de son cabaret ne se démentira pas pendant toute la période de l'Occupation, où elle accueillera de nombreux officiers allemands, dont certains auraient été ses amants. Comme beaucoup, elle passera à la Libération devant le comité d'épuration des artistes et recevra un blâme et une interdiction d'exercer pendant un an. Est-ce d'avoir continué à travailler durant l'occupation, d'avoir eu un ou deux amants allemands, d'avoir créé la version française de Lili Marlène et/ou d'avoir chanté, au grand plaisir des allemands, sur les ondes de radio-Paris Au 31 du mois d'août vieille chanson de marins célébrant une belle raclée, donnée par son aïeul Surcouf, à la marine anglaise?
Elle va céder son cabaret à son amie Colette Mars, actrice, chanteuse, reine de la nuit et lesbienne affichée.

Suzy Solidor reviendra à Paris en 1949 pour ouvrir un nouveau cabaret, rue Balzac, Chez Suzy Solidor. Mais ce quartier est moins ''canaille'' que la rue Sainte Anne et Suzy Solidor devenue une institution est moins sulfureuse.
Suzy Solidor ferme son cabaret en 1960. Elle s’installe à Cagnes-sur-Mer dans les Alpes-Maritimes. Elle y ouvre un magasin d’antiquités ainsi qu'un petit cabaret baptisé Chez Suzy, toujours entourée de ses tableaux. En 1973 elle cédera une quarantaine de ses toiles au musée du Haut de Cagnes. Le reste sera dispersé à sa mort en 1983.
C'est Jean Cocteau qui, encore une fois trouvera les mots justes :
''...Lorsque Suzy s'appuie au piano et tire d'elle une voix qui sort des zones les plus intimes de l'être, lorsqu'elle dompte cet élément qui donne le trac comme les vagues donnent le mal de mer, je m'incline... Mademoiselle Solidor montre ses poses de forçat de Puget, d'esclave de Michel-Ange, et la petite salle attentive acclame sa voix hâlée''.

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