dimanche 10 avril 2016

Ecole Maupertuis - Je rentre avec les rangs...


J’avais passé près de huit mois à Paris chez Charles et Féli, papy et mamy, mes grand'parents maternels. (Rue Lepic 1 , Rue Lepic 2) Mes parents, toujours au Tchad, avaient souhaité que je passe quelques mois chez mes grand’ parents paternels jusqu’à leur retour. C’est ainsi qu’en janvier 51, Félicie vint au Mans confier son trésor sacré à bonne maman, Guyonne, et bon papa, Joseph.
Félicie avait, certes, commencé à me dégrossir un peu l’esprit en m’apprenant à lire, à écrire et à compter. Mais dès mon arrivée au Mans les choses plus sérieuses allaient débuter ! A bientôt sept ans, il devenait plus que temps que j’aille à l’école. Dans ma famille paternelle la scolarité était une chose assez simple. Pour les filles, le primaire c’était l’institution St Julien et le secondaire N.D. de Sion. Pour les garçons on démarrait par l’école Maupertuis et pour l’entrée en 6ème on passait au collège Ste Croix.
Je fis donc mon entrée à Maupertuis à la reprise des cours en janvier. (Cette mauvaise habitude de commencer mon année scolaire au milieu de celle des autres m’a poursuivi pratiquement toute ma scolarité…). Je me revois très bien arriver, accompagné du directeur Mr Demoy, dans une salle où trônait un gros poêle à charbon. Une vingtaine d’écoliers en blouse grise s’étaient levés dès notre entrée.
‘’Asseyez-vous mes enfants. Je vous présente un nouveau petit camarade. Il est un peu dépaysé, il arrive d’Afrique’’.
Le brouhaha fut immédiat. Le claquement sec d’une règle sur un bureau sur l’estrade le fit cesser.
‘’Soyez gentils avec lui. Il s’appelle Renaud.’’
Et j’entends très distinctement une voix aigrelette fuser du fond de la salle :’’ Quat’ chevaux’’. Rires, raclements de pieds, quat’ chevaux, quat’ chevaux… Nouveau claquement de règle, nouveau silence. En partant il me confie à mon instituteur, Monsieur Xavier. Le premier homme, en dehors de ma famille, que j’ai aimé. Nous devons être de dizaines, des centaines à lui devoir beaucoup. Je me suis bien adapté à ce nouveau milieu. Je n’avais jamais eu autant d’amis. On a continué un moment à m’appeler ‘’quat’ chevaux’’ et puis on est passé à autre chose.
Il y avait chaque matin un rituel dont le souvenir me fait monter l’émotion aux yeux. Bonne maman avait fait avec moi trois ou quatre fois le chemin de la maison à l’école pour que je puisse y aller seul. Sans grand danger, sauf devant la maison il n’y avait pas de rue à traverser. Ainsi donc tous les matins à 9h moins 10 je tirais le lourd portail qui donnait sur la rue. Ma grand’ mère qui avait ouvert la fenêtre du petit salon, regardait avec moi à droite et à gauche, et me disait : ‘’ Tu peux y aller mon petit Renaud’’. Je traversais en courant pour me retrouver sur le trottoir d’en face, devant la petite église de la Visitation. Je remontais sur 20 mètres la rue Maignan en me retournant deux fois pour dire au revoir à ma grand’ mère. Et puis juste avant de tourner à gauche dans la rue Ste Croix je me retournais une dernière fois et je criais : ‘’BONNE MAMAN ! JE RENTRE AVEC LES RANGS !’’ Elle me faisait un signe de la main pour me faire comprendre qu’elle avait entendu. Content de l’avoir rassurée je descendais la rue Ste Croix jusqu’à l’avenue Léon Bollée. Là, à gauche puis encore à gauche pour entrer dans l’impasse Maupertuis.
A midi, sous la surveillance de trois instituteurs, des rangs se formaient pour aller déposer au plus près de chez eux les enfants. Le même rituel se reproduisait l’après-midi. C'était le ramassage scolaire avant la lettre.
Jamais ma grand’ mère ne m’a fait défaut pour un de mes départs pour l’école. Elle devait vouloir être sûre que je rentrais bien avec les rangs.
J’étais à Maupertuis depuis trois semaines. Un matin ma grand’ mère me dit : ‘’ Ce soir, Renaud, tu ne rentres pas avec les rangs. Je viendrai te chercher à l’école.’’ A sept ans, on n’aime pas beaucoup qu’on change ses habitudes. Et c’est un peu bête que je me retrouvais au coin de la rue Ste Croix. Je me retournais une dernière fois vers ma grand’ mère à sa fenêtre et, ne sachant que dire, je haussais les épaules en écartant légèrement les bras. Le soir à cinq heures et demi, les rangs étaient partis et j’étais assis dans le couloir en face du bureau du directeur avec qui ma grand’ mère avait rendez-vous. Ce n’est que des années plus tard qu’elle m’a raconté, avec un grand sourire, cet entretien.
‘’ Alors, monsieur, comment se comporte notre petit Renaud ?’’
‘’ Bien, madame, bien. Il est très sage. Un peu rêveur parfois, on peut le comprendre. Mais il s’adapte bien à son nouvel environnement et à ses petits camarades.’’
‘’ Et pour ce qui est de son travail ?’’
‘’Oh ! bien sûr il a un peu de retard. Mais il est intelligent, il est assez mûr pour son âge, il comprend vite. Il le rattrapera son retard.’’
‘’ Donc, vous êtes satisfait de lui ?’’
‘’ Mais tout à fait ! ‘’
‘’Alors comment se fait-il que depuis un mois il n’ait pas eu une médaille, ni même une image pour le récompenser et l’encourager ? ‘’
‘’En effet ! Je me demande comment cela a pu nous échapper’’ Il avait légèrement rougi. Mais je peux vous assurer que samedi prochain il aura sa médaille, peut-être pas la médaille d’honneur pour la première fois, et ses images.’’
C’est ainsi que le dimanche suivant j’allais à la grand’ messe de la cathédrale, encadré à main gauche par bonne-maman et à main droite par bon-papa, en arborant sur ma poitrine une médaille avec son ruban bleu que j’aurai le droit de porter pendant une semaine.

2 commentaires:

  1. Trop mimi ! Avec street view, on suit le petit Renaud; l' avenue devait être impressionnante.

    RépondreSupprimer
  2. belles années de la vie

    RépondreSupprimer