vendredi 15 avril 2016

Le Mans - La chapelle de la Visitation


Réaliser que mon style et mon rythme de vie allaient changer en passant de mes grands parents maternels à Paris à mes grands parents paternels au Mans fut rapidement pour moi une évidence.
Ma mère était fille unique, mon père avait douze frères et soeurs. A Paris j'étais petit fils unique, au Mans nous étions déjà plus d'une vingtaine. Tous ne vivaient pas dans la grande maison de la rue Albert M., mais certains au Mans même, d'autres dans les environs ou à Paris; mais les nombreuses fêtes, mariages , enterrements, grandes vacances étaient l'occasion de grands rassemblements. Mais il y avait presque toujours 5 ou 6 gamins dans cet hôtel particulier de deux étages au milieu d'un grand jardin. Je ne fus pas moins aimé par Guyonne et Joseph que par Félicie et Charles. L'amour de Guyonne et Joseph était comme le soleil, chaque enfant en recevait la totalité de la chaleur. Mais le temps à consacrer aux uns et aux autres n'était pas extensible à l'infini. Compte tenu de l'éloignement de mes parents, toujours au Tchad, j'étais là à demeure et je bénéficiais à ce titre d'un petit traitement de faveur.
Mais la règle commune s'appliquait à moi comme aux autres.
En tout premier lieu, la pratique religieuse! A Paris elle se résumait à la messe le dimanche à l'église des Abbesse ou à Saint Pierre de Montmartre et à la prière du soir. Au Mans on allait passer à la vitesse supérieure. Guyonne et Joseph étaient très croyants et très pratiquants!!
Tout d'abord ce fut l'entrée dans un cours privé religieux, puis la première communion , puis la solennelle, les louveteaux puis les scouts marins! Le dimanche, la messe c'était celle de 10h, la grand'messe, la plus longue, celle qui n'en finissait pas. On allait à la Cathédrale St Julien, à N.D. De la Couture ou Sainte Croix. Je me souviens des départs pour la messe. Il y avait dans le vestibule un grand bahut breton qui était en fait un lit clos. En bas on trouvait à peu près tout et n'importe quoi. Mais en haut on rangeait les missels. Des missels il y en avait des dizaines! Chacun avait le sien, voire les siens. Dorés sur tranche, remplis d'images pieuses de première communion, de communion solennelle, de deuils, récents ou très anciens, de prières miraculeuses, d'images sulpiciennes de Christ rayonnants, de Vierges extatiques...
Au déjeuner et au dîner, c'était le benedicite. Le soir c'était la prière commune vers 21h dans le petit salon. Mon grand'père seul assis derrière son bureau, tous les autres à genoux sur le tapis, chapelet en mains, un pater et dix je vous salue Marie et la litanie des St X... priez pour nous, St Y et  Z. aussi!!!
Il y avait toujours une raison d'aller dans les églises. Pendant la Semaine Sainte pour vérifier que les cloches étaient bien parties et prier devant des statues voilées de crêpe violet. A Noël pour voir les crèches et les petits anges incliner doucement leur tête quand on glissait une pièce dans leur tronc. En revanche on cachait des oeufs à Pâques dans le jardin et à Noël, après la messe de minuit on se réunissait dans le petit salon. Bon papa ouvrait la porte donnant sur le grand salon où trônait le sapin et les jouets!!!
C'est à cette époque que j'ai été confronté à mon premier mystère, non de la foi, mais de la religion. A cette époque, peut être encore maintenant d'ailleurs, dans toute grande et nombreuse famille bretonne Dieu appelait pour le servir un fils ou une fille. Chez nous ce fût un fils. C'est mon oncle Henri qui s'y est collé. Avant de finir curé de la cathédrale, il a officié dans des paroisses autour du Mans. Il venait souvent dîner chez ses parents le dimanche soir et il restait coucher à la maison. Le lundi matin, à huit heures, il disait sa messe. Une petite messe basse d'une vingtaine de minutes, vite fait bien fait. Il avait donc besoin d'un enfant de choeur. J'ai donc repris la suite de cousins plus âgés. ''Demain, Renaud, tu serviras la messe d'Oncle Henri''.
Il y avait juste en face de la maison une petite église, la chapelle de la Visitation. Je m'y sentais un peu chez moi. N'y avait-il pas sur les prie-dieu du premier rang des plaques de cuivre gravées à mon nom. ''Famille du C.''
Je servais donc la messe de mon oncle. Il y avait une petite dizaine de personnes. A l'époque la messe était dite en latin, le dos aux fidèles. On a connu meilleur enfant de choeur que moi. Je revois encore mon oncle me faire un signe du menton voulant dire ''Renaud, les burettes,,'' ou un geste de la main ''Renaud, les clochettes''....
Mais ce qui me fascinait c'était sur la gauche de l'autel une grande grille noire; derrière cette grille un grand voile noir également et derrière ce voile des ombres, des frôlements, des chuchotements, des répons en latin. C'était les petites soeurs de la Visitation, les Visitandines, des soeurs cloitrées. J'ai fini par trouver dans cet endroit une forme de sérénité telle qu'on peut la ressentir à 7 ans!
Mais ces braves soeurs n'ont jamais su que le clocher de leur couvent a souvent calmé mes angoisses nocturnes.
La prière du soir dite, je montais me coucher. Ma chambre était au deuxième étage et souvent je dormais seul à cet étage. J'étais pas trop courageux à cette époque. J'ai essayé de dire une fois que j'avais peur la nuit. La réponse a été gentille mais ferme ''tu es un grand garçon maintenant, tu n'as aucune raison d'avoir peur''. Je m'endormais assez facilement. Mais quand je me réveillais la nuit l'angoisse me prenait. Aucun bruit sinon les mystérieux et terrifiants craquements d'une grande maison. J'aurais donné beaucoup pour me retrouver rue Lepic sous les yeux du terrible moine.
C'est alors que je me raccrochais au clocher de la Visitation. Il sonnait un coup pour le quart, deux coups pour la demie, trois pour les trois quarts, quatre pour l'heure et le nombre de coup selon l'heure qu'il était...
C'était le seul bruit identifiable de la nuit. Cela me rassurait, la vie continuait au delà des murs de ma chambre. C'était comme le veilleur du guet qui autrefois arpentait les rues en criant :''Dormez braves gens. Tout va bien. Je veille pour vous.''...
Aujourd'hui les soeurs ont disparu, le couvent a été transformé en centre de conférences. Les enfants ont toujours peur la nuit, mais le carillon continue-t-il à sonner tous les quart d'heure?

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