jeudi 3 mai 2018

Incipit improbable - L'exilé d'Ischia

Incipit improbable d’un roman que je n’écrirai

jamais


L’exilé d’Ischia

Il y a des moments où le temps paraît s’être

suspendu dans une sorte de perfection. Où l’homme

semble à sa juste place dans un monde de beauté

de sérénité, d’équilibre. C’est ce que je ressens en

cette fin d’après-midi du mois de sextilis. De la

terrasse de ma villa, face à la mer, allongé sur mon

lit de repos je vois le soleil descendre peu à peu

vers l’horizon. Pas un souffle de vent, une mer

calme, plate sans trace d’écume, un ciel pur sans

nuage ; sauf quelques filaments qui semblent se

précipiter vers l’endroit où le soleil va plonger dans

la Méditerranée pour m' offrir un spectacle digne

de la création du monde. Le silence est juste brisé

par le gazouillis d’un couple de chardonnerets

voletant dans une grande volière derrière moi. Un

monde tel que l’avaient voulu les dieux, tel qu’ils

l’avaient donné aux hommes ; mais que les hommes

avaient dévasté, saccagé, abreuvé de sang, réduit à

leurs ambitions et à leurs jouissances personnelles,

fâchant ainsi les dieux et les rendant sourds à

leurs prières.

Un bruit de sandales sur le sol en tuiles rouge

m’annonce l’arrivée d’un esclave venant allumer les

torchères et m’apporter une légère collation faite

d’une carafe de vin rouge, de fromage de chèvre,

d’olives, le tout produits de mes terres autour de la

villa, et d'une miche de pain que le boulanger du

village monte à la villa à chaque fournée. C'est aussi

le moment où mon fils adoptif Epaphrodite vient

protéger mes vieux os de l’humidité qui monte de la

mer avec une chaude couverture de laine. Il

s’installe à côté de moi et nous devisons pendant

une petite heure durant laquelle j’essaye de lui

transmettre le peu que j’ai appris durant ma longue

vie. 80 ans. A notre époque c’est presque un début

d’éternité. La proximité des thermes d’eaux

chaudes et sulfureuses de Casamicciola avait été

une des raisons de mon installation à Ischia et trois

bains par semaine soulagent mes rhumatismes et

mes articulations rouillées.

Mais en dehors de cela, j’ai toujours préféré Ischia

à Capri. J’ai été amené à y suivre plusieurs fois

Tibère. Mais rapidement je n’ai plus supporté,

malgré le faste de son palais, les scènes de torture,

d’humiliation, d’assassinats dont j’ai été le témoin ;

les jeunes éphèbes jetés du haut de la falaise dans

la mer où des pécheurs achevaient à coups de

rames les survivants. La terreur qu’inspirait Tibère

ne s’imposait pas qu’aux capriotes, mais à toute la

cour qui le suivait. J’ai encore au fond de ma

conscience quelques actes de lâcheté dont je ne me

suis jamais totalement remis. La peur explique

beaucoup de comportements mais n’en justifie

aucun, la bassesse du courtisan moins qu’un autre.

Et les quatre empereurs sous lesquels j’ai vécu ont

usé et abusé de la terreur et ne représentent pas

la période la plus glorieuse de l'histoire de Rome.

Tibère tué par Caligula , Caligula, assassiné par sa 

garde, Claude, empoisonné par sa femme Agrippine. 

Je ne vois pas comment notre imperator actuel, 

Néron, pourrait échapper à une fin aussi violente…

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