lundi 27 mars 2017

Incipit 27 - Marguerite Yourcenar - L'oeuvre au noir



 Henri-Maximilien Ligre poursuivait par petites étapes sa route vers Paris.
Des querelles opposant  le Roi à l’Empereur, il ignorait tout. Il savait seulement que la paix vieille de quelques mois s’effilochait déjà comme un vêtement trop longtemps porté. Ce n’était un secret  pour personne que François de Valois continuait à guigner le Milanais comme un amant malchanceux sa belle; on tenait de bonne source qu’il travaillait sans bruit à équiper et à rassembler sur  les frontières du duc de Savoie une armée toute neuve, chargée d’aller ramasser à Pavie ses éperons perdus. Mêlant à des bribes de Virgile les secs récits de voyage du banquier son père, Henri-Maximilien imaginait, par-delà des monts        cuirassés de glace, des files de cavaliers descendant vers de grands pays fertiles et beaux comme un songe: des plaines rousses, des sources bouillonnantes où boivent des troupeaux blancs,  des villes ciselées comme des coffrets, regorgeant d’or,   d’épices et de cuir travaillé, riches comme des entrepôts, solennelles comme des églises; des jardins pleins de statues, des salles pleines de  manuscrits rares; des femmes vêtues de soie     accueillantes au grand capitaine; toutes sortes de raffinements dans la mangeaille et la débauche, et, sur des tables d’argent massif, dans des fioles en verre de Venise, l’éclat moelleux du malvoisie.

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