mardi 6 octobre 2015

Ernest et Francis - 1

Ernest Hemingway et Francis Scott Fitzgerald
J'étais barman au bar du Ritz. Celui qui devait un jour porter son nom.
''Bar Hemingway''. Le Ritz lui devait bien ça.
En août 1944, il était correspondant de guerre et suivait l'armée du général Leclerc qui allait délivrer Paris. Il déboule un matin sous sa tente de commandement et lui demande de lui fournir un blindé de reconnaissance, 3 jeeps et une douzaine d'hommes. ''Pour en faire quoi?'' ''Libérer le Ritz!'' ''Vous êtes un comique, monsieur. Retournez à votre machine à écrire et laissez moi faire mon boulot.'' Mais le 25 août je l'ai ''entendu'' arriver dans le bar. Il avait un drôle d'uniforme mi-civil, mi-militaire, un révolver à la ceinture, un calot sur la tête, un cigare aux lèvres. Il m'a crié :''Bertin, je suis de retour! Mon Bloody Mary s'il te plait.'' Et il a éclaté d'un énorme rire. C'est moi qui avait inventé pour lui ce cocktail, sans odeur mais pas sans goût, vodka et jus de tomate, pour que sa femme, cette ''satanée Mary'' (Bloody Mary) ne sente rien dans son haleine...
Un barman doit tout voir, tout entendre et savoir se taire. Je ne serais pas resté aussi longtemps à cette place si je n'avais pas eu ces qualités. Mais aujourd'hui, il y a prescription. Je suis probablement un des derniers témoins du temps où Paris était une fête et le bar du Ritz le centre du monde. J'y ai vu défiler tout ce que Paris avait de célébrités des arts et des lettres, de la politique, des affaires, du monde et du demi-monde.
Mais je garde une tendresse particulière pour deux personnages. Ernest et Francis Scott. Jamais je ne me serais permis de les appeler par leur prénom. Mais aujourd'hui!!
Ils étaient amis et pourtant il était difficile d'imaginer deux personnalités aussi éloignées l'une de l'autre. La force de la nature et le dandy délicat, le correspondant de guerre et l'habitué de l'Hôtel du Cap et d'Eden Roc, le romancier fougueux et puissant de l'Adieu aux armes et Pour qui sonne le glas et le romancier raffiné de Gatsby le magnifique et de Tendre et la nuit, l'amoureux de l'amour et des femmes et l'homme d'une seule femme.
Mais ils étaient les deux plus beaux représentants de ce que l'on a appelé ''la génération perdue''. Le côté va-t’en guerre de l'un et le cynisme de l'autre cachaient leur scepticisme et des failles profondes. Et le tragique de leur fin les a réunis.
J'ai souvent pensé qu'il y avait une forme d'ambiguïté dans leurs rapports. En relisant ‘’Paris est une fête’’ j'ai retrouvé cette description de Francis Scott: '' C'était un adolescent dont le visage oscillait entre la joliesse et la beauté. Il avait des cheveux ondulés, très blonds, un regard vif et cordial et une bouche délicate aux lèvres allongées, typiquement irlandaise, qui dans un visage féminin aurait été la bouche de la beauté. Une bouche troublante pour qui ne connaissait pas Scott, plus troublante encore pour qui le connaissait... Scott était un homme qui ressemblait à une fille''.
A suivre demain...

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