UNE GRANDE OMBRE SUR LE ROYAUME-
FIN DU 1er TOME
FIN DU 1er TOME
On disait à la cour qu’il était absent de soi. En fait, il commençait d’être absent du monde. De cet homme de quarante-six ans, la maladie, en trois semaines, avait fait un vieillard aux traits effondrés qui ne vivait plus qu’à demi au fond d’une chambre du château de Fontainebleau. Et toujours cette soif qui le poignait et lui faisait réclamer à boire ! Les médecins assuraient qu’il n’en réchapperait pas, et l’astrologue Martin, en termes prudents, annonça une terrible épreuve à subir vers le bout du mois par un puissant monarque d’Occident, épreuve qui coïnciderait avec une éclipse de soleil. « Il se fera ce jour-là, écrivait maître Martin, une grande ombre sur le royaume…»
Et soudain, un soir, Philippe le Bel éprouva de nouveau sous le crâne ce terrible éclatement noir et cette chute dans les ténèbres qu’il avait connus dans la forêt de Pont-Sainte-Maxence. Cette fois, il n’y avait plus ni cerf ni croix. Il n’y avait qu’un grand corps prostré dans un lit, et sans aucun sentiment des soins qu’on lui prodiguait. Lorsqu’il émergea de cette nuit de la conscience, dont il était incapable de savoir si elle avait duré une heure ou deux jours, la première chose que distingua le roi fut une large forme blanche surmontée d’une étroite couronne noire, et qui se penchait sur lui. Il entendit aussi une voix qui lui parlait.
— Ah ! Frère Renaud, dit le roi faiblement, je vous reconnais bien… Mais vous me paraissez comme entouré de brume.
Et puis aussitôt, il ajouta :
— J’ai soif.
Frère Renaud, des dominicains de Poissy, humecta les lèvres du malade d’un peu d’eau bénite.
— A-t-on mandé l’évêque Pierre ? Est-il arrivé ? demanda alors le roi.
Par un de ces mouvements de l’esprit fréquents chez les mourants et qui les reportent vers leurs plus lointains souvenirs, c’avait été l’obsession du roi dans les derniers jours que de réclamer à son chevet l’un de ses compagnons d’enfance, Pierre de Latille, évêque de Châlons et membre de son Conseil. On s’interrogeait sur ce désir, auquel on cherchait des motifs cachés, alors qu’on aurait dû n’y voir qu’un accident de la mémoire.
— Oui, Sire, on l’a fait mander, répondit frère Renaud.
Il avait effectivement dépêché un chevaucheur vers Châlons, mais le plus tard possible, avec l’espoir que l’évêque n’arriverait pas à temps. Car frère Renaud avait un rôle à jouer dont il n’entendait se dessaisir au profit d’aucun autre ecclésiastique. En effet, le confesseur du roi était en même temps le grand inquisiteur de France ; leurs consciences partageaient les mêmes lourds secrets. Le monarque tout-puissant ne pouvait requérir l’ami de son choix pour l’assister au grand passage.
— Me parliez-vous depuis longtemps, frère Renaud ? demanda le roi.
Frère Renaud, le menton effacé dans la chair, l’œil attentif, était chargé, à présent, sous le couvert des volontés divines, d’obtenir du roi ce que les vivants attendaient encore de lui.
— Sire, dit-il, Dieu vous saurait gré de laisser bien en ordre les affaires du royaume. Le roi resta un instant sans répondre.
— Frère Renaud, ai-je dit ma confession ? demanda-t-il.
— Mais oui, Sire, avant-hier, répondit le dominicain. Une belle confession, et qui a fait notre grande admiration et fera celle de tous vos sujets. Vous vous êtes repenti d’avoir harassé votre peuple, et surtout l’Église, de trop d’impôts ; et aussi vous avez déclaré que vous n’aviez point à implorer pardon des morts ordonnées par votre justice, parce que la Foi et la Justice se doivent assistance.
Le grand inquisiteur avait élevé la voix pour que les assistants l’entendissent bien.
— Ai-je dit cela ? demanda le roi.
Il ne savait plus. Avait-il vraiment prononcé ces paroles, ou bien frère Renaud était-il en train de lui inventer cette fin édifiante que doit faire tout grand personnage ? Il murmura simplement :
— Les morts…
— Il faudrait que vous nous instruisiez de vos volontés dernières, Sire, insista
frère Renaud.
Il s’écarta un peu, et le roi s’aperçut que la chambre était pleine.
— Ah ! dit-il, je vous reconnais bien, vous tous qui êtes ici.
Il paraissait surpris d’avoir conservé cette faculté d’identifier les visages. Ils étaient tous là autour de lui, ses physiciens, son chambellan, son frère Charles à la stature avantageuse, son frère Louis un peu en retrait, le col penché, et Enguerrand, et Philippe le Convers, son légiste, et son secrétaire Maillard, le seul assis, à une petite table, contre les draps… tous immobiles, et tellement silencieux, et tellement estompés qu’ils semblaient arrêtés dans une irréalité éternelle.
— Oui, oui, répéta-t-il, je vous reconnais bien.
Ce géant, au loin, dont la tête émergeait au-dessus de tous les fronts, c’était Robert d’Artois, son turbulent parent… Une haute femme, à quelque distance, retroussait ses manches d’un geste d’accoucheuse. La vue de la comtesse Mahaut rappela au roi les princesses condamnées.
— Le pape est-il élu ? demanda-t-il.
— Non, Sire.
Plusieurs problèmes se bousculaient, s’enchevêtraient dans son esprit épuisé. Chaque homme, parce qu’il croit un peu que le monde est né en même temps que lui, souffre, au moment de quitter la vie, de laisser l’univers inachevé. À plus forte raison un roi. Philippe le Bel chercha du regard son fils aîné. Louis de Navarre, Philippe de Poitiers, Charles de France se tenaient au chevet du lit, flanc à flanc, et comme soudés devant l’agonie de leur géniteur.
Le roi dut renverser la tête pour les voir.
— Pesez, Louis, pesez, murmura-t-il, ce que c’est que d’être le roi de France ! Sachez au plus tôt l’état de votre royaume.
La comtesse Mahaut manœuvrait pour se rapprocher, et l’on devinait bien quels pardons ou quelles grâces elle se disposait à arracher au mourant. Frère Renaud adressa au comte de Valois un regard qui signifiait : « Monseigneur, intervenez. » Louis de Navarre dans quelques moments serait roi de France, et nul n’ignorait que Valois le dominait complètement. Aussi l’autorité de ce dernier croissait-elle à proportion, et le grand inquisiteur se tournait vers lui comme vers la puissance véritable. Valois, coupant la route à Mahaut, vint se placer entre elle et le lit.
— Mon frère, dit-il, n’avez-vous rien à changer dans votre testament de 1311 ?
Il s’écarta un peu, et le roi s’aperçut que la chambre était pleine.
— Ah ! dit-il, je vous reconnais bien, vous tous qui êtes ici.
Il paraissait surpris d’avoir conservé cette faculté d’identifier les visages. Ils étaient tous là autour de lui, ses physiciens, son chambellan, son frère Charles à la stature avantageuse, son frère Louis un peu en retrait, le col penché, et Enguerrand, et Philippe le Convers, son légiste, et son secrétaire Maillard, le seul assis, à une petite table, contre les draps… tous immobiles, et tellement silencieux, et tellement estompés qu’ils semblaient arrêtés dans une irréalité éternelle.
— Oui, oui, répéta-t-il, je vous reconnais bien.
Ce géant, au loin, dont la tête émergeait au-dessus de tous les fronts, c’était Robert d’Artois, son turbulent parent… Une haute femme, à quelque distance, retroussait ses manches d’un geste d’accoucheuse. La vue de la comtesse Mahaut rappela au roi les princesses condamnées.
— Le pape est-il élu ? demanda-t-il.
— Non, Sire.
Plusieurs problèmes se bousculaient, s’enchevêtraient dans son esprit épuisé. Chaque homme, parce qu’il croit un peu que le monde est né en même temps que lui, souffre, au moment de quitter la vie, de laisser l’univers inachevé. À plus forte raison un roi. Philippe le Bel chercha du regard son fils aîné. Louis de Navarre, Philippe de Poitiers, Charles de France se tenaient au chevet du lit, flanc à flanc, et comme soudés devant l’agonie de leur géniteur.
Le roi dut renverser la tête pour les voir.
— Pesez, Louis, pesez, murmura-t-il, ce que c’est que d’être le roi de France ! Sachez au plus tôt l’état de votre royaume.
La comtesse Mahaut manœuvrait pour se rapprocher, et l’on devinait bien quels pardons ou quelles grâces elle se disposait à arracher au mourant. Frère Renaud adressa au comte de Valois un regard qui signifiait : « Monseigneur, intervenez. » Louis de Navarre dans quelques moments serait roi de France, et nul n’ignorait que Valois le dominait complètement. Aussi l’autorité de ce dernier croissait-elle à proportion, et le grand inquisiteur se tournait vers lui comme vers la puissance véritable. Valois, coupant la route à Mahaut, vint se placer entre elle et le lit.
— Mon frère, dit-il, n’avez-vous rien à changer dans votre testament de 1311 ?
— Nogaret est mort, répondit le roi.
Valois hocha le front, tristement, vers le grand inquisiteur, lequel, aussi tristement, écarta les mains comme pour déplorer qu’on eût trop attendu. Mais le roi ajouta :
— Il était exécuteur de mes volontés.
— Il vous faut alors dicter un codicille pour nommer à nouveau vos exécuteurs, mon frère, dit Valois.
— J’ai soif, murmura Philippe le Bel.
On lui remit un peu d’eau bénite sur les lèvres.
Valois reprit :
— Vous désirez toujours, je pense, que je veille au respect de vos volontés.
— Certes… Et vous aussi, Louis, mon frère, dit le roi en regardant le comte d’Évreux.
Maillard avait commencé d’écrire, prononçant à mi-voix les formules rituelles des testaments royaux. Après Louis d’Évreux, le roi désigna ses autres exécuteurs testamentaires, à mesure que ses yeux, plus impressionnants encore maintenant que leur large pâleur se troublait, rencontraient certains visages autour de lui.
Il nomma ainsi Philippe le Convers, et puis Pierre de Chambly, qui était un familier de son second fils, et encore Hugues de Bouville. Alors, Enguerrand de Marigny s’avança et fit en sorte que sa massive personne fût bien en vue du mourant. Le coadjuteur savait que, depuis deux semaines, Charles de Valois ressassait devant le souverain affaibli ses griefs et ses accusations. « C’est Marigny, mon frère, qui est cause de votre souci… C’est Marigny qui a mis le Trésor au pillage… C’est Marigny qui a déshonnêtement marchandé la paix de Flandre… C’est Marigny qui vous a conseillé de brûler le grand-maître…»
Philippe le Bel allait-il, comme chacun d’évidence s’y attendait, citer Marigny parmi ses exécuteurs, lui donnant par là même une ultime confirmation de sa confiance ? Maillard, la plume levée, observait le roi. Mais Valois dit très vite :
— Le nombre y est, je crois, mon frère.
Et il eut pour Maillard un geste impératif qui signifiait de clore la liste. Marigny, blême, serra les poings sur sa ceinture et, forçant la voix, prononça :
— Sire !… Je vous ai toujours fidèlement servi. Je vous demande de me recommander à Monseigneur votre fils.
Entre ces deux rivaux qui se disputaient son esprit, entre Valois et Marigny, entre son frère et son premier ministre, le roi eut un moment de flottement. Comme ils pensaient à eux-mêmes, et bien peu à lui !
Valois hocha le front, tristement, vers le grand inquisiteur, lequel, aussi tristement, écarta les mains comme pour déplorer qu’on eût trop attendu. Mais le roi ajouta :
— Il était exécuteur de mes volontés.
— Il vous faut alors dicter un codicille pour nommer à nouveau vos exécuteurs, mon frère, dit Valois.
— J’ai soif, murmura Philippe le Bel.
On lui remit un peu d’eau bénite sur les lèvres.
Valois reprit :
— Vous désirez toujours, je pense, que je veille au respect de vos volontés.
— Certes… Et vous aussi, Louis, mon frère, dit le roi en regardant le comte d’Évreux.
Maillard avait commencé d’écrire, prononçant à mi-voix les formules rituelles des testaments royaux. Après Louis d’Évreux, le roi désigna ses autres exécuteurs testamentaires, à mesure que ses yeux, plus impressionnants encore maintenant que leur large pâleur se troublait, rencontraient certains visages autour de lui.
Il nomma ainsi Philippe le Convers, et puis Pierre de Chambly, qui était un familier de son second fils, et encore Hugues de Bouville. Alors, Enguerrand de Marigny s’avança et fit en sorte que sa massive personne fût bien en vue du mourant. Le coadjuteur savait que, depuis deux semaines, Charles de Valois ressassait devant le souverain affaibli ses griefs et ses accusations. « C’est Marigny, mon frère, qui est cause de votre souci… C’est Marigny qui a mis le Trésor au pillage… C’est Marigny qui a déshonnêtement marchandé la paix de Flandre… C’est Marigny qui vous a conseillé de brûler le grand-maître…»
Philippe le Bel allait-il, comme chacun d’évidence s’y attendait, citer Marigny parmi ses exécuteurs, lui donnant par là même une ultime confirmation de sa confiance ? Maillard, la plume levée, observait le roi. Mais Valois dit très vite :
— Le nombre y est, je crois, mon frère.
Et il eut pour Maillard un geste impératif qui signifiait de clore la liste. Marigny, blême, serra les poings sur sa ceinture et, forçant la voix, prononça :
— Sire !… Je vous ai toujours fidèlement servi. Je vous demande de me recommander à Monseigneur votre fils.
Entre ces deux rivaux qui se disputaient son esprit, entre Valois et Marigny, entre son frère et son premier ministre, le roi eut un moment de flottement. Comme ils pensaient à eux-mêmes, et bien peu à lui !
— Louis, dit-il avec lassitude, qu’on ne lèse point Marigny s’il prouve qu’il a
été fidèle.
Alors Marigny comprit que les calomnies avaient porté. Devant un abandon si flagrant, il se demanda si Philippe le Bel l’avait jamais aimé. Mais Marigny connaissait les pouvoirs dont il disposait. Il avait en main l’administration, les finances, l’armée. Il savait, lui, « l’état du royaume », et qu’on ne pouvait, sans lui, gouverner. Il croisa les bras, releva son large menton et, regardant Valois et Louis de Navarre de l’autre côté du lit où agonisait son souverain, il parut défier le règne suivant.
— Sire, avez-vous d’autres désirs ? dit frère Renaud. Hugues de Bouville replantait sur un candélabre un cierge qui menaçait de s’effondrer.
— Pourquoi fait-il si sombre ? demanda le roi. Est-ce encore la nuit, et le jour ne s’est-il point levé ?
Bien qu’on fût au milieu de la journée, une obscurité rapide, anormale, angoissante, enveloppait le château. L’éclipse annoncée était en cours et, maintenant totale, couvrait de son ombre le royaume de France.
— Je rends à ma fille Isabelle, dit brusquement le roi, la bague dont elle me fit présent et qui porte le gros rubis qu’on nomme la Cerise.
Il s’interrompit un instant, puis demanda une nouvelle fois :
— Pierre de Latille est-il arrivé ?
Comme personne ne répondait, il ajouta :
— Je lui donne ma belle émeraude.
Il continua en léguant à diverses églises, à Notre-Dame de Boulogne, parce que sa fille s’y était mariée, à Saint-Martin de Tours, à Saint-Denis, des fleurs de lis d’or, « d’un prix de mille livres », précisa-t-il pour chacune. Frère Renaud se pencha et lui dit à l’oreille :
— Sire, n’oubliez point notre prieuré de Poissy.
Sur le visage effondré de Philippe le Bel, on vit passer une expression d’agacement.
— Frère Renaud, dit-il, je donne à votre couvent la belle bible que j’ai annotée de ma main. Elle vous sera bien utile, à vous et à tous les confesseurs des rois de France.
Le grand inquisiteur, bien qu’il attendît davantage, sut cacher son dépit.
— À vos sœurs de saint Dominique, à Poissy, je lègue la grande croix des Templiers. Et mon cœur aussi y sera porté.
Le roi avait terminé la liste de ses dons. Maillard relut à haute voix le codicille. Quand il arriva aux derniers mots : « de par le roi », Valois attirant à lui l’héritier du trône et lui serrant fermement le bras, dit :
Alors Marigny comprit que les calomnies avaient porté. Devant un abandon si flagrant, il se demanda si Philippe le Bel l’avait jamais aimé. Mais Marigny connaissait les pouvoirs dont il disposait. Il avait en main l’administration, les finances, l’armée. Il savait, lui, « l’état du royaume », et qu’on ne pouvait, sans lui, gouverner. Il croisa les bras, releva son large menton et, regardant Valois et Louis de Navarre de l’autre côté du lit où agonisait son souverain, il parut défier le règne suivant.
— Sire, avez-vous d’autres désirs ? dit frère Renaud. Hugues de Bouville replantait sur un candélabre un cierge qui menaçait de s’effondrer.
— Pourquoi fait-il si sombre ? demanda le roi. Est-ce encore la nuit, et le jour ne s’est-il point levé ?
Bien qu’on fût au milieu de la journée, une obscurité rapide, anormale, angoissante, enveloppait le château. L’éclipse annoncée était en cours et, maintenant totale, couvrait de son ombre le royaume de France.
— Je rends à ma fille Isabelle, dit brusquement le roi, la bague dont elle me fit présent et qui porte le gros rubis qu’on nomme la Cerise.
Il s’interrompit un instant, puis demanda une nouvelle fois :
— Pierre de Latille est-il arrivé ?
Comme personne ne répondait, il ajouta :
— Je lui donne ma belle émeraude.
Il continua en léguant à diverses églises, à Notre-Dame de Boulogne, parce que sa fille s’y était mariée, à Saint-Martin de Tours, à Saint-Denis, des fleurs de lis d’or, « d’un prix de mille livres », précisa-t-il pour chacune. Frère Renaud se pencha et lui dit à l’oreille :
— Sire, n’oubliez point notre prieuré de Poissy.
Sur le visage effondré de Philippe le Bel, on vit passer une expression d’agacement.
— Frère Renaud, dit-il, je donne à votre couvent la belle bible que j’ai annotée de ma main. Elle vous sera bien utile, à vous et à tous les confesseurs des rois de France.
Le grand inquisiteur, bien qu’il attendît davantage, sut cacher son dépit.
— À vos sœurs de saint Dominique, à Poissy, je lègue la grande croix des Templiers. Et mon cœur aussi y sera porté.
Le roi avait terminé la liste de ses dons. Maillard relut à haute voix le codicille. Quand il arriva aux derniers mots : « de par le roi », Valois attirant à lui l’héritier du trône et lui serrant fermement le bras, dit :
— Ajoutez : « et du consentement du roi de Navarre ».
Philippe le Bel abaissa le menton, presque imperceptiblement, d’un mouvement d’approbation résignée. Son règne était clos. Il fallut lui guider la main pour qu’il signât au bas du parchemin. Il murmura :
— Est-ce tout ?
Non ; la dernière journée d’un roi de France n’était pas encore achevée.
— Il faut maintenant, Sire, que vous remettiez le miracle royal, dit frère Renaud.
Il invita l’assistance à se retirer afin que le roi transmît à son fils le pouvoir, mystérieusement attaché à la personne royale, de guérir les écrouelles. Renversé sur ses coussins, Philippe le Bel gémit :
— Frère Renaud, regardez ce que vaut le monde. Voici le roi de France !
À l’instant qu’il mourait, on exigeait encore de lui un effort pour qu’il investît son successeur de la capacité, réelle ou supposée, de soulager une affection bénigne. Ce ne fut point Philippe le Bel qui enseigna les formules et prières du miracle ; il les avait oubliées. Ce fut frère Renaud. Et Louis de Navarre, agenouillé auprès de son père, ses mains trop chaudes jointes aux mains glacées du roi, recueillit l’héritage secret.
Ce rite accompli, la cour fut à nouveau admise dans la chambre, et frère Renaud commença de réciter les prières des agonisants. La cour reprenait le verset « In manus tuas, Domine… Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit…», lorsqu’une porte s’ouvrit ; l’évêque Pierre de Latille, l’ami d’enfance du roi, arrivait. Tous les regards se dirigèrent vers lui, tandis que toutes les lèvre continuaient de marmonner.
— In manus tuas, Domine, dit l’évêque Pierre reprenant avec les autres.
On se retourna vers le lit, et les prières s’arrêtèrent dans les gorges ; le Roi de fer était mort.
Frère Renaud s’approcha pour lui fermer les yeux. Mais les paupières qui n’avaient jamais battu se relevèrent d’elles-mêmes. Par deux fois, le grand inquisiteur essaya vainement de les abaisser. On dut couvrir d’un bandeau le regard de ce monarque qui entrait les yeux ouverts dans l’Éternité.
Fin du ''Roi de fer'' 1er tome des Rois maudits
Philippe le Bel abaissa le menton, presque imperceptiblement, d’un mouvement d’approbation résignée. Son règne était clos. Il fallut lui guider la main pour qu’il signât au bas du parchemin. Il murmura :
— Est-ce tout ?
Non ; la dernière journée d’un roi de France n’était pas encore achevée.
— Il faut maintenant, Sire, que vous remettiez le miracle royal, dit frère Renaud.
Il invita l’assistance à se retirer afin que le roi transmît à son fils le pouvoir, mystérieusement attaché à la personne royale, de guérir les écrouelles. Renversé sur ses coussins, Philippe le Bel gémit :
— Frère Renaud, regardez ce que vaut le monde. Voici le roi de France !
À l’instant qu’il mourait, on exigeait encore de lui un effort pour qu’il investît son successeur de la capacité, réelle ou supposée, de soulager une affection bénigne. Ce ne fut point Philippe le Bel qui enseigna les formules et prières du miracle ; il les avait oubliées. Ce fut frère Renaud. Et Louis de Navarre, agenouillé auprès de son père, ses mains trop chaudes jointes aux mains glacées du roi, recueillit l’héritage secret.
Ce rite accompli, la cour fut à nouveau admise dans la chambre, et frère Renaud commença de réciter les prières des agonisants. La cour reprenait le verset « In manus tuas, Domine… Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit…», lorsqu’une porte s’ouvrit ; l’évêque Pierre de Latille, l’ami d’enfance du roi, arrivait. Tous les regards se dirigèrent vers lui, tandis que toutes les lèvre continuaient de marmonner.
— In manus tuas, Domine, dit l’évêque Pierre reprenant avec les autres.
On se retourna vers le lit, et les prières s’arrêtèrent dans les gorges ; le Roi de fer était mort.
Frère Renaud s’approcha pour lui fermer les yeux. Mais les paupières qui n’avaient jamais battu se relevèrent d’elles-mêmes. Par deux fois, le grand inquisiteur essaya vainement de les abaisser. On dut couvrir d’un bandeau le regard de ce monarque qui entrait les yeux ouverts dans l’Éternité.
Fin du ''Roi de fer'' 1er tome des Rois maudits
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