IV
LE
CAMP DE CHARTRES
La
plus belle, mon neveu, la plus belle ! Savez ce que m’écrit le
pape dans une lettre du 28 novembre, mais dont l’expédition a dû
être quelque peu différée, ou bien dont le chevaucheur qui me la
portait est allé me chercher où je n’étais pas, puisqu’elle ne
m’est parvenue qu’hier soir, à Arcis ? Devinez… Eh bien, le
Saint-Père, déplorant le désaccord que j’ai avec Niccola
Capocci, me fait reproche « du manque de charité qui est entre nous
».
Je voudrais bien savoir comment je pourrais lui témoigner
charité, à Capocci ? Je ne l’ai point revu depuis Breteuil, où
il m’a brusquement faussé compagnie pour aller s’installer à
Paris. Et qui donc est fautif du désaccord, sinon celui qui, à
toute force, a voulu m’adjoindre ce prélat égoïste, borné,
uniquement soucieux de ses aises, et dont les démarches n’ont
d’autre dessein que de contrecarrer les miennes ?
La paix générale,
il n’en a cure. Tout ce qui lui importe, c’est que ce ne soit pas
moi qui y parvienne. Manque de charité, la belle chose ! Manque de
charité… J’ai bonnes raisons de penser que Capocci fricote avec
Simon de Bucy, et qu’il fut pour quelque chose dans
l’emprisonnement de Phœbus, lequel, je vous rassure, oui, vous le
saviez… fut relâché en août ; et grâce à qui ? À moi ; ça,
vous ne le saviez pas… sous la promesse qu’il rejoindrait l’ost
du roi.
Enfin, le Saint-Père veut bien m’assurer qu’on me loue
pour mes efforts et que mes activités sont approuvées non seulement
par lui-même, mais par tout le collège des cardinaux. Je pense
qu’il n’en écrit pas autant à l’autre… Mais il revient,
comme il l’a déjà fait en octobre, sur son conseil d’inclure
Charles de Navarre dans la paix générale. Je devine aisément qui
lui souffle cela…
C’est après l’évasion de Friquet de
Fricamps que le roi Jean décida de transférer son gendre à Arleux,
une forteresse de Picardie où tout autour sont des gens fort dévoués
aux d’Artois. Il craignait que Charles de Navarre, à Paris, ne
bénéficiât de trop de complicités. Il ne voulait pas laisser
Phœbus et lui dans la même prison, voire la même ville… Et puis,
ayant bradé l’affaire de Breteuil comme je vous le contais hier,
il revint à Chartres. Il m’avait dit : « Nous parlerons à
Chartres. » J’y fus, moi, tandis que Capocci faisait le vaniteux à
Paris…
Où sommes-nous ici ? Brunet !… le nom de ce bourg ?… Et
Poivres, avons- nous passé Poivres ? Ah ! bon, c’est en avant. On
m’a dit que l’église en était digne d’être regardée.
D’ailleurs, toutes ces églises de Champagne sont fort belles.
C’est un pays de foi…
Oh ! je ne regrette pas d’avoir vu le
camp de Chartres, et j’eusse voulu que vous le vissiez aussi… Je
sais ; vous avez été dispensé de l’ost afin de suppléer votre
père, malade, pour contenir les Anglais, vaille que vaille, hors de
Périgord… Cela vous a peut-être sauvé d’être aujourd’hui
couché sous une dalle, dans un couvent de Poitiers. Peut-on savoir ?
La Providence décide.
Alors, imaginez Chartres : soixante mille
hommes, au bas mot, campant dans la vaste plaine que dominent les
flèches de la cathédrale. L’une des plus grandes armées, sinon
la plus grande, jamais réunies au royaume. Mais séparée en deux
parts bien distinctes. D’un côté, alignées en belles files par
centaines et centaines, les tentes de soie ou de toile teinte des
bannerets et des chevaliers. Le mouvement des hommes, des chevaux,
des chariots produisait là un grand fourmillement de couleurs et
d’acier, sous le soleil, à perte de vue ; et c’était de ce côté
que venaient installer leurs éventaires roulants les marchands
d’armes, de harnais, de vin, de mangeaille, ainsi que les
bordeliers amenant de pleins chariots de filles, sous la surveillance
du roi des ribauds… dont je n’ai toujours pas retrouvé le nom.
Et puis, à bonne distance, bien séparés, comme dans les images du
Jugement dernier… d’un côté le paradis, de l’autre l’enfer…
les piétons, sans autre abri, sur les blés coupés, qu’une toile
soutenue par un piquet, quand encore ils avaient pris le soin de s’en
munir ; une immense plèbe au hasard répandue, lasse, sale,
désœuvrée, qui se groupait par terroir et obéissait mal à des
chefs improvisés. D’ailleurs à quoi eût-elle obéi ? On ne lui
donnait guère de tâches, on ne lui commandait aucune manœuvre.
Toute l’occupation de ces gens, c’était la recherche de la
nourriture. Les plus malins s’en allaient chaparder du côté des
chevaliers, ou bien piller les basses-cours des hameaux voisins, ou
bien braconner. Derrière chaque talus on voyait trois gueux assis
sur leurs talons, autour d’un lapin en train de rôtir. Il y avait
de soudaines ruées vers les chariots qui distribuaient du pain
d’orge, à des heures irrégulières.
Ce qui était régulier,
c’était le passage du roi, chaque jour, dans les rangs des
piétons. Il inspectait les derniers arrivés, un jour ceux de
Beauvais, le lendemain ceux de Soissons, le surlendemain ceux
d’Orléans et de Jargeau. Il se faisait accompagner, entendez bien,
de ses quatre fils, de son frère, du connétable, des deux
maréchaux, de Jean d’Artois, de Tancarville, qui sais-je encore…
d’une nuée d’écuyers.
Une fois, qui se trouva être la
dernière, vous allez voir pourquoi… il me convia comme s’il me
rendait grand honneur.
« Monseigneur de Périgord, demain, s’il
vous plaît de me suivre, je vous emmène à la montrée. »
Moi,
j’attendais toujours de m’accorder avec lui sur quelques
propositions, si vagues fussent-elles, à transmettre aux Anglais,
pour pouvoir accrocher un commencement de négociation. J’avais
proposé que les deux rois commissent des députés pour dresser la
liste de tous les litiges entre les deux royaumes. Rien qu’avec
cela, on pouvait discuter pendant quatre ans. Ou bien, je cherchais
un autre abord, tout différent. On feignait d’ignorer les litiges
et l’on engageait les préliminaires sur les préparatifs d’une
expédition commune vers Constantinople. L’important, c’était de
commencer à parler…
J’allai donc traîner ma robe rouge dans
cette vaste pouillerie qui campait sur la Beauce. Je dis fort bien :
pouillerie, car au retour Brunet dut me chercher les poux. Je ne
pouvais tout de même pas repousser ces pauvres hères qui venaient
baiser le bas de ma robe ! L’odeur était encore plus incommodante
qu’à Breteuil. La nuit précédente un gros orage avait crevé, et
les piétons avaient dormi à même le sol détrempé. Leurs
guenilles fumaient sous le soleil du matin, et ils puaient ferme.
L’Archiprêtre, qui marchait devant le roi, s’arrêta.
Décidément, il tenait grande place, l’Archiprêtre ! Et le roi
s’arrêta, et toute sa compagnie.
« Sire, voici ceux de la prévôté
de Bracieux dans le bailliage de Blois, qui sont arrivés d’hier.
Ils sont piteux… »
De sa masse d’armes, l’Archiprêtre
désignait une quarantaine de gueux dépenaillés, boueux, hirsutes.
Ils n’étaient point rasés depuis dix jours ; lavés, n’en
parlons pas. La disparité de leurs vêtements se fondait dans une
couleur grisâtre de crasse et de terre. Quelques-uns portaient des
souliers crevés ; d’autres avaient les jambes entourées seulement
de mauvaises toiles, d’autres allaient pieds nus. Ils se
redressaient pour faire bonne figure ; mais leurs regards étaient
inquiets. Dame, ils n’attendaient pas de voir surgir devant eux le
roi en personne, entouré de sa rutilante escorte. Et les gueux de
Bracieux se tassaient les uns contre les autres. Les lames courbes et
les piques à crocs de quelques vouges ou gaudendarts pointaient
au-dessus d’eux comme des épines hors d’un fagot fangeux.
«
Sire, reprit l’Archiprêtre, ils sont trente-neuf, alors qu’ils
devraient se trouver cinquante. Huit ont des gaudendarts, neuf sont
pourvus d’une épée, dont une très mauvaise. Un seul possède
ensemble une épée et un gaudendart. L’un d’eux a une hache,
trois ont des bâtons et un autre n’est armé que d’un couteau à
pointe ; les autres n’ont rien du tout. »
J’aurais eu envie de
rire, si je ne m’étais demandé ce qui poussait le roi à perdre
ainsi son temps et celui de ses maréchaux à compter des épées
rouillées. Qu’il se fit voir une fois, soit, c’était bonne
chose. Mais chaque jour, chaque matin ? Et pourquoi m’avoir convié
à cette piètre montrée ? J’eus surprise alors d’entendre son
plus jeune fils, Philippe, s’écrier du ton faux qu’ont les
jouvenceaux quand ils veulent se poser en hommes mûris :
« Ce n’est
certes point avec de telles levées que nous emporterons de grandes
batailles. »
Il n’a que quatorze ans ; sa voix muait et il
n’emplissait pas tout à fait sa chemise de mailles. Son père lui
caressa le front, comme s’il se félicitait d’avoir donné
naissance à un guerrier si avisé. Puis, s’adressant aux hommes de
Bracieux, il demanda :
« Pourquoi n’êtes-vous pas mieux pourvus
d’armes ? Allons, pourquoi ? Est-ce ainsi qu’on se présente à
mon ost ? N’avez-vous pas reçu d’ordres de votre prévôt ? »
Alors, un gaillard un peu moins tremblant que les autres, peut-être
bien celui qui portait la seule hache, s’avança pour répondre :
«
Sire notre maître, le prévôt nous a commandé de nous armer chacun
selon notre état. On s’est pourvu comme on a pu. Ceux qui n’ont
rien, c’est que leur état ne leur permet pas mieux. »
Le roi Jean
se retourna vers le connétable et les maréchaux, arborant cet air
des gens qui sont satisfaits quand, même à leur détriment, les
choses leur donnent raison.
« Encore un prévôt qui n’a pas fait
son devoir… Renvoyez-les, comme ceux de Saint-Fargeau, comme ceux
de Soissons. Ils paieront l’amende. Lorris, vous notez… »
Car,
ainsi qu’il me l’expliqua un moment après, ceux qui ne se
présentait pas à la montrée, ou y venaient sans armes et ne
pouvaient combattre, étaient tenus de payer rachat.
« Ce sont les
amendes dues par tous ces piétons qui me fourniront le nécessaire
pour solder mes chevaliers. »
Une belle idée qui avait dû lui être
glissée par Simon de Bucy, et qu’il avait faite sienne. Voilà
pourquoi il avait convoqué l’arrière-ban, et voilà pourquoi il
comptait avec une sorte de rapacité les détachements qu’il
renvoyait dans leurs foyers.
« Quel emploi aurions-nous de cette
piétaille ? me dit-il encore. C’est à cause de ses troupes de
pied que mon père a été battu à Crécy. La piétaille ralentit
tout et empêche de chevaucher comme il convient. »
Et chacun
l’approuvait, sauf, je dois dire, le Dauphin, qui semblait avoir
une réflexion sur le bout des lèvres mais la garda pour lui.
Était-ce à dire que de l’autre côté du camp, du côté des
bannières, des chevaux et des armures, tout allait à merveille ? En
dépit des convocations répétées, et malgré les beaux règlements
qui prescrivaient aux bannerets et capitaines d’inspecter deux fois
le mois, à l’improviste, leurs hommes, armes et montures afin
d’être toujours prêts à faire mouvement, et qui interdisaient de
changer de chef ou de se retirer sans permission, « à peine de
perdre ses gages et d’être punis sans épargne », malgré tout
cela, un bon tiers des chevaliers n’avaient pas rejoint.
D’autres,
astreints à équiper une route ou compagnie d’au moins vingt-cinq
lances, n’en présentaient que dix. Chemises de mailles rompues,
chapeaux de fer bosselés, harnachements trop secs qui craquaient à
tout moment…
« Eh ! Messire, comment pourrais-je y pourvoir ? Je
n’ai point été aligné en solde, et j’ai assez d’entretenir
ma propre armure… »
On se battait pour referger les chevaux. Des
chefs erraient dans le camp à la recherche de leur troupe égarée,
et des traînards à la recherche, plus ou moins, de leurs chefs.
D’une troupe à l’autre on se chapardait la pièce de bois, le
bout de cuir, l’alêne ou le marteau dont on avait besoin. Les
maréchaux étaient assiégés de réclamations, et leurs têtes
résonnaient des rudes paroles qu’échangeaient les bannerets
coléreux. Le roi Jean n’en voulait rien savoir. Il comptait les
piétons qui paieraient rachat…
Il se dirigeait vers la montrée de
ceux de Saint-Aignan quand arrivèrent, au grand trot à travers le
camp, six hommes d’armes, leurs chevaux blancs d’écume,
eux-mêmes la face ruisselante et l’armure poudreuse. L’un d’eux
mit pied à terre, lourdement, demanda à parler au connétable, et
s’en étant approché lui dit :
« Je suis à messire de Boucicaut
dont je vous apporte nouvelles. »
Le duc d’Athènes, d’un signe,
invita le messager à faire son rapport au roi. Le messager esquissa
le geste de mettre genou en terre, mais ses pièces d’armure le
gênaient ; le roi le dispensa de toute cérémonie et le pressa de
parler.
« Sire, messire de Boucicaut est enfermé dans Romorantin. »
Romorantin ! L’escorte royale resta un moment toute muette de
surprise, et comme étonnée de la foudre. Romorantin, à trente
lieues seulement de Chartres, de l’autre côté de Blois ! On
n’imaginait pas que les Anglais pussent être si près. Car, durant
que s’achevait le siège de Breteuil, que l’on envoyait Gaston
Phœbus en geôle, que le ban et l’arrière-ban, lentement, se
rassemblaient à Chartres, le prince de Galles… comme vous le savez
mieux que personne, Archambaud, puisque vous étiez à protéger
Périgueux… avait entrepris sa chevauchée à partir de Sainte-Foy
et Bergerac, où il entrait en territoire royal, et continué vers le
nord par le chemin que nous avons suivi, Château-l’Évêque,
Brantôme, Rochechouart, La Péruse, y produisant toutes ces
dévastations que nous avons vues.
On était informé de son progrès,
et je dois dire que je n’étais pas sans surprise de voir le roi se
complaire à Chartres, tandis que le prince Édouard ravageait le
pays. On croyait celui-ci, aux dernières nouvelles reçues, quelque
part encore entre La Châtre et Bourges. On pensait qu’il allait
continuer sur Orléans et c’était là que le roi se disait certain
de lui livrer bataille, lui coupant la route de Paris. En vue de quoi
le connétable, tout de même inspiré par la prudence, avait envoyé
un parti de trois cents lances, aux ordres de messires de Boucicaut,
de Craon et de Caumont, en longue reconnaissance de l’autre côté
de la Loire, pour lui chercher les renseignements. Il n’en avait
d’ailleurs reçu que bien peu.
Et puis, soudain, Romorantin ! Le
prince de Galles avait donc obliqué vers l’ouest… Le roi engagea
le messager à poursuivre.
« D’abord, Sire, messire de Chambly,
que messire de Boucicaut avait détaché à l’éclairer, s’est
fait prendre du côté d’Aubigny-sur-Nère…
— Ah ! Gris-Mouton
est pris… », dit le roi, car c’est ainsi qu’on surnomme
messire de Chambly.
Le messager de Boucicaut reprit :
« Mais messire
de Boucicaut ne l’a point su assez tôt, et c’est ainsi que nous
avons donné soudain dans l’avant-garde des Anglais. Nous les avons
attaqués si roidement qu’ils se sont jetés en retraite…
–
Comme à leur ordinaire, dit le roi Jean.
– … mais ils se sont
rabattus sur leurs renforts qui étaient grandement plus nombreux que
nous, et ils nous ont assaillis de toutes parts, au point que
messires de Boucicaut, de Craon et de Caumont nous ont menés
rapidement sur Romorantin, où ils se sont enfermés, poursuivis par
toute l’armée du prince Édouard qui, à l’heure où messire de
Boucicaut m’a dépêché, commençait leur siège. Voilà, Sire, ce
que je dois vous dire. »
Il se fit silence de nouveau. Puis le
maréchal de Clermont eut un mouvement de colère.
« Pourquoi diable
avoir attaqué ? Ce n’était point ce qu’on leur avait commandé.
– Leur faites-vous reproche de leur vaillance ? lui répondit le
maréchal d’Audrehem. Ils avaient débusqué l’ennemi, ils l’ont
chargé.
– Belle vaillance, dit Clermont. Ils étaient trois cents
lances, ils en aperçoivent vingt, et courent dessus sans plus
attendre, en croyant que c’est grande prouesse. Et puis, il en
surgit mille, et les voilà fuyant à leur tour, et courant se mucher
au premier château. Maintenant, ils ne nous servent plus de rien. Ce
n’est point de la vaillance, c’est de la sottise. »
Les deux
maréchaux se prenaient de bec, comme à l’accoutumée, et le
connétable les laissait dire. Il n’aimait pas prendre parti, le
connétable. C’était un homme plus courageux de corps que d’âme.
Il préférait se faire appeler Athènes que Brienne, à cause de
l’ancien connétable, son cousin décapité. Or, Brienne, c’était
son fief, alors qu’Athènes ce n’était qu’un vieux souvenir de
famille, sans plus de réalité aucune, à moins d’une croisade…
Ou peut-être, simplement, il était devenu indifférent, avec l’âge.
Il avait longtemps commandé, et fort bien, les armées du roi de
Naples. Il regrettait l’Italie, parce qu’il regrettait sa
jeunesse.
L’Archiprêtre, un peu en retrait, observait d’un air
goguenard l’empoignade des maréchaux. Ce fut le roi qui mit fin à
leur débat.
« Et moi, je pense, dit-il, que leur revers nous sert.
Car voici l’Anglais fixé par un siège. Et nous savons à présent
où courir à lui, tandis qu’il y est retenu. »
Il s’adressa
alors au connétable.
« Gautier, mettez l’ost en route demain, à
l’aurore. Séparez-le en plusieurs batailles qui passeront la Loire
en divers points, là où sont les ponts, pour ne point nous
ralentir, mais en gardant liaison étroite entre les batailles afin
de les réunir à lieu nommé, par-delà le fleuve. Pour moi, je
passerai à Blois. Et nous irons attaquer l’armée anglaise par
revers à Romorantin, ou bien si elle s’avise d’en partir, nous
lui couperons toutes routes devant elle. Faites garder la Loire très
loin après Tours, jusques à Angers, pour que jamais le duc de
Lancastre, qui vient du pays normand, ne puisse se joindre au prince
de Galles. »
Il surprenait son monde, Jean II ! Soudain calme et
maître de soi, le voici qui donnait des ordres clairs et fixait des
chemins à son armée, comme s’il voyait toute la France devant
lui. Interdire la Loire du côté de l’Anjou, la franchir en
Touraine, être prêt soit à descendre vers le Berry, soit à couper
la route du Poitou et de l’Angoumois… et au bout de tout cela,
aller reprendre Bordeaux et l’Aquitaine.
« Et que la promptitude
soit notre affaire, que la surprise joue à notre avantage. »
Chacun
se redressait, prêt à l’action. Une belle chevauchée qui
s’annonçait.
« Et qu’on renvoie toute la piétaille, ordonna
encore Jean II. N’allons pas à un autre Crécy. Rien qu’en
hommes d’armes, nous serons encore cinq fois plus nombreux que ces
méchants Anglais. »
Ainsi, parce que voilà dix ans les archers et
arbalétriers, engagés mal à propos, ont gêné les mouvements de
la chevalerie et fait perdre une bataille, le roi Jean renonçait à
avoir cette fois aucune infanterie. Et ses chefs de bannière
l’approuvaient car tous avaient été à Crécy et ils en restaient
tout meurtris. Ne pas commettre la même erreur, c’était leur
grand souci.
Seul, le Dauphin s’enhardit à dire : « Ainsi, mon
père, nous n’aurons point d’archers du tout… »
Le roi ne
daigna même pas lui répondre. Et le Dauphin, qui se trouvait
rapproché de moi, me dit, comme s’il cherchait appui, ou bien
voulait que je ne le prisse pas pour un niais :
« Les Anglais, eux,
mettent leurs archers à cheval. Mais nul ne consentirait, chez nous,
à ce qu’on donnât chevaux à des gens du commun peuple. »
Tiens,
cela me rappelle… Brunet !… Si le temps demain se maintient dans
la douceur qu’il a, je ferai l’étape, qui sera fort courte, sur
mon palefroi. Il faut me remettre un peu dans ma selle, avant Metz.
Et puis je veux montrer aux gens de Châlons, en entrant dans leur
ville, que je puis tout aussi bien chevaucher que leur fol évêque
Chauveau…qui n’a toujours pas été remplacé.
Demain
‘’Quand un roi perd la France’’ - 4ème partie – ch 5 –
‘’Le prince d’Aquitaine’’
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