VIII
LA BATAILLE DU ROI
Restait la bataille du roi… Ressers-nous un peu
de ce vin mosellan, Brunet… Qui donc ? L’Archiprêtre ?… Ah
bon, celui de Verdun ! Je le verrai demain, ce sera bien assez tôt.
Nous sommes ici pour trois jours, tant nous nous sommes avancés par
ce temps de printemps qui continue, au point que les arbres ont des
bourgeons, en décembre…
Oui, restait le roi Jean, sur le champ de
Maupertuis… Maupertuis… tiens, je n’y avais pas songé. Les
noms, on les répète, on ne s’avise plus de leur sens… Mauvaise
issue, mauvais passage… On devrait se méfier de livrer combat dans
un lieu ainsi appelé. D’abord le roi avait vu fuir en désordre,
avant même l’abord de l’ennemi, les bannières que commandait
son frère. Puis se défaire et disparaître, à peine engagées, les
bannières de son fils. Certes, il en avait éprouvé dépit, mais
sans penser que rien fût perdu pour autant. Sa seule bataille était
encore plus nombreuse que tous les Anglais réunis. Un meilleur
capitaine eût sans doute compris le danger et modifié aussitôt sa
manœuvre.
Or, le roi Jean laissa aux chevaliers d’Angleterre tout
le temps de répéter à son encontre la charge qui venait de si bien
leur réussir. Ils ont déboulé sur lui, lances basses, et ils ont
rompu son front de bataille. Pauvre Jean II ! Son père, le roi
Philippe, avait été déconfit à Crécy pour avoir lancé sa
chevalerie contre la piétaille, et lui se faisait étriller, à
Poitiers, tout précisément pour la raison inverse.
« Que faut-il
faire quand on affronte des gens sans honneur qui toujours emploient
des armes autres que les vôtres ? »
C’est ce qu’il m’a dit
ensuite, quand je l’ai revu. Du moment qu’il s’avançait à
pied, les Anglais auraient dû, s’ils avaient été de preux
hommes, rester à pied de même. Oh ! il n’est pas le seul prince
qui rejette la faute de ses échecs sur un adversaire qui n’a pas
joué la règle du jeu choisie par lui ! Il m’a dit aussi que la
grande colère où ceci l’avait mis lui renforçait les membres. Il
ne sentait plus le poids de son armure. Il avait rompu sa masse de
fer, mais auparavant il avait assommé plus d’un assaillant. Il
aimait mieux, d’ailleurs, assommer que pourfendre ; mais puisqu’il
ne lui restait plus que sa hache d’armes à deux tranchants, il la
brandissait, il la faisait tournoyer, il l’abattait. On eût dit un
bûcheron fou dans une forêt d’acier.
De plus furieux que lui sur
un champ de bataille, on n’en a guère connu. Il ne sentait rien,
ni fatigue ni effroi, seulement la rage qui l’aveuglait, plus
encore que le sang qui lui coulait sur la paupière gauche. Il était
si sûr de gagner, tout à l’heure ; il avait la victoire dans la
main ! Et tout s’est écroulé. À cause de quoi, à cause de qui ?
À cause de Clermont, à cause d’Audrehem, ses méchants maréchaux
trop tôt partis, à cause de son connétable, un âne ! Qu’ils
crèvent, qu’ils crèvent tous !
Là-dessus, il peut se rassurer,
le bon roi ; ce vœu-là au moins est exaucé. Le duc d’Athènes
est mort ; on le retrouvera tout à l’heure contre un buisson, le
corps ouvert par un coup de vouge et piétiné par une charge. Le
maréchal de Clermont est mort ; il a reçu tant de flèches que son
cadavre ressemble à une roue de dindon. Audrehem est prisonnier, la
cuisse traversée.
Rage et fureur. Tout est perdu, mais le roi Jean
ne cherche qu’à tuer, tuer, tuer tout ce qui est devant lui. Et
puis tant pis, mourir, le cœur éclaté ! Sa cotte d’armes bleue
brodée des lis de France est en lambeaux. Il a vu tomber
l’oriflamme, que le brave Geoffroy de Charny serrait contre sa
poitrine ; cinq courtilliers étaient sur lui ; un bidau gallois ou
un goujat irlandais, armé d’un mauvais couteau de boucher, a
emporté la bannière de France. Le roi appelle les siens. « À moi,
Artois ! À moi, Bourbon ! »
Ils étaient là il n’y a qu’un
moment. Eh oui ! Mais à présent, le fils du comte Robert, le
dénonciateur du roi de Navarre, le géant à petite cervelle… «
Mon cousin Jean, mon cousin Jean »… est prisonnier, et son frère
Charles d’Artois aussi, et Monseigneur de Bourbon, le père de la
Dauphine. « À moi, Regnault, à moi l’évêque ! Fais-toi
entendre de Dieu ! »
Si Regnault Chauveau parlait à Dieu en ce
moment-là, c’était face à face. Le corps de l’évêque de
Châlons gisait quelque part, les yeux clos sous la mitre de fer.
Personne ne répondait plus au roi qu’une voix en mue qui lui
criait :
« Père, père, gardez-vous ! À droite, père, gardez-vous
! »
Le roi a eu un moment d’espoir en voyant Landas, Voudenay et
Guichard reparaître dans la bataille, à cheval. Les fuyards
s’étaient-ils repris ? Les bannières des princes
revenaient-elles, au galop, pour le dégager ?
« Où sont mes fils ?
— À l’abri, Sire ! »
Landas et Voudenay avaient chargé. Seuls.
Le roi saurait plus tard qu’ils étaient morts, morts d’être
retournés au combat pour qu’on ne les crût pas lâches, après
avoir sauvé les princes de France. Un seul de ses fils reste au roi,
le plus jeune, son préféré, Philippe, qui continue de lui crier :
« À gauche, père, gardez-vous ! Père, père, gardez-vous à
droite… »
Et qui le gêne, disons bien, autant qu’il ne l’aide.
Car l’épée est un peu lourde dans les mains de l’enfant pour
être bien offensive, et il faut au roi Jean écarter parfois de sa
longue hache cette lame inutile, afin de pouvoir porter des coups
d’arrêt à ses assaillants. Mais au moins il n’a pas fui, le
petit Philippe ! Soudain, Jean II se voit entouré de vingt
adversaires, à pied, si pressés qu’ils se gênent les uns les
autres. Il les entend crier :
« C’est le roi, c’est le roi, sus
au roi ! »
Pas une cotte d’armes française dans ce cercle
terrible. Sur les targes et les écus, rien que des devises anglaises
ou gasconnes.
« Rendez-vous, rendez-vous, sinon vous êtes mort »,
lui crie-t-on.
Mais le roi fou n’entend rien. Il continue de fendre
l’air avec sa hache. Comme on l’a reconnu, on se tient à
distance ; dame, on veut le prendre vivant ! Et il tranche le vent à
droite, à gauche, à droite surtout parce qu’à gauche il a l’œil
collé par le sang…
« Père, gardez-vous… »
Un coup atteint le
roi à l’épaule. Un énorme chevalier alors traverse la presse,
fait brèche de son corps dans le mur d’acier, joue des cubitières,
et parvient devant le roi haletant qui toujours mouline l’air. Non,
ce n’est pas Jean d’Artois ; je vous l’ai dit, il est
prisonnier. D’une forte voix française, le chevalier crie :
«
Sire, Sire, rendez-vous. »
Le roi Jean alors s’arrête de frapper
contre rien, contemple ceux qui l’entourent, qui l’enferment, et
répond au chevalier :
« À qui me rendrais-je, à qui ? Où est mon
cousin le prince de Galles ? C’est à lui que je parlerai.
—
Sire, il n’est pas ici ; mais rendez-vous à moi, et je vous
mènerai devers lui, répond le géant.
— Qui êtes-vous ?
— Je
suis Denis de Morbecque, chevalier, mais depuis cinq ans au royaume
d’Angleterre, puisque je ne puis demeurer au vôtre. »
Morbecque,
condamné pour homicide et délit de guerre privée, le frère de ce
Jean de Morbecque qui travaille si bien pour les Navarre, qui a
négocié le traité entre Philippe d’Évreux et Édouard III. Ah !
Le sort faisait bien les choses et mettait des épices dans
l’infortune pour la rendre plus amère.
« Je me rends à vous »,
dit le roi.
Il jeta sa hache d’armes dans l’herbe, ôta son
gantelet et le tendit au gros chevalier. Et puis, un instant
immobile, l’œil clos, il laissa la défaite descendre en lui. Mais
voilà qu’à son entour le hourvari reprenait, qu’il était
bousculé, tiré, pressé, secoué, étouffé. Les vingt gaillards
criaient tous ensemble :
« Je l’ai pris, je l’ai pris, c’est
moi qui l’ai pris ! »
Plus fort que tous, un Gascon gueulait :
«
Il est à moi. J’étais le premier à l’assaillir. Et vous venez,
Morbecque, quand la besogne est faite. »
Et Morbecque de répondre :
« Que clamez-vous, Troy ? Il s’est rendu à moi, pas à vous. »
C’est qu’elle allait rapporter gros, et d’honneur et d’argent,
la prise du roi de France ! Et chacun cherchait à l’agripper pour
assurer son droit. Saisi au bras par Bertrand de Troy, au col par un
autre, le roi finit par être renversé dans son armure. Ils
l’eussent séparé en quartiers.
« Seigneurs, seigneurs !
criait-il, menez-moi courtoisement, voulez-vous, et mon fils aussi,
devers le prince mon cousin. Ne vous battez plus de ma prise. Je suis
assez grand pour tous vous faire riches. »
Mais ils n’écoutaient
rien. Ils continuaient de hurler :
« C’est moi qui l’ai pris. Il
est mien ! »
Et ils se battaient entre eux, ces chevaliers, gueules
rogues et griffes de fer levées, ils se battaient pour un roi comme
des chiens pour un os. Passons à présent du côté du prince de
Galles. Son bon capitaine, Jean Chandos, venait de le rejoindre sur
un tertre qui dominait une grande partie du champ de bataille, et ils
s’y étaient arrêtés. Leurs chevaux, les naseaux injectés de
sang, le mors enveloppé de bave mousseuse, étaient couverts
d’écume. Eux-mêmes haletaient.
« Nous nous entendions l’un
l’autre prendre de grandes goulées d’air », m’a raconté
Chandos.
La face du prince ruisselait et son camail d’acier, fixé
au casque, qui enfermait le visage et les épaules, se soulevait à
chaque prise d’haleine. Devant eux, ce n’étaient que haies
éventrées, arbrisseaux cassés, vignes ravagées. Partout des
montures et des hommes abattus. Ici un cheval n’en finissait pas de
mourir, battant des fers. Là, une cuirasse rampait. Ailleurs, trois
écuyers portaient au pied d’un arbre le corps d’un chevalier
expirant. Partout, archers gallois et courtilliers irlandais
dépouillaient les cadavres. On entendait encore dans quelques coins
des cliquetis de combat. Des chevaliers anglais passaient dans la
plaine serrant un des derniers Français qui cherchait sa retraite.
Chandos dit :
« Dieu merci, la journée est vôtre, Monseigneur.
—
Eh oui, par Dieu, elle l’est. Nous l’avons emporté ! « lui
répondit le prince.
Et Chandos reprit :
« Il serait bon, je crois,
que vous vous arrêtiez ici, et fassiez mettre votre bannière sur ce
haut buisson. Ainsi se rallieront vers vous vos gens, qui sont fort
épars. Et vous-même pourrez vous rafraîchir un petit, car je vous
vois fort échauffé. Il n’y a plus à poursuivre.
— Je pense
ainsi », dit le prince.
Et tandis que la bannière aux lions et aux
lis était plantée sur un buisson et que les sonneurs cornaient,
cornaient dans leur trompe le rappel au prince, Édouard se fit ôter
son bassinet, secoua ses cheveux blonds, essuya, sa moustache
trempée. Quelle journée ! Il faut bien reconnaître qu’il avait
vraiment payé de sa personne, galopant sans relâche, pour se
montrer à chaque troupe, encourageant ses archers, exhortant ses
chevaliers, décidant des points où pousser des renforts… enfin,
c’est surtout Warwick et Suffolk, ses maréchaux, qui décidaient ;
mais il était toujours là pour leur dire :
« Allez, vous faites
bien… »
Au vrai, il n’avait pris de lui-même qu’une seule
décision, mais capitale, et qui lui méritait vraiment la gloire de
toute la journée. Lorsqu’il avait vu le désordre causé dans la
bannière d’Orléans par le seul reflux de la charge française, il
avait aussitôt remis en selle une partie de son monde pour aller
produire semblable effet dans la bataille du duc de Normandie.
Lui-même était entré dans la mêlée à dix reprises. On avait eu
l’impression qu’il était partout. Et chacun qui ralliait venait
le lui dire.
« La journée est vôtre. La journée est vôtre…
C’est grande date, dont les peuples garderont mémoire. La journée
est vôtre, vous avez fait merveille. »
Ses gentilshommes du corps
et de la chambre se hâtèrent à lui dresser son pavillon, sur
place, et à faire avancer le chariot, soigneusement garé, qui
contenait tout le nécessaire de son repas, sièges, tables,
couverts, vins. Il ne pouvait pas se décider à descendre de cheval,
comme si la victoire n’était pas vraiment acquise.
« Où est le
roi de France, l’a-t-on vu ? » demandait-il à ses écuyers.
Il
était grisé d’action. Il parcourait le tertre, prêt à quelque
lutte suprême. Et soudain il aperçut, renversée dans les bruyères,
une cuirasse immobile. Le chevalier était mort, abandonné de ses
écuyers, sauf d’un vieux serviteur blessé, qui se cachait dans un
taillis. Auprès du chevalier, son pennon : armes de France au
sautoir de gueules. Le prince fit ôter le bassinet du mort.
Eh !
oui, Archambaud… c’est bien ce que vous pensez ; c’était mon
neveu… c’était Robert de Durazzo. Je n’ai pas honte de mes
larmes… Certes, son honneur propre l’avait poussé à une action
que l’honneur de l’Église, et le mien, auraient dû lui
défendre. Mais je le comprends. Et puis, il fut vaillant… Il n’est
pas de jour où je ne prie Dieu de lui faire pardon. Le prince
commanda à ses écuyers :
« Mettez ce chevalier sur une targe,
portez-le à Poitiers et présentez-le pour moi au cardinal de
Périgord, et dites-lui que je le salue. »
Et c’est de la sorte,
oui, que j’appris que la victoire était aux Anglais. Dire que, le
matin, le prince était prêt à traiter, à tout rendre de ses
prises, à suspendre les armes, pour sept ans ! Il m’en fit beau
reproche, le lendemain, quand nous nous revîmes à Poitiers. Ah ! il
ne mâcha pas ses paroles. J’avais voulu servir les Français, je
l’avais trompé sur leur force, j’avais mis tout le poids de
l’Église dans la balance pour l’amener à composition. Je ne pus
que lui répondre :
« Beau prince, vous avez épuisé les moyens de
la paix, par amour de Dieu. Et la volonté de Dieu s’est fait
connaître. »
Voilà ce que je lui dis… Mais Warwick et Suffolk
étaient arrivés sur le tertre, et avec eux Lord Cobham.
«
Avez-vous nouvelles du roi Jean ? leur demanda le prince.
— Non,
pas de notre vue, mais nous croyons bien qu’il est mort ou pris,
car il n’est point parti avec ses batailles. »
Alors le prince
leur dit :
« Je vous prie, partez et chevauchez pour m’en dire la
vérité. Trouvez le roi Jean. »
Les Anglais étaient épars,
répandus sur près de deux lieues rondes, chassant l’homme,
poursuivant et ferraillant. À présent que la journée était
gagnée, chacun traquait pour son profit. Dame ! Tout ce que porte
sur lui un chevalier pris, armes et joyaux, appartient à son
vainqueur. Et ils étaient bellement adornés, les barons du roi
Jean. Beaucoup avaient des ceintures d’or. Sans parler des rançons,
bien sûr, qui se discuteraient et seraient fixées selon le rang du
prisonnier. Les Français sont assez vaniteux pour qu’on les laisse
eux-mêmes fixer le prix auquel ils s’estiment. On pouvait bien se
fier à leur gloriole.
Alors, à chacun sa chance ! Ceux-là qui
avaient eu la bonne fortune de mettre la main sur Jean d’Artois, ou
le comte de Vendôme, ou le comte de Tancarville, étaient en droit
de songer à se faire bâtir château. Ceux qui ne s’étaient
saisis que d’un petit banneret, ou d’un simple bachelier,
pourraient seulement changer le meuble de leur grand-salle et offrir
quelques robes à leur dame. Et puis il y aurait les dons du prince,
pour les plus hauts faits et belles prouesses.
« Nos hommes sont à
chasser la déconfiture jusques aux portes de Poitiers », vint
annoncer Jean de Grailly, capitaine de Buch.
Un homme de sa bannière
qui revenait de là-bas avec quatre grosses prises, n’en pouvant
conduire plus, lui avait appris qu’il s’y faisait grand abattis
de gens, parce que les bourgeois de Poitiers avaient fermé leurs
portes ; devant celles-ci, sur la chaussée, on s’était occis
horriblement, et maintenant les Français se rendaient d’aussi loin
qu’ils apercevaient un Anglais. De très ordinaires archers avaient
jusqu’à cinq et six prisonniers. Jamais on n’avait ouï telle
méchéance.
« Le roi Jean y est-il ? demanda le prince.
– Certes
non. On me l’aurait dit. »
Et puis, au bas du tertre, Warwick et
Cobham reparurent, allant à pied, la bride de leur cheval au bras,
et cherchant à mettre paix parmi une vingtaine de chevaliers et
écuyers qui leur faisaient escorte. En anglais, en français, en
gascon, ces gens disputaient avec des grands gestes, mimant des
mouvements de combat. Et devant eux, tirant ses pas, allait un homme
épuisé, un peu titubant, qui, de sa main nue, tenait par le
gantelet un enfant en armure. Un père et un fils qui marchaient côte
à côte, tous deux portant sur la poitrine des lis de soie
tailladés.
« Arrière ; que nul n’approche le roi, s’il n’en
est requis », criait Warwick aux disputeurs.
Et là seulement
Édouard de Galles, prince d’Aquitaine, duc de Cornouailles,
connut, comprit, embrassa l’immensité de sa victoire. Le roi, le
roi Jean, le chef du plus nombreux et plus puissant royaume d’Europe…
L’homme et l’enfant marchaient vers lui très lentement… Ah !
cet instant qui demeurerait toujours dans la mémoire des hommes !…
Le prince eut l’impression qu’il était regardé de toute la
terre. Il fit un signe à ses gentilshommes, pour qu’on l’aidât
à descendre de cheval. Il se sentait les cuisses raides et les reins
aussi. Il se tint sur la porte de son pavillon. Le soleil, qui
inclinait, traversait le boqueteau de rayons d’or. On les aurait
bien surpris, tous ces hommes, en leur disant que l’heure de Vêpres
était déjà passée. Édouard tendit les mains au présent que lui
amenaient Warwick et Cobham, au présent de la Providence.
Jean de
France, même courbé par le destin adverse, est de plus grande
taille que lui. Il répondit au geste de son vainqueur. Et ses deux
mains aussi se tendirent, l’une gantée, l’autre nue. Ils
restèrent un moment ainsi, non pas s’accolant, simplement
s’étreignant les mains. Et puis Édouard eut un geste qui allait
toucher le cœur de tous les chevaliers. Il était fils de roi ; son
prisonnier était roi couronné. Alors, toujours le tenant par les
mains, il inclina profondément la tête, et il esquissa une pliure
du genou. Honneur à la vaillance malheureuse… Tout ce qui grandit
notre vaincu grandit notre victoire. Il y eut des gorges qui se
serrèrent chez ces rudes hommes.
« Prenez place, Sire mon cousin,
dit Édouard en invitant le roi Jean à entrer dans le pavillon.
Laissez-moi vous servir le vin et les épices. Et pardonnez que, pour
le souper, je vous fasse faire bien simple chère. Nous passerons à
table tout à l’heure. »
Car on s’affairait à dresser une
grande tente sur le tertre. Les gentilshommes du prince connaissaient
leur devoir. Et les cuisiniers ont toujours quelques pâtés et
viandes dans leurs coffres. Ce qui manquait, on alla le chercher au
garde-manger des moines de Maupertuis. Le prince dit encore :
« Vos
parents et barons auront plaisir à se joindre à vous. Je les fais
appeler. Et souffrez qu’on panse cette blessure au front qui montre
votre grand courage. »
Demain
‘’Quand un roi perd la France’’ 4ème partie – ch 9 –
‘’Le souper du prince’’
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