Et
une lettre cachetée sur la quelle je reconnais son écriture. ''Pour
Renaud''. Je l'ouvre, mal à l'aise. Je m'assied et je serre très
fort la lettre pour ne pas trembler.
Elle
commence ainsi:
''
Quand tu liras cette lettre j'aurai rejoint les grandes prairies...
et
finit ainsi:
''Merci.
D'où que je sois je t'embrasse avec tendresse...''
André
est mort et il m'écrit de là où il est une lettre de trois pages
pour me parler de nous.
Au
fil de la lecture, 12 ans d'images défilent. De notre rencontre en
Janvier 1982 dans une cave enfumée de la rue des Blancs Manteaux à
Paris, à la dernière fois où je l'ai vu en janvier 1994, dans sa
grande maison enfouie sous la neige au bord du Saint Laurent gelé.
Je le savais malade. D'une ''leucémie''. Je respectais sa volonté
de ne pas en dire plus. Sa vie affective était compliquée. Il avait
le goût, un amour profond des femmes et en même temps une forte
attirance pour les hommes au contact desquels il ressentait une vraie
complicité. Ce qui aurait pu être vécu comme une bisexualité
épanouie était devenu conflit interne. Lorsque je le rencontrais en
janvier 82, il venait d'arriver à Paris en mission pour le compte
d'une organisation internationale canadienne chargée de l'aide aux
pays en voie de développement. Il avait laissé au Québec
maîtresses et amant. Et encore cet amant n'était-il qu'épisodique
puisqu'il travaillait à l'autre bout du Canada. Il attendait de ses
6 mois à Paris une parenthèse ''romantique'' dans sa vie
personnelle.
Ce
fût un soir au PZ, alors que je poussais ma chansonnette, que je
remarquais, à 2 mètres de moi, accoudé au bar, ce type, brun et
sec comme un pruneau d'Agen, avec une grosse moustache noire qui,
quand il souriait, laissait apparaître des dents très blanches et
une lèvre inférieure gourmande. Une femme qui rit est, paraît-il,
à moitié séduite. Un homme aussi! J'attaquais donc une version
gentiment décalée du ''Déshabillez-moi'' de J. Gréco. Bingo! Il
sourît. Des lèvres et des yeux. Dès la chanson finie, je
m'approchais de lui et lui proposais une bière. Sa réponse me
ravit. C'était un véritable accent québécois pur jus d'érable.
Irrésistible. Dix minutes plus tard je reprenais le micro pour lui
sortir un Félix Leclerc de derrière les fagots. Bozo. Mais malgré
mon forcing et le déploiement de mon charme ce n'est que le
troisième jour qu'il accepta de venir boire un dernier verre à la
maison. Suivirent cinq mois de bonheur. On se partageait entre mon
studio de la rue St Martin et son appartement de fonction rue du
Petit Musc. Ce n'était pas à proprement parler de l'amour, mais
plutôt un grand bien être à se trouver ensemble. Sans obligation
aucune. Son job l'amenait à avoir certaines obligations, le mien me
faisait voyager pas mal. Et c'était bien ainsi.
Il
était intelligent, gentil, drôle, pianiste et aquarelliste. Des
nord-américains il avait l'aplomb et l'absolu manque de complexes,
mais aussi l'émerveillement devant les traces de l'histoire dans les
rues de Paris. C'étaient de longues balades dans les quartiers de
Paris où je lui ressortais ce que j'avais appris la veille. Je lui
récitais Verlaine sur les quais de la Seine et Apollinaire sur le
Pont Mirabeau. Après une fin tardive au PZ on allait parfois manger
une soupe à l'oignon ou une bavette aux échalotes dans une petite
brasserie des Halles, on prenait le premier croissant chaud dans un
de ces bistros où à 5 heures du matin Paris s'éveille. Et au mois
de mai on se retrouvait parfois accoudés sur la Passerelle des Arts
à regarder le soleil se lever juste entre les tours de Notre-Dame.
Il passait son bras sous le mien et appuyait son épaule contre la
mienne...
A demain...
A demain...
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