DEUXIÈME
PARTIE
LE
BANQUET DE ROUEN
I
DISPENSES
ET BÉNÉFICES
Oh
! ce Monseigneur de Bourges m’a fort échauffé les humeurs,
pendant ces trois jours que nous avons passés en son palais Que
voilà donc un prélat qui a l’hospitalité bien encombrante et
bien quémandeuse ! Tout le temps à vous tirer par la robe pour
obtenir quelque chose. Et que de protégés et de clients a cet
homme-là, auxquels il a fait promesses et qu’il vous jette dans
les souliers.
« Puis-je présenter à Sa Très Sainte Éminence un
clerc de grand mérite… Sa Très Sainte Éminence voudra-t-elle
abaisser son regard bienveillant vers le chanoine de je ne sais quoi…
J’ose recommander aux faveurs de Votre Très Sainte Éminence… »
Je me suis vraiment tenu à quatre, hier soir, pour ne pas lui lâcher
« Allez vous purger, l’évêque, et veuillez… oui, la paix à ma
Sainte Éminence ! »
Je vous ai pris avec moi, ce matin, Calvo…
vous commencez à mieux tolérer, j’espère, le balancement de ma
litière, d’ailleurs je serai bref pour que nous récapitulions
bien précisément ce que je lui ai accordé, et rien de plus. Car il
ne va pas manquer, maintenant qu’il est dans notre route, de vous
venir bassiner de prétendus agréments que j’aurais donnés à
toutes ses requêtes. Déjà, il m’a dit
« Pour les dispenses
mineures, je n’en veux point fatiguer Votre Très Sainte Éminence,
je les présenterai à messire Francesco Calvo, qui est assurément
personne de grand savoir, ou bien à messire du Bousquet… »
Holà
! Je n’ai pas emmené avec moi un auditeur pontifical, deux
docteurs, deux licenciés ès lois et quatre bacheliers pour relever
de leur illégitimité tous les fils de prêtres qui disent la messe
dans ce diocèse, ou y possèdent un bénéfice. C’est merveille
d’ailleurs qu’après toutes les dispenses qu’accorda durant son
pontificat mon saint protecteur, le pape Jean XXII… près de cinq
mille, dont plus de la moitié à des bâtards de curés, et
moyennant pénitence d’argent, bien sûr, ce qui aida fort à
restaurer le trésor du Saint-Siège… il se retrouve aujourd’hui
autant de tonsurés qui sont les fruits du péché.
Comme légat du
pape, j’ai latitude de donner dix dispenses au cours de ma mission,
pas davantage. J’en accorde deux à Monseigneur de Bourges ; c’est
déjà trop. Pour les offices de notaire, j’ai droit d’en
conférer vingt-cinq, et à des clercs qui m’auront rendu de
personnels services, pas à des gens qui se sont glissés dans les
papiers de Monseigneur de Bourges. Vous lui en donnerez un, en
choisissant le plus bête et le moins méritant, pour qu’il ne lui
en vienne que des ennuis. Si l’on s’étonne, vous répondrez : «
Ah ! c’est Monseigneur qui l’a recommandé tout expressément…
»
Pour les bénéfices sans charge d’âmes, autrement dit les
commendes, que ce soit à des ecclésiastiques ou des laïcs, nous
n’en distribuerons aucune.
« Monseigneur de Bourges en demandait
trop. Son Éminence n’a pas voulu faire de jalousies… »
Et j’en
ajouterai une ou deux à Monseigneur de Limoges, qui s’est montré
plus discret. Ne dirait-on pas que je suis venu d’Avignon tout
seulement pour répandre les faveurs et les profits autour de ce
Monseigneur de Bourges ? Je prise peu les gens qui se poussent en
faisant étalage de beaucoup d’obligés et il se leurre, cet
évêque-là, s’il croit que je parlerai de lui pour le chapeau. Et
puis je l’ai trouvé bien indulgent pour les fratricelles dont j’ai
vu pas mal rôder dans les couloirs de son palais. J’ai été forcé
de lui rappeler la lettre du Saint-Père contre ces franciscains
égarés… je la connais d’autant mieux que c’est moi qui l’ai
rédigée… qui s’attribuent le ministère de la prédication,
séduisent les simples par un habit d’une humilité feinte et font
des discours dangereux contre la foi et le respect dû au
Saint-Siège. Je lui ai remis en mémoire qu’il avait commandement
de corriger et punir ces malfaisants selon les canons, et en
implorant si de besoin le secours du bras séculier, comme Innocent
VI l’a fait l’autre année en laissant brûler Jean de Chastillon
et François d’Arquate qui soutenaient des hérésies…
« Des
hérésies, des hérésies… des erreurs certes, mais il faut les
comprendre. Ils n’ont pas tort en tout. Et puis les temps changent…
»
Voilà ce qu’il m’a répondu, Monseigneur de Bourges. Moi, je
n’aime guère ces prélats qui comprennent trop les mauvais
prêcheurs et plutôt que de sévir veulent se faire populaires en
allant du côté où souffle le vent. Je vous aurai donc gré, dom
Calvo, de me surveiller un peu ce bonhomme-là, durant le voyage, et
d’éviter qu’il n’endoctrine mes bacheliers, ou bien qu’il ne
s’épanche trop auprès de Monseigneur de Limoges ou des autres
évêques que nous allons prendre en chemin. Faites-lui la route un
peu dure, encore que nous n’aurons plus, les jours raccourcissant
et le froid devenant plus vif, que des étapes courtes. Dix à douze
lieues la journée, pas davantage. Je ne veux point qu’on chemine
de nuit. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous n’allons pas plus
loin que Sancerre. Nous y aurons longue soirée. Prenez garde au vin
qu’on y boit. Il est fruité et gouleyant, mais plus gaillard qu’il
n’y paraît. Faîtes le savoir à La Rue et qu’il me surveille
l’escorte. Je ne veux point de Non, descendez ! descendez vite, je
vous prie. soulards sous la livrée du pape… Mais vous pâlissez,
Calvo. Décidément vous ne tolérez point la litière…
Demain
‘’Quand un roi perd la France’’ - 2ème partie ch 2 ‘’La
colère du roi’’
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