samedi 9 mars 2019

Les rois maudits - La loi des mâles - ch 7 - Les portes du palais




VII
LES PORTES DU PALAIS
   Le même soir, le comte de Poitiers se trouvait au château de Fontainebleau, où il devait coucher ; c’était sa dernière étape avant Paris. Il achevait de souper, en compagnie du dauphin de Viennois, du comte de Savoie et des membres de sa nombreuse escorte, lorsqu’on vint lui annoncer l’arrivée des comtes de Valois, de la Marche et de Saint-Pol.
   — Qu’ils entrent, qu’ils entrent tout aussitôt, dit Philippe de Poitiers.
   Mais il n’eut pas le moindre mouvement pour aller au-devant de son oncle. Et quand celui-ci, le pas martial, le menton haut et les vêtements poudreux, apparut, Philippe se contenta de se lever et d’attendre. Valois, un peu décontenancé, resta quelques secondes sur le pas de la porte, regarda l’assistance. Philippe s’obstinant à demeurer immobile, il dut se décider à avancer. Chacun se taisait, les observant. Quand Valois fut assez près, le comte de Poitiers le prit alors aux épaules et le baisa sur les deux joues, ce qui pouvait passer pour un geste de bon neveu mais qui, venant d’un homme qui n’avait pas bougé de sa place, paraissait plutôt un geste de roi. Cette attitude irrita non seulement Valois, mais également Charles de La Marche qui pensa « N’avons-nous fait tout ce chemin que pour recevoir tel accueil ? Après tout, je suis égal à mon frère ; pourquoi se permet-il de nous traiter de si haut ? » Une expression amère, jalouse, déformait un peu son beau visage aux traits réguliers, mais sans intelligence. Philippe lui tendit les bras, La Marche ne put faire autrement que d’accepter une brève accolade. Mais aussitôt, il dit, désignant Valois, et d’un ton qui se voulait d’autorité.
   — Philippe, voyez ici notre oncle, le plus aîné de la couronne. Nous vous louons que vous vous accordiez à lui et qu’il ait le gouvernement du royaume. Car trop serait ce royaume en péril d’être remis à l’attente d’un enfant qui est encore à naître, et ne saurait donc royaume gouverner.
   La phrase avait une ambiguïté et une ampoule qui ne pouvaient être du cru de Charles de La Marche. Celui-ci répétait évidemment des paroles serinées. La fin de la déclaration fit sourciller Philippe. Le mot de régent n’avait pas été prononcé. Valois ne visait-il pas, au-delà de la régence, la couronne elle-même ?
   — Notre cousin Saint-Pol est avec nous, reprit Charles de La Marche, pour vous dire que c’est aussi le conseil des barons.
Philippe se passa la main, lentement, sur la joue.
   — Je vous sais gré, mon frère, de votre avis, répondit-il froidement, et d’avoir fait tant de route pour me le porter. Aussi je pense que vous êtes las comme je le suis moi-même, et les bonnes décisions ne se prennent point dans la lassitude. Je propose donc que nous allions dormir pour en décider demain, l’esprit frais et en petit Conseil. La bonne nuit, Messeigneurs… Raoul, Anseau, Adam, m’accompagnez, je vous prie.
   Et il sortit de la salle, sans avoir offert le vivre à ses visiteurs, et sans même se soucier de la manière dont ils allaient s’accommoder pour dormir. Suivi d’Adam Héron, de Raoul de Presles et d’Anseau de Joinville, il se dirigea vers la chambre royale. Le lit, jamais plus utilisé depuis que le Roi de fer y avait rendu l’âme, était prêt, les draps mis. Philippe tenait beaucoup à occuper cette chambre, il tenait surtout à ce que nul autre ne l’occupât. Adam Héron se disposait à le déshabiller.
   — Je crois que je ne me dévêtirai pas, dit Philippe de Poitiers. Adam, vous allez dépêcher aussitôt un bachelier vers messire Gaucher de Châtillon pour qu’il soit à m’attendre à Paris, dès le petit matin, à la porte d’Enfer. Et puis mandez-moi mon barbier tout à l’heure, car je veux parvenir avec le visage frais. Et aussi ordonnez qu’on tienne vingt chevaux prêts à partir vers la minuit. Que l’on selle sans bruit, lorsque mon oncle sera couché. Pour vous, Anseau, ajouta-t-il en se tournant vers le fils du sénéchal de Joinville, je vous charge d’avertir de mon départ le comte de Savoie et le dauphin afin qu’ils ne soient pas surpris et ne croient pas que je me défie d’eux. Restez ici jusqu’au matin en leur compagnie, et quand mon oncle se réveillera, qu’on l’entoure beaucoup et qu’on le ralentisse. Faites-lui perdre du temps en route.
   Demeuré seul avec Raoul de Presles, le comte de Poitiers sembla s’enfoncer dans une méditation silencieuse que le légiste se garda de troubler.
   — Raoul, dit-il enfin, vous avez œuvré jour après jour pour mon père, et l’avez connu du plus près. En cette occasion, comment aurait-il agi ?
   — Il eût fait comme vous, Monseigneur, je m’en porte garant, et ne vous le dis point par flatterie, mais parce que je le pense bien. J’ai trop aimé notre Sire Philippe, et enduré trop de souffrances depuis qu’il n’est plus, pour servir aujourd’hui un prince qui ne me le rappellerait en tous points.
   — Hélas, hélas, Raoul, je suis peu de chose auprès de lui. Il pouvait suivre son faucon en l’air, sans jamais le perdre des yeux, et moi j’ai la vue courte. Il tordait sans peine un fer à cheval entre ses doigts. Il ne m’a légué ni sa force aux armes, ni cette apparence de visage qui enseignait à chacun qu’il était roi.
   En parlant, il regardait obstinément le lit. À Lyon il s’était senti régent, avec une parfaite certitude. Mais, à mesure qu’il se rapprochait de la capitale, cette assurance, sans qu’il en laissât rien paraître, l’abandonnait un peu. Raoul de Presles, comme s’il répondait aux questions non formulées, dit :
   — Il n’y a point de précédent à la situation où nous sommes, Monseigneur. Nous en avons assez débattu depuis des jours. Dans l’affaiblissement présent du royaume, le pouvoir sera à celui qui aura l’autorité de le prendre. Si vous y parvenez, la France ne souffrira pas.
   Peu après il se retira, et Philippe s’allongea, les yeux fixés sur la petite lampe suspendue entre les courtines. Le comte de Poitiers n’éprouvait aucune gêne, aucun malaise, à reposer sur cette couche qui avait eu un cadavre pour dernier usager. Au contraire, il y puisait de la force, il avait l’impression de se couler dans la forme paternelle, d’en reprendre la place et les dimensions sur la terre. « Père, revenez en moi », priait-il, et il demeurait immobile, les mains croisées sur la poitrine, offrant son corps à la réincarnation d’une âme depuis vingt mois enfuie.
   Il entendit des pas dans le couloir, des voix, et son chambellan répondre, à quelqu’un sans doute de la suite de Charles de Valois, que le comte de Poitiers reposait. Le silence tomba sur le château. Un peu plus tard, le barbier arriva avec son attirail. Tandis qu’on le rasait, Philippe de Poitiers se rappela, prononcées dans cette même chambre, devant la famille et la cour, les dernières recommandations de son père à Louis, qui en avait tenu si peu compte « Pesez, Louis, ce que c’est que d’être le roi de France Et sachez au plus tôt l’état de votre royaume. »
Vers minuit, Adam Héron vint l’avertir que les chevaux étaient prêts. Quand le comte de Poitiers sortit de la chambre, il avait le sentiment que vingt mois étaient abolis, et qu’il reprenait les choses là où elles se trouvaient à la mort de son père, comme s’il en recueillait directement la succession. Une lune propice éclairait la route La nuit de juillet, tout étoilée, ressemblait au manteau de la Sainte Vierge. La forêt exhalait ses parfums de mousse, d’humus et de fougère ; elle vivait du frémissement secret des animaux.
   Philippe de Poitiers montait un excellent cheval dont il goûtait l’allure puissante. L’air frais fouettait ses joues rendues sensibles par les rasoirs du barbier. « Ce serait pitié, songeait-il, que de laisser si bon pays en de mauvaises mains. » La petite troupe surgit de la forêt, traversa au galop Ponthierry et s’arrêta, comme le jour apparaissait, au creux d’Essonne, pour faire souffler les chevaux et prendre quelque nourriture. Philippe dévora ce repas, assis sur une borne. Il semblait heureux. Il n’avait que vingt-cinq ans, son expédition revêtait un air de conquête, et il s’adressait avec une amitié joyeuse aux compagnons de son aventure. Cette gaieté, rare chez lui, acheva de les affermir.
Entre prime et tierce, il arrivait à la porte de Paris tandis que sonnaient les cloches aigrelettes des couvents d’alentour. Il trouva là Louis d’Évreux et Gaucher de Châtillon qui l’attendaient. Le connétable avait son visage des mauvais jours. Il invita aussitôt le comte de Poitiers à se rendre au Louvre.
    — Et pourquoi n’irais-je pas tout droit au palais de la Cité ? demanda Philippe.
   — Parce que nos seigneurs de Valois et de La Marche ont fait occuper le Palais par leurs hommes d’armes. Au Louvre, vous aurez les troupes royales, qui sont tout à mon obéissance, c’est-à-dire tout à vous, avec les arbalétriers de messire de Galard… Mais il faut agir promptement et résolument, ajouta le connétable, pour devancer le retour de nos deux Charles. Si vous m’en donnez l’ordre, Monseigneur, je fais enlever le Palais.
   Philippe savait que les minutes étaient précieuses. Il calculait qu’il avait, néanmoins, six à sept heures d’avance sur Valois.
   — Je ne veux rien entreprendre dont je ne sache auparavant que cela sera vu de bonne façon par les bourgeois et le peuple de la ville, répondit-il.
Et dès qu’il fut entré au Louvre, il envoya mander, au Parloir aux Bourgeois, maître Coquatrix, maître Gentien, et quelques autres notables, ainsi que le prévôt Guillaume de La Madelaine qui avait succédé depuis mars au prévôt Ployebouche. Philippe leur marqua en quelques paroles l’importance qu’il attachait à la bourgeoisie de Paris et aux hommes qui dirigeaient les arts de fabrique et le négoce. Les bourgeois se sentirent honorés, et surtout rassurés, par un tel langage qu’ils n’avaient plus entendu depuis la disparition de Philippe le Bel.
   Or ce roi, dont ils se plaisaient à médire du temps qu’il les gouvernait, comme ils le regrettaient à présent ! Ce fut Geoffroy Coquatrix, commissaire sur les monnaies fausses, collecteur des subventions et subsides, trésorier des guerres, pourvoyeur des garnisons, visiteur des ports et passages du royaume, maître à la Chambre des comptes, qui répondit. Il tenait ses charges de Philippe le Bel, qui l’avait même doté d’un revenu à héritage, ainsi qu’on le faisait pour les grands serviteurs de la Couronne ; et il n’avait jamais rendu de comptes de son administration. Il craignait que Charles de Valois, hostile depuis toujours à la promotion des bourgeois aux grands postes, ne le destituât de ses fonctions pour le spolier de l’énorme fortune qu’il s’était acquise. Coquatrix assura le comte de Poitiers, en lui donnant dix fois du « messire régent », du dévouement de la population parisienne.
   Sa parole valait cher, car il était tout-puissant au Parloir, et assez riche pour payer, en cas de besoin, tous les truands de la ville et les envoyer à l’émeute. La nouvelle du retour de Philippe de Poitiers s’était rapidement répandue. Les barons et chevaliers qui lui étaient favorables accoururent au Louvre. Mahaut d’Artois, personnellement prévenue, fut des premières à se présenter.
   — En quel état est ma mie Jeanne ? dit Philippe à sa belle-mère, en lui ouvrant les bras.
   — On attend sa délivrance d’un jour à l’autre.
   — Je l’irai voir aussitôt mes travaux achevés.
   Puis il se concerta avec son oncle d’Évreux et le connétable.
   — À présent, Gaucher, vous pouvez marcher contre le Palais. Tâchez, s’il se peut, d’en avoir fini pour midi. Mais faites en sorte d’éviter le sang autant qu’il sera possible. Agissez par effroi plutôt que par violence. Je déplorerais d’entrer au Palais en enjambant des morts.
   Gaucher alla prendre la tête des compagnies de gens d’armes qu’il avait réunies au Louvre et gagna la Cité. En même temps il envoyait le prévôt quérir, dans le quartier du Temple, les meilleurs charpentiers et serruriers. Les portes du Palais étaient fermées. Gaucher, ayant à son côté le grand maître des arbalétriers, demanda l’entrée. L’officier de garde, se montrant à une lucarne au-dessus de la porte principale, répondit qu’il ne pouvait ouvrir sans l’autorisation du comte de Valois ou du comte de La Marche.
   — Il vous faut m’ouvrir quand même, répondit le connétable, car je veux entrer, et mettre le Palais en état de recevoir le régent, qui me suit.
   — Nous ne pouvons.
   Gaucher de Châtillon se tassa un peu sur son cheval.
   — Alors, nous ouvrirons par nous-mêmes, dit-il.
   Et il fit signe d’approcher à maître Pierre du Temple, charpentier royal, escorté de ses ouvriers qui portaient des scies, des pinces et de gros leviers de fer. En même temps, les arbalétriers reçurent l’ordre d’armer. Ils retournèrent leurs arbalètes, et engagèrent le pied dans une sorte d’étrier de fer qui leur permettait de tenir l’arc appuyé au sol pendant qu’ils bandaient les cordes. Puis ils placèrent la flèche dans l’encoche, et se mirent en position de viser les créneaux et embrasures. Les archers et piquiers, joignant leurs boucliers, formaient une énorme carapace autour et au-dessus des charpentiers.
   Dans les rues adjacentes, badauds et gamins se massaient, à distance respectueuse, pour voir le siège. On leur offrait une belle distraction dont ils allaient pouvoir parler pendant des jours. « Aussi vrai que je suis là… J’ai vu le connétable tirer sa grande épée… Plus de deux mille, pour sûr, plus de deux mille qu’ils étaient ! » Enfin, Gaucher, de la voix dont il commandait sur les champs de bataille, cria, par la ventaille levée de son heaume :
   — Messires qui êtes dedans, voici les maîtres de charpente et de serrurerie qui vont faire sauter les portes. Voyez aussi les arbalétriers de messire de Galard qui cernent le Palais de toutes parts. Nul ne pourra réchapper. Je vous invite une dernière fois à nous bâiller l’huis, car si vous ne vous rendez à discrétion, vous aurez tous la tête tranchée, si nobles que vous soyez. Le régent ne fera pas de quartier.
   Puis il abaissa sa visière, ce qui était preuve qu’il ne discuterait plus. Il devait régner grande panique à l’intérieur car, à peine les ouvriers avaient-ils engagé les leviers sous les portes, celles-ci tournèrent d’elles-mêmes. La garnison du comte de Valois se rendait.
   — Il était temps de vous soumettre à sagesse, dit le connétable en pénétrant dans la cour du Palais. Rentrez en vos demeures ou aux hôtels de vos maîtres ; ne vous attroupez pas, et il ne vous sera point fait de mal.
   Une heure plus tard, Philippe de Poitiers occupait les appartements royaux. Il décida aussitôt des mesures de sécurité. La cour du Palais, ordinairement ouverte à la foule, fut close, gardée militairement, et les visiteurs soigneusement filtrés. Les merciers, qui avaient privilège de vendre dans la grande galerie, furent invités à fermer boutique pour la journée.
   Lorsque les comtes de Valois et de La Marche arrivèrent à Paris, ils comprirent leur partie perdue.
   — Philippe nous a méchamment joués, dirent-ils.
   Et ils se hâtèrent, n’ayant plus d’autre issue, d’aller au Palais négocier leur soumission. Ils y trouvèrent, autour du comte de Poitiers, une nombreuse assistance de seigneurs, de notables et d’hommes d’Église, parmi lesquels l’évêque Marigny toujours prompt à se ranger du côté du pouvoir. Constatant avec dépit la présence de Coquatrix, de Gentien et de plusieurs bourgeois, Valois dit à mi-voix à Charles de La Marche :
   — Votre frère ne durera pas. Il est bien peu assuré de lui-même s’il se sent obligé de s’appuyer sur les hommes du commun. Néanmoins, il prit son meilleur air pour s’avancer vers Poitiers et le pria d’excuser l’incident des portes.
   — Mes écuyers de garde ne savaient point. Ils avaient reçu consignes sévères… à cause de la reine Clémence…
   Il s’attendait à une solide rebuffade et la souhaitait presque afin de pouvoir entrer en conflit ouvert avec Philippe. Mais celui-ci ne lui offrit pas les avantages d’une brouille et lui répondit, du même ton :
   — J’ai dû agir de la sorte, et à grand regret, mon oncle, pour prévenir les entreprises de notre cousin de Bourgogne à qui votre départ avait laissé la place libre. J’en avais reçu nouvelles dans la nuit, à Fontainebleau, et n’ai pas voulu vous éveiller.
   Valois, cherchant à atténuer sa défaite, feignit d’admettre l’explication, et s’efforça même de faire bon visage au connétable qu’il tenait pour l’auteur de toute la machination. Charles de La Marche, moins habile à dissimuler, gardait les lèvres closes. Le comte d’Évreux présenta alors la proposition dont il était convenu avec Philippe. Tandis que celui-ci, dans un coin de la salle, feignait de s’entretenir de questions de service avec le connétable et Miles de Noyers, Louis d’Évreux dit :
   — Mes nobles seigneurs, et vous tous, messires, je conseille, pour le bien du royaume, et pour y éviter des troubles funestes, que notre bien-aimé neveu Philippe assure le gouvernement, de notre consentement à tous, et qu’il accomplisse les offices royaux au nom de son neveu à naître, si Dieu veut que la reine Clémence mette au monde un fils ; je conseille aussi qu’une assemblée de tous les hauts hommes du royaume se tienne sitôt qu’on la pourra réunir, avec les pairs et les barons, pour approuver notre décision et jurer fidélité au régent.
   C’était l’exacte riposte à la déclaration de Charles de La Marche, la veille, à Fontainebleau, en faveur de Valois. Mais la scène, cette fois, avait été réglée par de meilleurs artistes. Truffée d’hommes fidèles au comte de Poitiers, l’assistance approuva par acclamation. Aussitôt Louis d’Évreux vint mettre les mains dans celles de Philippe.
   — Je vous jure fidélité, mon neveu, dit-il en ployant le genou.
   Philippe le releva et, lui donnant l’accolade, lui dit à l’oreille :
   — Tout se poursuit à merveille ; grand merci, mon oncle.
   Charles de Valois, furieux, grommelait :
   — Le roi… Il se prend tout juste pour le roi.
   Mais Louis d’Évreux déjà se tournait vers lui, disant :
   — Pardon, mon frère, d’être passé avant votre aînesse.
   Valois n’avait plus qu’à obéir. Il s’approcha, les mains tendues ; le comte de Poitiers les lui laissa en l’air.
   — Vous me ferez la grâce, mon oncle, dit-il, de siéger à mon Conseil.
   Valois pâlit. La veille, il signait les ordonnances et les faisait sceller de son sceau. Aujourd’hui on lui offrait comme un grand honneur une place en un Conseil auquel il appartenait de droit.
   — Vous me remettrez aussi les clés du Trésor, ajouta Philippe en baissant la voix. Je sais bien qu’il n’y reste que poussières. Mais de ce peu, je suis désormais garant.
   Valois eut un mouvement de recul ; c’était sa dépossession complète qu’on exigeait de lui.
   — Mon neveu, je ne puis, répondit-il. Il me faut faire mettre les comptes au net.
   — Je me défends bien, mon oncle, de douter de leur netteté ! dit Philippe avec une ironie à peine perceptible. Gardez-moi de vous faire l’injure d’en demander l’examen. Remettez donc les clés, et nous vous tiendrons quitte des comptes.
   Valois comprit la menace.
   — Soit, mon neveu, ces clés vous seront portées tout à l’heure.
   Philippe alors étendit les mains pour recevoir l’hommage de son plus puissant rival. Le connétable de France s’approchait à son tour.
   — À présent, Gaucher, lui souffla Philippe, il nous faut nous occuper du Bourguignon.

Demain ‘’La loi des mâles’’ ch.8 ‘’ Les visites du comte de Poitiers’’

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