II
LAISSONS
FAIRE DIEU
Depuis
vingt-quatre heures, la comtesse Mahaut ne décolérait pas. Devant
Béatrice d’Hirson qui l’aidait à se vêtir pour le baptême du
roi, elle laissa exploser sa rage et son dépit.
— On aurait pu
croire, dolente comme l’était Clémence, qu’elle ne viendrait
pas au terme de ses couches ? On en voit de plus fortes qui avortent
en chemin. Non ! Elle a tenu ses neuf mois. Elle pouvait nous donner
un enfant mort-né ? Nenni ! Son rejeton vit. Au moins ce pouvait
être une fille ? Point ! Il a fallu que ce soit un garçon.
Valait-il la peine, ma pauvre Béatrice, d’avoir tant fait et couru
si gros périls, qui ne sont point encore écartés, pour être
jouées par le sort de pareille façon !
Car Mahaut, maintenant,
était profondément convaincue de n’avoir assassiné le Hutin que
pour donner à son gendre la couronne de France. Elle regrettait
presque de n’avoir pas tué la femme en même temps que le mari, et
toute sa haine se tournait à présent contre le nouveau-né qu’elle
n’avait pas encore vu, contre le bébé auquel elle allait dans un
moment servir de marraine et dont l’existence à peine éclose
mettait un frein à ses ambitions.
Cette femme, puissante entre les
puissants, richissime, despotique, avait une véritable nature de
criminelle. Le meurtre était son moyen de prédilection pour
infléchir le destin à son profit ; elle aimait en caresser le
projet, en respirer le souvenir ; elle y puisait l’excitation des
affres, les délectations de la ruse, la joie des triomphes secrets.
Si un premier assassinat n’avait pas eu tout le résultat escompté,
elle commençait d’accuser le sort d’injustice, se prenait
elle-même en pitié, et se mettait tout naturellement à chercher la
nouvelle tête qui lui faisait obstacle et qu’elle pourrait
abattre. Béatrice d’Hirson, allant au-devant des pensées de la
comtesse, dit lentement, en baissant ses longs cils :
— J’ai
gardé, Madame… un peu de cette bonne farine qui nous a si bien
servi pour les dragées du roi… ce printemps.
— Tu as bien fait,
tu as bien fait, répondit Mahaut ; il vaut mieux être toujours
pourvu ; nous avons tant d’ennemis ! Béatrice, qui était pourtant
de belle taille, élevait les bras pour arranger la mentonnière de
la comtesse et lui poser le manteau sur les épaules. — Vous allez
tenir l’enfant, Madame. Vous n’aurez plus, peut-être, cette
occasion de sitôt…, reprit-elle. Ce n’est qu’une poudre, vous
savez… et qui s’aperçoit à peine sur le doigt. Elle parlait
d’une voix suave, tentatrice, et comme s’il se fût agi d’une
friandise.
— Ah non ! s’écria Mahaut, pas pendant le baptême ;
cela nous porterait malheur !
— Croyez-vous ? C’est une âme sans
péché que vous rendriez au Ciel.
— Et puis Dieu sait comment mon
gendre prendrait la chose ! Je n’ai pas oublié le visage qu’il
eut quand je le dessillai sur la fin de son frère, et l’espèce de
froideur qu’il me témoigne depuis. Trop de gens m’accusent à
voix basse. C’est assez d’un roi pour l’année ; subissons un
moment celui qui vient de nous naître.
Ce fut une maigre cavalcade,
presque clandestine, qui partit pour Vincennes faire de Jean Ier un
chrétien ; et les barons qui avaient préparé leurs atours,
attendant d’être conviés à la cérémonie, en furent pour leurs
frais. La maladie de la reine, le fait que la naissance ait eu lieu
hors de Paris, la grisaille de l’hiver, et enfin le peu de joie
qu’éprouvait le régent d’avoir un neveu, tout s’accordait
pour que ce baptême fût rapidement expédié, comme une formalité.
Philippe arriva à Vincennes accompagné de son épouse Jeanne, de
Mahaut, de Gaucher de Châtillon et de quelques écuyers. Il avait
négligé d’avertir le reste de la famille. D’ailleurs Valois
parcourait ses fiefs pour s’y faire de l’argent ; Évreux était
resté à Amiens pour achever la liquidation de l’affaire d’Artois.
Quant à Charles de La Marche, Philippe avait eu, la veille, une vive
altercation avec lui. La Marche, en l’honneur de la naissance du
roi, demandait à son frère l’élévation de son apanage en pairie
ainsi qu’un accroissement de ses revenus.
— Eh ! mon frère,
avait répondu Philippe, je ne suis que le régent ; le roi seul
pourra vous conférer la pairie… à sa majorité.
Les premiers mots
de Bouville, en accueillant le régent dans l’avant-cour du manoir,
furent pour demander :
— Personne n’a d’armes, Monseigneur ?
Personne ne porte dague, ni stylet, ni miséricorde ?
On ne pouvait
savoir si cette inquiétude visait les gens d’escorte ou les
parrains eux-mêmes.
— Je n’ai pas coutume, Bouville, répondit
le régent, d’être suivi d’écuyers désarmés.
Bouville, à la
fois timide et obstiné, pria les écuyers de rester dans la première
cour. Ce zèle dans la prudence commença d’agacer le régent.
—
J’apprécie, Bouville, dit-il, le soin avec lequel vous avez veillé
au ventre de la reine ; mais vous n’êtes plus curateur ; c’est à
moi-même et au connétable qu’il appartient, maintenant, de
veiller sur le roi. Nous vous en laissons la charge, n’en abusez
point.
— Monseigneur ! Monseigneur ! balbutia Bouville, je n’avais
point dessein de vous offenser. Mais il se dit tant de choses dans le
royaume… Enfin, je veux que vous voyiez que je suis fidèle à ma
tâche, et que j’en sais tout l’honneur.
Il était peu habile à
dissimuler. Il ne pouvait s’empêcher de regarder Mahaut de biais,
et de rebaisser les yeux aussitôt. « Décidément, tout un chacun
me soupçonne et se défie de moi », pensa la comtesse. Jeanne de
Poitiers feignait de ne rien remarquer. Gaucher de Châtillon, qui
était hors de l’affaire, brisa la gêne en disant :
— Allons,
Bouville, ne nous laissez point geler : entrons donc.
On ne se rendit
pas au chevet de la reine. Les nouvelles que donna madame de Bouville
étaient fort alarmantes : la fièvre continuait de dévorer la
malade qui se plaignait d’atroces maux de tête et était secouée
à tout instant par des nausées.
— Son ventre se remet à gonfler
comme si elle n’avait point accouché, expliqua madame de Bouville.
Elle ne peut trouver le sommeil, supplie qu’on arrête les cloches
qui lui sonnent aux oreilles et nous parle sans cesse comme si elle
s’adressait non point à nous, mais à sa grand-mère, Madame de
Hongrie, ou au roi Louis. C’est pitié que de l’entendre ainsi
perdre la raison, sans pouvoir la faire taire.
Vingt ans de métier
de chambellan auprès de Philippe le Bel avaient laissé au comte de
Bouville une longue expérience des cérémonies royales. Combien de
baptêmes déjà n’avait-il pas réglés ? Les objets rituels
furent distribués aux assistants. Bouville et deux gentilshommes de
la garde se passèrent au col de longues serviettes blanches dont ils
tenaient les extrémités étendues devant eux, pour en recouvrir,
l’un le bassin empli d’eau bénite, l’autre le bassin vide, le
troisième la coupe qui contenait le sel. La ventrière prit le
chrémeau dont on coifferait l’enfant après l’onction.
Puis la
nourrice s’avança, portant le roi. « Oh ! La belle fille que
voilà ! » pensa le connétable. Madame de Bouville avait fait
revêtir à Marie de Cressay une robe de velours rosé, avec un peu
de fourrure au col et aux poignets, et elle avait fait répéter
longuement à la jeune femme les gestes qu’elle aurait à
accomplir. Le bébé était empaqueté dans un manteau deux fois plus
long que lui, sur lequel était posé un voile de soie violette qui
tombait jusqu’au sol, comme une traîne. On se dirigea vers la
chapelle du château. Des écuyers ouvraient la marche, tenant des
cierges allumés.
Le sénéchal de Joinville venait le dernier,
soutenu et pourtant chancelant. Néanmoins il était un peu sorti de
sa torpeur habituelle parce que le nouveau-né s’appelait Jean,
comme lui-même. La chapelle était tendue de tapisseries, et la
pierre des fonts garnie de velours violet. À côté se trouvait une
table où l’on avait étendu une couverture de menuvair, et
par-dessus une nappe fine, et par-dessus encore placé des coussins
de soie. Quelques grilles à braises ne suffisaient pas à dissiper
l’humide froideur.
Marie déposa l’enfant sur la table pour le
démailloter. Attentive à ne point faire d’erreurs, elle avait le
cœur battant, et distinguait à peine les visages autour d’elle,
tant elle était émue. Aurait-elle jamais imaginé, elle, fille
chassée de sa famille, qu’il lui appartiendrait de tenir un rôle
si important dans le baptême d’un roi, entre le régent de France
et la comtesse d’Artois ? Éblouie par ce retour de fortune, elle
était pleine de gratitude, à présent, pour madame de Bouville, et
lui avait demandé pardon de son insoumission de la veille.
Tout en
déroulant les langes, elle entendit le connétable s’informer de
son nom, et d’où elle venait ; elle se sentit rougir. Le chapelain
de la reine avait soufflé quatre fois sur le corps du nouveau-né,
comme aux quatre branches d’une croix, pour ôter de lui le démon
par la vertu du Saint-Esprit ; puis, crachant sur son index, il lui
avait enduit de salive les narines et les oreilles, pour signifier
qu’il ne devait pas écouter les voix du diable, ni respirer les
tentations du monde et de la chair.
Philippe et Mahaut soulevèrent
le petit roi l’un par les jambes et l’autre par les épaules. Le
régent, de ses yeux myopes, considérait avec insistance le sexe
minuscule de l’enfant, ce rose vermisseau qui mettait en échec
toute sa savante combinaison successorale, ce dérisoire symbole de
la loi des mâles, infime mais infranchissable obstacle entre lui et
la couronne. « De toute manière, pensait Philippe pour se consoler,
je suis régent durant quinze années. En quinze ans bien des choses
peuvent survenir ; serai-je moi-même vivant dans quinze ans ? Et cet
enfant vivra-t-il jusque-là ? » Mais régence n’est pas royauté.
L’enfant était resté fort calme, et même somnolent pendant les
rites préliminaires. Il ne fit entendre sa voix que lorsqu’on le
plongea entièrement dans l’eau froide ; mais alors, il hurla
jusqu’à s’en étrangler. Par trois fois, tandis que les autres
parrains et marraines, Gaucher, Jeanne de Poitiers, les Bouville, le
sénéchal, étendaient les mains au-dessus de son petit corps nu, il
fut immergé, d’abord avec la tête vers l’Orient puis au Nord,
puis au Sud, pour figurer le dessin de la Croix.
Jean I er se
calma aussitôt qu’on l’eut sorti du bain glacial, et accepta
paisiblement le saint chrême dont on lui oignit le front. Puis on le
reposa sur les coussins où Marie de Cressay se mit à le sécher
tandis que les assistants se tassaient au plus près de la chaleur
des poêles à braise. Soudain la voix de Marie de Cressay emplit la
chapelle.
— Seigneur ! Seigneur ! Il trépasse ! cria-t-elle.
Tous
se projetèrent vers la table. Le bébé-roi avait pris une teinte
bleue qui fonçait d’instant en instant jusqu’à devenir noirâtre
; il avait le corps raidi, les bras crispés, la tête tordue, et ses
paupières ouvertes ne laissaient apparaître que des globes blancs.
Une main invisible étouffait cette vie sans conscience, entourée de
cierges vacillants et de fronts anxieusement penchés. Mahaut
entendit murmurer :
— C’est elle.
Elle releva les yeux et
rencontra les regards du ménage Bouville.
« Qui a donc fait le coup
pour m’en charger ? » se demanda-t-elle.
Cependant la ventrière
avait pris l’enfant des mains tremblantes de Marie et s’efforçait
de le ranimer.
— Il n’est pas sûr qu’il meure, il n’est pas
sûr, dit-elle.
Le nourrisson resta ainsi rigide, distendu et sombre
près de deux minutes qui parurent infinies ; puis, brusquement, il
fut agité de secousses violentes projetant la tête en tous sens.
Les membres se retournaient ; on n’eût jamais cru qu’une telle
force pût parcourir un corps si chétif ; la ventrière devait le
serrer pour qu’il ne lui échappât. Le chapelain se signa, comme
s’il était en présence d’une manifestation diabolique, et se
mit à réciter les prières des agonisants.
L’enfant grimaçait,
bavait ; son aspect noirâtre avait disparu pour faire place à une
pâleur glacée, non moins effrayante. Un moment il parut s’apaiser,
urina sur la robe de la ventrière et on le pensa sauvé. Puis
aussitôt sa tête tomba ; il devint mou, inerte, et cette fois
chacun vraiment le jugea mort.
— Il était grand temps de le
baptiser, dit le connétable. Philippe de Poitiers ôtait de ses
mains les gouttes chaudes tombées des cierges. Et soudain le petit
cadavre agita les pieds, poussa quelques cris, faibles encore mais
plutôt joyeux, et ses lèvres s’animèrent d’un mouvement de
succion. Le roi était en vie, et il voulait téter.
— Le démon
s’est fort débattu avant de lui sortir du corps, dit le chapelain.
— Il n’est point fréquent, expliqua la ventrière, que les
convulsions saisissent les enfants si tôt. C’est parce qu’il est
venu avec les fers ; cela se voit parfois. Et puis le lait de la
nourrice lui a manqué pendant plusieurs heures…
Marie de Cressay
se sentit coupable. « Si au lieu de me disputer avec Madame de
Bouville, j’étais accourue aussitôt… » pensa-t-elle. Nul,
évidemment, n’aurait mis en cause l’immersion en eau froide, ni
aucune des tares héréditaires, boiterie, démence, épilepsie, qui
reparaissaient assez régulièrement dans la famille.
— Croyez-vous
qu’il ait à souffrir d’autres accès ? demanda Mahaut.
— C’est
fort à craindre, Madame, répondit la ventrière. On ne sait jamais
l’entretien.
« Laisser faire Dieu… ou me laisser faire, moi ?
pensa la comtesse d’Artois. Il est prudent, jusqu’à se garder de
se souiller l’âme ; mais il m’a bien comprise… C’est ce gros
niais de Bouville qui va me causer le plus de tracas. »
Dès cet
instant son imagination commença de travailler. Mahaut avait un
crime en perspective ; et que la future victime fût un nouveau-né
lui excitait l’esprit autant que s’il se fût agi de l’adversaire
le plus féroce. Elle entreprit une campagne soigneuse, perfide. Le
roi n’était pas né viable ; elle le disait à tout venant, et
décrivait, les larmes dans les yeux, la pénible scène du baptême.
— Nous l’avons tous cru trépassé devant nous, et il s’en est
fallu de bien peu que ce ne fût vrai. Demandez plutôt au connétable
qui était là comme moi ; je n’ai jamais vu messire Gaucher si
fort pâlir… Chacun pourra juger d’ailleurs de la faiblesse du
petit roi quand on le présentera à tous les barons, comme cela doit
se faire. À savoir même s’il n’est pas déjà mort et qu’on
nous le cache. Car cette présentation tarde beaucoup, sans qu’on
nous en donne la raison. Messire de Bouville, paraît-il, s’y
oppose, parce que la malheureuse reine… Dieu la protège !…
serait au plus mal. Mais enfin la reine n’est pas le roi !
Les
familiers de Mahaut avaient charge de colporter ces propos. Les
barons commencèrent à s’alarmer. En effet, pourquoi différait-on
ainsi la présentation solennelle ? Le baptême à la sauvette, les
prétendues dérobades de Bouville, l’impénétrable silence
maintenu autour de Vincennes, tout était marqué de mystère.
Des
rumeurs contradictoires circulaient. Le roi était infirme et l’on
ne voulait pas le montrer. Le comte de Valois l’avait enlevé
secrètement pour le mettre en sûreté. La maladie de la reine ? Une
feinte. La reine et son enfant voyageaient en ce moment vers Naples.
— S’il est mort, qu’on nous le dise, murmuraient certains.
—
Le régent l’a fait disparaître ! assuraient d’autres.
—
Qu’allez-vous chanter là ? Le régent n’est point homme de cette
sorte. Mais il se défie de Valois.
— Ce n’est point le régent ;
c’est Mahaut. Elle prépare son forfait, s’il n’est même déjà
accompli. Elle répète trop fort que le roi ne peut vivre !
Tandis
qu’un mauvais vent passait à nouveau sur la cour, qu’on
s’énervait en conjectures odieuses, en soupçons d’infamie dont
chacun se sentait éclaboussé, le régent, lui, demeurait
impénétrable. Il s’absorbait dans l’administration du royaume,
et si l’on venait à lui parler de son neveu, il répondait
Flandre, Artois, ou rentrée des impôts. Au matin du 19 novembre,
l’irritation montant, de nombreux barons et des maîtres au
Parlement vinrent en délégation trouver Philippe et le prièrent
avec force, le sommèrent presque, de consentir à la présentation
du roi. Ceux-ci, qui s’attendaient à une réponse négative, ou
dilatoire, avaient déjà dans l’œil une méchante lueur.
— Mais
je souhaite, Messeigneurs, je souhaite autant que vous cette
présentation, dit le régent. À moi-même on fait opposition ;
c’est le comte de Bouville qui s’y refuse.
Puis, se tournant vers
Charles de Valois, rentré depuis l’avant-veille de son comté du
Maine, il lui demanda :
— Est-ce vous, mon oncle, pour les intérêts
de votre nièce Clémence, qui empêchez Bouville de nous montrer le
roi ?
L’ex-empereur de Constantinople, ne comprenant pas d’où
lui tombait cette algarade, devint pourpre et s’écria :
— Mais,
par Dieu juste, mon neveu, où allez-vous chercher cela ? Je n’ai
jamais rien ordonné ni voulu de tel ! Je n’ai même pas vu
Bouville, ni n’en ai reçu message depuis plusieurs semaines. Et je
suis rentré tout exprès pour cette présentation. Je voudrais fort,
au contraire, qu’on la fît et qu’on revînt à agir selon les
coutumes de nos pères, ce qui n’a que trop tardé.
— Alors,
Messeigneurs, dit le régent, nous sommes tous de même conseil et de
même volonté… Gaucher ! Vous qui fûtes à la naissance de mon
frère… c’est bien à la première marraine qu’il revient de
présenter l’enfant royal aux barons ?
— Certes, certes, c’est
à la marraine, répondit Valois, vexé que sur un point de
cérémonial on fît appel à une autre compétence que la sienne.
J’assistai à toutes les présentations, Philippe ; à la vôtre
qui fut petite, puisque vous étiez second, comme à celle de Louis
et ensuite de Charles. Toujours la marraine.
— Alors, reprit le
régent, je vais faire savoir aussitôt à la comtesse Mahaut qu’elle
ait à tenir tout à l’heure cet office, et donner ordre à
Bouville de nous ouvrir Vincennes. Nous monterons à cheval à midi.
Pour Mahaut, c’était l’occasion attendue. Elle ne voulut
personne que Béatrice pour l’habiller, et se coiffa d’une
couronne ; le meurtre d’un roi valait bien cela.
— Combien de
temps penses-tu qu’il faille à ta poudre pour avoir effet sur un
enfant de cinq jours ?
— Cela, je ne sais pas, Madame… répondit
la demoiselle de parage. Sur les cerfs de vos bois, le résultat
s’est montré dans une nuit. Le roi Louis, lui, a résisté près
de trois journées…
— J’aurai toujours, pour me couvrir, dit
Mahaut, cette nourrice que j’ai vue l’autre jour, belle fille, ma
foi, mais dont on ne sait d’où elle vient, ni qui l’a placée
là. Les Bouville sans doute…
— Ah ! Je vous comprends, dit
Béatrice en souriant. Si la mort n’apparaissait pas naturelle…
on pourrait accuser cette fille, et la faire écarteler…
— Ma
relique, ma relique, dit Mahaut avec inquiétude en se touchant la
poitrine. Ah oui ! c’est bon, je l’ai.
Comme elle sortait de la
chambre, Béatrice lui murmura :
— Surtout, Madame, n’allez pas
par mégarde vous moucher.
Demain "La loi des mâles" 3ème partie ch. 3 "Les ruses de Bouville"
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