IV
SÉCHONS
NOS LARMES
Ce
matin-là, la population lyonnaise fut privée de légumes. Les
charrois des maraîchers avaient été retenus hors des murs, et les
ménagères clabaudaient devant les marchés vides. Le pont qui
franchissait la Saône était barré par la troupe. Si l’on ne
pouvait pas entrer dans Lyon, on ne pouvait non plus en sortir.
Marchands italiens, voyageurs, moines ambulants, renforcés par les
badauds et les désœuvrés, s’aggloméraient autour des portes et
réclamaient des explications. La garde, invariablement, répondait à
toute demande « Ordre du comte de Poitiers ! » avec cet air
distant, important, que prennent les agents de l’autorité
lorsqu’ils ont à appliquer une mesure dont ils ignorent eux-mêmes
la raison.
— Mais
j’ai ma fille malade à Fourvière…
— Ma
grange de Saint-Just a brûlé hier à la vesprée…
— Le
bailli de Villefranche va me faire saisir si je ne lui porte point
mes tailles ce jourd’hui ! criaient les gens.
— Ordre
du comte de Poitiers !
Et
quand la presse devenait un peu forte, les sergents royaux
commençaient à lever leurs masses. En ville circulaient d’étranges
rumeurs. Les uns assuraient qu’il allait y avoir la guerre. Mais
avec qui ? Nul ne pouvait le dire. D’autres affirmaient qu’une
émeute sanglante s’était produite pendant la nuit, près du
couvent des Augustins, entre les hommes du roi et les gens des
cardinaux italiens. On avait entendu passer des chevaux. On citait
même le nombre des morts. Mais du côté des Augustins, tout était
calme.
L’archevêque,
Pierre de Savoie, était très inquiet, se demandant quel coup de
foudre s’apprêtait, pour le contraindre probablement d’abandonner,
au profit de l’archevêque de Sens, le primatiat des Gaules, seule
prérogative qu’il ait pu conserver lors du rattachement de Lyon à
la couronne en 1312 . Il avait envoyé l’un de ses chanoines aux
nouvelles, mais le chanoine s’était heurté, chez le comte de
Poitiers, à un écuyer très courtois et muet. Et l’archevêque
s’attendait à recevoir un ultimatum. Chez les cardinaux, logés
dans les divers établissements religieux, l’angoisse n’était
pas moindre et tournait même à l’affolement. Ils gardaient en
mémoire l’affaire de Carpentras. Mais, cette fois, comment fuir ?
Des
émissaires couraient des Augustins aux Cordeliers et des Jacobins
aux Chartreux. Le cardinal Caëtani avait dépêché son homme à
tout faire, l’abbé Pierre, chez Napoléon Orsini, chez Alberti de
Prato, chez Flisco, le seul Espagnol, afin de dire à ces prélats :
— Voyez
! Vous vous êtes laissé séduire par le comte de Poitiers. Il nous
avait juré de ne point nous molester, et que nous n’aurions même
pas à entrer en clôture pour voter, que nous serions tout à fait
libres. Et maintenait il nous enferme dans Lyon.
Duèze
lui-même reçut la visite de deux de ses collègues provençaux, le
cardinal de Mandagout et Bérenger Frédol l’aîné. Mais Duèze
feignit de sortir de ses travaux savants et de n’être au courant
de rien. Pendant ce temps, dans une cellule proche de son
appartement, Guccio Baglioni dormait comme une pierre, hors d’état
de songer seulement qu’il pouvait être à l’origine d’une
pareille panique.
Depuis
une heure, le consul Varay et trois de ses collèges, venus pour
exiger des explications au nom du « syndical » de la ville,
piétinaient dans l’antichambre du comte de Poitiers. Celui-ci
siégeait à huis clos avec les membres de son entourage et les
grands officiers qui faisaient partie de sa mission. Enfin les
tentures s’écartèrent et le comte de Poitiers parut, suivi de ses
conseillers. Tous avaient la mine grave.
— Ah
messire Varay, vous vous trouvez bien, et vous tous, messires
consuls, dit le comte de Poitiers. Nous allons pouvoir vous remettre
céans le message que nous nous apprêtions à vous faire tenir.
Messire Miles, veuillez lire.
Miles
de Noyers, qui avait été conseiller au Parlement et maréchal de
l’ost sous Philippe le Bel, déploya un parchemin et lut :
«
À tous les baillis, sénéchaux et conseils des bonnes villes. Nous
vous faisons savoir la grande déploration que nous avons de la mort
de notre frère bien-aimé le roi notre Sire Louis Dixième, que Dieu
vient d’enlever à l’affection de ses sujets. Mais la nature
humaine est faite ainsi que nul ne peut dépasser le terme qui lui
est assigné. Aussi avons-nous décidé de sécher nos larmes, de
prier avec vous le Christ pour son âme, et de nous montrer empressé
au gouvernement du royaume de France et du royaume de Navarre afin
que leurs droits ne dépérissent pas et que les sujets de ces deux
royaumes vivent heureux sous le bouclier de la justice et de la paix.
Le régent des deux royaumes, par la grâce de Dieu. »
PHILIPPE.
Le
premier émoi passé, messire Varay vint aussitôt baiser la main du
comte de Poitiers, et les autres consuls l’imitèrent sans
hésitation. Le roi était mort. La nouvelle en soi était assez
stupéfiante pour que nul ne songeât, au moins pour quelques
minutes, à se poser de questions. En l’absence d’un héritier
majeur, il semblait parfaitement normal que le plus âgé des frères
du souverain assurât le pouvoir. Les consuls ne doutèrent pas un
instant que la décision n’eût été prise à Paris par la Chambre
des Pairs.
— Veuillez
faire crier ce message par la ville, ordonna Philippe de Poitiers,
après quoi les portes seront aussitôt ouvertes.
Puis il ajouta:
— Messire
Varay, vous êtes puissant au négoce des draps, je vous saurais gré
de me fournir de vingt manteaux noirs, à déposer dans mon
antichambre, pour en couvrir les gens qui viendront me présenter
leur douloir.
Et il congédia les consuls. Les deux premiers actes de
sa prise de pouvoir se trouvaient accomplis. Il s’était fait
proclamer régent par son entourage, qui devenait du même coup son
Conseil de gouvernement. Il allait être reconnu par la ville de Lyon
où il résidait. Il avait hâte maintenant d’étendre cette
reconnaissance à l’ensemble du royaume et de placer Paris devant
un état de fait.
Le
succès résidait dans la vitesse. Déjà les copistes reproduisaient
à multiples exemplaires la proclamation, et les chevaucheurs
sellaient leurs chevaux pour aller la répandre dans toutes les
provinces.
Aussitôt les portes de Lyon rouvertes, ces chevaucheurs
s’élancèrent, se croisant avec trois courriers retenus depuis le
matin en deçà de la Saône. L’un des courriers acheminait une
lettre du comte de Valois, par laquelle ce dernier se posait en
régent désigné et demandait à Philippe une ratification de bonne
forme afin que la désignation devînt effective.
«
Je suis assuré que vous voudrez aider à ma tâche, pour le bien du
royaume, et me donnerez au plus tôt votre agrément, en bon et
bien-aimé neveu comme vous l’êtes ».
Le
second message venait du duc de Bourgogne, qui réclamait aussi la
régence au nom de sa nièce, la petite Jeanne de Navarre. Enfin le
comte d’Évreux avertissait Philippe de Poitiers que les pairs
n’avaient pas été réunis selon les us et coutumes et que la hâte
de Charles de Valois à se saisir du gouvernement ne s’appuyait sur
aucun texte ni aucune assemblée régulière. Le comte de Poitiers,
au reçu de ces nouvelles, se remit à siéger avec son entourage.
Dans
ce Conseil ne figuraient pratiquement que des hommes hostiles à la
politique suivie depuis dix-huit mois par le Hutin et le comte de
Valois. Philippe de Poitiers, connaissant leur mérite et leurs
capacités, avait choisi de se les adjoindre dans les difficiles
négociations qu’il devait mener avec l’Église. Tel était le
connétable, Gaucher de Châtillon, qui ne pardonnait pas la ridicule
campagne de l’ost boueux qu’il avait dû conduire en Flandre
l’été précédent. Tel était Miles de Noyers, proche parent de
Gaucher. Tel encore Raoul de Presles, légiste de Philippe le Bel,
que Valois avait fait arrêter en même temps qu’Enguerrand de
Marigny et qui devait sa libération et son retour en grâce au comte
de Poitiers. Aucun d’eux ne considérait d’un bon œil les
ambitions de Valois ni ne souhaitait non plus que le duc de Bourgogne
se mêlât des affaires de la couronne. Ils admiraient la rapidité
avec laquelle le jeune prince avait agi et ils plaçaient en lui
leurs espoirs.
Poitiers
écrivit à Eudes de Bourgogne et à Charles de Valois, sans
mentionner leurs lettres et comme s’il ne les avait pas reçues,
afin de les informer qu’il se considérait régent par droit
naturel et qu’il réunirait l’assemblée des pairs, afin de
sanctionner cette situation, aussitôt qu’il lui serait possible.
En même temps, il désignait des commissaires pour aller dans les
principaux centres du royaume prendre possession du commandement en
son nom. Ainsi partirent, dans la journée, plusieurs de ses
chevaliers, comme Regnault de Lor, Thomas de Marfontaine et Guillaume
Courteheuse. Il garda auprès de lui Anseau de Joinville, le fils du
vieux sénéchal, et Henry de Sully.
Tandis
que le glas sonnait à tous les clochers, Philippe de Poitiers
conféra seul à seul avec Gaucher de Châtillon. Par droit, le
connétable de France siégeait à toutes les assemblées du
gouvernement, Chambre des Pairs, Grand Conseil, Conseil étroit.
Philippe demanda donc à Gaucher de se rendre à Paris pour le
représenter et s’opposer jusqu’à sa propre arrivée aux
entreprises de Charles de Valois, le connétable d’autre part,
s’assurerait d’avoir bien en main les troupes à solde de la
capitale, et particulièrement le corps des arbalétriers. Car le
nouveau régent, à la surprise d’abord, puis à l’approbation de
ses conseillers, avait résolu de demeurer provisoirement à Lyon.
— Nous
ne devons pas nous détourner des tâches en cours, déclara-t-il. Le
plus important pour le royaume est d’avoir un pape, et nous serons
d’autant plus forts quand nous l’aurons fait.
Et
il pressa la signature du contrat de fiançailles entre sa fille et
le dauphiniet. L’affaire, à première vue, n’avait aucun rapport
avec l’élection pontificale. Mais pour Philippe l’alliance avec
le dauphin de Viennois qui régnait sur tous les territoires au sud
de Lyon, était une pièce de son jeu. Les cardinaux, s’il leur
prenait désir de lui échapper, ne pourraient pas se réfugier de ce
côté-là, il leur coupait la route d’Italie. En outre, ces
fiançailles consolidaient sa position de régent, le dauphin se
rangeait dans son camp. Le contrat, en raison du deuil, fut signé
sans fêtes, dans les jours qui suivirent.
Parallèlement,
Philippe de Poitiers s’aboucha avec le plus puissant baron de la
région, le comte de Forez, beau-frère d’ailleurs du dauphin, et
qui, par ses possessions, commandait la rive droite du Rhône. Jean
de Forez avait fait les campagnes de Flandre, représenté plusieurs
fois Philippe le Bel à la cour papale, et très utilement travaillé
pour le rattachement de Lyon à la France. Le comte de Poitiers, du
moment qu’il reprenait la politique paternelle, savait pouvoir
compter sur lui.
Le
16 juin, le comte de Forez accomplit un geste hautement
spectaculaire. Il prêta hommage solennel à Philippe, comme au
seigneur de tous les seigneurs de France, le reconnaissant ainsi
détenteur de l’autorité royale. Le lendemain, le comte Bermond de
la Voulte, dont le fief de Pierregourde se trouvait dans la
sénéchaussée de Lyon, plaça ses mains dans les mains du comte de
Poitiers et lui fit serment dans les mêmes conditions. Au comte de
Forez, Poitiers demanda de tenir prêts, discrètement, sept cents
hommes d’armes. Les cardinaux, désormais, ne bougeraient plus de
la ville. Mais de là à obtenir une élection, il y avait encore
loin.
Les
tractations piétinaient. Les Italiens, sentant que le régent était
pressé de regagner Paris, raidissaient leurs positions. « Il se
lassera le premier », disaient-ils. Peu leur importait l’état
d’anarchie tragique où sombraient les affaires de l’Église.
Philippe de Poitiers eut plusieurs entrevues avec le cardinal Duèze
qui lui semblait l’esprit le plus vif du conclave, le plus
imaginatif, et, décidément, le plus souhaitable administrateur de
la chrétienté dans le difficile moment où l’on se trouvait.
— L’hérésie
refleurit un peu partout, disait le cardinal de sa voix fêlée. Et
comment en serait-il autrement, avec l’exemple que nous donnons ?
Le démon profite de nos discordes pour semer son ivraie. Mais c’est
dans le diocèse de Toulouse surtout qu’elle pousse dru. Vieille
terre de rébellion et de mauvais rêves. Il conviendrait que le
prochain pape cassât ce trop gros diocèse, malaisé à gouverner,
en cinq évêchés, chacun remis en main ferme.
— Ceci,
répondait le comte de Poitiers, amènerait à créer nombre de
bénéfices dont notre Trésor aurait à percevoir les annates.
— Mais
bien sûr, Monseigneur.
Les
annates étaient une taxe royale portant sur les bénéfices
ecclésiastiques nouveaux et qui consistait en la perception des
revenus de la première année. Or l’absence de pape empêchait de
procéder à ces créations de bénéfices. Et le Trésor s’en
ressentait d’autant plus durement que le clergé en général,
profitant de ce qu’il n’avait pas de chef, inventait toutes
sortes de prétextes à ne pas acquitter les arrérages d’impôts.
En
fait, lorsque Philippe de Poitiers et Jacques Duèze envisageaient
l’avenir, l’un comme régent, l’autre comme éventuel pontife,
leurs premiers soucis concernaient les finances. À la mort de
Philippe le Bel, la trésorerie française était gênée, mais non
obérée ; en dix-huit mois, par l’expédition de Flandre, la
sédition d’Artois, les privilèges consentis aux ligues
baronniales, Louis X et Valois avaient réussi à endetter le royaume
pour plusieurs années. Le trésor pontifical, après deux ans de
conclave errant, ne montrait pas un meilleur état, et si les
cardinaux se vendaient si cher aux princes de ce monde, c’est
qu’ils n’avaient plus, pour nombre d’entre eux, d’autres
moyens de subsistance que le négoce de leur voix.
— Les
amendes, Monseigneur, les amendes, conseilla Duèze au jeune régent.
Frappez d’amendes ceux qui auront méfait, et plus ils seront
riches, plus fortement vous les frappez. Si celui qui manque à la
loi possède vingt livres, exigez qu’il en verse une. Mais s’il
en possède mille, prenez-lui-en cinq cents, et s’il est riche de
cent mille, ôtez-lui tout. Vous y trouverez trois avantages :
d’abord le rapport sera plus gros, ensuite le malfaiteur, privé de
sa puissance, n’en pourra plus faire abus, enfin les pauvres, qui
sont le grand nombre, seront de votre côté et auront confiance en
votre justice.
Philippe
de Poitiers sourit.
— Ce
que vous préconisez là fort sagement, Monseigneur, peut convenir à
la justice royale qui agit par bras temporel, répondit-il. Mais pour
restaurer les finances de l’Église, je ne vois guère…
— Les
amendes, les amendes, répéta Duèze. Mettons impôt sur les péchés,
ce sera source intarissable. L’homme est pécheur par nature, mais
plus disposé à faire pénitence de cœur qu’à faire pénitence
de bourse. Il éprouvera plus vivement le regret de ses fautes et
hésitera davantage à retomber dans ses errements si une taxe
accompagne nos absolutions. Qui tient à s’amender doit acquitter
amende.
«
Est-ce plaisanterie ? » pensa Poitiers qui n’était pas
complètement accoutumé à l’inventive syllogistique du cardinal.
— Et
quels péchés voudriez-vous taxer, Monseigneur ? demanda-t-il.
— D’abord
ceux qui se commettent dans le cierge. Commençons par nous réformer
nous-mêmes avant d’entreprendre de réformer autrui. Notre sainte
Mère est trop tolérante aux manquements et abus. Ainsi l’on sait
que clergie ou prêtrise ne peuvent être conférées à des hommes
estropiés ou difformes. Or, je voyais l’autre jour un certain
prêtre Pierre, qui est auprès du cardinal Caëtani, et qui a deux
pouces à la main gauche.
«
Petite perfidie envers notre vieil ennemi », se dit Poitiers.
— En
vérité, poursuivit Duèze, les boiteux, manchots, eunuques qui
cachent leur disgrâce sous un froc et touchent bénéfices d’Église,
sont légion. Allons-nous les chasser de notre sein, ce qui, sans
effacer leur faute, n’aurait pour résultat que de les réduire à
misère et désespoir, et sans doute les pousserait à rejoindre les
hérétiques de Toulouse ou autres confréries de spirituels ?
Permettons-leur plutôt de se racheter ; or, qui dit rachat dit
paiement.
Le
vieux prélat était parfaitement sérieux. Son imagination, au cours
de ses dernières nuits de veille, avait échafaudé tout un système
fort précis, sur lequel il préparait un mémoire et qu’il
soumettrait, disait-il modestement, au prochain pape. Il s’agissait
de l’institution d’une Sainte Pénitencerie, sorte de
chancellerie du péché qui délivrerait les bulles d’absolution
moyennant des taxes d’enregistrement perçues au profit du
Saint-Siège. Les prêtres estropiés pourraient obtenir quittance à
raison de quelques livres par doigt manquant, le double pour un œil
perdu, autant pour l’absence d’une ou deux génitoires. Celui qui
se serait amputé lui-même de sa virilité devrait payer un prix
plus fort.
Des
malfaçons ou accidents physiques, Duèze passait aux irrégularités
morales. Les bâtards qui avaient caché leur situation de naissance
en recevant les ordres, les clercs qui avaient pris la tonsure bien
qu’étant mariés, ceux qui se mariaient secrètement après
l’ordination, ceux qui vivaient non mariés en ménage de femme,
ceux qui étaient bigames, ou incestueux, ou sodomites, tous étaient
imposés proportionnellement à leur faute.
Les nonnes qui auraient
paillardé avec plusieurs hommes au-dedans comme au-dehors de leur
couvent seraient soumises à une réhabilitation particulièrement
coûteuse .
— Si
l’institution de cette Pénitencerie, déclara Duèze, ne fait pas
rentrer deux cent mille livres la première année, je veux bien…
Il
allait dire « je veux bien être brûlé » mais s’arrêta à
temps. Poitiers pensait « Au moins, s’il est élu, je n’aurai
pas de souci pour les finances papales. »
Mais,
malgré toutes les manœuvres de Duèze et malgré l’appui que
Poitiers leur donnait, le conclave continuait à marquer le pas. Or,
les nouvelles de Paris étaient mauvaises. Gaucher de Châtillon,
faisant front avec le comte d’Évreux et Mahaut d’Artois,
s’efforçait de limiter les ambitions de Charles de Valois.
Celui-ci néanmoins habitait au palais de la Cité, où il gardait la
reine Clémence sous sa tutelle, il administrait les affaires à sa
guise, et expédiait dans les provinces des instructions contraires à
celles que Poitiers envoyait de Lyon. D’autre part, le duc de
Bourgogne, soutenu par les vassaux de son immense duché, était
arrivé à Paris le 16 juin, onze jours après la mort de Louis X,
pour y faire reconnaître ses droits. La France avait donc trois
régents. Cette situation ne pouvait durer longtemps, et Gaucher
engageait instamment Philippe à regagner Paris.
Le
27 juin, après un conseil restreint auquel assistèrent les comtes
de Forez et de la Voulte, le jeune prince décida de se mettre en
route, et commanda de rassembler le train de bagages de son escorte.
En même temps, s’avisant qu’aucun service solennel n’avait
encore été célébré pour le repos de l’âme de son frère, il
ordonna que de grandes messes fussent dites le lendemain, avant son
départ, en chaque paroisse de la ville. Tous les gens de haut et de
bas clergé étaient tenus d’y assister, pour s’associer aux
prières du régent. Les cardinaux, surtout les cardinaux italiens,
exultaient ; Philippe de Poitiers quittait Lyon sans les avoir
fléchis.
— Il
déguise sa fuite sous les pompes du deuil, disait Caëtani, mais il
s’en va quand même, ce maudit ! Avant un mois, je vous l’affirme,
nous serons de retour à Rome.
Demain
‘’La loi des mâles’’ ch. 5 ‘’Les portes du conclave’’.
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