dimanche 31 mars 2019

Incipit 78 - Goncourt 1910 - De Goupil à Margot - Louis Pergaud

 
 Louis Pergaud est né en 1882 et est mort pour la France en 1815. Auteur de ‘’ De Goupil à Margot’’ Prix Goncourt en 1910 et de ‘’La guerre des boutons’’ en 1912.
De Goupil à Margot :Ces histoires animales révèlent une noirceur et un pessimisme profond.
Si les animaux sauvages peuvent s'y révéler cruels entre-eux, que dire du sadisme gratuit de l'homme et en particulier du chasseur!?
Affublé d'un grelot par un chasseur cruel, le renard Goupil va connaître un sort pitoyable. Nyctalette la taupe va quant à elle subir la brutalité du viol commis par l'un des siens. Fuseline la petite fouine doit s'amputer elle-même la patte qui la retient prisonnière d'un piège avant de livrer un dramatique combat avec un busard. Et que dire de Margot la pie, tombée entre les mains d'un homme qui, après l'avoir mise en cage, lui rognera les ailes pour l'empêcher de s'échapper et la poussera vers une mort aussi ignoble que libératrice.


''C’était un soir de printemps, un soir tiède de mars que rien ne distinguait des autres, un soir de pleine lune et de grand vent qui maintenait dans leur prison de gomme, sous la menace d’une gelée possible, les bourgeons hésitants. Ce n’était pas pour Goupil un soir comme les autres. Déjà l’heure grise qui tend ses crêpes d’ombre sur la campagne, surhaussant les cimes, approfondissant les vallons, avait fait sortir de leur demeure les bêtes des bois. Mais lui, insensible en apparence à la vie mystérieuse qui s’agitait dans cette ombre familière, terré dans le trou du rocher des Moraies où, serré de près par le chien du braconnier Lisée, il s’était venu réfugier le matin, ne se préparait point à s’y mêler comme il le faisait chaque soir. Ce n’était pourtant pas le pressentiment d’une tournée infructueuse dans la coupe prochaine au long des ramées, car Renard n’ignore pas que, les soirs de pleine lune et de grand vent, les lièvres craintifs, trompés par la clarté lunaire et apeurés du bruit des branches, ne quittent leur gîte que fort tard dans la nuit ; ce n’était pas non plus le froissement des rameaux agités par le vent, car le vieux forestier à l’oreille exercée sait fort bien discerner les bruits humains des rumeurs sylvestres. La fatigue non plus ne pouvait expliquer cette longue rêverie, cette étrange inaction, puisque tout le jour il avait reposé, d’abord allongé comme un cadavre dans la grande lassitude consécutive aux poursuites enragées dont il était l’objet, puis enroulé sur lui-même, le fin museau noir appuyé sur ses pattes de derrière pour le protéger d’un contact ennuyeux ou gênant.''

Petites et grandes histoires des chansons - 90 - Les élucubrations


Il n’y a rien à la télé, écoutez la radio

Petite histoire, petits secrets de chansons qui ont

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Aujourd’hui "Les élucubrations"

Mes 100 films (201-300) 244 - le Cid



Le Cid (1961) Anthony Mann
Charlton Heston, Sophia Loren

Rodrigue, "El Cid", cherche à concilier amour et honneur : alors qu'il doit mener le combat contre les Maures qui envahissent l'Espagne, il tue en duel le père de Chimène, son grand amour.

Un film absolument grandiose!!!! Anthony Mann est décidément un fabuleux metteur en scène. La reconstitution historique, les scènes de batailles sont splendides et les scènes plus intimes sont intenses. Bref, un immense film d'aventures, avec des couleurs superbes et une musique remarquable signée Miklos Rosza. Sophia Loren est d'une incroyable beauté et Charlton Heston est un formidable Cid. Un chef d'oeuvre!



Blake et Mortimer - Le mystère de la grande pyramide - III



samedi 30 mars 2019

Petites et grandes histoires des chansons - 89 - Gottingen


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Aujourd’hui "Göttingen"

Mes 100 films (201-300) 243 - 7 jours en mai


7 jours en mai (1964) John Frankenheimer
B. Lancaster, K. Douglas, F. March, A. Gardner

En 1980, les présidents des Etats-Unis et de l'URSS décident la fin de la guerre froide, mais un général tente de monter un coup d'Etat. 

Après la grande réussite d'"Un Crime dans la tête" dans le domaine du thriller politique, John Frankenheimer récidive dans le genre avec ce film. Et on ne peut lui donner tort un seul instant tant celui est aussi réussi que le précédent, voir même plus. Il y a tout ce que l'on peut souhaiter : une technique impeccable tant qu'au choix des cadrages qu'au très grand soin apporté à la photographie, des décors parfaits, un scénario cousu main et un suspense très bien entrenu. Et puis quel casting : Kirk Douglas, Burt Lancaster, Ava Gardner et Fredric March réunis dans un seul et même film, que demandez de plus ?



 

Blake et Mortimer - Le mystère de la grande pyramide - II


vendredi 29 mars 2019

Mes 100 films (201-300) 242 - Adieu ma concubine


Adieu ma concubine (1993) Chen Kaige
Leslie Cheung, Zhang Fengyi

Douzi et Shitou se rencontrent à l'académie de l'opéra de Pékin. Amis dès le premier jour, les deux garçons sont les acteurs principaux de l'opéra "Adieu ma concubine". Lors de la tournée, Douzi tombe amoureux de son ami mais celui-ci préfère les charmes de Juxian, une prostituée. Lorsque Shitou veut épouser la jeune femme, cette décision aura de sérieuses conséquences sur leur amitié.

Chen Kaige réussit à écrire une fresque hors normes, à la fois intimiste (ces 2 personnages divinement incarnés, à la profondeur psychologique d'un justesse folle, qui nous plongent avec eux dans les affres de cette relation passionnelle et tumultueuse) et historique (le siècle sublimé qui coule sous nos regards ébahis). Il faut bien reconnaître que c'est vraiment d'une beauté à couper le souffle. Inoubliable ! Et Leslie Cheung est sensationnel...


Les rois maudits - Tome 5 - La louve de France


"La loi des mâles’’ c’est fini. Mais la saga continuera avec le tome 5 ‘’La louve de France’’. Bientôt...

Philippe V le Long va mourir avant d'avoir atteint trente ans et, comme son frère Louis X le Hutin, sans descendance mâle. Le troisième fils du Roi de fer, le faible Charles IV le Bel, succède à Philippe V. Une évasion de la tour de Londres ; la chevauchée cruelle conduite par une reine française d'Angleterre pour chasser du trône son époux ; un atroce assassinat perpétré sur un souverain... La relance de l'Histoire vient d'Angleterre. La « Louve de France », c'est le tragique surnom que les chroniqueurs donnèrent à la reine Isabelle, fille de Philippe le Bel, qui semblait avoir transporté outre-Manche la malédiction des templiers.

Incipit 77 - Goncourt 1909 - En France




Marius-Ary Leblond est le nom de plume de deux cousins écrivains, journalistes et critiques d’art réunionais : Marius et Ary Leblond.
Un jeune créole de la Réunion arrive à Paris pour étudier à La Sorbonne et évoque ses difficultés à s'adapter au nouveau milieu dans lequel il doit vivre.

L'après-midi, dans la moiteur de septembre, le canon a signalé au cheflieu de la Réunion la malle de France. Émergeant de l'horizon, elle est allée mouiller dans le port de la Pointe, de l'autre côté de la montagne de Saint-Denis; et les familles de la Société sont descendues au Barachois pour attendre le train postal. Le crépuscule prématuré de cinq heures couvre la ville assombrie par le Cap devant la mer cuivrée de soleil. Assise sur un banc entre sa mère et une amie, Éva Fanjane, de son visage aux traits doux où s'absorbent les yeux noirs passionnés, fixe la montagne basaltique sur laquelle la petite croix des Signaux reste maintenant nue. Le ciel se velouté entre des nuages pommelés. Il ne passe point de brise sur le pont où tout le monde coquet de ce dimanche s'est réparti autour d'elle : les toilettes des jeunes filles, claires, ne flottent pas comme à l'ordinaire en écharpes soulevées du côté de l'horizon; les jeunes gens n'ont plus à retenir leurs chapeaux de paille et peuvent suivre à l'aise les demoiselles qui, s'asseyant, ont déployé leurs jupes en éventail. Il n'y a presque de mouvement que le remuement mat des pas sur les planches, le ressac tendre des vagues entre les piliers de fer et les brise-lames. Ni voilier ni Havrais sur la rade ronde. Éva Fanjane, oppressée dans sa robe d'un bleu presque gris sous l'atmosphère marine, s'abandonne avec somnolence à sa tristesse lente et. poignante devant cette mer à peine mobile.

Petites et grandes histoires des chansons - 88 - I cant get no satisfaction

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Aujourd’hui "I cant get no (satisfaction)"


Mes 100 films (201-300) 241 - C'est arrivé demain


C’est arrivé demain (1944) René Clair
Dick Powell, Linda Darnell

Un journaliste new-yorkais reçoit chaque jour de façon inexplicable le journal du lendemain. Il profite de la situation et coiffe sur le poteau des scoops de tous ses confrères. Jusqu'au jour où il découvre son nom dans la rubrique nécrologique.

Encore un petit bijou cinématographique comme seul René Clair pouvait en réaliser. Il faut bien dire que le film possède plusieurs atouts : une réalisation élégante, très bien rythmée d'un René Clair en grande forme, une très bonne distribution Linda Darnell et Dick powell forment un couple épatant, mais surtout un très bon scénario. Ce dernier est très malin. Les auteurs Dudley Nichols et René Clair ont eu l'intelligence de ne pas baser l'histoire sur le fait de savoir si le héros va se faire tuer ou non, puisque c'est ce dernier, cinquante ans plus tard, qui raconte lui-même l'histoire, mais plutôt par quelle pirouette scénaristique ils vont réussir à nous faire avaler que le héros s'en sortira. C'est certainement la grande réussite de ce film. Une comédie fantastique qui procure énormément de plaisir.


Blake et Mortimer - Le mystère de la grande pyramide - I





jeudi 28 mars 2019

Mes 100 films (201-300) 240 - Comment épouser un millionnaire


Comment épouser un millionnaire(1953)J.Negulesco
M. Monroe, L. Bacall, B. Grable

Trois mannequins new-yorkais prennent la décision de tout mettre en oeuvre afin d'épouser chacune un millionnaire.

Une amusante satire du rêve américain vu du côté féminin que cette comédie au charme désuet. Marilyn Monroe, Lauren Bacall et Betty Grable sont parfaites dans un rôle vénal à contre emploi. Ce trio d'actrices est un fantasme de producteur réalisé. De spectateur aussi d'ailleurs... Comédie savoureuse et désuète et on n’oubliera pas MM en myope sublime.


Petites et grandes histoires des chansons - 87 - Pauvre Lola


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Aujourd’hui "Pauvre Lola"




Demain sur votre écran - Blake et Mortimer - Le mystère de la Grande Pyramide




Les rois maudits - La loi des mâles - 3ème partie - ch 10 - Les cloches de Reims




                                        X 
                       LES CLOCHES DE REIMS 
  Quelques heures plus tard, allongé sur un lit de parade décoré des armes de France, Philippe, dans une longue robe de velours vermeil et les mains jointes à hauteur de la poitrine, attendait les évêques qui devaient le conduire à la cathédrale. Le premier chambellan, Adam Héron, lui aussi somptueusement habillé, se tenait debout auprès du lit. Le pâle matin de janvier répandait dans la chambre une lueur laiteuse. On frappa à la porte. 
 — Qui demandez-vous ? dit le chambellan. 
 — Je demande le roi. 
 — Qui le veut ? 
 — Son frère. Philippe et Adam Héron se regardèrent, surpris et mécontents. 
 — Bon. Qu’il entre, dit Philippe en se redressant légèrement. 
 — Vous disposez de bien peu de temps, Sire… fit remarquer le chambellan. 
  Le roi l’assura que l’entretien ne durerait guère. Le beau Charles de La Marche portait une tenue de voyage. Il venait d’arriver à Reims et ne s’était arrêté qu’un instant au logis du comte de Valois. Il y avait du courroux sur son visage et dans son pas. Tout irrité qu’il fût, la vision de son frère, revêtu de pourpre et ainsi étendu dans une pose hiératique, lui en imposa ; il marqua un temps d’arrêt, les yeux arrondis. « Comme il voudrait être à ma place ! » pensa Philippe. Puis, à haute voix : 
 — Vous voici donc, mon bon frère. Je vous sais gré d’avoir compris votre devoir et de faire mentir les méchantes langues qui prétendaient que vous ne seriez pas à mon sacre. Je vous sais gré. Maintenant, courez à vous vêtir, car vous ne pouvez paraître ainsi. Vous allez être en retard. 
 — Mon frère, répondit La Marche, il me faut d’abord vous entretenir de choses importantes. 
 — De choses importantes, ou de choses qui vous importent ? L’important, pour l’heure, est de ne point faire attendre le clergé. Dans un instant les évêques vont venir me prendre. 
 — Eh bien, ils patienteront ! s’écria Charles. Chacun, à tour de rôle, trouve votre oreille pour l’écouter et en tirer profit. Il n’est que moi dont vous semblez ne point vouloir tenir compte ; cette fois vous m’entendrez ! 
 — Alors causons, Charles, dit Philippe en s’asseyant au bord du lit. Mais je vous avertis que nous aurons à être brefs. 
  La Marche eut un mouvement qui voulait dire : « Nous verrons, nous verrons » ; et il prit un siège, s’efforçant de se gonfler et de tenir le menton haut. « Ce pauvre Charles ! pensa Philippe. Voilà qu’il veut jouer les manières de notre oncle Valois ; il n’en a pas l’épaisseur. » 
 — Philippe, reprit La Marche, je vous ai, à maintes reprises, demandé de me conférer la pairie, et d’accroître mon apanage ainsi que mon revenu. Vous l’ai-je demandé, oui ou non ? 
 — Avide famille… murmura Philippe. 
 — Et vous m’avez toujours opposé tête sourde. À présent, je vous le dis pour l’ultime fois ; je suis venu à Reims, mais je n’assisterai tout à l’heure à votre sacre que si j’y ai siège de pair. Sinon, je m’en repars. 
  Philippe le regarda un moment sans rien dire, et sous ce regard, Charles se sentit diminuer, fondre, perdre toute sûreté de soi et toute importance. En face de leur père Philippe le Bel, le jeune prince, naguère, éprouvait la même sensation de sa propre insignifiance. 
 — Un instant, mon frère, dit Philippe qui se leva et alla parler à Adam Héron, retiré dans un angle de la pièce. 
 — Adam, demanda-t-il à voix basse, les barons qui ont été quérir la sainte ampoule à l’abbaye de Saint-Rémy sont-ils de retour ? 
 — Oui, Sire, ils sont déjà à la cathédrale, avec le clergé de l’abbaye. 
 — Bien. Alors les portes de la ville… comme à Lyon. Et de la main il fit trois gestes à peine perceptibles, qui signifiaient : les herses, les barres, les clefs. 
 — Le jour du sacre, Sire ? murmura Héron stupéfait. 
 — Justement, le jour du sacre. Et faites diligence. 
  Le chambellan sorti, Philippe revint vers le lit. 
 — Alors, mon frère, que me demandiez-vous ? 
 — La pairie, Philippe. 
  — Ah ! Oui… la pairie. Eh bien, mon frère, je vous l’accorderai, je vous l’accorderai volontiers ; mais pas sur-le-champ, car vous avez trop clamé vos désirs. Si je vous cédais ainsi, on dirait que j’agis non par volonté mais par contrainte, et chacun se croirait autorisé à se comporter comme vous. Sachez donc qu’il n’y aura plus d’apanages créés ou accrus avant que n’ait été rendue l’ordonnance qui déclarera inaliénable aucune partie du domaine royal. 
 — Mais enfin, vous n’avez plus besoin de la pairie de Poitiers ! Que ne me la donnez-vous ? Convenez que ma part est insuffisante ! 
 — Insuffisante ? s’écria Philippe que la colère commençait à gagner. Vous êtes né fils de roi, vous êtes frère de roi ; croyez-vous vraiment que la part soit insuffisante pour un homme de votre cervelle et pour les mérites que vous avez ? 
 — Mes mérites ? dit Charles. 
 — Oui, vos mérites, qui sont petits. Car il faut bien finir par vous le dire en face, Charles : vous êtes un benêt. Vous l’avez toujours été et vous ne vous améliorez point avec l’âge. Déjà, quand vous n’étiez qu’enfant, vous sembliez si niais à tous, et si peu développé d’esprit, que notre mère elle-même en avait mépris, la sainte femme ! Et vous appelait « l’oison. » Rappelez-vous, Charles : « l’oison ». Vous l’étiez et vous l’êtes resté. Notre père vous appela maintes fois à son Conseil ; qu’y avez-vous appris ? Vous bayiez aux mouches, pendant qu’on débattait les affaires du royaume et je ne me rappelle pas qu’on ait jamais entendu de vous une parole qui n’ait fait hausser les épaules à notre père ou à messire Enguerrand. Croyez-vous donc que je tienne tant à vous rendre plus puissant, pour le beau secours que vous m’iriez porter, alors que depuis six mois vous ne cessez de jouer contre moi ? Vous aviez tout à obtenir par un autre chemin. Vous vous pensez de forte nature, et comptez qu’on va ployer devant vous ? Nul n’a oublié la piteuse figure que vous montrâtes à Maubuisson, quand vous étiez à bêler : « Blanche, Blanche ! » et à pleurer votre outrage devant toute la cour. 
 — Philippe ! Est-ce à vous de me dire cela ? s’écria La Marche en se dressant, le visage décomposé. Est-ce à vous dont la femme… 
 — Pas un mot contre Jeanne, pas un mot contre la reine ! coupa Philippe la main levée. Je sais que pour me nuire, ou pour vous sentir moins seul dans votre infortune, vous continuez à clabauder vos mensonges. 
 — Vous avez innocenté Jeanne parce que vous vouliez garder la Bourgogne, parce que vous avez fait passer, comme toujours, vos intérêts avant votre honneur. Mais, à moi non plus, mon épouse infidèle n’a peut-être pas fini de servir. 
 — Que voulez-vous dire ? 
 — Je veux dire ce que je dis ! répliqua Charles de La Marche. Et je vous déclare derechef que si vous voulez me voir tout à l’heure au sacre, j’y veux être assis sur un siège de pair. Autrement, je m’en repars ! 
  Adam Héron rentra dans la chambre et avertit le roi, d’une inclinaison de tête, que ses ordres avaient été transmis. Philippe le remercia de la même manière. 
 — Allez-vous-en donc, mon frère, dit-il. Une seule personne aujourd’hui m’est nécessaire : l’archevêque de Reims. Vous n’êtes point archevêque ? Alors partez, partez si cela vous plaît. 
 — Mais pourquoi, s’écria Charles, pourquoi notre oncle Valois obtient-il toujours ce qu’il veut, et moi jamais ? 
  Par la porte entrouverte, on entendait les chants de la procession qui approchait. « Quand je pense que si je venais à mourir, ce sot deviendrait régent ! » se disait Philippe. Il posa la main sur l’épaule de son frère. 
 — Quand vous aurez nui au royaume d’aussi longues années que l’a fait notre oncle, vous pourrez exiger d’être payé le même prix. Mais, grâces à Dieu, vous êtes moins diligent dans la sottise. 
  Des yeux, il lui désigna la porte, et le comte de La Marche sortit, livide, labouré de rage impuissante, pour se heurter à un grand afflux de clergé. Philippe regagna le lit et y reprit la position étendue, mains croisées, paupières closes. Des coups furent frappés contre la porte ; cette fois, c’étaient les évêques qui cognaient de leurs crosses. 
  — Qui demandez-vous ? dit Adam Héron. 
 — Nous demandons le roi, répondit une voix grave. 
 — Qui le veut ? 
 — Les pairs évêques. 
  Les vantaux furent ouverts et les évêques de Langres et de Beauvais entrèrent, mitre en tête et reliquaire au col. Ils s’approchèrent du lit, aidèrent le roi à se lever, lui présentèrent l’eau bénite, et, tandis qu’il s’agenouillait sur un carreau de soie, dirent l’oraison. Puis Adam Héron posa sur les épaules de Philippe un manteau de velours écarlate semblable à celui de sa robe. 
  Et soudain éclata une querelle de préséance. Normalement, le duc-archevêque de Laon devait prendre place à droite du roi. Or le siège de Laon, à l’époque, était sans titulaire. L’évêque de Langres, Guillaume de Durfort, était censé remplacer cet absent. Mais Philippe désigna l’évêque de Beauvais pour tenir la droite. Il avait deux raisons à cela : d’une part l’évêque de Langres avait accueilli un peu trop facilement les anciens Templiers dans son diocèse, en leur donnant des places de clercs ; d’autre part, l’évêque de Beauvais était un Marigny, le troisième frère, très habile prélat toujours disposé à servir le pouvoir à condition d’en retirer honneur et profit. Ne l’avait-il pas prouvé moins de deux ans auparavant en siégeant au tribunal chargé de condamner son aîné Enguerrand ? Philippe ne l’estimait pas, mais savait qu’il lui fallait se le concilier. 
 — Je suis évêque-duc ; c’est à moi de tenir la dextre, disait Guillaume de Durfort. 
  — Le siège de Beauvais est plus antique que celui de Langres, répondait Marigny. 
  Leurs visages commençaient à rougir sous les mitres. 
 — Messeigneurs, le roi décide, dit Philippe. 
  Et Durfort dut se ranger à gauche. « Un mécontent de plus », pensa Philippe. Ils descendirent ainsi, parmi les croix, les cierges et les fumées d’encens, jusqu’à la rue où toute la cour, la reine en tête, était déjà formée en cortège. On gagna la cathédrale. D’immenses clameurs s’élevaient sur le passage du roi. Philippe était assez pâle et plissait ses yeux myopes. La terre de Reims lui paraissait devenue soudain étrangement dure au pas ; il avait l’impression de marcher sur du marbre. Au portail de la cathédrale, il y eut un arrêt pour de nouvelles oraisons ; puis, dans le fracas des orgues, Philippe avança dans la nef vers l’autel, vers la grande estrade, vers le trône où, enfin, il s’assit. 
  Son premier geste fut pour désigner à la reine le siège préparé à la droite du sien. L’église était comble. Philippe n’apercevait qu’une mer de couronnes, d’épaules brodées, de joyaux, de chasubles étincelant sous les cierges. Un firmament humain s’étendait à ses pieds. Il ramena son regard vers de plus proches parages, et tourna la tête, à droite et à gauche, pour distinguer les présences sur l’estrade. 
  Charles de Valois était là, et Mahaut d’Artois, monumentale, ruisselante de brocarts et de velours ; elle lui sourit. Louis d’Évreux se tenait un peu plus loin. Mais Philippe n’apercevait pas Charles de La Marche, ni non plus Philippe de Valois que son père semblait également chercher des yeux. L’archevêque de Reims, Robert de Courtenay, alourdi par les ornements sacerdotaux, se leva de son trône qui faisait face au siège royal. Philippe l’imita et vint se prosterner devant l’autel. Tout le temps que dura le Te Deum, Philippe se demanda : « Les portes ont-elles été bien fermées ? Mes ordres ont-ils été fidèlement suivis ? Mon frère n’est pas homme à rester au fond d’une chambre pendant qu’on me couronne. Et pourquoi Philippe de Valois est-il absent ? Que me préparent-ils ? J’aurais dû laisser Galard dehors, pour qu’il soit mieux à même de commander ses arbalétriers. » 
  Or, tandis que le roi s’inquiétait ainsi, son frère cadet pataugeait dans un marais. En sortant, furieux, de la chambre royale, Charles de La Marche s’était précipité au logement des Valois. Il n’avait pas trouvé son oncle, déjà parti pour la cathédrale, mais seulement Philippe de Valois qui achevait de se préparer et auquel il avait conté, hors d’haleine, ce qu’il appelait « la félonie » de son frère. Fort liés, parce que fort proches par leurs goûts et leurs natures, les deux cousins s’entendaient bien à se monter réciproquement la tête. 
 — S’il en est ainsi, je n’assisterai pas non plus au sacre. Je pars avec toi, avait déclaré Philippe de Valois avec la satisfaction d’affirmer une indépendance à l’égard du roi, de la cour et de son propre père. Là-dessus, de rassembler leurs escortes et de se diriger fièrement vers une porte de la ville. Leur superbe avait dû s’incliner devant les sergents d’armes. 
 — Nul n’entre ni ne sort. Ordre du roi. 
 — Même les princes de France ? 
 — Même les princes ; ordre du roi. 
 — Ah ! Il veut nous contraindre ! s’était écrié Philippe de Valois qui maintenant prenait l’affaire à son compte. Eh bien, nous sortirons quand même ! 
 — Comment veux-tu, puisque les portes sont closes ? 
 — Feignons de rentrer à mon logis, et laisse-moi agir. 
  La suite ressemblait à une équipée de gamins. Les écuyers du jeune comte de Valois avaient été dépêchés à chercher des échelles, vite dressées dans le fond d’une impasse, en un endroit où les murs ne semblaient pas gardés. Et voici les deux cousins, fesses en l’air, partis à l’escalade, sans se douter que de l’autre côté s’étendaient les marécages de la Vesle. Par cordes, ils descendirent dans le fossé. Charles de La Marche perdit pied au milieu de l’eau boueuse et glacée ; il s’y fût noyé si son cousin, qui avait six pieds de haut et les muscles solides, ne l’eût à temps repêché. Puis ils s’engagèrent, comme des aveugles, dans les marais. Il n’était plus question pour eux de renoncer. Avancer ou reculer revenait au même. Ils jouaient leur vie et en auraient pour trois grandes heures à se tirer de ce bourbier. Les quelques écuyers qui les avaient suivis barbotaient autour d’eux et ne se gênaient pas pour les maudire à haute voix. 
 — Si jamais nous sortons de là, criait La Marche pour soutenir son courage, je sais bien où j’irai, je sais bien. À Château-Gaillard ! 
  Philippe de Valois, ruisselant de sueur malgré le froid, montra une tête stupéfaite au-dessus des roseaux pourrissants. 
 — Tu tiens donc encore à Blanche ? demanda-t-il. 
 — Je n’y tiens point, mais j’ai des choses à savoir d’elle. Elle est la seule, elle est la dernière à pouvoir nous dire si la fille de Louis est bâtarde, et si mon frère Philippe a été cocu comme moi ! Avec son témoignage, je pourrai honnir mon frère, à mon tour, et faire donner la couronne à la fille de Louis. 
  Le son des cloches de Reims, battant à toute volée, parvenait jusqu’à eux. 
 — Quand je pense, quand je pense que c’est pour lui qu’on sonne ! disait Charles de La Marche, la moitié du corps dans la boue et la main tendue vers la ville…
   Dans la cathédrale, les chambellans venaient de dévêtir le roi. Philippe le Long debout devant l’autel n’avait plus sur le corps que deux chemises superposées, l’une de fine toile, et l’autre de soie blanche, et largement ouvertes sur la poitrine et sous les aisselles. Le roi, avant d’être investi des signes de la majesté, se présentait à l’assemblée de ses sujets comme un homme presque nu, et qui frissonnait. Tous les attributs du sacre étaient déposés sur l’autel, à la garde de l’abbé de Saint-Denis qui les avait apportés. Adam Héron prit des mains de l’abbé les chausses, longs caleçons de soie brodés de fleurs de lis, et aida le roi à les passer, ainsi que les chaussures, également d’étoffe brodée. Puis Anseau de Joinville, en l’absence du duc de Bourgogne, noua les éperons d’or aux pieds du roi, et les enleva aussitôt. L’archevêque bénit la grande épée, qu’on prétendait être celle de Charlemagne, et la soulevant par le baudrier la pendit au flanc du roi en récitant : 
  — Accipe hunc gladium cum Dei benedictione… 
 — Messire connétable, approchez, dit le roi. 
  Gaucher de Châtillon s’avança et Philippe, se défaisant du baudrier, lui remit l’épée. Jamais connétable, dans toute l’histoire des sacres, n’avait mieux mérité de tenir, pour son souverain, l’insigne de la puissance militaire. Ce geste entre eux était plus que l’accomplissement d’un rite ; ils échangèrent un long regard. Le symbole se confondait avec la réalité. De la pointe d’une aiguille d’or, l’archevêque prit, dans la sainte ampoule que lui tendait l’abbé de Saint-Rémy, une parcelle de cette huile qu’on disait envoyée du ciel, et la mêla de son doigt avec le chrême préparé sur une patène. Puis l’archevêque oignit Philippe en le touchant au sommet de la tête, à la poitrine, entre les épaules et aux aisselles. Adam Héron rattacha les annelets et les agrappins qui fermaient les tuniques. La chemise du roi serait plus tard brûlée, parce qu’elle avait été effleurée de la sainte onction. 
  Le roi fut alors revêtu des vêtements pris sur l’autel : d’abord la cotte de satin vermeil brodée de fils d’argent, puis la tunique de satin bleu bordée de perles et semée de fleurs de lis d’or, et, par-dessus, la dalmatique de semblable tissu, et, par-dessus encore, le soq, grand manteau carré agrafé sur l’épaule droite par une fibule d’or. Philippe sentait progressivement ses épaules s’appesantir. 
  L’archevêque accomplit l’onction des mains, glissa au doigt de Philippe l’anneau royal, lui mit le lourd sceptre d’or en la main droite, la main de justice en la main gauche. Après une génuflexion devant le tabernacle, le prélat enfin souleva la couronne, tandis que le grand chambellan commençait l’appel des pairs présents. 
  — Magnifique et puissant seigneur, le comte… 
  À cet instant précis, une voix haute, impérieuse, s’éleva dans la nef : 
 — Arrête, archevêque ! Ne couronne point cet usurpateur ; c’est la fille de Saint Louis qui te le commande. 
  Un vaste remous parcourut l’assistance. Toutes les têtes se tournèrent vers le point où l’on avait crié. Sur l’estrade et parmi les officiants s’échangeaient des regards anxieux. Les rangs de la foule s’écartèrent. 
  Entourée de quelques seigneurs, une femme de grande taille, belle encore de visage, le menton ferme, les yeux clairs et coléreux, l’étroit diadème et le voile des veuves posés sur une masse de cheveux presque blancs, marchait vers le chœur. Sur son passage on chuchotait : 
 — C’est la duchesse Agnès ; c’est elle ! 
  On tendait le cou pour la voir. On s’étonnait qu’elle eût gardé si belle prestance et pas si ferme. Parce qu’elle était la fille de Saint Louis, l’image qu’on se faisait d’elle appartenait au lointain des âges ; on la croyait une ancêtre, une ombre toute cassée dans un château de Bourgogne. Soudain elle surgissait telle qu’elle était, réellement, une femme de cinquante ans, encore pleine de vie et d’autorité. 
 — Arrête, archevêque, répéta-t-elle quand elle ne fut plus qu’à quelques pas de l’autel. Et vous tous écoutez… Lisez, Mello ! ajouta-t-elle pour son conseiller qui l’accompagnait. 
  Guillaume de Mello déplia un parchemin et lut : 
 — « Nous, très noble dame Agnès de France, duchesse de Bourgogne, fille de notre Sire le roi Louis le saint, en notre nom et celui de notre fils, très noble et puissant duc Eudes, nous adressons à vous, barons et seigneurs ici présents ou dehors dans le royaume, pour faire défense que l’on reconnaisse roi le comte de Poitiers qui n’est point héritier légitime de la couronne, et protester qu’on diffère le sacre jusqu’à tant qu’aient été reconnus les droits de Madame Jeanne de France et de Navarre, fille et héritière du défunt roi et de notre fille. » 
  L’angoisse augmentait sur l’estrade, et l’on commençait à distinguer de mauvais murmures dans le fond de l’église. La foule se tassait. L’archevêque semblait embarrassé de la couronne, ne sachant s’il devait la reposer sur l’autel, ou poursuivre. Philippe restait immobile, tête nue, impuissant, alourdi de quarante livres d’or et de brocarts, et les mains encombrées de la Puissance et de la Justice. Jamais il ne s’était senti aussi démuni, aussi menacé, aussi seul. Un gantelet de fer l’étreignait au creux de la poitrine. Son calme était effrayant. Accomplir un seul geste, ouvrir la bouche en cet instant, entamer une controverse, c’était courir au tumulte, et sans doute à l’échec. Il demeura figé dans la gangue de ses ornements, comme si la bataille se passait au-dessous de lui. Il entendait les pairs ecclésiastiques chuchoter : 
 — Que devons-nous faire ? 
  Le prélat de Langres, qui n’oubliait pas la vexation essuyée au lever, était d’avis d’arrêter la cérémonie. 
 — Retirons-nous et débattons, proposait un autre. 
 — Nous ne pouvons, le roi est déjà l’oint du Seigneur, il est roi ; couronnez-le, répliquait l’évêque de Beauvais. 
  La comtesse Mahaut se penchait vers sa fille Jeanne et lui murmurait : 
 — La gueuse ! Elle mérite d’en crever. 
  De ses paupières de tortue, le connétable fit signe à Adam Héron de reprendre l’appel. 
 — Magnifique et puissant seigneur, le comte de Valois, pair du roi, prononça le chambellan. 
  Toute l’attention alors reflua vers l’oncle du roi. S’il répondait à l’appel, Philippe avait gagné, car c’était la caution des pairs laïcs, du pouvoir réel, que Valois apportait. S’il refusait, Philippe avait perdu. Valois ne montrait guère d’empressement, et l’archevêque attendait visiblement sa décision. Philippe alors esquissa quand même un mouvement ; il tourna la tête vers son oncle ; le regard qu’il lui adressa valait cent mille livres. La Bourgogne ne paierait jamais autant. L’ex-empereur de Constantinople se leva, le visage crispé, et vint se placer derrière son neveu. « Comme j’ai bien fait de ne pas lésiner avec lui ! » pensa Philippe. 
 — Noble et puissante Dame Mahaut, comtesse d’Artois, pair du roi, appela Adam Héron. 
  L’archevêque éleva le lourd cercle d’or surmonté d’une croix à la partie frontale, en prononçant enfin : 
 — Coronet te Deus. 
  L’un des pairs laïcs devait aussitôt prendre la couronne pour la maintenir au-dessus de la tête du souverain, et les autres pairs y poser seulement un doigt symbolique. Déjà Valois avançait les mains ; mais Philippe, d’un mouvement de son sceptre, l’arrêta. 
 — Vous, ma mère, tenez la couronne, dit-il à Mahaut. 
 — Merci, mon fils, murmura la géante. 
  Elle recevait, par cette désignation spectaculaire, le remerciement de son double régicide. Elle prenait la place de premier pair du royaume, et la possession du comté d’Artois lui était, avec éclat, confirmée. 
 — Bourgogne ne s’incline point ! s’écria la duchesse Agnès. 
  Et, rassemblant sa suite, elle marcha vers la sortie tandis que, lentement, Mahaut et Valois reconduisaient Philippe à son trône. Quand il s’y fut assis, les pieds reposant sur un coussin de soie, l’archevêque déposa sa mitre et vint baiser le roi sur la bouche en disant : 
 — Vivat rex in aeternum. 
  Les autres pairs ecclésiastiques et laïcs imitèrent son geste en répétant : 
 — Vivat rex in aeternum. 
  Philippe se sentait las. Il venait de gagner sa dernière bataille, après sept mois de luttes incessantes pour parvenir à ce pouvoir suprême que nul maintenant ne pouvait plus lui disputer. Les cloches fracassaient l’air pour sonner son triomphe ; dehors, le peuple hurlait, lui souhaitant gloire et longue vie ; tous ses adversaires étaient matés. Il avait un fils pour assurer sa descendance, une épouse heureuse pour partager ses peines et ses joies. Le royaume de France lui appartenait. « Comme je suis las, tellement las ! » pensait Philippe. 
  À ce roi de vingt-cinq ans qui s’était imposé par volonté tenace, qui avait accepté les bénéfices du crime et qui possédait tous les caractères d’un grand monarque, rien, en vérité, ne paraissait manquer. Le temps des châtiments allait commencer.
FIN

mercredi 27 mars 2019

Petites et grandes histoires des chansons - 86 - A hard day's night



Il n’y a rien à la télé, écoutez la radio

Petite histoire, petits secrets de chansons qui ont

marqué nos mémoires

Chroniques de Bertrand Dicale sur France info.

Aujourd’hui "A hard day's night"

Mes 100 films (201-300) 239 - Ma femme est une sorcière


Ma femme est une sorcière (1942) René Clair
Veronica Lake, Frederic March

Au XVIIe siècle, une sorcière et son père sont condamnés au bûcher par Jonathan Wooley, geste funeste car une malédiction est jetée à travers les siècles sur les heritiers de Wooley. Trois siècles plus tard, Wallace Wooley s'apprête à épouser Estelle Masterson.

La vengeance est un plat qui se mange froid. Pour cela il faut attendre parfois plusieurs centaines d’années pour l’assouvir. Un père et sa fille propulsés au vingtième siècle voient peu à peu s’étioler leurs déterminations vengeresses de départ. L’époque est agréable, le vin est bon. Le père se grise d’alcool, la fille n’est pas insensible au charme du maître de maison. Devant de telles impressions la vengeance se trouve reléguée au rang d’une vilaine colère. Œuvre charmante, naïve et spontanée « Ma femme est une sorcière » se situe dans la période américaine de René Clair cinéaste parachuté paradoxalement performant dans un cinéma joyeux, maillon important d’un genre plébiscité par un public friand de comédies américaines. Véronica Lake la mèche dans l’œil est une sorcière virevoltante, un petit bout de femme bondissant de pièce en pièce troublant profondément le conformisme obscur d’un politicien sur le point de faire un mariage sans éclat.
Délicieuse comédie fantastique illuminée par le charme et le glamour de Veronica Lake.


Les rois maudits - La loi des mâles - 3ème partie - ch 9 - La veille du sacre



IX 
LA VEILLE DU SACRE 

  Les portes de Reims, surmontées des armoiries royales, avaient été repeintes à neuf. Les rues étaient encourtinées de draperies éclatantes, de tapis et de soieries, les mêmes qui avaient servi dix-huit mois auparavant, pour le sacre de Louis X. Auprès du palais archiépiscopal, trois grandes salles de charpenterie venaient d’être édifiées à la hâte : l’une pour la table du roi, l’autre pour la table de la reine, la troisième pour les grands officiers, afin de donner festin à toute la cour. Les bourgeois de Reims, qui étaient astreints aux dépenses du sacre, trouvaient la charge un peu lourde. 
 — Si l’on se met à mourir si vite au trône, disaient-ils, nous ne ferons bientôt plus qu’un seul repas l’an, pour lequel il nous faudra vendre nos chemises ! Clovis nous coûte gros de s’être fait administrer le baptême chez nous et Hugues Capet d’avoir choisi d’y recevoir la couronne ! Si quelque autre ville du royaume veut nous acheter la sainte ampoule, nous conclurions bien le marché. 
  Aux gênes de trésorerie s’ajoutait la difficulté de réunir, en plein hiver, le ravitaillement somptuaire nécessaire à tant de bouches. Et les bourgeois rémois d’énumérer quatre-vingt-deux bœufs, deux cent quarante moutons, quatre cent vingt-cinq veaux, soixante-dix-huit porcs, huit cents lapins et lièvres, huit cents chapons, mille huit cent vingt oies, plus de dix mille poules et de quarante mille œufs, sans parler des barils d’esturgeons qu’on avait dû faire venir de Malines, des quatre mille écrevisses pêchées en eau froide, des saumons, brochets, tanches, brèmes, perches et carpes, des trois mille cinq cents anguilles destinées à la fabrication de cinq cents pâtés. On disposait de deux mille fromages, et l’on espérait que trois cents tonneaux de vin, celui-ci heureusement produit par le pays, suffiraient à abreuver tant de gueules assoiffées qui allaient banqueter là pendant trois jours ou plus. Les chambellans, arrivés à l’avance pour régler l’ordonnance des fêtes, montraient de singulières exigences. N’avaient-ils pas décidé qu’on présenterait, à un seul service, trois cents hérons rôtis ? 
  Ces officiers ressemblaient bien à leur maître, à ce roi pressé qui commandait son sacre d’une semaine sur l’autre, pour ainsi dire, comme s’il s’agissait d’une messe de deux liards à l’intention d’une jambe cassée ! Depuis des jours, les pâtissiers montaient leurs châteaux forts en pâte d’amandes peints aux couleurs de France. Et la moutarde ! On n’avait pas reçu la moutarde ! Il en fallait trente et un setiers. Et puis les convives n’allaient pas manger dans le creux de la main. On avait eu bien tort de vendre à vil prix les cinquante mille écuelles de bois du sacre précédent ; il eût été plus profitable de les laver et de les garder. Pour les quatre mille cruches, elles avaient été cassées ou volées. Les lingères ourlaient à la hâte deux mille six cents aunes de nappes, et l’on pouvait compter que la dépense totale s’élèverait à près de dix mille livres. 
  À vrai dire, les Rémois y trouveraient tout de même leur compte, car le sacre avait attiré force marchands lombards et juifs qui payaient taxe sur leurs ventes. Le couronnement, comme toutes les cérémonies royales, se déroulait dans une ambiance de kermesse. C’était un spectacle ininterrompu qu’on offrait au peuple en ces journées-là, et qu’on venait voir de loin. Les femmes se voulaient parées de robes neuves ; les galants ne rechignaient pas à la joaillerie ; la broderie, les beaux draps, les fourrures, se vendaient sans peine. La fortune était aux habiles, et les boutiquiers qui montraient un peu de hâte à servir la pratique pouvaient, en une semaine, se faire leur aisance pour cinq ans. 
  Le nouveau roi logeait au palais archiépiscopal devant lequel la foule stationnait en permanence pour voir apparaître les souverains ou pour s’ébahir devant le char de la reine, un char tendu d’écarlate vermeille. La reine Jeanne, environnée de ses dames de parage, présidait, avec une agitation de femme comblée, au déballage des douze malles, des quatre bahuts, du coffre à chaussures, du coffre à épices. Sa garde-robe était à coup sûr la plus belle qu’ait jamais eue dame de France. Un vêtement particulier avait été prévu pour chaque jour et presque chaque heure de ce voyage triomphal. Sous une chape de drap d’or fourrée d’hermine, la reine avait fait son entrée solennelle en la ville, tandis que le long des rues on offrait aux époux royaux des représentations, mystères et divertissements. Au souper de veille du sacre, qui aurait lieu tout à l’heure, la reine paraîtrait dans une robe de velours violet bordée de menu-vair. Pour le matin du couronnement elle avait une robe de drap d’or de Turquie, un manteau d’écarlate et une cotte vermeille ; pour le dîner, une robe brodée aux armes de France ; pour le souper, une robe de drap d’or, et deux manteaux d’hermine différents. Le lendemain elle porterait une robe de velours vert, et ensuite une autre de camocas azurée avec pèlerine de petit-gris. Jamais elle ne se produirait en public dans la même parure, ni sous les mêmes joyaux. 
  Ces merveilles s’étalaient dans une chambre dont la décoration avait été également apportée de Paris : tentures de soie blanche brodées de treize cent vingt et un perroquets d’or, avec au centre les grandes armes des comtes de Bourgogne où passait un lion de gueules ; ciel de lit, courtepointe et coussins étaient ornés de sept mille trèfles d’argent. Sur le sol avaient été jetés des tapis aux armes de France et de Bourgogne-Comté. 
  À plusieurs reprises Jeanne était entrée dans l’appartement de Philippe afin de faire admirer à celui-ci la beauté d’une étoffe, la perfection d’un travail. 
 — Mon cher Sire, mon bien-aimé, s’écriait-elle, que vous me faites heureuse ! 
  Si peu encline qu’elle fût aux démonstrations vives, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir les yeux humides. Son propre sort l’éblouissait, surtout lorsqu’elle se rappelait le temps récent où elle se trouvait en prison, à Dourdan. Quel prodigieux retour de fortune, en moins d’un an et demi ! Elle songeait à Marguerite la morte, elle songeait à sa sœur Blanche de Bourgogne, toujours enfermée à Château-Gaillard… « Pauvre Blanche, qui aimait tant les parures ! » pensait-elle en essayant une ceinture d’or incrustée de rubis et d’émeraudes. Philippe était soucieux, et les enthousiasmes de sa femme l’assombrissaient plutôt ; il examinait les comptes avec son grand argentier. 
 — Je suis fort aise, ma bonne mie, que tout ceci vous complaise, finit-il par répondre. Voyez-vous, j’agis selon l’exemple de mon père qui, comme vous l’avez connu, était fort mesuré en sa dépense personnelle mais ne lésinait point lorsqu’il s’agissait de la majesté royale. Montrez bien ces beaux habits, car ils sont pour le peuple qui vous les donne sur son labeur, tout autant que pour vous ; et prenez-en grand soin, car vous ne pourrez de sitôt en avoir de pareils. Après le sacre, il faudra nous restreindre. 
 — Philippe, demanda Jeanne, ne ferez-vous rien en ce jour pour ma sœur Blanche ? 
 — J’ai fait, j’ai fait. Elle est à nouveau traitée en princesse, sous la réserve qu’elle ne sorte pas des murailles où elle est. Il faut qu’il y ait une différence entre elle qui a péché et vous, Jeanne, qui fûtes toujours pure et qu’on a faussement accusée. 
  Il avait prononcé ces dernières paroles en portant sur sa femme un regard où se lisait davantage le souci de l’honneur royal que la certitude de l’amour. 
 — Et puis, ajouta-t-il, son mari ne me cause guère de joie, en ce moment. C’est un bien mauvais frère que j’ai là ! 
  Jeanne comprit qu’il serait vain d’insister et qu’elle aurait avantage à ne pas revenir sur le sujet. Elle se retira, et Philippe se remit à l’étude des longues feuilles chargées de chiffres que lui présentait Geoffroy de Fleury. Les frais ne se limitaient pas aux seuls vêtements du roi et de la reine. Certes Philippe avait reçu quelques présents ; ainsi Mahaut avait offert le drap marbré pour les robes des petites princesses et du jeune Louis-Philippe. Mais le roi était tenu d’habiller de neuf ses cinquante-quatre sergents d’armes et leur chef, Pierre de Galard, maître des arbalétriers. Adam Héron, Robert de Gamaches, Guillaume de Seriz, les chambellans, avaient reçu chacun dix aunes de rayé de Douai pour se faire des cottes hardies. Henry de Meudon, Furant de la Fouaillie, Jeannot Malgeneste, les veneurs, avaient touché un nouvel équipement, ainsi que tous les archers. Et comme on armerait vingt chevaliers après le sacre, c’était encore vingt robes à donner ! Ces présents de vêtements constituaient les gratifications d’usage ; et l’usage voulait aussi que le roi fît ajouter à la châsse de Saint-Denis une fleur de lis en or constellée d’émeraudes et de rubis. 
 — Au total ? demanda Philippe. 
 — Huit mille cinq cent quarante-huit livres, treize sols et onze deniers, Sire, répondit l’argentier. Peut-être pourriez-vous demander une contribution de joyeux avènement ? 
 — Mon avènement sera plus joyeux si je n’impose pas de nouvelles taxes. Nous ferons face autrement, dit le roi. 
  Ce fut à ce moment qu’on annonça le comte de Valois. Philippe éleva les mains vers le plafond : 
 — Voilà ce que nous avions oublié en nos additions. Vous allez voir, Geoffroy, vous allez voir ! Cet oncle-là va me coûter plus cher à lui seul que dix sacres ! Il vient me mettre marché en main. Laissez-moi seul avec lui. 
  Ah ! qu’il était splendide, Monseigneur de Valois ! Brodé, chamarré, doublé de volume par d’épaisses fourrures qui s’ouvraient sur une robe cousue de pierres précieuses ! Si les habitants de Reims n’avaient pas su que le nouveau souverain était jeune et maigre, on eût pris ce seigneur-là pour le roi lui-même. 
 — Mon cher neveu, commença-t-il, vous me voyez bien en peine… bien en peine pour vous. Votre beau-frère d’Angleterre ne vient pas. 
 — Il y a longtemps, mon oncle, que les rois d’outre-manche n’assistent plus à nos sacres, répondit Philippe. 
 — Certes ; mais ils y sont représentés par quelque parent ou grand seigneur de leur cour, pour occuper leur place de duc de Guyenne. Or Edouard n’a envoyé quiconque ; c’est confirmer ainsi qu’il ne vous reconnaît pas. Le comte de Flandre, que vous pensiez avoir amadoué par votre traité de septembre, n’est pas là non plus, ni le duc de Bretagne. 
 — Je sais, mon oncle, je sais. 
 — Quant au duc de Bourgogne, n’en parlons point ; nous étions sûrs qu’il nous ferait défaut. Mais en revanche sa mère, notre tante Agnès, vient d’entrer en la ville tout à l’heure, et je ne pense pas que ce soit précisément pour vous apporter son soutien. 
 — Je sais, mon oncle, je sais, répéta Philippe.
   Cette arrivée imprévue de la dernière fille de Saint Louis inquiétait Philippe plus qu’il ne le laissait paraître. Il avait d’abord pensé que la duchesse Agnès venait négocier. Mais elle ne montrait guère de hâte à se manifester, et lui-même était décidé à ne pas faire la première démarche. « Si le peuple, qui m’acclame quand je parais, savait de quelles hostilités et menaces je suis entouré ! » se disait-il. 
 — Si bien que des pairs laïcs qui doivent demain soutenir votre couronne, reprit Valois, vous n’en avez présentement aucun. 
 — Mais si, mon oncle ; vous oubliez la comtesse d’Artois… et vous-même. 
  Valois eut un violent mouvement d’épaules. 
 — La comtesse d’Artois ! s’écria-t-il. Une femme pour tenir la couronne, alors que vous-même, Philippe, vous-même n’avez tiré vos droits que de l’exclusion des femmes ! 
 — Soutenir la couronne n’est point la ceindre, dit Philippe. 
 — Faut-il que Mahaut ait aidé à votre accession pour que vous la grandissiez de la sorte ! Vous allez donner crédit davantage à tous les mensonges qui circulent. Ne revenons point sur le passé, mais enfin, Philippe, n’est-ce pas Robert qui devrait figurer pour l’Artois ? 
  Philippe feignit de ne pas porter attention aux dernières paroles de son oncle. 
 — De toute façon les pairs ecclésiastiques sont là, dit-il. 
 — Ils sont là, ils sont là… dit Valois en agitant ses bagues. Déjà ils ne sont que cinq sur six. Et que croyez-vous qu’ils vont faire, ces pairs d’Église, quand ils verront que du côté du royaume une seule main, et laquelle ! va se lever pour vous couronner ? 
 — Mais, mon oncle, vous comptez-vous donc pour rien ? 
  Ce fut le tour de Valois de ne pas relever la question. 
 — Votre frère lui-même vous boude, dit-il. 
 — C’est que Charles, sans doute, répondit Philippe doucement, ne sait point assez, mon cher oncle, comme nous sommes bien accordés, et qu’il croit peut-être vous servir en me desservant… Mais rassurez-vous ; il est annoncé et sera là demain. 
 — Que ne lui conférez-vous aussitôt la pairie ? Votre père l’a fait pour moi, et votre frère Louis pour vous. Ainsi je me sentirais moins seul à vous soutenir. 
 « Ou moins seul à me trahir » pensa Philippe, qui reprit : 
 — Est-ce pour Robert, ou pour Charles, que vous venez plaider, ou bien désirez-vous me parler de vous-même ? 
  Valois prit un temps, se carra dans son siège, regarda le diamant qui brillait à son index. « Cinquante… ou cent mille, se demandait Philippe. Les autres je m’en moque. Mais lui m’est nécessaire, et il le sait. S’il refuse et fait esclandre, je risque d’avoir à remettre mon sacre. » 
 — Mon neveu, dit enfin Valois, vous voyez bien que je n’ai pas rechigné et que j’ai même fait grands frais de costume et de suite pour vous honorer. Mais à constater que les autres pairs sont absents, je crois que je vais devoir aussi me retirer. Que ne dirait-on pas, si l’on me voyait seul à votre côté ? Que vous m’avez acheté, tout bonnement. 
 — Je le déplorerais fort, mon oncle, je le déplorerais fort. Mais, que voulez-vous, je ne puis vous obliger à ce qui vous déplaît. Peut-être le temps est-il arrivé de renoncer à cette coutume qui veut que les pairs lèvent la main auprès de la couronne… 
 — Mon neveu ! Mon neveu ! s’écria Valois. 
 — … et s’il faut consentement d’élection, enchaîna Philippe, de le demander non plus à six grands barons, mais au peuple, mon oncle, qui fournit en hommes les armées et en subsides le Trésor. Ce sera le rôle des États que je vais réunir. 
  Valois ne put se contenir et, sautant de son siège, se mit à crier : 
 — Vous blasphémez, Philippe, ou vous égarez tout à fait ! A-t-on jamais vu monarque élu par ses sujets ? Belle novelleté que vos États ! Cela vient tout droit des idées de Marigny, qui était né dans le commun et qui fut si nuisible à votre père. Je vous dis bien que si l’on commence ainsi, avant cinquante ans le peuple se passera de nous, et choisira pour roi quelque bourgeois, docteur de parlement ou même quelque charcutier enrichi dans le vol. Non, mon neveu, non ; cette fois j’y suis bien décidé ; je ne soutiendrai point la couronne d’un roi qui ne l’est que de son chef, et qui veut de surcroît faire en sorte que cette couronne, bientôt, soit la pâture des manants ! 
  Tout empourpré, il déambulait à grands pas. « Cinquante mille… ou cent mille ? continuait de se demander Philippe. De quel chiffre faut-il l’estoquer ? » 
 — Soit, mon oncle, ne soutenez rien, dit-il. Mais souffrez alors que j’appelle aussitôt mon grand argentier. 
 — Pourquoi donc ? 
 — Pour lui enjoindre de modifier la liste des donations que je devais sceller demain, en signe de joyeux avènement, et sur laquelle vous vous trouviez le premier… pour cent mille livres. 
  L’estoc avait porté. Valois restait pantois, les bras écartés. Philippe comprit qu’il avait gagné et, si cher que lui coûtât cette victoire, il dut faire effort pour ne pas sourire devant le visage que lui présentait son oncle. Celui-ci, d’ailleurs, ne mit pas longtemps à se tirer d’embarras. Il avait été arrêté dans un mouvement de colère ; il le reprit. La colère était chez lui un moyen pour tenter de brouiller le raisonnement d’autrui, lorsque le sien devenait trop faible. 
 — D’abord, tout le mal vient d’Eudes, lança-t-il. Je le réprouve beaucoup et le lui écrirai ! Et qu’avaient besoin le comte de Flandre et le duc de Bretagne de prendre son parti, et de récuser votre convocation ? Quand le roi vous mande pour soutenir sa couronne, on vient ! Ne suis-je pas là, moi ? Ces barons, en vérité, outrepassent leurs droits. C’est ainsi, en effet, que l’autorité risque de passer aux petits vassaux et aux bourgeois. Quant à Edouard d’Angleterre, quelle foi peut-on faire à un homme qui se conduit en femme ? Je serai donc à vos côtés, pour leur faire la leçon. Et ce que vous avez décidé de me donner, je l’accepte, mon neveu, par souci de justice. Car il est juste que ceux qui sont fidèles au roi soient traités autrement que ceux qui le trahissent. Vous gouvernez bien. Ce… ce don qui me marque votre estime, quand allez-vous le signer ? 
 — À présent, mon oncle, si vous le souhaitez… mais daté de demain, répondit le roi Philippe V. 
  Pour la troisième fois, et toujours par moyen d’argent, il avait muselé Valois. 
 — Il était temps que je sois couronné, dit Philippe à son argentier quand Valois fut parti, car s’il m’avait fallu discuter encore, je crois que la prochaine fois j’aurais dû vendre le royaume. 
  Et comme Fleury s’étonnait de l’énormité de la somme promise : 
 — Rassurez-vous, rassurez-vous, Geoffroy, ajouta-t-il ; je n’ai point encore marqué quand cette donation serait versée. Il ne la touchera que par petites fractions,… Mais il pourra emprunter dessus… Maintenant allons à souper. 
  Le cérémonial voulait qu’après le repas du soir, le roi, entouré de ses officiers et du chapitre, se rendît à la cathédrale pour s’y recueillir et faire oraison. L’église était déjà toute prête, avec les tapisseries pendues, les centaines de cierges en place, et la grande estrade élevée dans le chœur. Les prières de Philippe furent courtes, mais il passa néanmoins un temps considérable à se faire instruire une dernière fois du déroulement des rites et des gestes qu’il aurait luimême à accomplir. Il alla vérifier la fermeture des portes latérales, s’assura des dispositions de sécurité, et s’enquit de la place de chacun. 
 — Les pairs laïcs, les membres de la famille royale et les grands officiers sont sur l’estrade, lui expliqua-t-on. Le connétable reste à côté de vous. Le chancelier se tient à côté de la reine. Ce trône, en face du vôtre, est celui de l’archevêque de Reims, et les sièges disposés autour du maître-autel sont pour les pairs ecclésiastiques. 
  Philippe parcourait l’estrade à pas lents, aplatissait, du bout de son pied, le coin soulevé d’un tapis. « Comme c’est étrange, se disait-il. J’étais ici, à cette même place, l’autre année, pour le sacre de mon frère… Je n’avais point porté attention à tous ces détails. » 
  Il s’assit un moment, mais non sur le trône royal ; une crainte superstitieuse lui défendait de l’occuper déjà. « Demain… demain je serai vraiment roi. » Il pensait à son père, à la lignée d’aïeux qui l’avaient précédé en cette église ; il pensait à son frère, supprimé par un crime dont il était innocent mais dont tout le profit maintenant lui revenait ; il pensait à l’autre crime, celui commis sur l’enfant, qu’il n’avait pas ordonné non plus mais dont il était le complice muet… Il pensait à la mort, à sa propre mort, et aux millions d’hommes ses sujets, aux millions de pères, de fils, de frères, qu’il gouvernerait jusque-là. 
  « Sont-ils tous à ma semblance, criminels s’ils en avaient l’occasion, innocents seulement d’apparence, et prêts à se servir du mal pour accomplir leur ambition ? Pourtant, lorsque j’étais à Lyon, je n’avais que des vœux de justice. Est-ce bien sûr ?… La nature humaine est-elle si détestable, ou bien est-ce la royauté qui nous rend ainsi ? Est-ce le tribut que l’on paye à régner, que de se découvrir à tel point impur et souillé ?… Pourquoi Dieu nous a-t-il faits mortels, puisque c’est la mort qui nous rend détestables, par la peur que nous en avons comme par l’usage que nous en faisons ?… On va peut-être tenter de me tuer cette nuit. » 
  Il regardait de hautes ombres vaciller sur les murs, entre les piliers. Il n’éprouvait pas de repentance, mais seulement un manque de bonheur. « Voilà sans doute ce qu’on appelle faire oraison, et pourquoi l’on nous conseille, la nuit avant le sacre, cette station en l’église. » 
  Il se jugeait lucidement, tel qu’il était : un mauvais homme, avec les dons d’un très grand roi. Il n’avait pas sommeil, il fût resté volontiers là, longtemps encore, à méditer sur lui-même, sur l’humaine destinée, sur l’origine de nos actes, et à se poser les vraies grandes questions du monde, celles qui ne peuvent jamais être résolues. 
 — Combien de temps durera la cérémonie ? demanda-t-il. 
 — Deux pleines heures, Sire. 
 — Allons ! Il faut nous forcer à dormir. Nous devons être dispos demain. 
  Mais lorsqu’il eut regagné le palais archiépiscopal, il entra chez la reine et s’assit au bord du lit. Il entretint sa femme de choses sans intérêt évident ; il parlait des places dans la cathédrale ; il se souciait du vêtement de ses filles… Jeanne était déjà à demi endormie. Elle luttait pour rester attentive ; elle discernait chez son mari une tension des nerfs et une sorte d’angoisse montante contre laquelle il cherchait protection. 
 — Mon ami, demanda-t-elle, voulez-vous dormir auprès de moi ? 
  Il parut hésiter. 
 — Je ne puis ; le chambellan n’est pas prévenu, répondit-il. 
 — Vous êtes roi, Philippe, dit Jeanne en souriant ; vous pouvez donner à votre chambellan les ordres qu’il vous plaît. 
  Il mit un temps à se décider. Ce jeune homme qui savait, par les armes ou l’argent, mater ses plus puissants vassaux, éprouvait de la gêne à informer ses serviteurs qu’il allait, par désir imprévu, partager le lit de sa femme. Enfin il appela une des chambrières qui dormaient dans la pièce attenante et l’envoya prévenir Adam Héron qu’il n’eût pas à l’attendre ni à coucher cette nuit en travers de sa porte. Puis, entre les tentures à perroquets, sous les trèfles d’argent du ciel de lit, il se dévêtit et se glissa dans les draps.
   Et cette grande angoisse, dont ne pouvaient le défendre toutes les troupes du connétable, car c’était angoisse d’homme et non angoisse de roi, s’apaisa au contact de ce corps de femme, contre ces jambes fermes et hautes, ce ventre docile et cette poitrine chaude. 
 — Ma mie, murmura Philippe dans les cheveux de Jeanne, ma mie, réponds-moi, m’as-tu trompé ? Réponds sans crainte, car même si tu m’as trahi naguère, sache-toi pardonnée. 
  Jeanne étreignit les longs flancs, secs et robustes, où l’ossature était sensible sous ses doigts. 
 — Jamais, Philippe, je te le jure, répondit-elle. J’ai été tentée de le faire, je te le confesse, mais je n’ai point cédé. 
 — Merci, ma mie, chuchota Philippe. Rien ne manque donc à ma royauté. 
  Il ne manquait plus rien à sa royauté, parce qu’il était, en vérité, pareil à tous les hommes de son royaume : il lui fallait une femme, et qu’elle fût bien à lui.

Demain ‘’La loi des mâles’’ 3ème partie ch 9 ‘’La veille du sacre’’