''
Mon petit Pierre vous m'emmerdez! Vous êtes un vieux coureur et un
vieux beau! J'en ai marre de vous voir prendre cet air idiot quand
cette petite grue de S...vous fait les yeux doux. Vous êtes
ridicule. Regardez la, on dirait une pierreuse. Vous allez me faire
le plaisir de la virer immédiatement. Et téléphonez à X... Elle
reprend le rôle dès ce soir. Elle n'a que 10 lignes; son petit
talent devrait suffire. Et puis elle est déjà passée entre vos
bras et n'aura probablement pas envie d'y retourner.'' Ses yeux
lançaient des éclats comme les diamants qu'elle portait au doigt et
aux oreilles. Les poils de son étole en renard argenté en étaient
tout électrisés. Elle sortit en claquant violemment la porte
déplaçant ainsi dans le bureau une légère brise de Joy de Patou.
Peut-être sa seule réelle fidélité!
''
… Mais au studio je redeviens l'enquiquineuse...'' chantait-elle
dans ''les Trois valses''. J'ai vécu avec elle plus de 40 ans et je
peux vous affirmer qu'elle l'était au moins autant hors des studios
de cinématographe. Mais Dieu que je l'ai aimée et j'ai la faiblesse
de penser qu'elle aussi.
J'ai
fait sa connaissance en 1931 en jouant avec elle dans Franz Hals, une
pièce de Sacha Guitry imaginée, écrite, dialoguée, interprétée,
mise en scène par l'auteur! Mais je savais pratiquement tout d'elle.
Comment ignorer ce couple sans lequel rien d'important ne se faisait
à Paris.
Je
n'ai connu que très tard sa date de naissance. C'est peu de dire
qu'elle était coquette. Nous ne fûmes jamais mariés elle n'eût
donc pas à afficher la date du 25 juillet 1894 sur nos bans. Sacha
Guitry la connaissait cette date mais en faux misogyne et en vrai
délicat et galant homme il avait dû s'empresser de l'oublier. Et le
simple fait de dire qu'il aimait les femmes beaucoup plus jeunes que
lui dispensait Yvonne d'en dire plus.
C'est
la fille de Léon-Alfred et de Palmyre-Augustine. Oublions son nom de
famille puisqu'elle s'en choisira très vite un qui lui ira à
ravir. Léon quitte assez tôt le foyer conjugal et Palmyre élève
ses enfants, Léon, Lucien, Lucienne et Yvonne, en faisant des
travaux de couture. Mais Yvonne n'est pas douée pour le malheur.
Toute jeune elle a déjà un désir irrépressible de plaire et quoi
de mieux pour ça que le théâtre. A 10 ans elle fait ses débuts
sur scène à Butry sur Oise dans un petit spectacle amateur. Mais
nécessité fait loi! C'est là que par hasard Paul Louis Flers
l'entend chanter; Lui, c'est ce qu'on appelait à l'époque un
revuiste. Ancien directeur du Moulin Rouge, il œuvre pour l'instant
aux Folies Bergère. Il n'a pas trop de mal à convaincre Palmyre que
sa fille a un rossignol dans la gorge et doit aller à Paris! Un an
plus tard Yvonne arrive flanquée de sa mère au théâtre de la rue
Bergère! Les artistes et les machinistes voient débarquer ''une
gosse dans toute la disgrâce de l'âge ingrat, maigre comme un jeune
chat de gouttière, avec un gros nez, une grande bouche avec de
jolies dents, mais par-dessus tout des yeux immenses''. Et une voix
naturellement ravissante. C'est à ce moment-là que Flers lui donne
le surnom de ''Printemps''. Sa mère devenant dans la foulée madame
Hiver.
Elle paraît dans des petits tableaux; A 14 ans elle débute à
la Cigale dans une revue ''Nue Cocotte'' (déjà, mon Dieu!!) où
elle joue le rôle d'un petit Chaperon Rouge assez déluré. Ce rôle
lui a-t-il ouvert des horizons, s'y est-elle épanouie? Le fait est
que Palmyre commence à justifier son surnom de madame Hiver en
tentant de réfréner les ardeurs estivales ou automnales des hommes.
Elle revient aux Folies Bergère. Ses rôles s'étoffent. A 18 ans
elle est aux côtés de Maurice Chevalier dans la revue ''Ah les
beaux nichons''! Ce ne sont pas les siens qui donnent le titre à la
revue. Yvonne s'est épanouie. Elle n'est pas ce qu'on appelle
jolie. Mais elle est mieux que ça. On ne remarque qu'elle. Elle est
belle, charmante et charmeuse, vive et spirituelle, intelligente et
élégante et sa voix est devenue exceptionnelle. Elle est en train
de mettre au point les ingrédients qui vont faire d'elle bientôt le
prototype de la Parisienne et la reine de la capitale. Elle est de
plus en plus le point de mire des hommes. Mais là trois paires
d'yeux se braquent sur elle. Ceux de Sacha Guitry, André Messager et
Albert Willemetz.
Tous les trois voient l'énorme potentiel de
mademoiselle Printemps. Sacha Guitry y ajoute un intérêt plus
personnel. Son mariage avec Charlotte Lysès, l'ex-maîtresse de son
père à qui il l'a chipée, commence à lui peser. Elle a 10 ans de
plus que lui. Il règne sur Paris et a besoin d'une femme belle,
intelligent et talentueuse. Et le charme d'Yvonne agit sur lui. Il se
voit bien en Pygmalion. Et elle a bien besoin d'un Pygmalion. Elle a
fait ses humanités dans les coulisses des music-hall. Si elle est
intelligente et futée, Yvonne est totalement inculte et
irrémédiablement fâchée avec la syntaxe. Si la fréquentation de
Sacha lui apportera un joli bagage culturel, elle ne pourra rien pour
son orthographe et ses fautes de français. Mais par contre elle aura
toujours un sens très développé des chiffres, en particulier des
additions. Sacha s'en apercevra au moment de son divorce.
En
attendant elle va s'essayer à l'art lyrique avec ''les Contes de
Perrault''. Succès critique et public. Mais avec son intuition elle
préfère être la reine de l'opérette sur les boulevards que le
numéro 2 ou 3 à l'opéra. L'avenir et Guitry lui donneront raison.
Sacha est toujours à roder autour d'elle. En 1915 il lui écrit avec
Willemetz une revue ''Il faut l'avoir''. Le message est clair,
mais...En 1916 il lui fait jouer le rôle de sa maîtresse dans
''Jean de La Fontaine'' mais...Mais Yvonne avait le cœur et la tête
dans les nuages avec son bel aviateur Georges Guynemer. Ce fut une
passion de feu à en croire les méchantes comparaisons qu'elle me
jetait encore au visage plus de 50 ans après...Connaissant le
tempérament de mon Yvonne, ou le temps embellit les choses ou ce fut
effectivement explosif. Après la mort de Guynemer en septembre 1917
elle finit par céder aux avances du Maître qu'elle épousa en 1919.
Lucien Guitry - Sacha et Yvonne - Sarah Bernhardt - Georges Feydeau
Elle travaillera exclusivement pour lui jusqu'en 1932. Ce furent des
années de triomphes, théâtre, music-hall, opérettes, comédies
musicales, de fêtes, de soirées extravagantes, de bijoux, de
toilettes, de voitures, de petits chiens, de scandales dans les
gazettes, d'amants et de scènes de ménage, de voyages triomphaux en
Angleterre et aux Etats-Unis. En 1925 A. Willemetz et M. Yvain
écrivent pour elle le ''pot-pourri d'Alain Gerbault'' (célébrité
du début des années 20 parti faire le tour du monde en solitaire
pour oublier un amour malheureux pour la tenniswoman Suzanne
Lenglen). On peut considérer que c'est le premier tube de l'histoire
du disque.
A suivre...
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