jeudi 24 novembre 2016

Rossignol de mes amours - Yvonne Printemps - 1

'' Mon petit Pierre vous m'emmerdez! Vous êtes un vieux coureur et un vieux beau! J'en ai marre de vous voir prendre cet air idiot quand cette petite grue de S...vous fait les yeux doux. Vous êtes ridicule. Regardez la, on dirait une pierreuse. Vous allez me faire le plaisir de la virer immédiatement. Et téléphonez à X... Elle reprend le rôle dès ce soir. Elle n'a que 10 lignes; son petit talent devrait suffire. Et puis elle est déjà passée entre vos bras et n'aura probablement pas envie d'y retourner.'' Ses yeux lançaient des éclats comme les diamants qu'elle portait au doigt et aux oreilles. Les poils de son étole en renard argenté en étaient tout électrisés. Elle sortit en claquant violemment la porte déplaçant ainsi dans le bureau une légère brise de Joy de Patou. Peut-être sa seule réelle fidélité!
'' … Mais au studio je redeviens l'enquiquineuse...'' chantait-elle dans ''les Trois valses''. J'ai vécu avec elle plus de 40 ans et je peux vous affirmer qu'elle l'était au moins autant hors des studios de cinématographe. Mais Dieu que je l'ai aimée et j'ai la faiblesse de penser qu'elle aussi.
J'ai fait sa connaissance en 1931 en jouant avec elle dans Franz Hals, une pièce de Sacha Guitry imaginée, écrite, dialoguée, interprétée, mise en scène par l'auteur! Mais je savais pratiquement tout d'elle. Comment ignorer ce couple sans lequel rien d'important ne se faisait à Paris.
 Je n'ai connu que très tard sa date de naissance. C'est peu de dire qu'elle était coquette. Nous ne fûmes jamais mariés elle n'eût donc pas à afficher la date du 25 juillet 1894 sur nos bans. Sacha Guitry la connaissait cette date mais en faux misogyne et en vrai délicat et galant homme il avait dû s'empresser de l'oublier. Et le simple fait de dire qu'il aimait les femmes beaucoup plus jeunes que lui dispensait Yvonne d'en dire plus.
C'est la fille de Léon-Alfred et de Palmyre-Augustine. Oublions son nom de famille puisqu'elle s'en choisira très vite un qui lui ira à ravir. Léon quitte assez tôt le foyer conjugal et Palmyre élève ses enfants, Léon, Lucien, Lucienne et Yvonne, en faisant des travaux de couture. Mais Yvonne n'est pas douée pour le malheur. Toute jeune elle a déjà un désir irrépressible de plaire et quoi de mieux pour ça que le théâtre. A 10 ans elle fait ses débuts sur scène à Butry sur Oise dans un petit spectacle amateur. Mais nécessité fait loi! C'est là que par hasard Paul Louis Flers l'entend chanter; Lui, c'est ce qu'on appelait à l'époque un revuiste. Ancien directeur du Moulin Rouge, il œuvre pour l'instant aux Folies Bergère. Il n'a pas trop de mal à convaincre Palmyre que sa fille a un rossignol dans la gorge et doit aller à Paris! Un an plus tard Yvonne arrive flanquée de sa mère au théâtre de la rue Bergère! Les artistes et les machinistes voient débarquer ''une gosse dans toute la disgrâce de l'âge ingrat, maigre comme un jeune chat de gouttière, avec un gros nez, une grande bouche avec de jolies dents, mais par-dessus tout des yeux immenses''. Et une voix naturellement ravissante. C'est à ce moment-là que Flers lui donne le surnom de ''Printemps''. Sa mère devenant dans la foulée madame Hiver. 
Elle paraît dans des petits tableaux; A 14 ans elle débute à la Cigale dans une revue ''Nue Cocotte'' (déjà, mon Dieu!!) où elle joue le rôle d'un petit Chaperon Rouge assez déluré. Ce rôle lui a-t-il ouvert des horizons, s'y est-elle épanouie? Le fait est que Palmyre commence à justifier son surnom de madame Hiver en tentant de réfréner les ardeurs estivales ou automnales des hommes. Elle revient aux Folies Bergère. Ses rôles s'étoffent. A 18 ans elle est aux côtés de Maurice Chevalier dans la revue ''Ah les beaux nichons''! Ce ne sont pas les siens qui donnent le titre à la revue. Yvonne s'est épanouie. Elle n'est pas ce qu'on appelle jolie. Mais elle est mieux que ça. On ne remarque qu'elle. Elle est belle, charmante et charmeuse, vive et spirituelle, intelligente et élégante et sa voix est devenue exceptionnelle. Elle est en train de mettre au point les ingrédients qui vont faire d'elle bientôt le prototype de la Parisienne et la reine de la capitale. Elle est de plus en plus le point de mire des hommes. Mais là trois paires d'yeux se braquent sur elle. Ceux de Sacha Guitry, André Messager et Albert Willemetz. 

Tous les trois voient l'énorme potentiel de mademoiselle Printemps. Sacha Guitry y ajoute un intérêt plus personnel. Son mariage avec Charlotte Lysès, l'ex-maîtresse de son père à qui il l'a chipée, commence à lui peser. Elle a 10 ans de plus que lui. Il règne sur Paris et a besoin d'une femme belle, intelligent et talentueuse. Et le charme d'Yvonne agit sur lui. Il se voit bien en Pygmalion. Et elle a bien besoin d'un Pygmalion. Elle a fait ses humanités dans les coulisses des music-hall. Si elle est intelligente et futée, Yvonne est totalement inculte et irrémédiablement fâchée avec la syntaxe. Si la fréquentation de Sacha lui apportera un joli bagage culturel, elle ne pourra rien pour son orthographe et ses fautes de français. Mais par contre elle aura toujours un sens très développé des chiffres, en particulier des additions. Sacha s'en apercevra au moment de son divorce.
En attendant elle va s'essayer à l'art lyrique avec ''les Contes de Perrault''. Succès critique et public. Mais avec son intuition elle préfère être la reine de l'opérette sur les boulevards que le numéro 2 ou 3 à l'opéra. L'avenir et Guitry lui donneront raison. Sacha est toujours à roder autour d'elle. En 1915 il lui écrit avec Willemetz une revue ''Il faut l'avoir''. Le message est clair, mais...En 1916 il lui fait jouer le rôle de sa maîtresse dans ''Jean de La Fontaine'' mais...Mais Yvonne avait le cœur et la tête dans les nuages avec son bel aviateur Georges Guynemer. Ce fut une passion de feu à en croire les méchantes comparaisons qu'elle me jetait encore au visage plus de 50 ans après...Connaissant le tempérament de mon Yvonne, ou le temps embellit les choses ou ce fut effectivement explosif. Après la mort de Guynemer en septembre 1917 elle finit par céder aux avances du Maître qu'elle épousa en 1919.

Lucien Guitry - Sacha et Yvonne - Sarah Bernhardt - Georges Feydeau
Elle travaillera exclusivement pour lui jusqu'en 1932. Ce furent des années de triomphes, théâtre, music-hall, opérettes, comédies musicales, de fêtes, de soirées extravagantes, de bijoux, de toilettes, de voitures, de petits chiens, de scandales dans les gazettes, d'amants et de scènes de ménage, de voyages triomphaux en Angleterre et aux Etats-Unis. En 1925 A. Willemetz et M. Yvain écrivent pour elle le ''pot-pourri d'Alain Gerbault'' (célébrité du début des années 20 parti faire le tour du monde en solitaire pour oublier un amour malheureux pour la tenniswoman Suzanne Lenglen). On peut considérer que c'est le premier tube de l'histoire du disque.

 A suivre...

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