Préservée
du bruit de la ville, profitant de l'aura bucolique du Palais Royal
tout proche, la petite rue Chabanais a le charme tranquille de ses
voisines du quartier Vivienne : Rameau et les Petits-Champs. Des
façades beiges à 5 étages (chambres de bonnes comprises), quelques
cafés (dont le plus ancien bar lesbien de la capitale, la
Champmeslé, au numéro 2), des restaurants japonais, une galerie
d’art érotique ‘’Au bonheur du jour’’, des passants
pressés ou des touristes égarés. Rien qui ne laisse soupçonner
que cette voie, ouverte en 1773 par le Marquis de Chabanais, fut l'un
des hauts lieux du Paris mondain et nocturne de la Belle Epoque et
des Années folles. Le passage obligé de tout diplomate, artiste,
chef d'Etat amateurs de prostitués « trois étoiles » et de
fantasmes exigeants.
Située
au 12 rue Chabanais, la plus célèbre maison close de la capitale se
dissimulait dans un immeuble discret. Fondée en 1878 par Madame
Kelly, elle réunissait entre 20 et 35 pensionnaires triées sur le
volet pour recevoir une clientèle huppée et exigeante. Riches
bourgeois, célébrités et têtes couronnées assouvissaient entre
ses murs des fantasmes qui nécessitaient accessoires et mises en
scènes.
La
petite porte anodine abrite encore aujourd’hui les rares vestiges
de la maison close la plus fréquentée de Paris, l'illustre et
fantasque hôtel du Chabanais, fermé en 1946 par la loi Marthe
Richard. Son escalier en fer forgé et ses deux ascenseurs ont
résisté au temps, depuis leur création en 1878. À l'époque, ils
étaient synchronisés : l'un pour monter, l'autre pour descendre,
afin d'éviter les rencontres gênantes.
Au
numéro 12, les belles manières sont de rigueur mais les tabous
restent sur le pas de la porte. Toutes les excentricités sont
permises. En commençant par le décor. Mélange des genres,
surenchères d'ornements, marbre, or et stuc, les salons Louis XV ou
pompéien rivalisent d'un éclat poli au stupre.
Les
chambres portent des noms exotiques: la « russe » avec sa baignoire
en mosaïque, la « japonaise » au parfum d'encens, primée lors de
l'exposition universelle de 1900, la « pirate », dont les hublots
sont régulièrement éclaboussés d'eau pour un dépaysement
garanti... Si le Chabanais devait être aménagé aujourd’hui, il
couterait plus de 10 millions d’euros! Une extravagance que seule
la Belle Epoque pouvait se permettre.
L'entrée
en forme de grotte, type caverne d'Ali Baba, réservait son sésame
aux grands de ce monde, comme les membres du prestigieux Jockey Club.
Les secrets d'alcôve racontent que Pierre Louÿs y trouva son
inspiration pour son roman érotique Aphrodite, que Guy de Maupassant
vint y soigner ses crises d'inspiration.
Le
Prince de Galles Edouard VII, habitué des lieux, privilégiait la
chambre hindoue (et son plafond à miroirs) pour ses rencontres
érotiques. Ce dernier, surnommé Dirty Bernie par ses favorites, a
fait construire en 1900 une baignoire à champagne en cuivre, ornée
d'une sphinge, et une chaise « à volupté », munie d'étriers
métalliques pour faciliter les ébats amoureux de son obèse Altesse
Royale et son goût du triolisme.
Le
Chabanais était un passage obligé pour toutes les personnalités,
royales ou républicaines, venant à Paris. Le nom de code ‘’visite
au Président du Sénat’’ était connu de toutes les
chancelleries. Un jour un fonctionnaire du protocole ignorant de cela
inscrivit cette visite sur le programme de la reine-mère d’Espagne.
Il fallut organiser d’urgence une visite au Président du Sénat
qui n’en demandait pas tant…
Les
‘’chabanaises’’ ne chômèrent pas pendant l’occupation
allemande. Leur hôtel fut avec le One-two-two, le Sphinx, la Fleur
blanche et chez Marguerite, l’un des cinq lupanars réquisitionnés
pour les loisirs et les plaisirs des officiers du Reich.
En
1946, Marthe Richard, aviatrice, espionne, femme politique, elle-même
ancienne prostituée et surnommée ‘’la veuve qui clôt’’
fait voter une loi fermant les maisons closes.
Le
8 mai 1951 une extraordinaire vente aux enchères conduite par M°
Maurice Rheims va disperser aux quatre coins du monde le mobilier,
les décors et le matériel du Chabanais...
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