lundi 14 novembre 2016

Bordels - Proust et l'hôtel Marigny au début du siècle dernier...

Au 11 rue de l’Arcade, dans le 8ème arrondissement, il y a un hôtel. L’hôtel Marigny. Cet hôtel, classé aujourd’hui quatre****, n’avait pas le même statut au début du siècle dernier. Il était la propriété d’un certain Albert Le Cuziat qui en avait fait une maison de passe pour hommes.
Il arrive de sa Bretagne natale à 16 ans et, muni d’ une recommandation du curé de Tréguier, il entre comme domestique chez le prince Radziwill. Grâce à sa jolie tournure, son intelligence et probablement une communauté de goûts avec le prince il devient très vite son premier valet de chambre. Marcel Proust connait bien le prince Radziwill qui est un des modèles du Robert de Saint-Loup de la Recherche. Proust tombe sous le charme, la jeunesse, la beauté, l’intelligence et l’entregent d’Albert. Ils deviennent intimes. Mais il intéresse aussi Proust pour une autre raison. De par sa position et sa proximité avec le prince Radziwill, il sert cette noblesse à laquelle chaque soir il ouvre les portes des salons. Il découvre ainsi tous les secrets de cette société, et comprend vite que le service dans le vice est ce qui établit la plus sûre intimité, la seule possible entre un grand seigneur et un petit paysan. Il s’adapte, tantôt confident, tantôt giton, souvent entremetteur par snobisme, et y prend goût. Entre Marcel et Albert, des jeux et des complicités se développent. Albert lui raconte les dernières histoires du Tout-Paris pédéraste. Ces précieuses conversations sont généreusement récompensées et, au besoin, il lui présente des garçons triés sur le volet pour leur physique et leurs spécialités… Rapidement, Albert va inspirer un personnage de l’œuvre en cours d’écriture, Jupien.
 Albert Le Cuziat
Le baron de Charlus et Jupien (vus par Kees van Dongen)

Le temps passant, Albert devient trop âgé pour continuer à offrir ses services à la noblesse. En 1913, il a 34 ans, avec le soutien financier de Marcel Proust, il ouvre alors un établissement de bains, les Bains de Cuziat, au 11 rue Godot de Mauroy, dans le 9ème arrondissement. En 1917, fortune faite, il ouvre une maison de plaisirs pour homosexuels: l’Hôtel Marigny, au 11 rue de l’Arcade, dans le 8ème. Encore une fois, Proust lui avance des fonds. Plus une partie du mobilier hérité de ses parents. Dans son livre, Proust attribue cette aide au Baron de Charlus, commanditaire et «généreux mécène» du bordel de Jupien. Quant à l’Hôtel Marigny, il est rebaptisé dans le livre «Le Temple de l’impudeur»… Ainsi donc, Marcel Proust ne faisait pas que lire pour nourrir ses écrits. Il avait des muses concrètes.
Il était si curieux des fantasmes des autres clients qu’Albert lui organisait des séances de voyeurisme. Proust aurait pu observer en cachette, par une imposte, un riche industriel du nord se faire tourmenter jusqu’au sang à coups de lanières. On retrouve d’ailleurs cette scène, transposée dans Le Temps retrouvé : «Tout d’un coup, d’une chambre qui était isolées au bout d’un couloir me semblèrent venir des plaintes étouffées. Je marchais vivement dans cette direction et appliquai mon oreille à la porte. “Je vous en supplie, grâce, grâce, pitié, détachez-moi, ne me frappez pas si fort, disait une voix. Je vous baise les pieds, je m’humilie, ayez pitié. – Non, crapule, répondit une autre voix, et puisque tu gueules et que tu te traines à genoux, on va t’attacher sur le lit, pas de pitié.” Et j’entendis le bruit du claquement d’un martinet, probablement aiguisé de clous, car il fut suivi de cris de douleur.» Dans le rôle du client couvert de sang et d’ecchymoses «qui prouvaient que le supplice n’avait pas lieu pour la première fois», le narrateur finit par reconnaître le baron de Charlus…
L’hôtel Marigny, rue de l’Arcade, offre à Proust, outre les scènes les plus spectaculaires liées au sadomasochisme, un tableau unique des rapports de classe et de sexe, ainsi que de la vie nocturne de Paris-Sodome.
Proust y avait ses habitudes et Albert lui fournissait son contingent de jeunes hommes, le plus souvent des militaires en permission qui venaient arrondir leur solde. Mais Marcel Proust, cependant, avait peut-être plus besoin de bordels masculins pour «voir» et rêver que pour y assouvir ses penchants. Cela lui a même valu de s’y faire arrêter.
Le 4 janvier 1918, une lettre anonyme signale une «noce immonde» à l’Hôtel Marigny. Le 11 janvier 1918, une descente de police y constate une beuverie dans le salon au rez-de-chaussée et la présence, de quatre hommes attablés autour d’une bouteille de champagne. Parmi eux: «Proust, Marcel, 46 ans, rentier, 102 bd Haussmann», «Pernet Léon, soldat de 1ère classe au 140e régiment d’infanterie», et «Brouillet André, caporal au 408e régiment d’infanterie». «Les trois personnes sus-désignées consommaient en compagnie du nommé Le Cuziat (Albert), propriétaire de l’hôtel», précise le rapport de police. De quoi furent-ils inculpés? La suite du rapport de police ne le dit pas.

5 commentaires:

  1. des vertes et des pas mûres dans cet hôtel !

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  2. Bonjour, pouvez-vous m'indiquer où vous avez trouvé la carte postale de l'hôtel Marigny ?
    Merci par avance
    F.

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  3. https://www.google.fr/search?q=hotel+marigny+paris+bordel+marcel+proust&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwjy8aqU9obrAhUHmBQKHT2nATkQ_AUoAXoECAsQAw&biw=1600&bih=736
    désolé de vous répondre tardivement

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  4. ..Oui..je..sais..je..sais....mais..la.pub....avec.les.détails..etl*adresse.en.plus...ça..fait.mauvais.effet..enfait.de...."recherche".!

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  5. On trouve tout un chapitre de l'Hôtel Marigny où Albert le Cuziat était le tenancier de cette maison d'hommes, où Marcel Proust s'y fait identifier par la police le 11 janvier 1918. Tout ceci est expliqué et imagé en photos dans mon livre "Hôtels garnis" Galerie u Bonheur du Jour, 1 rue Chabanais - 75002 Paris.

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