II
LES
COMPTES DU ROYAUME
Spinello
Tolomei n’était pas un homme pressé. Il réfléchit deux bonnes
journées ; puis, la troisième, ayant mis sa chape par-dessus son
manteau fourré, car la pluie tombait en giboulées, il se rendit à
l’hôtel de Valois. Il fut reçu rapidement par le comte de Valois
lui-même et par Monseigneur d’Artois, tous deux assez meurtris,
aigres en leurs propos, avalant mal leur défaite et cherchant à
échafauder de vagues plans de vengeance. L’hôtel paraissait
beaucoup plus calme que les mois passés, et l’on sentait bien que
le vent de la faveur soufflait de nouveau du côté de Marigny.
—
Messeigneurs, dit Tolomei aux deux grands barons, vous vous êtes
conduits ces dernières semaines d’une manière qui, si vous teniez
banque ou commerce, vous eût menés tout bonnement à fermer
comptoir.
Il pouvait se permettre ce ton de semonce ; il s’en était
acquis le droit pour dix mille livres, non pas versées de sa poche,
mais qu’il avait garanties.
— Vous ne m’avez point demandé
d’avis ; je ne vous en ai donc pas donné, reprit-il. Mais j’aurais
pu vous certifier qu’un homme aussi puissant et aussi averti que
l’est messire Enguerrand ne s’amusait pas à mettre les mains
dans les coffres du roi. Des comptes purs ? Bien sûr que ses comptes
sont purs. S’il a trafiqué, c’est d’autre manière.
Puis,
s’adressant directement au comte de Valois : — Je vous ai obtenu
quelque argent, Monseigneur Charles, afin de vous hisser dans la
confiance du roi. Cet argent devait être promptement rendu.
— Mais
il le sera, messer Tolomei, il le sera.
— Et quand cela,
Monseigneur ? Je n’aurai point l’audace de douter de votre
parole. Je suis certain de la créance ; encore m’intéresserais-je
à savoir quand et par quels moyens elle sera remboursée. Or vous
n’avez plus la gestion du Trésor ; la voici repassée à Marigny.
D’autre part, je ne vois pas qu’ait été promulguée aucune
ordonnance concernant l’émission des monnaies, ce qui nous tenait
fort à cœur, ni aucune non plus rétablissant le droit de guerre
privée. Marigny y fait obstacle.
— Et qu’avez-vous à proposer
pour venir à bout de ce sanglier puant ? s’écria Robert d’Artois.
Nous y sommes aussi attachés que vous, croyez-le, et si vous pouvez
avancer une idée meilleure que les nôtres, elle sera bienvenue.
C’est une chasse où nous avons besoin de chiens de relais.
Tolomei
lissa les plis de sa robe, croisa les mains sur son ventre.
—
Messeigneurs, je ne suis pas chasseur, répondit-il, mais je suis
Toscan de naissance, et je sais que, quand on ne peut abattre son
ennemi de face, il faut l’attaquer de profil. Vous vous êtes
portés trop franchement au combat. Cessez donc d’accuser Marigny
et de répandre partout qu’il est un voleur, puisque le roi a
certifié qu’il ne l’était point. Paraissez pour un temps
accepter qu’il gouverne ; feignez même de vous réconcilier avec
lui ; et puis, par-derrière, faites enquêter dans les provinces.
N’en chargez point les officiers royaux, car ils sont les créatures
de Marigny, et justement ceux qu’il vous faut viser. Mais dites aux
nobles, grands et petits, sur qui vous avez influence, de vous
instruire des agissements des prévôts. En bien des lieux, la moitié
seulement des tailles perçues parvient au Trésor. Ce qu’on ne
prend point en argent, on le prend en vivres que l’on revend à
prix prohibés. Faites enquêter, vous dis-je ; et d’autre part
obtenez du roi qu’il convoque tous les prévôts, receveurs et
commis de finances afin que leurs livres soient examinés. Par qui ?
Par Marigny, assisté bien sûr des barons et des conseillers aux
comptes. Et en même temps vous produirez vos enquêteurs. Alors je
vous dis qu’il apparaîtra de telles malversations, et si
monstrueuses, que vous pourrez sans peine en rejeter la faute sur
Marigny, et sans plus vous soucier de savoir s’il est innocent ou
coupable. Ce faisant, Monseigneur Charles, vous aurez les nobles pour
vous, qui rechignent à voir sur leurs fiefs les sergents de Marigny
se mêler à tout ; et vous aurez aussi le bas peuple qui crève de
famine et cherche des responsables à sa misère. Voilà,
Messeigneurs, le conseil que je m’autorise à vous donner, et celui
que je porterais au roi si j’étais en votre position… Sachez de
surcroît que nos compagnies lombardes, qui tiennent comptoir en de
nombreux endroits, peuvent si vous le souhaitez aider à votre
enquête. Valois réfléchit quelques instants.
— Le difficile,
dit-il, sera de décider le roi, car il est pour l’heure tout
entiché de Marigny et de son frère l’archevêque, dont il attend
un pape.
— En ce qui regarde l’archevêque, ne vous inquiétez
pas, répliqua le banquier. Je dispose à son usage d’une muselière
dont je me suis déjà servi une fois, et que je lui repasserai au
nez le moment venu.
Lorsque Tolomei fut sorti, d’Artois dit à
Valois :
— Ce bonhomme-là décidément est plus fort que nous.
—
Plus fort… plus fort… répondit Valois. C’est-à-dire qu’il
nous précise dans son langage de marchand les choses que nous
pensions déjà.
Mais il s’empressa, dès le lendemain, de se
conformer aux instructions du capitaine général des Lombards,
lequel pour une garantie de dix mille livres donnée à ses confrères
italiens, s’était offert le luxe de diriger la France. Un bon mois
d’insistance fut nécessaire à Monseigneur de Valois pour
convaincre le roi. En vain Valois répétait à son neveu:
—
Rappelez-vous les derniers mots de votre père. Rappelez-vous comme
il vous a dit : « Louis, sachez au plus tôt l’état de votre
royaume. » Eh bien, c’est en convoquant tous les prévôts et
receveurs que vous connaîtrez cet état. Et notre saint aïeul dont
vous portez le nom vous montre l’exemple en cela aussi. Il ordonna
une grande enquête de la sorte, l’an 1247…
Or Marigny n’était
pas hostile au principe d’une telle réunion ; il y voyait
l’occasion de reprendre en main les agents royaux. Car lui aussi
constatait des relâchements dans l’administration. Mais il
estimait sage de surseoir à la convocation ; il affirmait que le
moment était mal choisi, alors que la misère aigrissait le peuple
et que les ligues de barons s’agitaient, pour éloigner de leurs
résidences, d’un seul coup, tous les officiers du roi.
Il était
indéniable que, depuis la mort de Philippe le Bel, l’autorité
centrale s’affaiblissait. En réalité, deux pouvoirs s’opposaient,
s’empêtraient, s’annulaient l’un l’autre. On obéissait ou
bien à Marigny, ou bien à Valois. Tiraillé entre les deux partis,
mal renseigné, ne sachant distinguer la calomnie de l’information
véritable, et incapable par nature de trancher franchement, Louis X
accordait sa confiance tantôt à gauche, tantôt à droite, et
croyait gouverner alors qu’il ne faisait que subir. Cédant à la
violence des ligues, et sur avis de la majorité de son Conseil,
Louis, le 19 mars de cette année 1315, c’est-à-dire après trois
mois et demi de règne, signa la charte aux seigneurs normands, qui
allait être suivie presque aussitôt des chartes aux Languedociens,
aux Bourguignons, aux Champenois, aux Picards, la dernière
intéressant tout particulièrement le comte de Valois et Robert
d’Artois.
Ces édits effaçaient toutes les dispositions,
scandaleuses aux yeux des privilégiés, par lesquelles Philippe le
Bel avait interdit les tournois, guerres privées et gages de
bataille. Il était à nouveau permis aux gentilshommes « de
guerroyer les uns aux autres, chevaucher, aller, venir et porter les
armes »… Autrement dit, la noblesse française retrouvait son
droit ancestral et chéri à se ruiner en vraies ou fausses
batailles, à se massacrer, et à ravager à l’occasion le royaume
pour vider des querelles de personnes.
Quel souverain monstrueux, en
vérité, et dont la mémoire méritait d’être honnie, que celui
qui pendant trente ans l’avait privée de ces honnêtes passe-temps
! Également, les seigneurs redevenaient libres de distribuer des
terres et de se créer de nouveaux vassaux, donc souvent de nouveaux
profits, sans avoir à en référer au roi. Pour tout litige, les
nobles ne devaient désormais comparaître que devant des
juridictions nobles. Les sergents et prévôts du roi ne pouvaient
plus arrêter les délinquants ou les citer en justice sans en
référer d’abord au seigneur du lieu. Les bourgeois et paysans
libres n’étaient plus autorisés, sauf en quelques cas
exceptionnels, à sortir des terres des seigneurs pour venir se
réclamer de la justice du roi. Relativement aux subsides militaires
et aux levées de troupes, les barons reprenaient une espèce
d’indépendance qui leur permettait de décider s’ils voulaient
ou non participer aux guerres nationales, et, dans l’affirmative,
combien ils souhaitaient se faire payer. Marigny parvint à faire
inscrire à la fin de ces chartes une formule vague concernant la
suprême autorité royale et tout ce qui « d’ancienne coutume
appartenait au souverain prince et à nul autre ». Cette formule de
droit laissait la possibilité à un monarque fort de reprendre pièce
par pièce tout ce qui venait d’être cédé. Valois pourtant y
consentit, car pour lui, lorsqu’on disait « anciennes coutumes »,
il entendait « Saint Louis ».
Mais Marigny nourrissait peu
d’illusions ; en esprit comme en fait, c’étaient toutes les
institutions du Roi de fer qui s’effondraient. Marigny sortit de ce
conseil du 19 mars en déclarant qu’on y avait creusé le lit pour
de grands troubles. Dans le même temps, la convocation des prévôts,
trésoriers et receveurs fut enfin décidée ; on expédia, dans tous
les bailliages et sénéchaussées, des enquêteurs officiels qu’on
appela des « réformateurs », mais sans leur accorder les délais
convenables à une inspection sérieuse, puisque la réunion était
fixée au milieu du mois suivant ; et comme on cherchait un lieu où
tenir cette assemblée, Charles de Valois proposa Vincennes, en
souvenir de Saint Louis.
Donc, au jour dit, Louis Hutin, ses pairs,
ses barons, les dignitaires et principaux officiers de la couronne,
les membres du Conseil et de la Chambre des Comptes, se rendirent en
grand équipage au manoir de Vincennes. Cette belle chevauchée
attira les gens sur le pas des portes ; les gamins suivaient en
criant : « Vive le Roi ! » dans l’espoir de recevoir une poignée
de dragées. Le bruit s’était répandu que le roi allait juger les
receveurs d’impôts, et rien, à défaut de pain, ne pouvait
davantage satisfaire le peuple. Le temps d’avril était doux avec
des nuages légers qui couraient dans le ciel au-dessus des chênes
de la forêt ; un vrai temps de printemps qui redonnait espérance.
Si la disette continuait de sévir, au moins en avait-on fini du
froid, et l’on se disait que la récolte prochaine serait bonne, si
les saints de glace ne tuaient pas les blés nouveaux.
À proximité
du manoir royal, une immense tente avait été dressée, comme pour
quelque fête ou grand mariage, et deux cents receveurs, trésoriers
et prévôts s’y tenaient alignés, les uns sur des bancs de bois,
les autres par terre, assis en tailleur. Sous un dais brodé aux
armes de France, le jeune roi, couronne en tête, sceptre en main,
vint occuper son faudesteuil, sorte de pliant hérité du siège
curule et qui, depuis les origines de la monarchie française,
servait de trône au souverain en déplacement. Les accoudoirs du
faudesteuil de Louis X étaient sculptés de têtes de lévriers, et
le fond garni d’un coussin de soie rouge. Pairs et barons prirent
place de part et d’autre du roi, et les conseillers aux Comptes
s’installèrent derrière de longues tables posées sur des
tréteaux. Les fonctionnaires royaux, portant leurs registres, furent
alors appelés, en même temps que les réformateurs qui avaient
circulé dans leurs circonscriptions respectives.
Pour hâtives
qu’aient été les enquêtes, elles avaient quand même permis de
recueillir bon nombre de dénonciations locales dont la plupart se
trouvèrent rapidement avérées. Presque tous les comptes
présentaient des traces de gaspillages, d’abus et de
malversations, surtout dans les derniers mois, surtout depuis la mort
de Philippe le Bel, surtout depuis qu’on avait sapé l’autorité
de Marigny. Les barons commençaient à murmurer, comme s’ils
eussent tous été eux-mêmes des parangons d’honnêteté, ou comme
si les dilapidations eussent atteint leurs biens propres. La peur
gagnait les rangs des fonctionnaires, et certains de ceux-ci
préférèrent disparaître subrepticement par le fond de la tente,
repoussant à plus tard de s’expliquer. Quand on arriva aux prévôts
et receveurs des régions de Montfort-Amaury, Dourdan et Dreux, sur
lesquels Tolomei avait fourni aux réformateurs des éléments fort
précis d’accusation, il se fit autour du roi une très vite
agitation. Mais le plus indigné de tous les seigneurs, celui qui le
plus haut laissa éclater sa colère, fut Marigny. Sa voix couvrit
toutes les voix, et il s’adressa à ses subordonnés avec une
violence qui leur fit courber le dos. Il exigeait des restitutions,
promettait des châtiments. Monseigneur de Valois, se levant, lui
coupa soudain la parole.
— C’est beau rôle que vous jouez là
devant nous, messire Enguerrand, s’écria-t-il ; mais il ne sert à
rien de tonner si fort au nez de ces coquins, car ils sont hommes que
vous avez mis en place, dévoués à vous, et tout dénonce que vous
avez partagé avec eux.
Un si profond silence suivit cette accusation
publique qu’on put entendre un coq chanter dans la campagne. Le
Hutin, visiblement surpris, regardait de droite et de gauche. Chacun
retenait son souffle, car Marigny marchait sur Charles de Valois.
—
Messire, répondit-il d’une voix rauque, s’il se trouve en toute
cette chiennaille…
Il désignait de la main ouverte l’assemblée
des prévôts.
— … s’il se trouve un seul, parmi ces mauvais
serviteurs du royaume, pour affirmer en conscience et jurer sur la
foi qu’il m’a soudoyé en quelque manière, ou remis le moindre
profit de ses recettes, je veux qu’il approche.
Alors, poussé par
la grande patte de Robert d’Artois, on vit s’avancer le prévôt
de Montfort, dont les comptes étaient en cours d’examen.
—
Qu’avez-vous à dire ? Vous venez chercher votre corde ? lui lança
Marigny.
Tout tremblant, sa face ronde marquée d’une tache lie de
vin, le prévôt restait muet. Pourtant, il avait été bien
endoctriné, par Guccio d’abord, puis par Robert d’Artois qui, la
veille, lui avait promis qu’il échapperait à tout châtiment, à
condition de témoigner contre Marigny.
— Alors, qu’avez-vous à
dire ? demanda à son tour le comte de Valois. Ne craignez point
d’avouer la vérité, car notre bien-aimé roi est là pour
l’entendre, et rendre sa justice.
Portefruit mit un genou en terre
devant Louis X et, croisant ses bras courts, prononça :
— Sire, je
suis un grand fautif ; mais j’y ai été obligé par le commis de
Monseigneur de Marigny, qui me réclamait chaque année le quart des
tailles, pour le compte de son maître.
— Quel commis ? Nommez-le,
et qu’il comparaisse ! cria Enguerrand. Quelles sommes lui
avez-vous baillées ?
Le prévôt alors se démonta, chose
qu’auraient pu prévoir ceux qui l’employaient, car il était
douteux qu’un homme qui avait perdu pied devant Guccio ne
s’effondrât point en présence de Marigny. Il prononça le nom
d’un commis mort depuis cinq ans, s’enferra en citant un autre
complice, mais qui se trouvait appartenir à la maison du comte de
Dreux et non à celle de Marigny. Il fut tout à fait incapable
d’expliquer par quelle filière mystérieuse les fonds détournés
pouvaient parvenir au recteur du royaume. Sa déposition suait la
félonie. Marigny y mit terme en disant :
— Sire, comme vous en
pouvez juger, il n’y a pas miette de vrai dans ce que bredouille
cet homme. C’est un larron qui pour se sauver répète paroles
enseignées, et mal enseignées, par mes ennemis. Qu’il me soit
reproché d’avoir placé ma confiance en de tels crapauds dont la
déshonnêteté vient d’éclater ; qu’il me soit reproché ma
faiblesse de n’en avoir point fait rouer une bonne douzaine, je
souscrirai à la semonce, encore que depuis quatre mois on m’ait
beaucoup ôté les moyens d’agir sur eux. Mais qu’on ne me fasse
pas grief de vol. C’est la seconde fois que messire de Valois s’y
autorise, et cette fois je ne le tolérerai plus.
Seigneurs et
magistrats comprirent alors que la grande querelle allait enfin se
vider. Dramatique, une main sur le cœur, l’autre pointée vers
Marigny, Valois répliquait, s’adressant au roi :
— Sire mon
neveu, nous sommes trompés par un méchant homme qui n’est que
trop resté au milieu de nous, et dont les méfaits ont attiré sur
notre maison la malédiction. C’est lui qui est cause des
extorsions dont on se plaint et qui, pour de l’argent qu’on lui a
donné, a fait, à la honte du royaume, obtenir plusieurs trêves aux
Flamands. Pour cela votre père est tombé dans une tristesse telle
qu’il en est trépassé avant son temps. C’est Enguerrand qui est
cause de sa mort. Pour moi, je suis prêt à prouver qu’il est un
voleur et qu’il a trahi le royaume, et si vous ne le faites arrêter
sur-le-champ, je jure Dieu que je ne paraîtrai plus à votre cour ni
dans votre Conseil.
— Vous en avez menti par la gueule ! s’écria
Marigny.
— Par Dieu, c’est vous qui mentez, Enguerrand, répondit
Valois.
La fureur les jeta l’un contre l’autre. Ils
s’empoignèrent au col ; et l’on vit ces deux princes, ces deux
buffles, dont l’un avait porté la couronne de Constantinople, dont
l’autre pouvait contempler sa statue dans la Galerie des rois, se
battre, vomissant l’injure comme des portefaix, devant toute la
cour et toute l’administration du pays. Les barons s’étaient
levés ; les prévôts et receveurs avaient reculé, faisant tomber
leurs bancs. Louis X eut une réaction inattendue ; il se mit, sur
son faudesteuil, à tressauter de rire. Indigné de ce rire autant
que du spectacle déshonorant qu’offraient les deux lutteurs,
Philippe de Poitiers s’avança et, d’une poigne surprenante chez
un homme si maigre, il sépara les adversaires qu’il tint éloignés
au bout de ses longs bras. Marigny et Valois haletaient, la face
pourpre, les vêtements déchirés.
— Mon oncle, dit Poitiers,
comment osez-vous ? Marigny, reprenez empire sur vous-même, je vous
en donne l’ordre. Veuillez rentrer chez vous, et attendre que le
calme soit revenu en chacun.
La décision, la puissance qui émanaient
soudain de ce garçon de vingt-quatre ans s’imposèrent à des
hommes qui avaient près du double de son âge.
— Partez, Marigny,
vous dis-je, insista Philippe de Poitiers. Bouville ! Conduisez-le.
Marigny se laissa entraîner par Bouville et gagna la sortie du
manoir de Vincennes. On s’écartait devant lui comme devant un
taureau de combat qu’on cherche à ramener au toril. Valois n’avait
pas bougé de place ; il tremblait de haine et répétait :
— Je le
ferai pendre ; aussi vrai que je suis, je le ferai pendre !
Louis X
avait cessé de rire. L’intervention de son frère venait de lui
infliger une leçon d’autorité. De plus, il se rendait compte,
brusquement, qu’on l’avait joué. Il se débarrassa du sceptre
dans les mains de son chambellan, et dit brutalement à Valois :
—
Mon oncle, j’ai à vous entretenir sans attendre ; veuillez me
suivre.
Demain chapitre 3 - De lombard en archevêque
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