II
LA PÉNITENCE EST POUR LE SAINT-PÈRE
— Péchés de chair ?
Certainement, puisque vous êtes homme… Péchés de gourmandise ?
Il suffit de vous voir ; vous êtes gras… Péchés d’orgueil ?
Vous êtes grand seigneur… Mais votre état même vous oblige à
l’assiduité dans vos dévotions ; donc tous ces péchés, qui sont
le fonds commun de l’humaine nature, vous vous en accusez et en
êtes absous aussi souvent que vous vous approchez de la sainte
table.
Étrange confession où le premier vicaire de l’Église
romaine prononçait tout ensemble les questions et les réponses. Sa
voix feutrée était parfois couverte par des cris d’oiseaux, car
le pape avait dans sa chambre un perroquet enchaîné et, voletant
sous une grande cage, des perruches, des serins, et de ces petits
oiseaux des îles, rouges, qu’on appelle cardinaux. Le sol de la
pièce, dallé de carreaux peints, disparaissait en partie sous des
tapis d’Espagne. Les murs et les sièges étaient tendus de vert et
les courtines du lit, les rideaux des fenêtres également faits de
lin vert. Sur cette couleur de forêt, les oiseaux vivants mettaient
des taches colorées, comme des fleurs. Un angle formait salle
de bains, avec une baignoire de marbre. Dans la garde-robe, attenante
à la chambre, manteaux blancs, camails grenats et ornements
sacerdotaux emplissaient de vastes penderies.
Le gros Bouville, en
entrant, avait eu un mouvement pour s’agenouiller ; mais le
Saint-Père, très simplement, l’avait fait asseoir auprès de lui
dans un des fauteuils verts. On ne pouvait, en vérité, traiter un
pénitent avec plus d’égards. L’ancien chambellan de Philippe le
Bel en était tout abasourdi, et rassuré à la fois, car il avait
appréhendé vraiment d’avoir à confesser, lui grand dignitaire,
et au souverain pontife, toutes les poussières d’une vie, toutes
les petites scories, les mauvais désirs, les vilaines actions, toute
la lie qui tombe au fond de l’âme avec les jours et les ans. Or,
ces péchés-là, le Saint-Père semblait les tenir pour broutilles
ou, tout au moins, pour être du ressort de plus humbles prêtres.
Mais Bouville n’avait pas remarqué, en sortant de table, le regard
échangé entre les cardinaux Gaucelin Duèze, du Pouget, et le «
cardinal blanc ». Ceux-là connaissaient bien cette ruse habituelle
du pape Jean : la confession postprandiale, dont il se servait pour
s’entretenir vraiment seul à seul avec un interlocuteur important,
et qui lui permettait d’être éclairé sur des secrets d’État.
Qui pouvait résister à cette offre abrupte, aussi flatteuse que
terrifiante ? Tout s’unissait pour amollir les consciences, à la
fois la surprise, la crainte religieuse et une digestion commençante.
— L’essentiel pour un homme, reprit le pape, est d’avoir bien
rempli l’état particulier où Dieu l’a placé en ce monde, et
c’est en ce domaine que les fautes lui sont comptées le plus
sévèrement. Vous avez été, mon fils, chambellan d’un roi et
chargé, sous trois autres, des plus hautes missions. Avez-vous
toujours été bien exact en l’accomplissement de ces devoirs ?
—
Je pense, mon Père, Très Saint-Père, veux-je dire, m’être
acquitté de mes tâches avec zèle, avoir été, autant que je l’ai
pu, loyal serviteur de mes suzerains…
Il s’interrompit
brusquement, se rendant compte qu’il n’était pas là pour
prononcer son propre éloge. Il se reprit, et changeant de ton :
—
Je dois m’accuser d’avoir échoué en certaines missions que
j’aurais pu mener à bien… Voilà, Très Saint-Père : je n’ai
pas eu toujours l’esprit assez délié et me suis parfois aperçu
trop tard d’erreurs que j’avais commises.
— Ce n’est pas un
péché que d’avoir quelque retard dans la cervelle ; cela nous
peut venir à tous et c’est justement le contraire de l’esprit de
malice. Mais avez-vous commis en vos missions, ou à la suite
d’elles, des fautes graves telles que faux témoignage… homicide…
Bouville secoua la tête, de droite à gauche, d’un mouvement de
dénégation. Mais les petits yeux gris, sans cils ni sourcils, tout
brillants et lumineux dans le visage ridé, restaient fixement
attachés sur lui.
— Êtes-vous bien certain ? Voici l’occasion,
mon cher fils, de parfaitement vous purifier l’âme ! Faux
témoignage, jamais ? demanda le pape.
Bouville, à nouveau, se
sentit mal à l’aise. Que signifiait cette insistance ? Le
perroquet eut un cri rauque, sur son perchoir, et Bouville sursauta.
— Une chose, à vrai dire, Très Saint-Père, m’alourdit l’âme,
mais je ne sais si c’est vraiment un péché, ni quel nom de péché
lui donner. Je n’ai pas commis l’homicide moi-même, je vous en
assure, mais une fois je n’ai pas su l’empêcher. Et ensuite,
j’ai dû porter faux témoignage ; mais je ne pouvais agir
autrement.
— Contez-moi donc cela, messire comte, dit le pape.
Ce
fut son tour de se reprendre :
— Confessez-moi ce secret qui tant
vous pèse, mon cher fils !
— Certes, il me pèse, dit Bouville, et
plus encore depuis la mort de ma bonne épouse Marguerite, avec qui
je le partageais. Et souvent je me répète que si je viens à mourir
sans en avoir fait personne dépositaire…
Des larmes brusquement
lui étaient venues.
— Comment n’ai-je pas songé plus tôt, Très
Saint-Père, à vous le confier ?… Je vous le disais : j’ai la
cervelle souvent lente… Ce fut après la mort du roi Louis Dixième,
l’aîné fils de mon maître Philippe le Bel…
Bouville regarda le
pape et se sentit comme déjà soulagé. Enfin il allait pouvoir se
décharger l’âme de ce fardeau qu’il portait depuis huit années.
Le pire moment de sa vie, à coup sûr, et dont le remords le
poignait sans trêve. Que n’était-il pas venu plus tôt avouer
tout cela au pape ! À présent Bouville parlait aisément. Il
racontait comment, ayant été nommé curateur au ventre de la reine
Clémence, après le trépas de Louis Hutin, il avait, lui Bouville,
craint que la comtesse Mahaut d’Artois ne fit une criminelle
entreprise et contre la reine et contre l’enfant qu’elle portait
alors. En ce tempslà, Monseigneur Philippe de Poitiers, frère du
roi décédé, réclamait la régence contre le comte de Valois et
contre le duc de Bourgogne…
À ce souvenir, Jean XXII leva un
instant les yeux vers les poutres peintes du plafond, et une
expression songeuse passa sur son étroit visage. Il revit le matin
de 1316, où lui-même, à Lyon, était venu annoncer à Philippe de
Poitiers la mort de son frère Louis X, ayant appris la nouvelle
justement de ce petit Lombard Baglioni…
Donc Bouville craignait un
crime de la part de la comtesse d’Artois, un nouveau crime car on
disait beaucoup qu’elle était l’auteur du trépas de Louis
Hutin, par enherbement. Elle avait les meilleures raisons de le haïr,
car il venait de lui confisquer son comté. Mais elle avait toutes
bonnes raisons aussi, Louis disparu, de souhaiter que le comte de
Poitiers, son gendre, accédât au trône. Le seul obstacle à cela
était l’enfant que portait la reine, qui naquit et qui fut un
mâle.
— Infortunée reine Clémence… dit le pape. Mahaut
d’Artois, choisie comme marraine, devait à ce titre amener le
nouveau petit roi aux barons, lors de la cérémonie de présentation.
Bouville était sûr, et madame de Bouville autant que lui, que si la
terrible Mahaut voulait perpétrer un forfait, elle n’hésiterait
pas à le faire pendant la présentation, seule occasion pour elle de
tenir l’enfant. Bouville et sa femme avaient donc décidé de
cacher l’enfant royal pendant ces heures-là, et de remettre à sa
place dans les bras de Mahaut le fils d’une nourrice qui n’avait
que quelques jours de plus. Sous les langes d’apparat, personne ne
pourrait s’apercevoir de la substitution, puisque nul n’avait
encore vu l’enfant de la reine Clémence et pas même celle-ci,
atteinte de grande fièvre et presque mourante.
— Et puis en effet,
Très Saint-Père, dit Bouville, l’enfant que j’avais remis la
comtesse Mahaut et qui se portait à merveille l’heure d’avant,
mourut en quelques instants devant tous les barons. C’est cette
petite créature innocente que j’ai livrée au trépas. Et le crime
s’accomplit si vite, et j’étais si troublé, que je n’ai pas
songé à crier aussitôt : « Cet enfant n’est pas le roi ! »
Et
après, ce fut trop tard. Comment expliquer… Le pape, un peu penché
en avant et les mains jointes sur sa robe, ne perdait pas un mot du
récit.
— Alors l’autre enfant, le petit roi, qu’est-il devenu,
Bouville ? Qu’en avez-vous fait ?
— Il existe, Très Saint-Père,
il vit. Nous l’avons, ma défunte femme et moi, confié à la
nourrice. Oh ! avec bien de la peine. Car la malheureuse nous
haïssait, vous le pensez bien, et gémissait de douleur. À force de
supplications, de menaces aussi, nous lui avons fait jurer sur les
Évangiles de garder le petit roi comme s’il était son enfant, et
de ne jamais rien révéler à qui que ce fût, même en confession.
— Oh, oh… murmura le Saint-Père.
— Si bien que le petit roi
Jean, le vrai roi de France en somme, est élevé présentement dans
un manoir d’Ile-de-France, sans qu’il sache qui il est, sans que
personne le sache, à part cette femme qu’on croit sa mère… et
moi-même.
— Et cette femme ?…
— … est Marie de Cressay,
l’épouse du jeune Lombard Guccio Baglioni.
Tout s’éclairait
maintenant pour le pape.
— Et Baglioni, lui, ignore tout ?
—
Tout, j’en suis assuré, Très Saint-Père. Car la dame de Cressay,
pour garder son serment, a refusé de le revoir, ainsi que nous le
lui avions ordonné. Le garçon est reparti tout aussitôt pour
l’Italie. Il pense que son fils est vivant. Il s’en inquiète
parfois dans ses lettres à son oncle, le banquier Tolomei…
—
Mais pourquoi, Bouville, pourquoi, puisque vous aviez la preuve du
crime, et combien facile à administrer, n’avez-vous pas dénoncé
la comtesse Mahaut ?… Quand je songe, ajouta le pape Jean, que dans
le même temps elle m’envoyait son chancelier afin que je soutienne
sa cause contre son neveu Robert…
Le pape pensait soudain que
Robert d’Artois, ce géant tapageur, ce semeur de brouilles, cet
assassin sans doute, lui aussi – car il semblait bien qu’il eût
trempé dans le meurtre de Marguerite de Bourgogne, à
Château-Gaillard – ce terrible baron, valait peut-être mieux, à
tout prendre, que sa cruelle tante, et qu’en luttant contre elle,
il n’avait probablement pas tous les torts de son côté.
Un monde
de grands loups que celui des cours souveraines ! Et dans chaque
royaume, il en allait de même. Était-ce pour gouverner, apaiser,
conduire ce troupeau de fauves que Dieu lui avait inspiré, à lui
chétif petit bourgeois de Cahors, l’ambition d’une tiare dont il
était à présent coiffé et qui, par moments, lui pesait un peu ?…
— Je me suis tu, Très Saint-Père, reprit Bouville, par le conseil
surtout de ma défunte épouse. Comme j’avais manqué le bon
instant de confondre la meurtrière, mon épouse m’a représenté
avec justesse que si nous révélions la vérité, Mahaut
s’acharnerait sur le petit roi, et sur nous-mêmes. Il fallait lui
laisser croire que son crime avait réussi.
Ce fut donc l’enfant de
la nourrice qu’on inhuma à Saint-Denis parmi les rois. Le pape
réfléchissait.
— Ainsi, dans le procès fait à Madame Mahaut
l’année suivante, les accusations étaient fondées ? dit-il.
—
Certes, certes, elles l’étaient ! Monseigneur Robert avait pu
mettre la main sur une empoisonneuse, une nécromancienne, nommée
Isabelle de Fériennes, qui avait livré à une demoiselle de parage
de la comtesse Mahaut le poison dont celle-ci tua d’abord le roi
Louis, puis l’enfant présenté aux barons. Cette Isabelle de
Fériennes, ainsi que son fils Jean, furent conduits à Paris pour y
faire leurs aveux. Vous pensez comme cela servait bien Monseigneur
Robert ! Leur déposition fut recueillie, et il apparut clairement
qu’ils étaient les fournisseurs de la comtesse, car ils lui
avaient déjà auparavant procuré le philtre par lequel elle se
vantait d’avoir réconcilié sa fille Jeanne avec son gendre le
comte de Poitiers…
— Magie, sorcellerie ! Vous pouviez bien faire
griller la comtesse, chuchota le pape.
— Plus à ce moment, Très
Saint-Père, plus à ce moment. Car le comte de Poitiers était
devenu roi et protégeait beaucoup Madame Mahaut, si fort même que
je suis assuré dans le fond de mon âme qu’il avait partie liée
avec elle, au moins dans le second crime.
Le petit visage du pape se
fripa davantage sous le bonnet fourré. Jean XXII aimait bien le roi
Philippe V auquel il devait sa tiare, et avec lequel il s’était
toujours parfaitement accordé pour toutes les questions de
gouvernement. Les dernières paroles de Bouville le peinaient.
—
Sur l’un et sur l’autre, le châtiment de Dieu s’est appesanti,
reprit Bouville, puisqu’ils ont chacun perdu dans l’année leur
unique héritier mâle. La comtesse a vu mourir son seul fils qui
avait dix-sept ans. Et le jeune roi Philippe a été privé du sien,
qui lui était né depuis seulement quelques mois ; et il n’en eut
plus jamais d’autre… Mais pour l’accusation élevée contre
elle, la comtesse sut se défendre. Elle invoqua l’irrégularité
de la procédure engagée devant le Parlement, l’indignité de ses
accusateurs, elle représenta que son rang de pair de France ne la
rendait justiciable que de la Chambre des Barons. Toutefois, afin,
disait-elle, de faire triompher son innocence, elle supplia son
gendre… ce fut une belle scène de fausseté publique !… de
poursuivre l’enquête et de lui donner moyen de confondre ses
ennemis. La nécromancienne de Fériennes et son fils furent entendus
à nouveau, mais après avoir subi la question. Leur état n’était
pas beau, et le sang leur collait sur tout le corps. Ils se
rétractèrent complètement, déclarèrent mensonges leurs aveux
premiers et prétendirent qu’ils y avaient été conduits par
caresses, prières, promesses et aussi violences de personnes dont,
selon l’acte des greffiers, il convenait de taire le nom pour le
moment. Puis le roi Philippe le Long tint lui-même lit de justice et
fit comparaître tous ses proches et parents, et tous les familiers
de feu son frère, le comte de Valois, le comte d’Évreux,
Monseigneur de Bourbon, Monseigneur Gaucher le connétable, messire
de Beaumont, le maître de l’hôtel, et la reine Clémence,
elle-même, leur demandant, sous la foi du serment, s’ils savaient
ou croyaient que le roi Louis et son fils Jean fussent morts
autrement que de mort naturelle. Comme aucune preuve ne pouvait être
produite, comme la séance avait lieu devant tous, et que la comtesse
Mahaut se tenait assise à côté du roi, chacun déclara, bien que
pour beaucoup ce fût à contre-conviction, que ces trépas étaient
dus à l’œuvre de nature.
— Mais vous-même, vous avez eu à
comparaître ?
Le gros Bouville baissa le front.
— J’ai porté
faux témoignage, Très Saint-Père, dit-il. Mais que pouvais-je
quand toute la cour, les pairs, les oncles du roi, les plus proches
serviteurs, la reine veuve elle-même, certifiaient sous serment
l’innocence de Madame Mahaut ? C’est moi qu’on eût alors
accusé de mensonge et de fable ; et l’on m’eût envoyé me
balancer à Montfaucon.
Il semblait si malheureux, si abattu, si
triste, que l’on imaginait soudain, sur son gros visage charnu, les
traits du petit garçon qu’il avait été un demi-siècle plus tôt.
Le pape eut un mouvement de pitié.
— Apaisez-vous, Bouville,
dit-il en se penchant et en lui mettant la main sur l’épaule. Et
ne vous reprochez pas d’avoir mal agi. Dieu vous avait posé un
problème un peu lourd pour vous. Votre secret, je le prends à mon
compte. L’avenir dira si vous avez bien fait ! Vous avez voulu
sauver une vie qui vous avait été confiée par le devoir de votre
état, et vous l’avez sauvée. Combien en auriez-vous exposé
d’autres, si vous aviez parlé !
— Ah ! Très Saint-Père, oui,
je suis apaisé ! dit l’ancien chambellan. Mais le petit roi caché,
que va-t-il devenir ? Que faut-il en faire ?
— Attendez sans rien
changer. J’y penserai et vous le ferai savoir. Allez en paix,
Bouville… Quant à Monseigneur de Valois, cent mille livres sont à
lui mais pas un florin de plus. Qu’il me laisse en repos avec sa
croisade, et qu’il s’accorde avec l’Angleterre.
Bouville mit
genou en terre, porta la main du Saint-Père à ses lèvres, avec
effusion, se releva et gagna la porte à reculons puisque l’audience
semblait terminée. Le pape le rappela du geste.
— Mon fils, et
votre absolution ? Vous ne la voulez donc point ?
Un moment plus tard
le pape Jean, demeuré seul, parcourait à petits pas glissants son
cabinet de travail. Le vent du Rhône passait sous les portes et
gémissait à travers le beau palais neuf. Les perruches pépiaient
dans leur cage. Les tisons du brasero s’assombrissaient. Jean XXII
réfléchissait au difficile problème, à la fois de conscience et
d’État, qui se posait à lui. L’héritier véritable de la
couronne de France était un enfant ignoré, caché dans une cour de
ferme. Deux personnes seulement au monde, ou plutôt trois personnes
à présent, le savaient. La peur retenait les deux premières de
parler. Que convenait-il de faire, quel parti prendre, quand deux
rois déjà, depuis la naissance de cet enfant, s’étaient succédé
au trône, deux rois dûment sacrés, oints du saint chrême ?
Révéler l’affaire et jeter la France dans le plus terrible
désordre dynastique ? De la semence de guerre, encore !
Un autre
sentiment également incitait le pape à garder le silence, et ce
sentiment concernait la mémoire du roi Philippe le Long. Oui, Jean
XXII l’avait bien aimé, ce jeune homme, et l’avait aidé de
toutes les façons possibles. C’était même le seul souverain
qu’il eût jamais admiré et auquel il gardât reconnaissance.
Ternir son souvenir revenait pour Jean XXII à se ternir lui-même ;
car, sans Philippe le Long, fût-il jamais devenu pape ? Et voilà
que Philippe se révélait avoir été un criminel, le complice d’une
criminelle tout au moins… Mais était-ce au pape Jean, était-ce à
Jacques Duèze, de jeter la première pierre, lui qui devait à de si
grosses fourberies et sa pourpre et sa tiare ? Et s’il lui avait
été absolument nécessaire, pour assurer son élection, de laisser
commettre un meurtre… « Seigneur, Seigneur, merci de m’avoir
épargné pareille tentation… Mais était-ce bien moi qui devais
être chargé du soin de vos créatures ?… Et si la nourrice parle
un jour, qu’arrivera-t-il ? Peut-on se fier à langue de femme ? Il
serait bon, Seigneur, que vous m’éclairiez quelquefois ! J’ai
absous Bouville, mais la pénitence est pour moi. »
Il s’était
agenouillé sur le coussin vert de son prie-Dieu ; il demeura là,
longtemps, ses mains maigres enserrant son petit front ridé.
Demain
‘’La Louve de France’’ 2ème partie – ch 3 ‘’Le chemin
de Paris’’.
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