L’enfant
était dans son lit. Le Visage sur le papier peint le regardait, le
fixait obstinément. Il était tombé sur lui par hasard il y avait
trois jours, son regard glissant sur le mur en face de son lit. Il
était caché dans la texture, les motifs du papier peint. Un peu
comme dans ce jeu qu’il trouvait dans le journal de son père et où
il fallait retrouver un animal, un objet caché dans un dessin. Le
premier soir cela avait été comme un jeu. Un glissement d’œil à
droite, un glissement d’œil à gauche et le Visage disparaissait.
En le cherchant il l’avait retrouvé plusieurs fois, à différents
endroits sur le mur. Beau, visage à peine esquissé, mais très
présent. Le trait du nez, l’arrondi de la pommette, le dessin de
la lèvre supérieure. Mais la ligne du sourire était démentie par
la noirceur du regard sous la courbe du sourcil. ‘’Demain je vais
essayer de le dessiner’’, se dit-il en éteignant la veilleuse
sur sa table de nuit. Et il s’endormit.
Le
lendemain il se réveilla épuisé, le lit en bataille et les draps
trempés de transpiration. Avec le souvenir d’un terrible rêve.
Son regard se porta immédiatement sur le Visage sur le mur. A la
lumière du jour, il avait pratiquement disparu, comme effacé. Et
pourtant l’enfant savait que ce visage avait été le centre de son
cauchemar. Il n’en gardait pas le moindre souvenir, mais il savait
que ça avait été terrible. Il en avait encore le cœur battant et
le souffle court.
Il
n’y pensa plus de toute la journée. Ce n’est que le soir après
le dîner, quand sa mère lui dit d’aller se coucher, que quelque
chose se noua au creux de son ventre. Il aurait voulu le dire à ses
parents en les embrassant. Mais dire quoi ? Il ne put que murmurer à
l’oreille de la mère : ‘’Dis maman, tu viendras m’embrasser
dans mon lit ?’’ ‘Mais je viens te donner un baiser tous les
soirs, tu sais ?’’ ‘’Oui, je sais. Mais là, avant que je
m’endorme. S’il te plait !’’ La mère, vaguement alertée,
laissa passer quelques secondes puis caressant la joue de l’enfant
lui dit :’’ C’est d’accord mon chéri. Mais maintenant va
vite te coucher. Tu sembles fatigué. J’arrive dans un petit
moment. Et n’oublie pas d’aller te laver les dents.’’
Dans
le miroir de la salle de bains, l’enfant vit son reflet, ses joues
pâles et son regard brillant, comme de fièvre. En entrant dans sa
chambre, il alluma la veilleuse en évitant de regarder le mur. Il
espérait confusément qu’il ne pourrait pas retrouver le Visage ce
soir. Mais une fois couché, il ne put faire autrement que de
regarder le mur droit devant lui. Il était là, plus présent que
jamais. Il n’avait pas eu besoin de le chercher. L’enfant remonta
les couvertures jusque sous son nez. Il ne voyait que lui, comme si
ce visage avait absorbé, gommé tout ce qui l’entourait. Il lui
semblait qu’il avait augmenté de volume, que l’œil était plus
noir, le sourcil plus froncé qu’hier. Il remarqua des détails qui
lui avaient échappés. Ce qui hier était un pétale de fleur sur
son front était devenu une sorte de protubérance, un trait fort
marquait une mâchoire projetée en avant, le sourire était devenu
grimace et s’ouvrait sur une bouche d’ombre. C’était comme si
le visage se remplissait, se nourrissait, se construisait des peurs
de l’enfant. Il ne semblait pas s’inquiéter des bruits de la
maison. Tout se jouait dans cette pièce, l’enfant le savait. La
porte s’ouvrit, la mère entra et soudainement le Visage se
dégonfla comme une baudruche. Et l’enfant comprit immédiatement
que le Visage ne pouvait rien contre la mère. La mère se pencha sur
l’enfant pour l’embrasser Il jeta ses bras autour de son cou et
la fit tomber sur le lit comme un bouclier entre le mur et lui. Elle
rit, l’embrassa et se remit droite. ‘’Eh bien mon enfant, eh
bien. Quelle force !’’ Elle sourit de nouveau et, lui caressant
le front, releva une mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux.
‘’Dors bien mon chéri.’’ Elle voulut éteindre la lumière.
‘’ Non, laisse. Je l’éteindrai dans un moment.’’ La mère
sortit de la chambre en lui envoyant un baiser du bout des doigts. Le
Visage se reconstruisit aussitôt ! L’enfant comprit que c’était
une histoire entre le Visage et lui. Et qu’il avait perdu d’avance.
Il était, cloué dans son lit, à sa merci. Le Visage n’avait qu’à
attendre son heure. Elle viendrait inéluctablement quand l’enfant
s’endormirait. En éteignant la lumière l’enfant pensait
échapper au regard. Ce fut encore pire. Ne voyant plus le Visage, il
l’imaginait partout. Il le sentait le frôler. Ce tremblement du
rideau c’était lui, ce craquement dans la maison, encore lui.
L’enfant frissonnait de peur et de froid et ce souffle glacé sur
son front c’était son haleine. L’enfant ralluma rapidement la
veilleuse. Comme ça au moins il pouvait contrôler un tant soit peu
le Visage, le tenir à distance, collé sur le mur. Il suffisait
juste de ne pas s’endormir. Combien de temps l’enfant
résista-t-il au sommeil ? Son corps devenait de plus en plus lourd,
ses yeux se révulsaient sous les paupières qui se fermaient. Une
fois, deux fois, cinq fois juste avant de sombrer il eut un sursaut,
secouant la tête et ouvrant grand les yeux. Mais c’était de plus
en plus difficile. Et il finit par abandonner, par s’abandonner au
sommeil. C’était trop dur. Ses mains crispées sur la couverture
se relâchèrent et il se laissa glisser. Il vit sous ses paupières
closes comme des masses nuageuses, traversées d’éclair, se former
et se déformer. Et puis plus rien. Le silence, l’immobilité
jusqu’à ce que le Visage se décida à pénétrer le rêve de
l’enfant.
A suivre... demain
A suivre... demain
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