dimanche 12 août 2018

Le Visage sur le mur 1ère partie


L’enfant était dans son lit. Le Visage sur le papier peint le regardait, le fixait obstinément. Il était tombé sur lui par hasard il y avait trois jours, son regard glissant sur le mur en face de son lit. Il était caché dans la texture, les motifs du papier peint. Un peu comme dans ce jeu qu’il trouvait dans le journal de son père et où il fallait retrouver un animal, un objet caché dans un dessin. Le premier soir cela avait été comme un jeu. Un glissement d’œil à droite, un glissement d’œil à gauche et le Visage disparaissait. En le cherchant il l’avait retrouvé plusieurs fois, à différents endroits sur le mur. Beau, visage à peine esquissé, mais très présent. Le trait du nez, l’arrondi de la pommette, le dessin de la lèvre supérieure. Mais la ligne du sourire était démentie par la noirceur du regard sous la courbe du sourcil. ‘’Demain je vais essayer de le dessiner’’, se dit-il en éteignant la veilleuse sur sa table de nuit. Et il s’endormit.
Le lendemain il se réveilla épuisé, le lit en bataille et les draps trempés de transpiration. Avec le souvenir d’un terrible rêve. Son regard se porta immédiatement sur le Visage sur le mur. A la lumière du jour, il avait pratiquement disparu, comme effacé. Et pourtant l’enfant savait que ce visage avait été le centre de son cauchemar. Il n’en gardait pas le moindre souvenir, mais il savait que ça avait été terrible. Il en avait encore le cœur battant et le souffle court.
Il n’y pensa plus de toute la journée. Ce n’est que le soir après le dîner, quand sa mère lui dit d’aller se coucher, que quelque chose se noua au creux de son ventre. Il aurait voulu le dire à ses parents en les embrassant. Mais dire quoi ? Il ne put que murmurer à l’oreille de la mère : ‘’Dis maman, tu viendras m’embrasser dans mon lit ?’’ ‘Mais je viens te donner un baiser tous les soirs, tu sais ?’’ ‘’Oui, je sais. Mais là, avant que je m’endorme. S’il te plait !’’ La mère, vaguement alertée, laissa passer quelques secondes puis caressant la joue de l’enfant lui dit :’’ C’est d’accord mon chéri. Mais maintenant va vite te coucher. Tu sembles fatigué. J’arrive dans un petit moment. Et n’oublie pas d’aller te laver les dents.’’
Dans le miroir de la salle de bains, l’enfant vit son reflet, ses joues pâles et son regard brillant, comme de fièvre. En entrant dans sa chambre, il alluma la veilleuse en évitant de regarder le mur. Il espérait confusément qu’il ne pourrait pas retrouver le Visage ce soir. Mais une fois couché, il ne put faire autrement que de regarder le mur droit devant lui. Il était là, plus présent que jamais. Il n’avait pas eu besoin de le chercher. L’enfant remonta les couvertures jusque sous son nez. Il ne voyait que lui, comme si ce visage avait absorbé, gommé tout ce qui l’entourait. Il lui semblait qu’il avait augmenté de volume, que l’œil était plus noir, le sourcil plus froncé qu’hier. Il remarqua des détails qui lui avaient échappés. Ce qui hier était un pétale de fleur sur son front était devenu une sorte de protubérance, un trait fort marquait une mâchoire projetée en avant, le sourire était devenu grimace et s’ouvrait sur une bouche d’ombre. C’était comme si le visage se remplissait, se nourrissait, se construisait des peurs de l’enfant. Il ne semblait pas s’inquiéter des bruits de la maison. Tout se jouait dans cette pièce, l’enfant le savait. La porte s’ouvrit, la mère entra et soudainement le Visage se dégonfla comme une baudruche. Et l’enfant comprit immédiatement que le Visage ne pouvait rien contre la mère. La mère se pencha sur l’enfant pour l’embrasser Il jeta ses bras autour de son cou et la fit tomber sur le lit comme un bouclier entre le mur et lui. Elle rit, l’embrassa et se remit droite. ‘’Eh bien mon enfant, eh bien. Quelle force !’’ Elle sourit de nouveau et, lui caressant le front, releva une mèche de cheveux qui lui tombait sur les yeux. ‘’Dors bien mon chéri.’’ Elle voulut éteindre la lumière. ‘’ Non, laisse. Je l’éteindrai dans un moment.’’ La mère sortit de la chambre en lui envoyant un baiser du bout des doigts. Le Visage se reconstruisit aussitôt ! L’enfant comprit que c’était une histoire entre le Visage et lui. Et qu’il avait perdu d’avance. Il était, cloué dans son lit, à sa merci. Le Visage n’avait qu’à attendre son heure. Elle viendrait inéluctablement quand l’enfant s’endormirait. En éteignant la lumière l’enfant pensait échapper au regard. Ce fut encore pire. Ne voyant plus le Visage, il l’imaginait partout. Il le sentait le frôler. Ce tremblement du rideau c’était lui, ce craquement dans la maison, encore lui. L’enfant frissonnait de peur et de froid et ce souffle glacé sur son front c’était son haleine. L’enfant ralluma rapidement la veilleuse. Comme ça au moins il pouvait contrôler un tant soit peu le Visage, le tenir à distance, collé sur le mur. Il suffisait juste de ne pas s’endormir. Combien de temps l’enfant résista-t-il au sommeil ? Son corps devenait de plus en plus lourd, ses yeux se révulsaient sous les paupières qui se fermaient. Une fois, deux fois, cinq fois juste avant de sombrer il eut un sursaut, secouant la tête et ouvrant grand les yeux. Mais c’était de plus en plus difficile. Et il finit par abandonner, par s’abandonner au sommeil. C’était trop dur. Ses mains crispées sur la couverture se relâchèrent et il se laissa glisser. Il vit sous ses paupières closes comme des masses nuageuses, traversées d’éclair, se former et se déformer. Et puis plus rien. Le silence, l’immobilité jusqu’à ce que le Visage se décida à pénétrer le rêve de l’enfant.
A suivre... demain

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