L’événement
était d’importance et mettait la Sérénissime en émoi. Fausta
Cavalieri, La Fausta, reprenait ce soir à la Fenice le rôle qu’elle
avait marqué de son empreinte, celui de Floria Tosca. Puccini
semblait l’avoir écrit pour elle. Elle était dans la vie cette
diva d’opéra belle, talentueuse, capricieuse jusqu’à
l’extravagance, amoureuse passionnée et possessive, excessive,
jalouse prête à tout pour celui qu’elle aimait mais séductrice
cruelle et sans pitié lorsqu’elle n’aimait plus. Les directeurs
des plus grandes scènes lyriques lui avaient offert des ponts d’or
pour qu’elle chante chez eux : la Scala, la Fenice, San Siro,
l’opéra Garnier, le Bolchoï, le théâtre Marinsky, Covent
Garden, le Licéò, le Met, le théâtre Colòn… et ce magnifique
écrin perdu au fond de la jungle amazonienne, dont les
administrateurs, ses admirateurs, lui avaient envoyé un somptueux
bateau à roues pour lui faire remonter le fleuve jusqu’à Manaus.
Partout
où elle passait, elle déchaînait la passion et les passions. Et
pourtant elle ne possédait pas une de ces grandes voix à l’égal
de la Melba, de la Patti, de la Malibran et de sa sœur Pauline
Viardot. Cependant la couleur de sa voix lui avait permis de
s’affirmer dans ses trois rôles fétiches Norma, Traviata et
Tosca. Mais ce qui, chez elle, emportait tout c’était son
tempérament, son engagement scénique, ses talents de comédienne
qui faisaient qu’elle habitait ces personnages d’amoureuses
tragiques et passionnées. Et sa beauté hors du commun rendait ces
incarnations crédibles. On comprenait la passion qu’elle pouvait
inspirer à Pollione, Alfredo, Mario ou Scarpia et celle
qu’éprouvaient à son égard rois, princes, grands ducs banquiers
ou chevaliers d’industrie. Grande, mince, un port de reine bien
loin des canons de beauté des divas de son époque. Dans l’ovale
de son visage on remarquait avant tout de grands yeux d’un vert
profond, puis ses pommettes légèrement saillantes, son nez droit
terminé par une petite boule qui lui donnait un petit air
‘’coquin’’. Sa bouche enfin, large épaisse avec une lèvre
inférieure légèrement plus forte que la supérieure, était comme
une invitation au plaisir et au péché. Le cou était un peu court,
taille des cordes vocales oblige, mais ouvrait sur un décolleté
somptueux fait pour les parures et les rivières de diamants et l’on
voyait bien que la poitrine, fièrement portée en avant ne devait
rien aux artifices des costumiers. Certains privilégiés avaient pu
entr’apercevoir ses jambes longues et finement galbées dans une
reprise ‘’unique’’, dans tous les sens du terme, de ‘’la
Belle Hélène’’.
Mais
Fausta Cavalieri c’était avant tout une invraisemblable chevelure
rousse, une cascade de mèches flamboyantes. Elle en avait fait sa
marque distinctive et refusait par contrat de porter une perruque en
scène. Cette chevelure, indomptable comme elle, agissait sur les
hommes à la manière d’’un aphrodisiaque. Et Fausta savait en
user, en abuser même. Elle connaissait les hommes et leurs
faiblesses et avait décidé de les utiliser à son profit. Dans son
sillage les frasques succédaient aux scandales. Tel banquier qui
s’était battu en duel pour elle portait sa blessure et son bras en
écharpe comme la plus belle des décorations. Le duc de M… avait
quitté pour elle femme et enfants, avait été exclu du Jockey Club
à la suite du scandale, ruiné on l’avait retrouvé pendu sous un
pont de la Seine. Le tout en moins d’un an ! Un soir au théâtre
Marinsky à Saint Petersbourg, le grand-duc Wladimir, cousin du tsar,
jeta sur scène à la fin de la représentation un collier de
diamant. Lancé un peu fort et mal dirigé le collier érafla
l’épaule de la diva faisant une égratignure d’où perla une
goutte de sang. Elle ramassa le collier et le jeta dans la fosse
d’orchestre et lança d’une voix de poitrine :’’ Specie di
stronzo ! Non voglio d’un collana macchiato del rosso di mio
sangue’’. Le scandale fut énorme. D’un, jamais on n’avait
traité un grand-duc de ‘’stronzo’’ en public. Et de deux le
collier avait appartenu à la grande Catherine. Le lendemain le
grand-duc fut expédié en Sibérie Orientale commander une escouade
de cosaques. Entre temps Fausta avait quand même envoyé sa femme de
chambre récupérer le collier auprès du chef d'orchestre! Le
lendemain, bonne fille, elle restituait le collier à l'émissaire du
tsar contre deux fois sa valeur en francs-or...
A
l'époque, les gazettes firent leurs choux gras de la rencontre
explosive de Fausta Cavalieri et de Caroline Otéro dans la grande
salle du casino de Monte Carlo. Assises face à face à la table de
la roulette leurs amants se tenaient derrière elles : don Luis Peña,
roi brésilien du café, pour Fausta et le prince Ottavio Orsini,
play-boy et dilettante, pour Caroline. L’ambiance était
électrique. Pas un mot ne fut échangé entre elles mais les regards
étaient lourds de sous-entendus. Nul ne sait qui, la première, jeta
une poignée de jetons au visage de l’autre. Mais brusquement les
deux tigresses en vinrent aux mains et roulèrent par terre. Les
inspecteurs des jeux eurent toutes les peines du monde à les séparer
tandis que leurs chevaliers servants s’échangeaient soufflets et
cartes de visite. Le duel eut lieu le lendemain matin dans le jardin
exotique du Rocher. Pendant ce temps les deux femmes, qui avaient
renvoyé leurs amants, prenaient un chocolat au restaurant de l’hôtel
de Paris où elles logeaient. Certain groom aurait même affirmé
qu’elles avaient terminé la nuit ensemble. Peut-être
s’étaient-elles reconnues sur leur commun mépris des hommes.
Fausta s’était retrouvée une fois sous la domination et l’emprise
d’un homme et s’était juré de ne plus connaître cela. Jamais!
Malgré
sa notoriété, les origines de Fausta restaient mystérieuses. On ne
savait rien de sa naissance, de ses parents. La seule détentrice de
tous les secrets était sa camériste Maddalena. Elle seule avait
suivi Fausta Cavalieri de sa naissance à Bergame à cette soirée à
la Fenice.
A suivre demain
A suivre demain
l'inspiration est revenue !!
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