…Maddalena
serra son foulard sur sa tête. Le temps se gâtait. L’air avait
une couleur. Une couleur de nuit en plein jour. Un violet sombre,
presque noir. Des nuages roulaient d’un bout à l’autre de
l’horizon bousculés par un vent violent qui descendait de la
montagne. On sentait l’orage proche. Déjà des éclairs blancs
éclataient dans la masse nuageuse l’éclairant de l’intérieur
comme en ombre chinoise. Les nuages prenaient alors une profondeur
inquiétante comme s’ils avaient recouvert la terre entière. Le
fracas du tonnerre arrivait encore assourdi, mais on l’entendait
qui peu à peu se rapprochait. Sous cet éclairage et dans cette
atmosphère, accroché au sommet de la colline, le haut Bergame avait
des allures de burg germanique. Maddalena s’enroula dans son châle
et pressa le pas. Il fallait qu’elle arrive avant que l’orage
éclate. A peine avait-elle pensé cela, qu’un éclair blanc,
métallique relia un dixième de seconde la terre aux nues. Dans le
même moment un fracas brutal, propre, net, sans bavure sembla crever
les nuages libérant un véritable déluge. En trente secondes la
ruelle que Maddalena gravissait fut transformée en ruisseau puis en
torrent. Elle était heureusement arrivée. Elle monta deux petites
marches en pierre et frappa à une porte basse. La vieille femme en
noir qui lui ouvrit s’effaça pour la laisser entrer. Maddalena dût
se baisser pour franchir le seuil du logis. Le logis était en fait
une salle commune d’une quinzaine de mètres carrés avec à main
droite un petit évier en pierre, un renfoncement dans le mur avec
deux étagères où étaient rangés quelques bols et assiettes en
terre cuite et une cheminée dans laquelle on avait mis à chauffer
un chaudron plein d’eau. Au centre de la pièce une table et trois
chaises en bois. Et à main gauche un lit et une malle ! Une petite
fenêtre donnait sur la ruelle et une meurtrière derrière sur les
champs.
Dès
son entrée Maddalena avait été saisie par l’odeur qui régnait
dans la pièce. Une odeur qu’elle connaissait bien, mêlée de
transpiration, de sang, de souffrance. Une odeur qu’elle ne voulait
pas nommer. Par superstition. Maddalena faisait office de sage-femme
et avait été appelée au chevet d’Antonetta. Elle la connaissait
bien l’Antonetta. Une belle et brave fille, travailleuse,
courageuse. Sa seule famille c’était son mari Pietro. Mais Pietro
était mort le printemps dernier de cette saleté de malaria attrapée
en travaillant sur les champs du comte di Marzi du côté de Piacenza
dans la plaine du Pô. Et même enceinte, Antonetta avait continué à
travailler, presque deux fois plus. Malgré les avertissements de
Maddalena. Et voilà le résultat, se disait-elle. Antonetta était
là, couchée sur ce lit. Presque maigre malgré son gros ventre.
Exsangue à cause d’une hémorragie qu’on avait eu du mal à
stopper. Des cernes noirs sous ses paupières fermées cachant des
yeux verts qui avaient été lumineux. Des cheveux blond-roux sales
de transpiration collés sur son front et sur l’oreiller.
Il
y a trois jours Antonetta était venue la voir. Elle avait senti son
enfant bouger, beaucoup. Maddalena avait palpé son ventre et avait
fait une grimace ! L’enfant semblait s’être retourné. Elle
avait ordonné à Antonetta de rentrer chez elle se coucher et de ne
plus bouger avant l’accouchement. Ses deux voisines s’étaient
proposées pour la veiller. Aujourd’hui la situation ne s’était
pas améliorée. Une petite hémorragie avait pu être maitrisée par
le docteur appelé en urgence. Mais la pauvre en était sortie encore
plus affaiblie. Maddalena aurait bien aimé que le docteur soit là
avec elle. Mais il était là-haut, dans l’hôtel particulier du
comte di Marzi où la comtesse attendait aussi d’être délivrée
d’une grossesse qui, elle, ne posait aucun problème. Maddalena
devait d’ailleurs monter les rejoindre en sortant d’ici. Elle se
résolut à confier Antonetta aux deux petites vieilles avec deux ou
trois conseils.
‘’
Mettez
lui régulièrement des compresses d’eau fraîche sur le front’’.
Elle
sortit de son cabas une petite fiole.
‘’Donnez-lui
toutes les deux heures un peu de tisane avec quatre gouttes de cette
potion. C’est du lait de pavot. Mais pas plus. Ca va calmer un peu
la douleur, mais elle doit rester consciente. Et si il y a quoique ce
soit envoyez vite le petit Nicolo me prévenir. Mais je pense que je
serai de retour avant que le travail commence. La nuit va être
longue pour cette pauvre petite’’.
Elle
retira son châle de devant l’âtre où elle l’avait mis à
sécher et elle l’enroula autour de ses épaules. Elle revint vers
le lit. Elle prit la main d’Antonetta dans la sienne.
‘’Je
vais revenir bientôt avec le docteur. Ne crains rien tout va bien se
passer. Essaye de dormir un peu.’’
Elle
se pencha vers elle et déposa un baiser sur un front brûlant. Puis
elle se dirigea vers la porte et sortit dans la ruelle. L’orage
s’était calmé mais une pluie fine et drue continuait à tomber.
Elle leva les yeux vers la ville là-haut, au sommet de la colline.
Il lui faudrait une bonne demi-heure pour y arriver. Elle prit une
grande inspiration et se mit en route.
A
suivre demain
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