Somerset
Maugham peint par Graham Sutherland (1949)
Maugham
avait soixante-quinze ans quand le peintre
Graham
Sutherland exécuta son portrait. Le tableau
reflète
très éloquemment la manière dont le sujet
désirait
être saisi par le peintre et la vision personnelle
de
Sutherland. Bien droit et à peine adossé à un mur uni,
l’écrivain
est assis sur un siège de bambou très
simplement
ajouré, et il pose, bras croisés, fermement
mais
sans rigidité. Il est vêtu d’une élégante veste
d’intérieur.
Une très longue main aux doigts ornés de
bagues
émerge de la manche gauche et de la manchette
très
discrète d’une chemise blanche. La jambe gauche,
croisée
sur le genou droit, met en valeur le pli impeccable
du
pantalon, la chaussette sombre et le mocassin
chaussant
un petit pied. C’est là sans doute une pose
familière,
car, ainsi que l’a écrit Paul Bowles, lui aussi
écrivain
voyageur : « Je n’ai jamais vu un homme avec
d’aussi
petits pieds. Il se plaisait lui-même à les faire
remarquer,
et il s’asseyait toujours les jambes croisées
afin
de les mettre en valeur. » Graham Sutherland a
choisi
une ligne d’horizon à hauteur de la taille du modèle,
attirant
notre attention sur l’élégance de la pose, mais
dirigeant
aussi notre regard vers le haut, vers le visage
de
l’écrivain : mince, légèrement émacié, un long nez
légèrement
busqué, et dont les ailes plongent vers les
commissures
des lèvres. Leur arc fin et tendu encadre un
menton
puissant, donnant à ce visage une expression à la
fois
dédaigneuse et résolue. Légèrement abaissé vers le
portraitiste
invisible sur la toile, le regard accuse cette
expression,
non sans un soupçon d’ironie, de même que les
sourcils
étirés vers le front, dont ils creusent les rides.
Ces
rides, ces traits fermes semblent soulignés par la
convergence
étudiée de tous les plis du vêtement,
suggérant,
comme autant de signes, la complexité du
personnage.
Ainsi paré d’élégance et d’équilibre
impassible,
l’écrivain est, dirait-on, sur le point de
desserrer
les lèvres pour nous lancer quelque facétieuse
épigramme.
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