III
LA
MORT FRAPPE À TOUTES LES PORTES
Je
le savais, mon neveu, je l’avais dit, qu’il ne fallait point
escompter, ce jour d’hui, aller plus loin que Nontron. Et encore
n’y parviendrons-nous qu’après le salut, à nuit toute noire. La
Rue me rebattait les oreilles :
« Monseigneur se ralentit…
Monseigneur ne va pas se contenter d’une étape de huit lieues… »
Eh ouiche ! La Rue va toujours comme s’il avait le feu au
troussequin. Ce qui n’est point mauvaise chose, car avec lui mon
escorte ne s’assoupit point. Mais je savais que nous ne pourrions
quitter Bourdeilles avant le milieu du jour. J’avais trop à faire
et à décider, trop de seings à donner. J’aime Bourdeilles,
voyez-vous ; je sais que j’y pourrais être heureux si Dieu m’avait
assigné, non seulement de le posséder, mais d’y résider.
Celui
qui a un bien unique et modeste en profite pleinement. Celui qui a
possessions vastes et nombreuses n’en jouit que par l’idée.
Toujours le ciel balance ce dont il nous gratifie.
Quand vous
rentrerez en Périgord, faites-moi la bonne grâce de vous rendre à
Bourdeilles, Archambaud, et voyez si l’on a bien réparé les
toitures comme je l’ai commandé tout à l’heure. Et puis la
cheminée de ma chambre fumait…
C’est grande chance que les
Anglais l’aient épargné. Vous avez vu Brantôme, que nous avons
juste passée ; vous avez vu cette désolation qu’ils ont faite
d’une ville autrefois si douce et si belle au bord de sa rivière !
Le prince de Galles s’y est arrêté, pour la nuit, le 9 du mois
d’août, à ce qui vient de m’être dit. Et ses courtilliers et
goujats, au matin, ont tout embrasé avant de repartir. Je réprouve
fort cette façon qu’ils ont de tout détruire, ardoir, exiler ou
ruiner, comme il semble qu’ils s’y adonnent de plus en plus.
Qu’on s’égorge à la guerre, entre gens d’armes, je le conçois
; si Dieu ne m’avait désigné pour l’Église et que j’aie eu à
mener bannières au combat, je n’aurais point fait de quartier.
Qu’on pille, passe encore ; il faut bien donner quelque agrément
aux hommes dont on exige risque et fatigue. Mais chevaucher seulement
pour réduire le peuple à misère, griller ses toits et ses
moissons, l’exposer à famine et froidure, cela me donne du
courroux.
Je sais le dessein ; de provinces ruinées, le roi ne peut
plus tirer impôt, et c’est pour l’affaiblir qu’on détruit
ainsi les biens de ses sujets. Mais cela ne vaut. Si l’Anglais
prétend avoir droit sur la France, pourquoi la ravage-t-il ? Et
pense-t-il, même s’il l’emporte par les traités après l’avoir
emporté par les armes, pense-t-il en agissant de la sorte y être
jamais toléré ? Il sème la haine. Sans doute il prive d’argent
le roi de France, mais il lui fournit des âmes qu’animent la
colère et la vengeance. Trouver des seigneurs, ici ou là, pour
faire allégeance par intérêt, oui le roi Édouard en trouvera ;
mais le peuple désormais lui opposera refus, car ce sont traitements
inexpiables. Voyez déjà ce qui se produit ; les bonnes gens n’en
veulent point au roi Jean de s’être fait battre ; ils le
plaignent, ils l’appellent Jean le Brave, ou Jean le Bon, alors
qu’ils devraient l’appeler Jean le Sot, Jean le Buté, Jean
l’Incapable. Et vous verrez qu’ils sauront se saigner pour payer
sa rançon.
Vous me demandez pourquoi je vous disais hier que la
peste avait eu grave effet sur lui et sur le sort du royaume ? Eh !
mon neveu, pour quelques morts en mauvais ordre, des morts de femmes
et d’abord de la sienne, Madame Bonne de Luxembourg, avant qu’il
ne soit roi. Madame de Luxembourg fut enlevée par la peste en
septembre de 1349. Elle devait être reine, et eût été une bonne
reine. Elle était, comme vous le savez, la fille du roi de Bohême,
Jean l’Aveugle, qui avait si grand amour de la France qu’il
disait que la cour de Paris était la seule où l’on pût vivre
noblement. Un modèle de chevalerie, ce roi-là, mais un peu fou.
Bien que n’y voyant goutte, il s’obstina de combattre à Crécy
et, pour cela, il fit lier son cheval aux montures de deux de ses
chevaliers qui l’encadraient de part et d’autre. Et ils se
ruèrent ainsi à la mêlée. On les trouva morts tous les trois,
toujours liés. Le roi de Bohême portait trois plumes d’autruche
blanches au cimier de son heaume.
Son noble trépas frappa si fort le
jeune prince de Galles… il allait alors sur ses seize ans ; c’était
son premier combat, et il s’y conduisit bien, même si le roi
Édouard estima politique d’exagérer un peu la part de son
héritier dans cette affaire… le prince de Galles donc fut si
frappé qu’il pria son père de lui laisser porter dorénavant le
même emblème que feu le roi aveugle. Et c’est pourquoi l’on
voit les trois plumes blanches surmonter à présent le heaume du
prince.
Mais le plus important en Madame Bonne, c’était son frère,
Charles de Luxembourg, dont nous avions, le pape Clément VI et moi,
favorisé l’élection à la couronne du Saint Empire. Non que nous
ne pensions avoir quelques embarras avec ce rustaud madré comme un
marchand… oh ! rien de son père, vous en jugerez bientôt ; mais
comme nous prévoyions aussi que la France connaîtrait de piètres
moments, c’était la renforcer que de faire son futur roi
beau-frère de l’Empereur. Morte la sœur, finie l’alliance. Les
embarras, nous les avons eus avec sa Bulle d’Or ; mais d’appui à
la France, il n’en a guère donné, et c’est bien pourquoi je
m’en vais à Metz.
Le roi Jean, qui n’était encore alors que duc
de Normandie, ne montra point un désespoir extrême de la mort de
Madame Bonne. Il y avait peu d’entente entre eux, et souvent des
éclats. Bien qu’elle eût de la grâce et qu’il lui ait fait un
enfant chaque année, onze au total, depuis qu’on lui avait donné
à comprendre qu’il était temps pour lui de se rapprocher de son
épouse dans le lit, Monseigneur Jean, pour l’affection, inclinait
plutôt du côté d’un sien cousin, de huit ans son cadet et
d’assez jolie tournure… Charles de La Cerda, qu’on appelait
aussi Monsieur d’Espagne, parce qu’il appartenait à une branche
évincée du trône de Castille.
Aussitôt Madame Bonne mise en
terre, ce fut en compagnie du beau Charles d’Espagne que le duc
Jean se retira à Fontainebleau, pour fuir la contagion… Oh ! ce
vice n’est pas rare, mon neveu. Je ne le comprends point et il
m’encolère fort ; il est de ceux pour lesquels j’ai le moins
d’indulgence. Mais force est de reconnaître qu’il est répandu
même chez les rois, auxquels il fait grand tort. Jugez-en par ce
qu’il advint du roi Édouard II d’Angleterre, le père de
l’actuel. Ce fut la sodomie qui lui a coûté et le trône et la
vie. Notre roi Jean n’est pas à ce point sodomite affiché ; mais
il en marque beaucoup de traits, et il les montra surtout dans sa
passion funeste pour ce cousin d’Espagne au trop gracieux visage…
Qu’y a-t-il, Brunet ? Pourquoi s’arrête-t-on ? Où sommes-nous ?
À Quinsac. Il n’est point prévu… Que veulent ces manants ? Ah !
une bénédiction ! Qu’on n’arrête point mon cortège pour cela
; tu sais bien que je bénis en marchant… In nomine patris… lii…
sancti… Allez, bonnes gens, vous êtes bénis, allez en paix…
S’il fallait s’arrêter chaque fois qu’on me demande une
bénédiction, nous serions à Metz dans six mois.
Donc, vous
disais-je, en septembre de 1349 Madame Bonne meurt, laissant veuf
l’héritier du trône. En octobre, ce fut le tour de la reine de
Navarre, Madame Jeanne, qu’on appelait naguère Jeanne la Petite,
la fille de Marguerite de Bourgogne, et peut-être, ou peut-être
pas, de Louis Hutin ; celle qu’on avait écartée de la succession
de France en faisant peser sur elle la présomption de bâtardise…
eh oui, l’enfant de la tour de Nesle…
Emportée par la peste. Son
trépas, à elle non plus, ne fut pas salué par de très longs
sanglots. Elle était veuve depuis six ans de son cousin, Monseigneur
Philippe d’Évreux, tué quelque part en Castille dans un combat
contre les Maures. La couronne de Navarre leur avait été abandonnée
par Philippe VI, lors de son avènement, pour prévenir les
revendications qu’ils auraient pu émettre sur celle de France.
Cela fit partie de toutes les tractations qui assurèrent le trône
aux Valois.
Je n’ai jamais approuvé cet arrangement navarrais qui
n’était bon ni en droit ni en fait. Mais je n’avais pas encore
mon mot à dire ! je venais tout juste d’être nommé évêque
d’Auxerre. Et puis même l’aurais-je dis… En droit, cela ne
tenait point. La Navarre venait de la mère de Louis Hutin. Si Jeanne
la Petite n’était pas la fille de celui-ci, mais d’un quelconque
écuyer, elle n’avait pas plus de titres sur la Navarre que sur la
France. Donc, si on lui reconnaissait la couronne de l’une, on
étayait ipso facto ses droits sur l’autre, pour elle et pour ses
héritiers.
On avouait un peu trop qu’on l’avait écartée du
trône non tellement pour sa présumée bâtardise, mais parce
qu’elle était femme, et grâce à l’artifice d’une loi des
mâles inventée. Quant aux raisons de fait… Jamais le roi Philippe
le Bel n’aurait consenti, pour quelque raison que ce fût, à
amputer ainsi le royaume de ce qu’il y avait ajouté. On n’assure
pas son trône en lui sciant un pied. Jeanne et Philippe de Navarre
s’étaient tenus fort calmes, elle parce que la chemise de sa mère
lui collait un peu trop à la peau, lui parce qu’il était comme
son père, Louis d’Évreux, de nature digne et réfléchie.
Ils
semblaient contents avec leur riche comté normand et leur petit
royaume pyrénéen. Les choses allaient changer avec leur fils
Charles, jeune homme fort remuant pour ses dix-huit ans, qui jetait
des regards pleins de vindicte sur le passé de sa famille, pleins
d’ambition sur son propre avenir.
« Si ma grand-mère n’avait
pas été si chaude putain, si ma mère était née homme… Je
serais roi de France à présent. »
Je l’ai entendu dire cela, de
mes oreilles… Il convenait donc de ménager la Navarre qui, par sa
situation au midi du royaume, prenait d’autant plus d’importance
que les Anglais, à présent, tenaient toute l’Aquitaine. Alors,
comme toujours en pareil cas, arrangeons un mariage.
Le duc Jean se
fût bien dispensé de contracter une nouvelle union. Mais il était
promis à être roi, et l’image royale voulait qu’il eût une
épouse à son côté, surtout dans son cas. Une épouse empêcherait
qu’il parût marcher trop ouvertement au bras de Monsieur
d’Espagne. D’autre part, comment mieux flatter le remuant Charles
d’Évreux-Navarre, et comment mieux lui lier les mains, qu’en
choisissant la future reine de France parmi ses sœurs ?
La plus
âgée, Blanche, avait seize ans. Une beauté, et beaucoup de grâces
d’esprit. Le projet fut fort avancé, les dispenses demandées au
pape et le mariage quasiment annoncé, encore qu’on se demandât
qui serait vivant la semaine suivante, dans l’horrible période
qu’on traversait. Car la mort continuait de frapper à toutes les
portes. Au début de décembre, la peste enleva la reine de France
elle-même, Madame Jeanne de Bourgogne, la boiteuse, la mauvaise
reine. Pour celle-là, ce fut tout juste si la bienséance permit de
contenir les cris de joie, et si le peuple ne se mit pas à danser
dans les rues. Elle était haïe ; votre père a dû vous le dire.
Elle volait le sceau de son mari pour faire jeter gens en prison ;
elle apprêtait des bains empoisonnés pour les hôtes qui lui
déplaisaient. Il s’en fallut de peu qu’elle ne fit de la sorte
périr un évêque… Le roi, parfois, la rouait à coups de torche ;
mais il ne parvint pas à l’amender.
Je me méfiais fort de cette
reine-là. Sa nature soupçonneuse peuplait la cour d’ennemis
imaginaires. Elle était coléreuse, menteuse, odieuse ; elle était
criminelle. Sa mort parut un effet tardif de la justice céleste.
D’ailleurs, aussitôt après, le fléau commença de régresser,
comme si cette grande hécatombe, venue de si loin, n’avait eu
d’autre but que d’atteindre, enfin, cette harpie.
De tous les
hommes de France, celui qui en éprouva le plus grand soulagement, ce
fut le roi lui-même. Un mois moins un jour après, dans la froidure
de janvier, il se remaria. Même veuf d’une femme unanimement
détestée, c’était faire bien peu de cas des délais de
convenance. Mais le pire n’était point dans la hâte. Avec qui
convolait-il ? Avec la fiancée de son fils, avec Blanche de Navarre,
la jeunette, dont il était tombé fou en la voyant paraître à la
cour.
Si complaisants qu’ils soient pour la gaillardise, les
Français n’aiment guère, chez le souverain, les égarements de
cette sorte. Philippe VI avait quarante ans de plus que la beauté
qu’il soufflait, fort brutalement, à son héritier. Et il ne
pouvait point invoquer, comme pour tant d’unions princières
désassorties, l’intérêt supérieur des empires. Il enchâssait
une pierre de scandale dans sa couronne, cependant qu’il infligeait
à son successeur la meurtrissure du ridicule. Mariage célébré à
la sauvette, du côté de Saint-Germain-en-Laye. Jean de Normandie,
naturellement, n’y assistait pas. Il n’avait jamais eu grande
affection pour son père, qui d’ailleurs lui en rendait peu.
Maintenant, il lui vouait de la haine.
Et l’héritier, un mois plus
tard, se remariait à son tour. Il avait hâte d’effacer l’outrage.
Il fit l’enchanté de s’accommoder de Madame de Boulogne, veuve
du duc de Bourgogne. Ce fut mon vénérable frère, le cardinal Guy
de Boulogne, qui arrangea cette union pour l’avantage de sa
famille, et le sien propre. Madame de Boulogne était, du point de
vue de la fortune, un fort bon parti, ce qui aurait dû assainir les
affaires du prince, déjà dépensier comme personne, mais ne servit
en fait qu’à l’encourager au gaspillage.
La nouvelle duchesse de
Normandie était plus âgée que sa belle-mère ; elles produisaient
ensemble un étrange effet aux réceptions de cour, d’autant que,
pour la tournure et le visage, la comparaison n’était guère à
l’avantage de la bru. Le duc Jean en éprouvait dépit ; il s’était
pris à croire qu’il aimait d’amour Madame Blanche de Navarre qui
lui avait été si vilainement enlevée, et il souffrait torture en
la voyant auprès de son père qui ne cessait de la mignoter en
public, de la plus sotte façon.
Cela n’arrangea pas les nuits du
duc Jean avec Madame de Boulogne, et le rejeta davantage vers
Monsieur d’Espagne. La prodigalité lui servit de revanche. On eût
dit qu’il se redonnait de l’honneur en dilapidant. D’ailleurs,
après les mois de terreur et de malheur qu’on venait de traverser
durant la peste, tout le monde dépensait follement. Surtout à
Paris.
Autour de la cour, c’était démence. On prétendait que
cette débauche de luxe procurait travail aux petites gens. Pourtant
on n’en voyait guère l’effet dans les masures et les soupentes.
Entre les princes endettés et le commun peuple miséreux, il y avait
l’échelon où le profit fuyait, happé par de gros marchands comme
les Marcel, qui font négoce de draps, soieries et autres denrées de
parure et se sont alors grassement enrichis.
La mode devint
extravagante, et le duc Jean, bien qu’il eût déjà trente et un
ans, arborait en compagnie de Monsieur d’Espagne des cottes
dentelées si courtes qu’elles leur laissaient paraître les
fesses. On riait d’eux lorsqu’ils étaient passés. Madame
Blanche de Navarre avait été reine plus tôt que prévu ; elle fut
régnante moins longtemps qu’escompté. Philippe de Valois avait
réchappé de la guerre et de la peste ; il ne résista pas à
l’amour.
Tant qu’il avait vécu auprès de son acariâtre
boiteuse, il était resté bel homme, un peu gras, mais toujours
solide et allant, maniant les armes, chevauchant vite, chassant
longtemps. Six mois de prouesses galantes auprès de sa belle épousée
eurent raison de lui. Il ne quittait son lit qu’avec l’idée d’y
retourner. C’était obsession ; c’était frénésie. Il réclamait
de ses physiciens des préparations qui le fissent infatigable au
déduit…
Quoi donc ?… Il vous surprend que… Mais si, mon neveu,
mais si ; bien que d’Église, ou plutôt parce que d’Église, il
nous faut être instruits de ces choses, surtout quand elles touchent
la personne des rois. Madame Blanche subissait, à la fois
consentante, inquiète et flattée, cette passion qui lui était à
tout moment prouvée. Le roi se glorifiait publiquement qu’elle fût
plus vite lasse que lui.
Bientôt il maigrit. Il se désintéressait
de gouverner. Chaque semaine le vieillissait d’une année. Il
mourut le 22 août 1350, à cinquante-sept ans, dont vingt-deux ans
de règne. Sous des dehors splendides, ce souverain auquel je fus
fidèle… il était le roi de France, n’est-ce pas, et je ne
pouvais d’autre part pas oublier qu’il demanda pour moi le
chapeau… ce souverain avait été un très piteux capitaine et un
financier désastreux. Il avait perdu Calais, il avait perdu
l’Aquitaine ; il laissait la Bretagne en révolte et maintes places
du royaume incertaines ou ravagées. Par-dessus tout, il avait perdu
le prestige.
Ah si ! tout de même, il avait acheté le Dauphiné.
Nul ne peut être constamment catastrophique. C’est moi, il est bon
que vous le sachiez, qui ai conclu l’affaire, deux ans avant Crécy.
Le Dauphin Humbert était endetté à ne plus savoir à qui emprunter
pour rembourser qui… Je vous conterai la chose par le menu une
autre fois, si elle vous intéresse, et comment je m’y pris, en
faisant porter la couronne de Dauphin par l’aîné fils de France,
à faire entrer le Viennois dans le giron du royaume. Aussi puis-je
dire, sans me vanter, que j’ai mieux servi la France que le roi
Philippe VI, car lui n’a su que rapetisser alors que moi j’ai
réussi à l’agrandir.
Six ans déjà ! Six ans que le roi Philippe
est mort et que Monseigneur le duc Jean est devenu le roi Jean II !
Ce sont six ans qui ont passé si vite qu’on se croirait encore au
début du règne. Est-ce parce que notre roi a fait si peu de choses
mémorables, ou bien parce que, plus l’on vieillit, plus le temps
semble fuir rapidement ? Quand on a vingt ans, chaque mois, chaque
semaine, tout enrichis de nouveautés, paraissent de grande durée…
Vous verrez, Archambaud, quand vous aurez mon âge, si vous y
parvenez, ce que je vous souhaite de tout mon cœur… On se retourne
et l’on se dit :
« Comment ? Déjà une année passée ? Comment
a-t-elle coulé si vite ! »
Peut-être parce que l’on use beaucoup
de moments à se souvenir, à revivre du temps vécu… Et voilà ;
le jour est tombé. Je savais que nous n’arriverions à Nontron
qu’à la nuit noire. Brunet ! Brunet !… Demain, il nous faudra
partir avant l’aurore car nous aurons longue étape. Donc que l’on
harnache en temps, et que chacun soit pourvu de vivres car nous
n’aurons guère loisir de faire arrêt.
Qui est parti vers Limoges
pour annoncer ma venue ? Armand de Guillermis ; c’est fort bien…
Je dépêche ainsi mes bacheliers à tour de rôle, pour veiller à
mon logement et aux apprêts de ma réception. Un jour ou deux en
avance, mais pas plus. Juste ce qu’il faut pour que les gens
s’empressent, et pas assez pour que les plaignants du diocèse
puissent accourir et m’accabler de leurs suppliques… Le cardinal
? Ah ! nous n’avons su que la veille ; hélas, il est déjà parti…
Autrement, mon neveu, je serais un vrai tribunal ambulant.
Demain "Quand un roi perd la France" 1ère partie - ch. 4 "Le cardinal et les étoiles".
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