II
LE
CARDINAL DE PÉRIGORD PARLE
Ce
n’est pas que je répugne à chevaucher, Archambaud, ni que l’âge
m’en ait rendu incapable. Croyez-moi, je puis fort bien encore
couvrir mes quinze lieues à cheval, et j’en sais de plus jeunes
que moi que je laisserais en arrière. D’ailleurs, comme vous le
voyez, j’ai toujours un palefroi qui me suit, tout harnaché pour
le cas où j’aurais l’envie ou la nécessité de l’enfourcher.
Mais je me suis avisé qu’une pleine journée à ressauter dans sa
selle ouvre l’appétit mieux que l’esprit, et porte à manger et
à boire gros plutôt qu’à garder tête claire, comme j’ai
besoin de l’avoir quand souvent il me faut inspecter, régenter ou
négocier dès mon arrivée.
Bien des rois, et celui de France tout
le premier, conduiraient plus profitablement leurs États s’ils se
fatiguaient un peu moins le rein et davantage la cervelle, et s’ils
ne s’obstinaient à traiter des plus grandes affaires à table, en
fin d’étape ou retour de chasse. Notez que l’on ne se déplace
pas moins vite en litière, comme je le fais, si l’on a de bons
sommiers dans les brancards, et la prudence de les changer souvent…
Voulez-vous une dragée, Archambaud ? Dans le petit coffret à votre
main… eh bien, passez-m’en une… Savez-vous combien de jours
j’ai mis d’Avignon à Breteuil en Normandie, pour aller trouver
le roi Jean qui y montait un absurde siège ? Dites un peu ?…
Non,
mon neveu ; moins que cela. Nous sommes partis le 21 juin, le jour du
solstice, et point à la première heure. Car vous savez, ou plutôt
vous ne savez point comment se passe le départ d’un nonce, ou de
deux, puisque nous étions deux en l’occasion…
Il est de bonne
coutume que tout le collège des cardinaux, après messe, fasse
escorte aux partants, jusqu’à une lieue de la ville ; et il y a
toujours grande foule à suivre ou à regarder de part et d’autre
du chemin. Et l’on se doit d’aller à pas de procession, pour
donner dignité au cortège. Puis on fait halte, et les cardinaux se
rangent en ligne par ordre de préséance, et le nonce échange avec
chacun le baiser de paix. Toute cette cérémonie met loin de
l’aurore…
Donc nous partîmes le 21 juin. Or, nous étions rendus
à Breteuil le 9 juillet. Dix-huit jours. Niccola Capocci, mon
colégat, était malade. Il faut dire que je l’avais secoué, ce
douillet. Jamais il n’avait voyagé d’un tel train.
Mais une
semaine plus tard, le Saint-Père avait dans les mains, portée par
chevaucheurs, la relation de mon premier entretien avec le roi. Cette
fois, nous n’avons pas à tant nous hâter. D’abord, les
journées, en cette époque de l’année, sont brèves, même si
nous bénéficions d’une saison clémente… Je ne me rappelais pas
que novembre pût être si doux en Périgord, comme il fait
aujourd’hui. La belle lumière que nous avons ! Mais nous risquons
fort de rencontrer l’intempérie, quand nous avancerons vers le
nord du royaume.
J’ai compté un gros mois, de telle sorte que nous
soyons à Metz pour la Noël, si Dieu le veut.
Non, je n’ai point
autant de presse que l’été passé, puisque, contre tout mon
effort, cette guerre s’est faite, et que le roi Jean est
prisonnier. Comment pareille infortune a pu advenir ? Oh ! vous
n’êtes point le seul à vous en ébaubir, mon neveu. Toute
l’Europe en éprouve surprise peu petite, et dispute ces mois-ci
des causes et des raisons…
Les malheurs des rois viennent de loin,
et souvent l’on prend pour accident de leur destinée ce qui n’est
que fatalité de leur nature. Et plus les malheurs sont gros, plus
les racines en sont longues. Cette affaire, je la sais par le menu…
Tirez un peu vers moi cette couverture…
et je l’attendais, vous
dirais-je. J’attendais qu’un grand revers, un grand abaissement
vînt frapper ce roi, donc, hélas ! ce royaume.
En Avignon, nous
avons à connaître de tout ce qui intéresse les cours. Toutes les
intrigues, tous les complots refluent vers nous. Pas un mariage
projeté dont nous ne soyons avertis avant les fiancés eux-mêmes…
« Dans le cas où Madame de telle couronne pourrait être accordée
à Monseigneur de telle autre, qui est son cousin au second degré,
notre Très Saint-Père octroierait-il dispense ? »…
pas un traité
qui ne se négocie sans que quelques agents des deux parts aient été
envoyés ; pas de crime qui ne vienne chercher son absolution…
L’Église fournit aux rois et aux princes leurs chanceliers, ainsi
que la plupart de leurs légistes… Depuis dix-huit années, les
maisons de France et d’Angleterre sont en lutte ouverte. Cette
lutte, quelle en est la cause ? Les prétentions du roi Édouard à
la couronne de France, certes ! C’est là le prétexte, un bon
prétexte juridique, je le conçois, car on peut en débattre à
l’infini ; mais ce n’est point le seul et vrai motif.
Il y a les
frontières, de tout temps mal définies, entre la Guyenne et les
comtés voisins, à commencer par le nôtre, le Périgord, tous ces
terriers confusément écrits où les droits féodaux se chevauchent
; il y a les difficultés d’entente, de vassal à suzerain, quand
tous les deux sont rois ; il y a les rivalités de commerce et
d’abord pour les laines et tissus, ce qui fait qu’on s’est
disputé les Flandres ; il y a le soutien que la France a toujours
porté aux Écossais qui entretiennent menace, pour le roi anglais,
sur son septentrion…
La guerre n’a pas éclaté pour une raison,
mais pour vingt qui couvaient comme braises de nuit. Là-dessus
Robert d’Artois, perdu d’honneur et proscrit du royaume, est allé
en Angleterre souffler sur les tisons.
Le pape, c’était alors
Pierre Roger, c’est-à-dire Clément VI, a tout fait et fait faire
pour tenter d’empêcher cette méchante guerre. Il a prêché le
compromis, les concessions de part et d’autre. Il a dépêché, lui
aussi, un légat, qui n’était autre d’ailleurs que l’actuel
pontife, le cardinal Aubert. Il a voulu relancer le projet de
croisade, à laquelle les deux rois devaient participer en emmenant
leur noblesse. C’eût été bon moyen de dériver leurs envies
guerrières, avec l’espérance de refaire l’unité de la
chrétienté…
Au lieu de la croisade, nous avons eu Crécy. Votre
père y était ; vous avez ouï de lui le récit de ce désastre…
Ah ! mon neveu, vous le verrez tout au long de votre vie, il n’y a
guère de mérite à servir de tout son cœur un bon roi ; il vous
entraîne au devoir, et les peines qu’on prend ne coûtent pas
parce qu’on sent qu’elles concourent au bien suprême. Le
difficile c’est de bien servir un mauvais monarque… ou un mauvais
pape.
Je les voyais bien heureux, les hommes du temps de ma prime
jeunesse, qui servaient Philippe le Bel. Être fidèle à ces Valois
vaniteux demande plus d’effort. Ils n’entendent conseils et ne se
prêtent à parler raison que lorsqu’ils sont défaits et étrillés.
C’est seulement après Crécy que Philippe VI consentit une trêve
sur des propositions que j’avais préparées. Point trop mal, il
faut croire, puisque cette trêve a duré, en gros, à part quelques
engagements locaux, de l’an 1347 à l’an 1354. Sept années de
paix relative.
Ç’aurait pu être, pour beaucoup, un temps de
bonheur. Mais voilà ; en notre siècle maudit, à peine la guerre
finie, c’est la peste qui commence. Vous avez été plutôt
épargnés en Périgord… Certes, mon neveu, certes, vous avez payé
votre tribut au fléau ; oui, vous avez eu votre part d’horreur.
Mais ce n’est rien à comparer avec les villes nombreuses et
entourées de campagnes très peuplées, comme Florence, Avignon, ou
Paris.
Savez-vous que ce fléau venait de Chine, par l’Inde, la
Tartarie et l’Asie mineure ? Il s’est répandu, à ce qu’on
dit, jusqu’en Arabie. C’est bien une maladie d’infidèles qui
nous a été envoyée pour punir l’Europe de trop de péchés. De
Constantinople et des rivages du Levant, les navires ont transporté
la peste dans l’archipel grec d’où elle a gagné les ports
d’Italie ; elle a passé les Alpes et nous est venue ravager, avant
de gagner l’Angleterre, la Hollande, le Danemark, et d’aller
finir jusque dans les pays du grand Nord, la Norvège, l’Islande.
Avez-vous eu ici les deux formes de la peste, celle qui tuait en
trois jours, avec fièvre brûlante et crachements de sang… les
infortunés qui en étaient atteints disaient qu’ils enduraient
déjà les peines de l’enfer… et puis l’autre, qui faisait
l’agonie plus longue, cinq à six jours, avec de la fièvre
pareillement, et de gros carboncles et pustules qui venaient aux
aines et aux aisselles ?
Sept mois de rang, nous avons subi cela en
Avignon. Chaque soir, en se couchant, on se demandait si l’on se
relèverait. Chaque matin, on se tâtait sous les bras et à la
fourche des cuisses. À la moindre chaleur qu’ils se sentaient dans
le corps, les gens étaient pris d’angoisse et vous regardaient
avec des yeux fous. À chaque respiration, on se disait que c’était
peut-être avec cette goulée d’air-là que le mal vous pénétrait.
On ne quittait nul ami sans penser « Sera-ce lui, sera-ce moi, ou
bien nous deux ? » Les tisserands mouraient dans leur échoppe au
pied de leurs métiers arrêtés, les orfèvres auprès de leurs
creusets froids, les changeurs sous leurs comptoirs. Des enfants
finissaient de mourir sur le grabat de leur mère morte.
Et l’odeur,
Archambaud, l’odeur dans Avignon ! Les rues étaient pavées de
cadavres. La moitié, vous m’entendez bien, la moitié de la
population a péri. Entre janvier et avril de 1348, on compta
soixante-deux mille morts. Le cimetière que le pape avait fait
acheter en hâte fut plein en un seul mois ; on y enfouit onze mille
corps. Les gens trépassaient sans serviteurs, étaient ensevelis
sans prêtres. Le fils n’osait plus visiter son père, ni le père
visiter son fils. Sept mille maisons fermées ! Tous ceux qui le
pouvaient fuyaient vers leur palais de campagne.
Clément VI, avec
quelques cardinaux dont je fus, resta dans la ville. « Si Dieu nous
veut, il nous prendra. » Et il fit rester la plupart des quatre
cents officiers de l’hôtel pontifical qui ne furent pas de trop
pour organiser les secours. Le pape servit des gages à tous les
médecins et physiciens ; il prit à solde charretiers et fossoyeurs,
fit distribuer des vivres et prescrivit de bonnes mesures de police
contre la contagion. Nul alors ne lui reprocha d’être large à la
dépense. Il tança moines et nonnes qui manquaient au devoir de
charité envers les malades et les agonisants…
Ah ! j’en ai
entendu alors des confessions et des repentirs chez des hommes bien
hauts et puissants, même d’Église, qui venaient se nettoyer l’âme
de tous leurs péchés et quêter l’absolution ! Même les gros
banquiers lombards et florentins qui se confessaient en claquant des
dents, et se découvraient soudain généreux.
Et les maîtresses des
cardinaux… eh oui, eh oui, mon neveu ; pas tous, mais il y en a…
ces belles dames venaient accrocher leurs joyaux aux statues de la
Sainte Vierge ! Elles se tenaient sous le nez un mouchoir imprégné
d’essences aromatiques et jetaient leurs chaussures avant de
rentrer chez elles. Ceux-là qui reprochent à Avignon d’être
ville d’impiété et comme la nouvelle Babylone ne l’ont pas vue
pendant la peste. On y fut pieux, je vous l’assure !
L’étrange
créature que l’homme ! Quand tout lui sourit, qu’il jouit d’une
santé florissante, que ses affaires sont prospères, son épouse
féconde et sa province en paix, n’est-ce pas là qu’il devrait
élever sans cesse son âme vers le Seigneur pour lui rendre grâces
de tant de bienfaits ? Point du tout ; il est oublieux de son
créateur, fait la tête fière et s’emploie à braver tous les
commandements. Mais dès que le malheur le frappe et que survient la
calamité, alors il se rue à Dieu. Et il prie, et il s’accuse, et
il promet de s’amender… Dieu a donc bien raison de l’accabler,
puisque c’est la seule manière, semble-t-il, de faire que l’homme
lui revienne…
Je n’ai pas choisi mon état. C’est ma mère,
peut-être le savez-vous, qui me l’a désigné quand j’étais
enfant. Si j’y ai convenu, c’est, je crois, parce que de toujours
j’ai eu gratitude envers Dieu de ce qu’il me donnait, et d’abord
de vivre. Je me rappelle, tout petit, dans notre vieux château de la
Rolphie, à Périgueux, où vous êtes né vous-même, Archambaud,
mais où vous n’habitez plus depuis que votre père a choisi, voici
quinze ans, de résider à Montignac… eh bien là, dans ce gros
château assis sur une arène des anciens Romains, je me rappelle cet
émerveillement qui m’emplissait soudain d’être vivant au milieu
du vaste monde, de respirer, de voir le ciel ; je me rappelle avoir
ressenti cela surtout les soirs d’été, quand la lumière est
longue et qu’on me conduisait au lit bien avant que le jour ne soit
tombé. Les abeilles bruissaient dans une vigne qui grimpait au mur,
sous ma chambre, l’ombre lentement emplissait la cour ovale, aux
pierres énormes ; le ciel était encore clair où passaient des
oiseaux, et la première étoile s’installait dans les nuées qui
restaient roses.
J’avais un grand besoin de dire merci et ma mère
m’a fait comprendre que c’était à Dieu, organisateur de toute
cette beauté, qu’il fallait le dire. Et cela jamais ne m’a
abandonné.
Ce jour d’hui même, tout au long de notre route, j’ai
souvent un merci qui me vient au cœur pour ce temps doux que nous
avons, ces forêts rousses que nous traversons, ces prés encore
verts, ces serviteurs fidèles qui m’escortent, ces beaux chevaux
gras que je vois trotter contre ma litière. J’aime à regarder le
visage des hommes, le mouvement des bêtes, la forme des arbres,
toute cette grande variété qui est l’œuvre infinie et infiniment
merveilleuse de Dieu. Tous nos docteurs qui disputent théologie dans
des salles closes, et se lardent de creuses paroles, et s’invectivent
de bouche amère, et s’assomment de mots inventés pour nommer
autrement ce qu’on savait avant eux, tous ces gens feraient bien de
se guérir la tête en contemplant la nature. Moi, j’ai pour
théologie celle qu’on m’a apprise, tirée des pères de l’Église
; et je ne me soucie point d’en changer…
Vous savez que j’aurais
pu être pape… oui, mon neveu. D’aucuns me le disent, comme ils
disent aussi que je pourrais l’être si Innocent dure moins que
moi. Ce sera ce que Dieu voudra. Je ne me plains point de ce qu’il
m’a fait. Je le remercie qu’il m’ait mis où il m’a mis, et
qu’il m’ait conservé jusqu’à l’âge que j’ai, où bien
peu parviennent… cinquante-cinq ans, mon cher neveu… et aussi
dispos que je suis. Cela aussi est bénédiction du Seigneur. Des
gens qui ne m’ont pas vu de dix ans n’en croient pas leurs yeux
que j’aie si peu changé d’apparence, la joue toujours aussi
rose, et la barbe à peine blanchie. L’idée de coiffer ou de
n’avoir pas coiffé la tiare ne me chatouille, en vérité… je
vous le confie comme à un bon parent… que lorsque j’ai le
sentiment que je pourrais mieux agir que celui qui la porte. Or, ce
sentiment-là, je ne l’ai jamais connu auprès de Clément VI.
Il
avait bien compris que le pape doit être monarque par-dessus les
monarques, lieutenant général de Dieu. Un jour que Jean Birel ou
quelque autre prêcheur de dépouillement lui reprochait d’être
trop dispendieux et trop généreux envers les solliciteurs, il
répondit : « Personne ne doit se retirer mécontent de la présence
du prince. » Puis, se tournant vers moi, il ajouta entre ses dents :
« Mes prédécesseurs n’ont pas su être papes. » Et pendant
cette grande peste, comme je vous le disais, il nous prouva vraiment
qu’il était le meilleur.
Je ne crois point, tout honnêtement, que
j’eusse pu faire autant que lui, et j’ai remercié Dieu, là
encore, qu’il ne m’ait point désigné pour conduire la
chrétienté souffrante au travers de cette épreuve. Pas un moment,
Clément ne se départit de sa majesté ; et il montra bien qu’il
était le Saint-Père, le père de tous les chrétiens et même des
autres, puisque lorsque les populations, un peu partout, mais
principalement dans les provinces rhénanes, à Mayence, à Worms, se
retournèrent contre les juifs qu’elles accusaient d’être les
responsables du fléau, il condamna ces persécutions. Il fit même
plus ; il décida de prendre les juifs sous sa protection ; il
excommunia ceux qui les molestaient ; il offrit aux juifs pourchassés
l’asile et l’établissement dans ses États dont, il faut le
reconnaître, ils ont refait la prospérité en quelques années.
Mais pourquoi vous parle-je si longuement de la peste ? Ah, oui ! À
cause des grandes conséquences qu’elle eut pour la couronne de
France, et pour le roi Jean lui-même. En effet, vers la fin de
l’épidémie, dans l’automne de 1349, coup sur coup trois reines,
ou plutôt deux reines et une princesse promise à l’être…
Que
dis-tu, Brunet ? Parle plus haut. Nous sommes en vue de Bourdeilles
?… Ah, oui, je veux regarder. La position est forte, en effet, et
le château bien posé pour commander de loin les approches.
Voilà
donc, Archambaud, le château que mon frère cadet, votre père, m’a
abandonné pour me remercier d’avoir libéré Périgueux. Car, si
je ne suis point parvenu à tirer le roi Jean des mains anglaises, au
moins ai-je pu en tirer notre ville comtale et faire que l’autorité
nous y soit rendue. La garnison anglaise, vous vous rappelez, ne
voulait pas partir. Mais les lances qui m’accompagnent, et dont
certaines gens se gaussent, se sont, une nouvelle fois, révélées
bien utiles. Il a suffi que j’apparaisse avec elles, venant de
Bordeaux, pour que les Anglais fassent leurs bagages, sans demander
leur reste. Deux cents lances et un cardinal, c’est beaucoup…
Oui, la plupart de mes serviteurs sont entraînés aux armes, de même
que mes secrétaires et les docteurs ès lois qui vont avec moi. Et
mon fidèle Brunet est chevalier ; je l’ai fait naguère anoblir.
En me donnant Bourdeilles, mon frère au fond se renforce. Car avec
la châtellenie d’Auberoche, près Savignac, et la bastide de
Bonneval, proche de Thenon, que j’ai rachetées vingt mille
florins, voici dix ans, au roi Philippe VI… je dis rachetées, mais
en vérité cela compensa pour partie les sommes que je lui avais
prêtées… avec aussi l’abbaye forte de Saint-Astier, dont je
suis l’abbé, et mes prieurés du Fleix et de
Saint-Martin-de-Bergerac, cela fait à présent six places, à bonne
distance tout autour de Périgueux, qui dépendent d’une haute
autorité d’Église, presque comme si elles étaient tenues par le
pape lui-même. On hésitera à s’y frotter. Ainsi j’assure la
paix dans notre comté.
Vous connaissez Bourdeilles, bien sûr ; vous
y êtes venu souvent. Moi, il y a longtemps que je ne l’ai visité…
Tiens, je ne me rappelais point ce gros donjon octogonal. Il a fière
allure. Le voici mien, à présent, mais pour y passer seulement une
nuit et un matin, le temps d’y installer le gouverneur que j’ai
choisi, et sans savoir quand j’y reviendrai, si j’y reviens.
C’est peu de loisir pour en jouir. Enfin, remercions Dieu pour ce
temps qu’il m’y accorde. J’espère qu’on nous aura préparé
un bon souper car, même en litière, la route creuse.
Demain "Quand un roi perd la France" 1ère partie - ch 3 - "La mort frappe à toutes les portes"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire