mercredi 18 décembre 2019

Incipit 85 ( Goncourt 1917 - Henri Malherbe - La flamme au poing


Henry Malherbe (1886-1958), également connu sous le nom d'Henry Croisilles, a été critique littéraire au quotidien Le Temps entre 1910 et 1936.
En 1917, il reçoit le prix Goncourt pour son livre La Flamme au poing. Lucien Descaves, membre du jury, raconte dans ses souvenirs : « Je ris encore de l'effarement de Léon Daudet qui, ne sachant pas que Malherbe était Israélite, avait voté pour lui !
Il est avec Henry de Jouvenel l'un des deux directeurs de La Revue des vivants avant de devenir le directeur de l’Opéra -Comique à Paris durant deux ans à partir de 1946.
Il fut président de l’ Association des écrivains combattants. Il a donné son nom à une distinction littéraire délivrée par cette association, le prix Henry Malherbe, créé en 1953 pour récompenser un essai.

Le romancier a vécu la guerre, y a été blessé, et rapporte des faits que ses collègues ont connus eux aussi : l’exécution des « poltrons »,  les récriminations contre les puissants « qui commandent cette société de désordre et de haine ». Mais là où Barbusse faisait des poilus des victimes d’une forme d’organisation sociale, Malherbe les érige en héros de valeurs abstraites, dans un style au lyrisme convenu : « Ces soldats habillés d’un bleu clair, zébré de boue blonde, sont le ciel et le sol de France en action. La terre mouvante et l’azur léger de la patrie ont fait surgir à leur image ces défenseurs invincibles qui sont faits d’un morceau de notre glèbe et d’un morceau de notre firmament ».
Cette année-là le choix des jurés a particulièrement bien collé à l’actualité de la nation.

‘’"Voici cinquante-cinq jours que nous avons pris position dans ce bois déchiqueté, pelé par le fer et la flamme. La violence de la bataille ne s'épuise pas, mais se prolonge plus rapide et désespérée. 
  Nos sensibilités, harcelées par l'horreur et la détresse, mordues par l'enthousiasme et la haine, s'affolent, captives, pantelantes ou rebelles. On a souvent parlé de nous relever. Le colonel D... nous retient. Il sait notre rage de détruire, notre impétuosité à nous défendre et nous venger... Et notre chef d'escadron H... ne se lasse pas de distribuer l'espoir, ni de chasser l'amertume envahissante. 
  Mais ceux qui restent ont des visages hagards, brûlés et poignants. La fatigue les enfièvre et les sèche. Esclaves irréductibles d'une cause tragique et dont ils sentent obscurément l'urgence et la grandeur. L'étrange paysage balafré, tuméfié. 
  Le vallon, où nous sommes, a je ne sais quoi de recueilli, d'usé, d'artificiel et d'abstrait. Un champ de bataille d'aujourd'hui. Il ressemble à' un laboratoire, peuplé de savants farouches et insidieux, encombré d'alambics et de machines fracassantes... 
  Des senteurs pharmaceutiques imprègnent les arbres amputés, traînent sur le sol noirâtre et grêlé. Tout l'après-midi, l'ennemi nous a envoyé des obus lacrymogènes qui éclatent avec un bruit de ferblanterie heurtée, éploient leurs écharpes de fumée méphitique et versent des odeurs insinuantes et aiguës de moutarde, de santal et d'encens.’’

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