lundi 9 décembre 2019

Incipit 84 Prix Goncourt 1916 - Henri Barbusse - Le feu





Henri Barbusse (1873 - 1935) est issu d’une famille de protestants cévenols, il a néanmoins une filiation républicaine et athée.
Le recueil de poèmes de jeunesse qu'il publie à 19 ans, Pleureuses, marque son premier succès littéraire, mais le succès critique vient surtout avec le roman L'Enfer publié en 1908.
En août 1914, Henri Barbusse, croyant en l'idée d'une guerre juste, est un engagé volontaire de la Première Guerre mondiale. Cependant, attaché à la dignité de la condition humaine, il s'engage en 1919 pour la paix et fonde avec d'autres figures connues d'anciens combattants comme Paul Vaillant-Couturier l'Association républicaine des anciens combattants.
Admirateur de la Révolution russe, qu’il soutient contre le capitalisme « fauteur de guerre », il adhère au parti communiste français en 1923, puis part vivre en URSS, où il meurt en 1935.
Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, près du mur des Fédérés. 
 
  Ce livre que Barbusse, engagé volontaire en 1914 (il avait alors 41 ans et souffrait de problèmes pulmonaires), tira de son expérience personnelle du front, a été longuement mûri et pensé en première ligne pendant vingt-deux mois dans les tranchées de décembre 1914 à 1916 . Barbusse, tout au long de l'année 1915, tient un carnet de guerre où il note des expériences vécues, les expressions des poilus, et dresse des listes diverses et variées. Ce carnet servira de base à la composition de son roman dont l'essentiel de l'écriture l'occupera durant le premier semestre 1916 alors qu'il est convalescent à l'hôpital de Chartres puis à celui de Plombières. Le roman est découpé en vingt-quatre chapitres, qui paraissent d'abord sous forme de feuilleton dans le quotidien l’ Oeuvre, avant d'être publié par les Editions Flammarion en novembre de la même année et d'obtenir, quelques jours plus tard, le prix Goncourt.


LA VISION
‘’La Dent du Midi, l’Aiguille Verte et le Mont Blanc font face aux figures exsangues émergeant des couvertures alignées sur la galerie du sanatorium. Au premier étage de l’hôpital-palais, cette terrasse à balcon de bois découpé, que garantit une véranda, est isolée dans l’espace, et surplombe le monde.
Les couvertures de laine fine — rouges, vertes, havane ou blanches — d’où sortent des visages affinés aux yeux rayonnants, sont tranquilles. Le silence règne sur les chaises longues. Quelqu’un a toussé. Puis, on n’entend plus que de loin en loin le bruit des pages d’un livre, tournées à intervalles réguliers, ou le murmure d’une demande et d’une réponse discrète, de voisin à voisin, ou parfois, sur la balustrade, le tumulte d’éventail d’une corneille hardie échappée aux bandes qui font, dans l’immensité transparente, des chapelets de perles noires.
Le silence est la loi. Au reste, ceux qui, riches, indépendants, sont venus ici de tous les points de la terre, frappés du même malheur, ont perdu l’habitude de parler. Ils sont repliés sur eux-mêmes, et pensent à leur vie et à leur mort.
Une servante parait sur la galerie ; elle marche doucement et est habillée de blanc.
Elle apporte des journaux, les distribue.
C’est chose faite, dit celui qui a déployé le premier son journal, la guerre est déclarée.
Si attendue qu’elle soit, la nouvelle cause une sorte d’éblouissement, car les assistants en sentent les proportions démesurées.’’

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire