VIII
RETOUR À MAUBUISSON
Il arrive que toute une machination longuement ourdie soit compromise dès
l’origine par une faille de raisonnement.
Robert s’aperçut soudain que les catapultes qu’il avait si bien montées
pouvaient se casser net au moment de tirer, faute de sa part d’avoir songé à un
ressort premier.
Il avait certifié au roi son beau-frère, et juré solennellement sur les Écritures,
que ses titres d’héritage existaient ; il avait fait établir des lettres aussi
semblables que possible aux documents disparus ; il avait provoqué de
nombreux témoignages pour étayer la validité de ces écrits. Toutes les chances
semblaient donc rassemblées pour que ses preuves fussent agréées sans
discussion.
Mais il existait une personne qui savait, elle, indubitablement, que les actes
étaient faux : Mahaut d’Artois, puisqu’elle avait brûlé les vrais actes, ceux
d’abord des registres de Paris, dérobés quelque vingt ans plus tôt grâce à des
complaisances dans l’entourage de Philippe le Bel, et puis, tout récemment, les
copies récupérées dans le coffre de Thierry d’Hirson.
Or, si un faux peut passer pour authentique aux yeux de gens favorablement
prévenus et qui n’ont jamais eu connaissance des originaux, il n’en va pas de
même pour qui est averti de la falsification.
Certes, Mahaut n’irait pas déclarer : « Ces pièces sont mensongères parce que
j’ai jeté au feu les bonnes » ; mais, sachant les pièces frauduleuses, elle allait
tout mettre en œuvre pour le démontrer ; on pouvait sur ce point lui faire
confiance !
L’arrestation des mesquines de la Divion constituait une alerte
probante. Trop de personnes déjà avaient participé à la fabrication pour qu’il ne
s’en trouvât pas quelqu’une capable de trahir par peur, ou par appât du gain.
Si une erreur s’était glissée, comme le malheureux « 1322 » à la place de
« 1302 » dans la lettre lue à Reuilly, Mahaut ne manquerait pas de la déceler. Les
sceaux pouvaient sembler parfaits mais Mahaut en exigerait le contre-examen
minutieux. Et puis, le feu comte Robert II avait, comme tous les princes,
l’habitude de faire mentionner dans ses actes officiels le nom du clerc qui les
avait écrits. Évidemment, pour les fausses lettres, on s’était gardé de cette
précision. Or, telle omission sur une seule pièce pouvait passer, mais sur quatre
qu’on allait présenter ? Mahaut aurait beau jeu à faire ouvrir les registres
d’Artois : « Comparez, dirait-elle, et parmi toutes les lettres scellées par mon
père, cherchez donc la main d’un de ses clercs qui ressemble à ces écritures là ! »
Robert en était venu à la conclusion que ses pièces, qui avaient en son esprit
valeur de vérité, ne pouvaient être utilisées que lorsque la personne qui avait fait
disparaître les originaux aurait elle-même disparu. Autrement dit, son procès
n’était gagné qu’à la condition que Mahaut fût morte.
Ce n’était plus un souhait
mais une nécessité.
— Si Mahaut venait à trépasser, dit-il un jour à Béatrice d’un air songeur, les
deux mains sous la tête et regardant le plafond de la maison Bonnefille… oui, si
elle trépassait, je pourrais fort bien te faire entrer en mon hôtel comme dame de
parage de mon épouse… Puisque je recueillerais l’héritage d’Artois, on
comprendrait que je reprenne certaines gens de la maison de ma tante. Et ainsi je
pourrais t’avoir toujours auprès de moi…
L’hameçon était gros, mais lancé vers un poisson qui avait la bouche ouverte.
Béatrice n’entretenait pas de plus douce espérance. Elle se voyait habitant
l’hôtel de Robert, y tramant ses intrigues, maîtresse d’abord secrète, puis avouée,
car ce sont là choses que le temps installe… Et qui sait ? Madame de Beaumont,
comme toute créature humaine, n’était pas éternelle. Certes, elle avait sept ans de
moins que Béatrice et jouissait d’une santé qui semblait excellente ; mais quel
triomphe, justement, pour une femme plus âgée, de supplanter une cadette ! Est-ce qu’un envoûtement bien accompli ne pourrait pas, d’ici quelques années, faire
de Robert un veuf ? L’amour ôte tout frein à la raison, toute limite à
l’imagination. Béatrice se rêvait par moments comtesse d’Artois, en manteau de
pairesse…
Et si le roi, comme cela pouvait aussi survenir, trépassait, et que Robert devînt
régent ? En chaque siècle, il existe des femmes petitement nées qui se haussent
ainsi jusqu’au premier rang, par le désir qu’elles inspirent à un prince, et parce
qu’elles ont des grâces de corps et une habileté de tête qui les rendent
supérieures, par droit naturel, à toutes les autres.
Les dames empérières de Rome
et de Constantinople, à ce que racontaient les romans des ménestrels, n’étaient
pas toutes nées sur les marches d’un trône. Dans la société des puissants de ce
monde, c’est allongée qu’une femme s’élève le plus vite…
Béatrice mit, pour se laisser ferrer, juste le temps nécessaire à bien s’assurer
prise sur celui qui la voulait prendre. Il fallut que Robert, pour la convaincre,
s’engageât assez, et qu’il lui eût dix fois certifié qu’elle entrerait à l’hôtel
d’Artois, et les titres et prérogatives dont elle jouirait, et quelle terre lui serait
donnée… Oui, alors, peut-être, elle pouvait indiquer un envoûteur qui, par image
de cire bien travaillée, aiguilles plantées et conjurations prononcées, ferait œuvre
nocive sur Mahaut.
Mais encore Béatrice feignait d’être traversée d’hésitations,
de scrupules ; Mahaut n’était-elle pas sa bienfaitrice et celle de toute la famille
d’Hirson ?
Agrafes d’or et fermaux de pierreries bientôt s’accrochèrent au cou de
Béatrice ; Robert apprenait les usages galants. Caressant de la main le bijou
qu’elle venait de recevoir, Béatrice disait que, si l’on voulait que l’envoûte
réussît, le plus sûr et le plus rapide moyen consistait à prendre un enfant de
moins de cinq ans auquel on faisait avaler une hostie blanche, puis de trancher la
tête de l’enfant et d’en égoutter le sang sur une hostie noire que l’on devait
ensuite, par quelque subterfuge, faire manger à l’envoûté. Un enfant de moins de
cinq ans, cela requérait-il grand-peine à trouver ? Combien de familles pauvres,
surchargées de marmaille, eussent consenti à en vendre un !
Robert faisait la grimace ; trop de complications pour un résultat bien
incertain. Il préférait un bon poison, bien simple, qu’on administre et qui fait son
œuvre.
Béatrice enfin sembla se laisser fléchir, par dévouement à ce diable qu’elle
adorait, par impatience de vivre auprès de lui, à l’hôtel d’Artois, par espérance
de le voir plusieurs fois le jour. Pour lui, elle serait capable de tout…
Elle s’était
déjà, depuis une semaine, procuré telle provision d’arsenic blanc qu’elle eût pu
exterminer le quartier, lorsque Robert crut triompher en lui faisant accepter
cinquante livres pour en acquérir.
Il fallait maintenant attendre une occasion favorable. Béatrice représentait à
Robert que Mahaut était entourée de physiciens qui accouraient au moindre
malaise de Madame ; les cuisines étaient surveillées, les échansons diligents…
L’entreprise n’était pas facile.
Et puis, soudain, Robert changea d’avis. Il avait eu un long entretien avec le
roi. Philippe VI, au vu du rapport des commissaires qui avaient si bien travaillé
sous la direction du plaignant, et plus que jamais convaincu du bon droit de son
beau-frère, ne demandait qu’à servir ce dernier. Afin d’éviter un procès d’une
conclusion si certaine, mais dont le retentissement ne pouvait être que déplaisant
pour la cour et tout le royaume, il avait résolu de convoquer Mahaut et de la
convaincre de renoncer à l’Artois.
— Elle n’acceptera jamais, dit Béatrice, et tu le sais aussi bien que moi,
Monseigneur…
— Essayons toujours. Si le roi parvenait à lui faire entendre raison, ne serait-ce pas la meilleure issue ?
— Non… la meilleure issue c’est le poison.
Car l’éventualité d’un règlement amiable n’arrangeait nullement les affaires
de Béatrice ; son entrée à l’hôtel de Robert se trouvait reculée. Béatrice devrait
rester dame de parage de la comtesse jusqu’à ce que celle-ci s’éteignît, Dieu
savait quand ! C’était elle à présent qui voulait presser les choses ; les obstacles,
les difficultés par elle-même soulevées, ne l’effrayaient plus.
L’occasion
favorable ? Elle en avait plusieurs chaque jour, ne fût-ce que lorsqu’elle portait à
la comtesse Mahaut ses tisanes ou ses médecines…
— Mais puisque le roi la convie dans trois jours à Maubuisson ? insistait
Robert.
Les deux amants en convinrent de la sorte : ou bien Mahaut acceptait la
proposition royale de se démettre de l’Artois, et alors on lui laisserait la vie ; ou
bien elle refusait et, dans ce cas, le jour même Béatrice lui administrerait le
poison. Quelle meilleure opportunité pouvait-on saisir ? Mahaut prise de malaise
en sortant de la table du roi ! Qui donc oserait soupçonner ce dernier de l’avoir
fait assassiner, ou même le soupçonnant, oserait le dire ?
Philippe VI avait proposé à Robert d’être présent à l’entrevue de conciliation ;
mais Robert refusa.
— Sire mon frère, vos paroles auront plus d’effet si je ne suis point là ;
Mahaut me hait beaucoup, et ma vue risquerait de l’entêter plutôt que de
l’encourager à se soumettre.
Il pensait cela sérieusement, mais en outre il voulait, par son absence, se
dérober à toute éventuelle accusation.
Trois jours plus tard, le 23 octobre, la comtesse Mahaut, cahotée dans sa
grande litière toute dorée et décorée des armes d’Artois, avançait sur la route de
Pontoise. Son seul enfant survivant, la reine Jeanne, veuve de Philippe le Long,
était du voyage. Béatrice se tenait en face de sa maîtresse sur un tabouret de
tapisserie.
— Que croyez-vous, Madame… que le roi vous veuille proposer ? disait
Béatrice. Si c’est un accommodement… souffrez que je vous donne mon
conseil… je vous engage à refuser. Je vous aurai avant peu toutes bonnes
preuves contre Monseigneur Robert. La Divion est prête, cette fois, à nous livrer
de quoi le confondre.
— Que ne l’amènes-tu un peu, cette Divion qui t’est devenue si familière et
que je ne vois jamais ? dit Mahaut.
— Cela ne se peut, Madame… elle craint pour sa vie. Si Monseigneur Robert
l’apprenait, elle n’entendrait pas messe le matin suivant. Moi-même elle ne me
vient visiter que de nuit à la maison Bonnefille… et toujours escortée de
plusieurs valets qui la gardent. Mais refusez fortement, Madame, refusez !
Jeanne la Veuve, en robe blanche, regardait défiler le paysage et se taisait. Ce
fut seulement quand les toits aigus de Maubuisson apparurent au loin, par-dessus
les masses rousses de la forêt, qu’elle ouvrit la bouche pour dire :
— Vous rappelez-vous, ma mère, il y a quinze ans…
Il y avait quinze ans que, sur ce même chemin, en robe de bure et la tête rasée,
elle hurlait son innocence dans le chariot noir qui l’emmenait vers Dourdan. Un
autre chariot noir emmenait sa sœur Blanche et sa cousine Marguerite de
Bourgogne vers Château-Gaillard. Quinze ans !
Elle avait été graciée, elle avait retrouvé la tendresse de son époux. Marguerite
était morte. Louis X était mort…
Jamais Jeanne n’avait posé de questions à
Mahaut sur les conditions de la disparition de Louis Hutin et du petit Jean I
er…
Et Philippe le Long était devenu roi, pour six ans, et il était mort à son tour. Il
semblait à Jeanne qu’elle eût vécu trois vies distinctes ; la première se terminait,
loin dans le passé, avec l’atroce journée de Maubuisson ; dans la seconde, elle
était couronnée reine de France à Reims, auprès de Philippe ; et puis, dans sa
troisième vie, elle devenait cette veuve, entourée d’égards mais éloignée du
pouvoir, et assise en ce moment dans la grande litière. Trois vies ; et l’étrange
impression d’avoir été trois personnes différentes qui avaient peine à concorder.
Sa propre continuité, elle ne la ressentait que par la présence de cette mère
imposante, autoritaire, qui l’avait toujours dominée, et à laquelle, depuis
l’enfance, elle craignait d’adresser la parole.
Mahaut elle aussi se souvenait…
— Et toujours à cause de ce mauvais Robert, dit-elle ; c’est lui qui avait tout
manège avec cette chienne d’Isabelle dont on me dit que les affaires ne vont pas
fort pour l’heure, non plus que celles du Mortimer dont elle est la putain. Ils
seront tous châtiés un jour !
Chacune suivait sa propre pensée.
— À présent j’ai des cheveux… mais j’ai des rides, murmura la reine veuve.
— Tu auras l’Artois, ma fille, dit Mahaut en lui posant la main sur le genou.
Béatrice contemplait la campagne et souriait aux nuages.
Philippe VI reçut Mahaut courtoisement, mais non sans quelque hauteur, et
parla comme il sied à un roi. Il voulait la paix entre ses grands barons ; les pairs,
soutiens de la couronne, ne devaient point donner l’exemple de la discorde ni
s’offrir au déshonneur public.
— Je ne veux point juger de ce qui s’est accompli sous les précédents règnes,
dit Philippe comme s’il jetait un voile d’indulgence sur les agissements anciens
de Mahaut. C’est sur l’état présent que je veux statuer. Mes commissaires ont
achevé leur besogne ; les témoignages, ma cousine, ne vous sont guère
favorables, je ne vous le peux celer. Robert va produire ses pièces…
— Témoignages payés et travaux de faussaires… grommela Mahaut.
Le repas eut lieu dans la grande salle, celle-là même où autrefois Philippe le
Bel avait jugé ses trois brus. « Tout le monde doit y penser », se disait la reine
Jeanne la Veuve ; et elle en avait l’appétit coupé. Or, à l’exception de sa mère et
d’elle-même, personne ne songeait plus à cet événement lointain dont presque
tous les témoins déjà avaient disparu. Tout à l’heure, peut-être, à l’issue du dîner,
un vieil écuyer dirait à un autre :
— Vous rappelez-vous, messire, nous étions là, quand Madame Jeanne monta
dans le chariot… et voilà qu’elle revient en reine douairière…
Et le souvenir s’effacerait aussitôt qu’évoqué.
C’est une erreur commune à tous les humains que de croire que leur prochain
accorde à leur personne autant d’importance qu’ils lui en attachent eux-mêmes ;
les autres, sauf s’ils ont un intérêt particulier à s’en souvenir, oublient vite ce qui
nous est arrivé ; et si même ils n’ont pas oublié, leur souvenir ne revêt pas la
gravité que nous imaginons.
En un autre lieu peut-être Mahaut se fût montrée plus accessible aux
propositions de Philippe VI. Monarque qui se voulait arbitre, il cherchait
l’accommodement. Mais Mahaut, parce qu’elle était à Maubuisson, et que toutes
ses haines s’en trouvaient ravivées, ne se sentait pas en humeur de céder. Elle
ferait condamner Robert comme faussaire, elle prouverait qu’il était parjure,
c’était là son unique pensée.
Obligée de mesurer ses paroles, elle mangeait énormément, par compensation,
engloutissant tout ce qu’on lui présentait au plat, et vidant son hanap aussitôt que
rempli. La colère autant que le vin lui empourprait le visage. Le roi n’était-il pas
en train de lui conseiller, tout bonnement, d’abandonner son comté à Robert,
celui-ci s’engageant à verser à sa tante quarante mille livres l’an ?
— Je me fais fort, disait Philippe, d’obtenir là-dessus l’agrément de votre
neveu.
Mahaut pensa : « Si Robert en est à me faire proposer cela par son beau-frère,
c’est donc bien qu’il n’est pas très assuré de ses titres et qu’il préfère payer une
rente de quarante mille livres l’année plutôt que de montrer ses fausses pièces ! »
— Je refuse, Sire mon cousin, dit-elle, de me dépouiller ainsi ; et comme
l’Artois m’appartient, votre justice me le conservera.
Philippe VI la regarda par-dessus son grand nez. Cette obstination à refuser
était peut-être dictée à Mahaut par un souci d’orgueil, ou bien par la crainte, en
cédant, d’accréditer les accusations… Philippe suggéra une autre solution :
Mahaut gardait son comté, ses titres et droits, sa couronne de pair, pour toute sa
vie durant, et elle instituait par-devant le roi, en un acte ratifié par les pairs, son
neveu Robert comme héritier de l’Artois. Honnêtement, elle n’avait aucune
raison de s’opposer à cet arrangement ; son seul fils lui avait été tôt repris par
Dieu ; sa fille ici présente était pourvue d’un douaire royal, et ses petites-filles
mariées l’une à la Bourgogne, l’autre à la Flandre, la troisième au Viennois.
Mahaut pouvait-elle souhaiter mieux ? Quant à l’Artois, il reviendrait un jour à
son destinataire naturel.
— Car si votre frère, le comte Philippe, n’était pas mort avant votre père,
pouvez-vous nier, ma cousine, que votre neveu, aujourd’hui, serait le tenant de la
comté ? Ainsi pour tous deux l’honneur est sauf, et je donne au différend qui
vous oppose un juste règlement.
Mahaut serra les mâchoires et agita la tête en signe de dénégation.
Alors Philippe VI montra quelque irritation et fit hâter le service. Puisque
Mahaut en usait ainsi, puisqu’elle lui faisait l’offense de repousser son arbitrage,
elle irait au procès… À son gré !
— Je ne vous retiens point à loger, ma cousine, lui dit-il aussitôt les mains
lavées ; je ne pense pas que le séjour en ma cour vous soit plaisant.
C’était la disgrâce, et clairement signifiée.
Avant de reprendre la route, Mahaut alla verser quelques larmes sur la tombe
de sa fille Blanche, dans la chapelle de l’abbaye. Elle-même, en ses volontés,
avait décidé de se faire enterrer là.
— Ah ! Maubuisson, dit-elle, n’est pas une place qui nous aura porté chance.
L’endroit ne vaut que pour y dormir morte.
Tout le long du trajet de retour, elle ne cessa d’exhaler sa colère.
— L’avez-vous entendu, ce grand niais que le mauvais sort nous a baillé pour
roi ? Me défaire de l’Artois, tout aisément, à seule fin de lui complaire ! Instituer
pour mon héritier ce gros puant de Robert ! Mais la main me sécherait au bout
du bras plutôt que de sceller cela ! Faut-il qu’il y ait entre eux long marché de
coquinerie et qu’ils se doivent beaucoup l’un à l’autre… Et dire que sans moi, si
je n’avais pas si bien déblayé autrefois les avenues du trône…
— Ma mère… murmura doucement Jeanne la Veuve.
Si elle avait osé exprimer sa pensée, si elle n’avait pas craint d’essuyer une
terrible rebuffade, Jeanne eût conseillé à sa mère d’accepter les propositions du
roi. Mais cela n’eût servi à rien.
— Jamais, répétait Mahaut, jamais ils n’obtiendront cela de moi.
Elle venait, sans le savoir, de signer son arrêt de mort, et l’exécuteur était
devant elle, dans la litière, qui la regardait à travers des cils noirs.
— Béatrice, dit soudain Mahaut, aide-moi un peu à me délacer ; j’ai le ventre
qui enfle.
La rage lui avait dérangé la digestion. Il fallut arrêter la litière pour que
Madame Mahaut allât se soulager les entrailles dans le premier champ.
— Ce soir, Madame, dit Béatrice, je vous donnerai de la pâte de coings.
En arrivant à Paris dans la nuit, à l’hôtel de la rue Mauconseil, Mahaut se
sentait le cœur encore un peu brouillé, mais elle allait mieux. Elle fit un repas
maigre et se coucha.
Demain "le lis et le lion" 2ème partie- ch 9 "Le salaire des crimes"
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